La lettre juridique n°155 du 17 février 2005

La lettre juridique - Édition n°155

Table des matières

Le zèle de l'employeur ne peut nuire au licenciement disciplinaire

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N4707ABX

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par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Ceux qui ont déjà fait les frais d'un licenciement disciplinaire ne le savent que trop bien : on ressort peu fortuné d'un licenciement pour faute. Nombreux sont donc ceux qui vont devant les tribunaux pour contester le caractère fautif de leur licenciement, ou du moins, pour voir limiter le degré de gravité de leur faute. D'autres poussent même le raisonnement plus loin, en faisant valoir que, puisque l'employeur leur a attribué telle ou telle indemnité, normalement exclue de tel ou tel type de licenciement, il ne peut plus se prévaloir de la validité du licenciement. C'est exactement ce qui s'est passé pour ce salarié qui, licencié pour faute grave, a néanmoins bénéficié de son indemnité compensatrice de préavis. Celui-ci se prévalait justement du bénéfice de cette indemnité pour attaquer le bien-fondé de son licenciement. Son raisonnement était simple et astucieux : la faute grave impliquant un départ immédiat du salarié et donc une privation du préavis, le seul fait de verser l'indemnité compensatrice de préavis aurait dû suffire à faire tomber la qualification de faute grave. L'excès de bienveillance patronale peut-il profiter au salarié dans de telles circonstances ? Telle était la question posée aux juges de la Cour de cassation. Or, pour ces derniers, pour se prévaloir de la qualification de faute grave peu importe qu'une indemnité de préavis ait ou non été versée...

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Concurrence

[Jurisprudence] Les décisions de la Commission doivent être motivées, à défaut ses décisions sont annulées : le cas du dossier Crédit Mutuel

Réf. : TPICE, 18 janvier 2005, aff. T-93/02, Confédération nationale du Crédit mutuel c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A0370DGS)

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N4697ABL

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par Jean-Pierre Lehman et André-Paul Weber, Anciens rapporteurs au Conseil de la concurrence

Le 07 Octobre 2010


Le 25 juin 1991, la Commission des Communautés européennes a été saisie d'une plainte émanant, notamment, de l'Association française des banques et du Crédit agricole. La plainte porte sur les aides qui auraient été accordées par la République française au Crédit Mutuel par le moyen du Livret bleu. Ce dernier a été créé par la loi n° 75-1242 du 27 décembre 1975 (JORF du 28 décembre 1975, p. 13435, codifiée depuis au sein du Code monétaire et financier, art L. 221-11 et suivants N° Lexbase : L0024DZW). Il correspond à un produit d'épargne pour lequel le Crédit Mutuel s'est vu accorder par la loi un droit exclusif de distribution. La Commission a, par la décision 2003/216/CE du 15 janvier 2002, conclu que les mesures prises par la France en faveur du Crédit Mutuel au titre de la collecte et de la gestion de l'épargne réglementée par le moyen du Livret bleu correspondaient à des aides d'Etat incompatibles avec le marché commun. Un recours ayant été formé par le Crédit Mutuel en mars 2002, le Tribunal de première instance des Communautés européennes vient, par un arrêt du 18 janvier 2005, d'annuler la décision de la Commission, cette dernière devant supporter ses propres dépens et ceux exposés par le requérant.

I - L'économie du Livret bleu

Les dépôts sur le Livret bleu collectés par le Crédit Mutuel sont, en application de la loi précitée, rémunérés à un taux déterminé par l'Etat. Le taux d'intérêt net d'impôt qui est versé aux épargnants est identique à celui du Livret A, lequel est distribué par le réseau des Caisses d'épargne et par la Poste.

Au cours des années 90, le montant des fonds collectés au titre du Livret bleu a fluctué dans une fourchette comprise entre 80 et 100 milliards de francs (entre 1,2 et 1,5 milliards d'euros). Les fonds ainsi collectés devaient faire l'objet de plusieurs affectations possibles. Dans un premier temps, le Crédit Mutuel avait été tenu d'affecter 50 % des ressources collectées à des emplois d'intérêt général, destinés en particulier au financement des collectivités locales et à la souscription de valeurs émises par l'Etat et par ses établissements publics, le solde, c'est-à-dire les 50 % restants, étant à la libre disposition de la banque.

Par l'effet d'un arrêté du 27 septembre 1991 (N° Lexbase : L5348G79, JORF du 26 novembre 1991, p. 15383), une part croissante de la ressource collectée au moyen du Livret bleu a été affectée au financement du logement social par le biais de transferts opérés au bénéfice de la Caisse des dépôts et consignations laquelle consent des prêts aux gestionnaires d'habitations à loyer modéré. Par l'effet de l'arrêté précité, il se trouve que depuis l'année 2000, la totalité des ressources collectées au titre du Livret bleu est centralisée par la Caisse des dépôts et consignations.

Depuis 1991, au titre des encours centralisés, la Caisse des dépôts et consignations verse au Crédit Mutuel une rémunération correspondant au taux d'intérêt brut fixé par les pouvoirs publics laquelle est rétrocédée aux épargnants, à laquelle s'ajoute une commission d'intermédiation égale à 1,3 %, également dénommée "commission de collecte".

Ainsi, depuis son origine, le Crédit Mutuel a été conduit à orienter ses ressources vers trois emplois : les encours centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations et ce à partir de 1991 ; les autres emplois d'intérêt général autres que ceux mentionnés ci dessus ; les emplois libres.

A ce stade, il convient de relever que le privilège de collecte octroyé en 1975 au Crédit Mutuel a, du moins dans les premières années, largement favorisé la croissance de l'établissement. La part du Livret bleu dans les dépôts du Crédit Mutuel était de 70 % en 1975, de 60 % en 1985. Depuis 1997 elle se situe aux alentours de 25 %.

II - La décision de la Commission

Par la décision 2003/216/CE du 15 janvier 2003, la Commission des Communautés européennes a considéré que les mesures prises, par la France, en faveur du Crédit Mutuel au titre de la collecte de l'épargne réglementée par le biais du Livret bleu s'identifiaient à des aides d'Etat incompatibles avec le marché commun. L'argument de la Commission se résume aux trois points qui suivent.

En premier lieu, il y a bien eu transfert de ressources publiques constitutif d'une aide d'Etat à partir du moment où la somme des avantages économiques comptables apportés par l'exploitation du Livret bleu (commission de collecte, bénéfices liés à la gestion des autres emplois d'intérêt général et gains tirés des emplois libres) a excédé les coûts engagés par le Crédit Mutuel pour la gestion de la collecte et des encours.

En deuxième lieu, si l'attribution au Crédit Mutuel du droit de distribution du Livret bleu contient des aides d'Etat au sens de l'article 87, paragraphe 1, du Traité CE , ces aides ne peuvent s'inscrire dans le champ des dérogations prévues à ce même article 87 aux paragraphes 2 et 3.

En dernier ressort, la Commission devait faire observer que la dérogation prévue à l'article 86, paragraphe 2, du Traité CE ne pouvait "[...] que partiellement être appliquée, puisque, ainsi que démontré par l'audit effectué pour le compte de la Commission, les compensations octroyées sur la période ne sont pas strictement limitées aux surcoûts afférents à la mission d'intérêt économique général qui peuvent être pris en compte".

Ainsi, la Commission concluait sur le fait qu'il y a eu, en l'espèce, aides d'Etat, que celles-ci sont incompatibles avec le marché commun et que, selon le point 2 de l'article 1er de la décision, "ces aides ne peuvent bénéficier d'aucune dérogation dans le cadre de l'article 87, paragraphes 2 et 3. Elles peuvent en partie bénéficier de la dérogation prévue à l'article 86, paragraphe 2, dans la mesure où elles sont indispensables en vue de l'accomplissement de la mission d'intérêt économique général impartie par l'Etat au Crédit Mutuel. Les aides excédant les coûts de collecte et de gestion du Livret bleu ne peuvent être considérées comme compatibles avec l'intérêt commun".

En application de ce même article, la France était invitée à récupérer auprès du Crédit Mutuel les aides incompatibles avec le marché commun qui lui avaient été accordées depuis janvier 1991 ; la France devait parallèlement modifier le taux de rémunération des encours du Livret bleu versés par la Caisse des dépôts et consignations au Crédit Mutuel en vue de supprimer à l'avenir toute aide dépassant les coûts de gestion et de collecte pouvant être pris en considération. Les autorités françaises étaient encore tenues d'enjoindre au Crédit Mutuel de mettre en place une comptabilité séparée du Livre bleu et de la publier. Injonction ultime, la Commission indiquait qu'elle procéderait à toute vérification qu'elle jugerait utile "en vue de contrôler que les aides au Crédit Mutuel sont strictement proportionnées à la mission d'intérêt économique général qui lui est impartie".

III - L'arrêt rendu par le TPICE ou le rappel de la prééminence des règles de l'article 253 du traité CE

Sans estimer opportun de s'interroger sur le bien fondé de l'argumentation retenue par la Commission, sans donc se préoccuper l'analyse qui a sous tendu la décision soumise à son examen, le TPICE a annulé cette dernière sur le seul fondement de son défaut de motivation.

En la circonstance, le Tribunal a, tout d'abord, rappelé que l'obligation de motivation constituait "une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien fondé des motifs, cette dernière question relevant de la légalité au fond de l'acte litigieux" (CJCE, 2 avril 1998, aff. C-367/95, Commission des Communautés européennes c/ Chambre syndicale nationale des entreprises de transport de fonds et valeurs (Sytraval) et Brink' s France SARL N° Lexbase : A4980AWD, Rec. P. I-1719, point 67, et CJCE, 22 mars 2001, aff. C-17/99, République française c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A1757AWY, Rec. I-2481, point 35).

Sur le même registre, le Tribunal indique, également, que la motivation exigée par l'article 253 du Traité CE doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître "de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle. L'exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques concernant la matière concernée" (CJCE, 13 mars 1985, aff. C-318/82, Royaume des Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek BV c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A8648AUT, Rec. p. 809, point 19 ; CJCE, 14 février 1990, aff. C-350/88, Société française des Biscuits Delacre e.a. c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A8662AUD, Rec. p. I-395, points 15 et 16 ; CJCE, 29 février 1996, aff. C-56/93, Royaume de Belgique c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A4972AW3, Rec. p. I-723, point 86).

Dans ce contexte, pour apprécier si la décision était ou non suffisamment motivée au regard de l'identification de l'aide dont l'incompatibilité avec le traité avait été constatée, il convenait pour le TPICE de vérifier si la décision en question permettait aux intéressés de connaître la ou les mesures étatiques considérées par la Commission comme constitutives d'une aide et au Tribunal d'exercer son contrôle sur l'appréciation de ces mesures.

Appréciant la cohérence interne de la décision soumise à son examen, le TPICE va, pour aller à l'essentiel, relever que la décision de la Commission n'indique pas explicitement quelles sont les mesures étatiques relatives au régime du Livret bleu qui sont considérées comme s'identifiant à des aides d'Etat. S'agissait-il ou non de la seule "commission de collecte" ou encore de la défiscalisation touchant la rémunération du Livret bleu, du bénéfice du droit exclusif de distribution du livret ou de tout autre avantage découlant des emplois libres ?

Le TPICE devait, également, déplorer les termes particulièrement imprécis retenus par la Commission pour ce qui a trait à l'identification de l'aide. En bref, pour le TPICE, le raisonnement suivi par la Commission ne pouvait pas permettre de déterminer ce qui a été retenu comme éléments constitutifs de l'aide. C'est cette insuffisance de motivation qui a justifié l'annulation de la décision.

Mais l'arrêt examiné est l'occasion de rappeler un point important. Les précisions orales apportées par les représentants de la Commission à l'occasion de la procédure d'appel ne peuvent pas corriger les imperfections de la décision soumise à la censure du Tribunal.

En cours de procédure, les agents de la Commission ont apporté la précision selon laquelle l'aide litigieuse ne concernait que la seule "commission de collecte". Face à cette affirmation, le Tribunal va relever que la proposition ne figure pas dans la décision attaquée et qu'elle se trouve être contredite par bon nombre des passages que la décision litigieuse comporte.

Au-delà de ce point, l'arrêt examiné est, également, l'occasion pour la juridiction de rappeler que le dispositif et les motifs d'une décision constituent un tout indivisible "de sorte qu'il appartient uniquement au collège des membres de la Commission, en vertu du principe de collégialité, d'adopter à la fois l'un et les autres, toute modification des motifs dépassant une adaptation purement orthographique ou grammaticale étant du ressort exclusif du collège".

En définitive, l'argumentation présentée par les agents de la Commission devant le Tribunal ne peut remédier à des insuffisances de motivation, le mécanisme de la collégialité présidant à l'élaboration d'une décision communautaire y fait obstacle. Tel est le sens d'une jurisprudence constante : CJCE, 24 octobre 1996, aff. C-329/93, Vulkan Verbund AG c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A5836AYS), Rec. p. I-5151, points 47 et 48, et TPICE, 25 juin 1998, aff. T-371/94, et British Midland Airways Ltd c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A3411AWA), Rec. p. II-2405, points 116 à 119.

Au total, le sévère rappel d'ordre méthodologique que le TPICE vient d'administrer à la Commission a généré un gagnant et un perdant. Tandis que le Crédit Mutuel n'a pas à restituer les 164 millions d'euros, majorés des intérêts de retard, qui excédaient la stricte compensation des charges engendrées pour l'accomplissement de la mission de service public qui lui était impartie, les ressources du Trésor public se trouvent amputées de ce même montant.

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Fiscalité des particuliers

[Textes] Crédit de paiement des droits de succession : déchéance du paiement différé et arbitrages sur portefeuille de valeurs mobilières

Réf. : Instruction du 7 février 2005, BOI n° 7 A-1-05 (N° Lexbase : X8755ACA)

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

L'administration fiscale confirme officiellement la modification de sa doctrine concernant la déchéance du paiement différé, accordé, sur leur demande, aux héritiers qui ne reçoivent, par succession, que des droits en nue-propriété, en cas d'arbitrages opérés sur un portefeuille démembré. Dans la même instruction en date du 7 février 2005, elle précise, également, les modalités de surveillance devant être mises en oeuvre.

On sait que les articles 397 et 404 B de l'annexe III du CGI permettent à tout ayant-droit, à qui sont dévolus par succession des biens en nue-propriété, de demander à bénéficier du paiement différé des droits de mutation dont il est redevable, jusqu'à l'expiration d'un délai qui ne peut excéder six mois à compter de la réunion de l'usufruit à la nue-propriété ou de la cession totale ou partielle de cette dernière. Cette dérogation au principe du paiement immédiat des droits de succession est destiné à tenir compte du fait que les héritiers, auxquels sont dévolus des biens en nue-propriété, n'en perçoivent pas les revenus et ne pourraient les céder que difficilement dès lors que la propriété est démembrée. Ce crédit donne lieu à paiement d'intérêts, dont le taux était fixé à 2,27 % pour l'année 2004, sauf option par les héritiers pour une majoration d'assiette des droits. Dans cette hypothèse, les droits dus sont assis sur la valeur imposable de la propriété entière au jour de l'ouverture de la succession (Doc. adm. 7 A 4321 du 10 septembre 1996, n° 75). S'agissant de la fin du crédit, outre l'hypothèse d'une consolidation de la propriété, c'est-à-dire la réunion de l'usufruit à la nue-propriété, soit par suite du décès de l'usufruitier, soit par suite de donation par ce dernier de son usufruit au nu-propriétaire, il est stipulé que les droits en suspens deviennent exigibles en cas de cession totale ou partielle de la nue-propriété à titre onéreux ou à titre gratuit (Doc. adm. 7 A 4321 du 10 septembre 1996, n° 76 et 77). Outre certaines mesures de tolérance, la seule exception à la déchéance du bénéfice du crédit en raison d'une cession vise le cas où le démembrement porte sur un portefeuille de valeurs mobilières.

1. Les causes d'exigibilité des droits ayant fait l'objet du paiement différé

Le paiement des droits peut être différé au maximum jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois décompté de la date de la réunion de l'usufruit à la nue-propriété ou de la cession totale ou partielle de cette dernière à titre onéreux ou gratuit.

1.1. Application du principe

Ainsi, en cas de cession partielle de la nue-propriété, cette cession entraîne l'exigibilité de l'intégralité des droits en suspens, y compris ceux afférents aux autres biens encore détenus en nue-propriété (QE n° 4687 de M. Dupont-Aignan Nicolas, JOANQ, 20 octobre 1997, p. 3489, min. Eco., réponse publ. 5 janvier 1998, p. 60, 11ème législature N° Lexbase : L5345G74). De même, les droits deviennent exigibles lorsque les biens sont cédés en toute propriété par réunion de l'usufruit à la nue-propriété. Le fait que la propriété des biens acquis en remploi soit à son tour démembrée ne saurait avoir d'incidence (QE n° 39432 de M. Mesmin Georges, JOANQ, 18 février 1991, p. 558, min. Eco., réponse publ. 29 juillet 1991, p. 3005, 9ème législature N° Lexbase : L5344G73). Il est également mis fin au paiement différé en cas de donation partage effectuée par le nu-propriétaire et portant sur les biens reçus par lui (réponse Bizet, JOANQ, 12 juillet 1982, p. 2901).

1.2. Les mesures de tolérance

Lorsque le produit de la vente de la nue-propriété est inférieur au total des droits dus par l'héritier, l'administration admet qu'il puisse conserver le bénéfice du paiement différé pour le solde des droits si l'intégralité du produit de la vente est versé à titre d'acompte sur les droits en suspens. Le décès du nu-propriétaire est sans incidence sur le paiement différé. Cependant, selon l'administration, la question peut se poser de savoir si les garanties, qui ont été constituées lors de la concession du crédit, peuvent être maintenues ou doivent être renouvelées selon le partage qui est fait entre les héritiers du nu-propriétaire (Doc. adm. 7 A 4321 du 10 septembre 1996, n° 77).

De même, le paiement différé n'est pas remis en cause lorsque les biens sont apportés à une société de personnes, à condition que l'apport soit rémunéré par des parts également en démembrement. A défaut, c'est-à-dire en cas de rémunération par des parts en pleine propriété ou en cas d'apport à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, le régime du paiement différé cesse (réponse Pinte, JOANQ, 3 mars 1979, p.1291).

En cas de partage pur et simple de la nue-propriété entre les héritiers, cette opération ne rend pas exigibles les droits de mutation par décès (réponse Neuwirth, JOANQ, 22 décembre 1980, p. 5346). En revanche, si le partage est avec soulte, cette dernière correspondant à l'aliénation de ses droits de nue-propriété par le bénéficiaire de la soulte, la mesure de tempérament n'est plus applicable.

Enfin, en cas d'expropriation de l'un des biens, dont la propriété est démembrée, et qui avait été affecté en garantie du paiement différé, l'indemnité, inférieure aux droits dus, étant encaissée par l'usufruitier, le régime de faveur est maintenu, moyennant la constitution d'une nouvelle garantie (Doc. adm. 7 A 4321 du 10 septembre 1996, n° 81).

2. Le cas particulier du portefeuille démembré

Une application stricte de la doctrine administrative conduisait, en cas de cession d'une seule des valeurs composant un portefeuille démembré à la suite d'un décès et pour lequel les héritiers avaient demandé le bénéfice du paiement différé, à l'exigibilité des droits en suspens, y compris ceux afférents aux autres valeurs encore détenues en nue-propriété. Comme il ne pouvait être raisonnablement refusé à un conjoint survivant usufruitier d'arbitrer en fonction de l'évolution des cours de bourse, l'administration a, dans un premier temps, admis que les héritiers puissent conserver le crédit de paiement sous condition de remploi. Dans un second temps, confirmant cette absence de remise en cause du crédit sous condition de remploi, elle vient de préciser les modalités de surveillance, qui doivent être mise en oeuvre par les services des impôts.

2.1. L'absence d'exigibilité des droits liée à la condition de remploi

Afin de prendre en compte la particularité de la gestion d'un portefeuille démembré, puisque le juge admet que l'usufruitier puisse seul prendre des initiatives et gérer les titres qui le compose sans demander, au préalable, l'accord du nu-propriétaire (Cass. civ., 1ère ch., 12 novembre 1998, n° 96-18.041, Mme Malet c/ consorts Baylet N° Lexbase : A3008AUX), l'administration a précisé, en 2003, que sa doctrine allait être assouplie (QE n° 4145 de M.Soulier Frédéric, JOANQ, 7 octobre 2002, p. 3412, min. Eco., réponse publ. 31 mars 2003, p. 2474, 12ème législature N° Lexbase : L7870BGL). Selon cette réponse, les héritiers nus-propriétaires d'un portefeuille de valeurs mobilières pouvaient, à l'avenir, continuer à bénéficier du crédit de paiement différé, même si l'usufruitier procédait à des cessions de titres. Le bénéfice de cette disposition nouvelle était subordonné à l'utilisation effective de l'intégralité du produit des cessions à l'acquisition de nouvelles valeurs. Cette doctrine a, donc, été confirmée par l'instruction qui vient de paraître, puisque l'administration y précise que la déchéance du bénéfice du paiement différé n'est susceptible d'être prononcée que s'il est formellement établi que le produit des cessions de titres n'a pas été intégralement affecté à l'acquisition de nouvelles valeurs.

2.2. Les mesures de surveillance

L'administration devant prouver l'existence de l'événement sur lequel elle se fonde pour exiger le paiement des droits, c'est-à-dire la cession sans réinvestissement, l'instruction récente prévoit les modalités de surveillance de la composition des portefeuilles bénéficiant du crédit de paiement différé. En effet, les textes, dans leur rédaction jusqu'à l'entrée en vigueur de l'instruction, n'imposaient pas aux nus-propriétaires l'obligation de fournir des justificatifs démontrant que les conditions requises pour le maintien du crédit de paiement différé étaient réunies à tout moment. Ainsi, les héritiers nus-propriétaires sont, désormais, invités, dans la lettre les informant de la décision d'octroi du bénéfice du crédit de paiement différé, à fournir au comptable, à savoir le receveur, selon une périodicité annuelle, les relevés mensuels du portefeuille, titres compris, dans l'actif successoral. En l'absence de tels justificatifs, l'administration effectuera les recherches permettant de s'assurer que les conditions d'octroi du régime de faveur sont toujours réunies. Dans la négative, elle prononcera la déchéance et procédera à la mise en recouvrement de la créance. Bien que l'instruction ne le précise pas, il devrait être accordé, au terme de chaque période pour produire les relevés, un délai de 30 jours aux nus-propriétaires pour donner au comptable les informations requises.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le versement volontaire d'une indemnité compensatrice de préavis ne prive pas l'employeur du droit d'invoquer la faute grave du salarié

Réf. : Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.748, M. Patrick Rigole c/ Société Immobilière de Mayotte, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A3499DGP)

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par Gilles Auzero, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Le droit du travail et, plus spécifiquement, le droit du licenciement connaissent une gradation des fautes auxquelles sont attachées différentes conséquences. Si des dernières sont aisées à identifier, il n'en va pas de même des fautes et, notamment, de la faute grave. Dans le silence de la loi, la jurisprudence a donné une définition de cette dernière, centrée sur l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis. La faute grave exige, par conséquent, le départ immédiat du salarié de l'entreprise. Il s'en déduit, fort logiquement, que l'employeur qui laisse son salarié accomplir celui-ci perd le droit d'invoquer la faute grave. En revanche, et ainsi que vient le rappeler avec force la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 février 2005, le fait que l'employeur, tout en notifiant une rupture avec effet immédiat ait décidé de verser au salarié une somme équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis ne peut le priver du droit de se prévaloir de la faute grave.
Décision

Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.748, M. Patrick Rigole c/ Société Immobilière de Mayotte, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A3499DGP)

Rejet (tribunal supérieur d'appel de Mamoudzou, 4 juin 2002)

Mots-clefs : licenciement ; faute grave ; versement d'une indemnité compensatrice de préavis ; effets sur le droit d'invoquer une faute grave.

Texte concerné : C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR)

Lien bases :

Faits

1. M. Rigole, au service de la société immobilière de Mayotte depuis 1984 en qualité de cadre administratif et financier, a été licencié pour faute grave le 13 novembre 1998. L'employeur lui a cependant versé une somme équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis.

2. Le salarié reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son licenciement valable, alors que l'employeur qui reconnaît au salarié le droit au préavis se prive du droit d'invoquer la faute grave. Il en va nécessairement de même pour l'employeur qui dispense le salarié d'exécuter le préavis et lui accorde le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis.

Problème juridique

Le versement d'une indemnité compensatrice de préavis interdit-elle à l'employeur de se prévaloir de la faute grave du salarié ?

Solution

1. "La faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée même limitée du préavis".

2. "Le seul fait que l'employeur, tout en notifiant une rupture avec effet immédiat, ait décidé de verser au salarié une somme équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis ne peut le priver du droit de l'invoquer".

3. Rejet

Commentaire

I. La notion de faute grave

  • Un effort de définition

Si la loi envisage la faute grave du salarié, que ce soit comme cause de rupture anticipée du contrat à durée déterminée (C. trav., art. L. 122-3-8 N° Lexbase : L5457AC4) ou pour fixer ses conséquences quant aux droits du salarié licencié (C. trav., art. L. 122-6 N° Lexbase : L5556ACR et L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU), elle n'en donne aucune définition. C'est donc la jurisprudence qui a pris le relais du législateur, afin de déterminer les contours de cette importante notion.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a défini la faute grave du salarié comme "un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis" (Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908, M. Vaz c/ Compagnie d'armatures préfabriquées industrielles, publié N° Lexbase : A9347AAG).

Dans un second temps, la Chambre sociale a adopté une démarche plus directe, en affirmant qu'elle est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis (v. par ex., Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.383, M. X c/ Société Mille, société anonyme, inédit N° Lexbase : A2726CUI).

L'arrêt commenté se situe, sans conteste, dans cette veine, la Cour de cassation rappelant que "la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée même limitée du préavis".

  • Une mise en oeuvre délicate

L'effort de conceptualisation ainsi accompli par la Cour de cassation ne saurait être minimisé. Cela étant, on est bien obligé de constater que la notion de faute grave reste floue et est, de ce fait, de nature à entraîner certaines hésitations et dérives (v., sur cette question, M. Poirier, La gradation des fautes en droit du licenciement : Mélanges, Lapoyade-Deschamps, Presses Universitaires de Bordeaux 2003, p. 515).

Au chapitre des certitudes, on peut cependant avancer qu'il n'existe pas un catalogue de fautes qui seraient, par nature, des fautes graves. Il appartient par suite au juge d'apprécier, dans chaque litige, si la faute invoquée par l'employeur à l'appui du licenciement est ou n'est pas grave. Il en résulte, en outre, que les juges doivent, en principe, se livrer à une appréciation in concreto du fait fautif (v., en ce sens, F. Favennec-Héry, Vers la relativité de la notion de faute grave ? : RJS 9-10/00, p. 603, spéc., p. 605) (1).

Toute la difficulté réside alors dans l'appréciation de la gravité de la faute commise par le salarié. Plus précisément, et si on laisse de côté les hypothèses les plus extrêmes, il apparaît pour le moins délicat de tracer une frontière très nette entre la faute sérieuse et la faute grave (2). Le critère de distinction, qui reste d'un maniement délicat, réside dans la nécessité de rompre immédiatement le contrat de travail du salarié.

II. L'exigence d'une rupture immédiate du contrat de travail

  • La nécessité d'éloigner le salarié de l'entreprise

Lorsque la Cour de cassation indique que la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, elle signifie qu'une telle faute exige le départ immédiat du salarié. En d'autres termes, ce qui caractérise la faute grave, c'est la nécessité d'éloigner physiquement le salarié de l'entreprise dans l'intérêt de celle-ci.

La Cour de cassation a su tirer toutes les conséquences de cette exigence. Ainsi, l'employeur qui fait exécuter le préavis se prive du droit d'invoquer la faute grave du salarié (Cass. soc., 15 mai 1991, n° 87-42.473, M. Jilcot c/ Société Dunkerque Expansion, publié N° Lexbase : A3867ABT). Il en va de même de l'employeur qui attend plusieurs semaines avant d'engager la procédure de licenciement (Cass. soc., 19 juin 2002, n° 00-41.326, F-D N° Lexbase : A9584AYM) ou qui considère comme constitutif d'une faute grave des faits qu'il a tolérés pendant plus de trois mois sans y puiser motif à sanction (Cass. soc., 24 mars 2004, n° 02-41.117, F-D N° Lexbase : A6358DB4).

  • Le caractère indifférent du versement d'une indemnité compensatrice de préavis

On aura compris que ce qui importe, en matière de faute grave, c'est la rupture immédiate du contrat, c'est-à-dire l'éloignement du salarié de l'entreprise. Par suite, la perte du droit au préavis constitue moins une sanction qu'une conséquence nécessaire de cet éloignement. Il s'en déduit, et nous rejoignons là la position adoptée par la Cour de cassation dans la présente espèce, que le versement volontaire (3) d'une indemnité compensatrice de préavis ne peut priver l'employeur du droit d'invoquer la faute grave du salarié.

On doit noter qu'une telle solution avait antérieurement été retenue par la Chambre sociale (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 93-44.113, M. François Brunstein c/ Société Cadres Béco, inédit N° Lexbase : A1605C7L ; Cass. soc., 8 janvier 1997, n° 95-40.320, Mme Catherine Vincent c/ Mme Anne Fleury, inédit N° Lexbase : A8768AGT).

Toutefois, et de manière curieuse, cette même Chambre sociale avait retenu une solution opposée dans un arrêt rendu le 14 juin 1995 (Cass. soc., 14 juin 1995, n° 93-42.551, M. Hervé Girault c/ M. Alain Ferragu, inédit N° Lexbase : A8644AGA : "l'employeur avait payé l'indemnité compensatrice de préavis, ce dont il résultait qu'il avait renoncé à se prévaloir d'une faute grave du salarié"). La position de la Cour de cassation ne prête plus à discussion au vu de cet arrêt du 2 février 2005 qui, il faut le noter, aura les honneurs du rapport annuel. Seule importe la rupture immédiate du contrat de travail, peu important que l'employeur ait volontairement versé une indemnité compensatrice de préavis.

On précisera, pour terminer, que le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le temps nécessaire à l'employeur pour apprécier le degré de gravité des fautes commises n'est pas exclusif du droit pour celui-ci d'invoquer l'existence d'une faute grave (Cass. soc., 19 juin 2002, n° 00-41.326, F-D N° Lexbase : A9584AYM). Plus largement, le délai nécessaire à la mise en oeuvre de la procédure de licenciement ne saurait être retenu contre l'employeur. L'exigence d'une rupture immédiate doit s'entendre dans cette mesure. En conséquence, et contrairement à ce que pensent beaucoup d'employeurs, la faute grave ne rend pas nécessaire le prononcé d'une mise à pied conservatoire. Il faut, et il suffit, que l'employeur ne tarde pas dans sa réaction.


(1) Il convient également de rappeler que les juges ne sont nullement liés par les clauses contenues dans une convention collective, un règlement intérieur ou un contrat de travail qui qualifieraient un comportement ou une abstention de "faute grave". De plus, la Cour de cassation se réserve la faculté de contrôler la qualification retenue par les juges du fond, qui n'ont ici aucun pouvoir souverain.

(2) La faute lourde nous paraît moins difficile à caractériser en ce qu'elle exige l'intention de nuire du salarié à l'égard de l'entreprise ou de l'employeur.

(3) Seul le versement volontaire faisait encore difficulté. La Cour de cassation a décidé, de manière tout à fait logique, que l'employeur n'est pas privé du droit d'invoquer la faute grave du salarié lorsqu'il verse une indemnité compensatrice de préavis en application d'une disposition conventionnelle ou contractuelle ou encore en vertu du règlement intérieur (v. par ex., Cass. soc., 18 avril 2000, n° 98-42.803, M. Chaumont c/ Société Meubles Morin, publié N° Lexbase : A9900CH7).

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Fiscalité des entreprises

[Manifestations à venir] La fonction fiscale dans l'entreprise : les nouveaux défis

Lecture: 1 min

N4650ABT

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Le 07 Octobre 2010

La Chambre de commerce et d'industrie de Paris et l'Association Fiscale Internationale (IFA) vous proposent, le lundi 21 mars 2005, un colloque ayant pour thème "la fonction fiscale dans l'entreprise : les nouveaux défis".
  • Programme :

18 h - Accueil des participants

18 h 15 - Allocution d'ouverture de M. Hervé Saint-Sauveur, président de la Commission économique, financière et fiscale de la CCIP, conseiller du président de la Société Générale

18 h 30 - Radiographie des directions fiscales : résultats d'enquêtes réalisées auprès d'entreprises françaises et étrangères, de M. Stéphane Baller, associé directeur du développement - EY Law

18 h 45 - Trois nouveaux domaines de responsabilités : audit des risques,  taux effectif d'impôt et adaptation à la nouvelle donne comptable (normes IAS,  IFRS, systèmes comptables intégrés) et juridique, de M. Philippe Thiria, directeur fiscal - Unilever et de M. Hervé Bidaud, avocat associé - FIDAL

19 h 30 - Le point de vue du directeur financier, de Tristan Farabet,  vice-président, directeur financier - Coca-Cola Entreprise

19 h 40 - Débats

20 h 00 - Cocktail

  • Date et lieu :

- Lundi 21 mars 2005

- 27 avenue de Friedland - Paris 8ème

  • Droits d'inscription :

- 50 euros

- Règlement à libeller à "Chambre de commerce et d'industrie de Paris"

  • Renseignements :

Contact : Mme Corinne Pigeon

- n° de tél. : 01 55 65 75 38 - Fax : 01 55 65 75 99

- e-mail : cpigeon@ccip.fr

newsid:14650

Droit financier

[Jurisprudence] Vivendi Universal : M. Messier contre-attaque

Réf. : Décision AMF, 3 novembre 2004, à l'égard de M. Jean-Marie Messier, de M. Guillaume Hannezo et de la société Vivendi Universal, sanction (N° Lexbase : L4678GUS).

Lecture: 17 min

N4623ABT

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Le 07 Octobre 2010

La publication récente dans la presse (1) de la décision de M. Messier d'interjeter appel de sa condamnation par l'Autorité des marchés financiers (AMF) a été l'occasion, pour la nouvelle institution, de subir sa première attaque médiatique d'envergure. L'ex-président-directeur général (PDG) de Vivendi Universal (V.U.), condamné conjointement avec la société qu'il dirigeait par une décision datée du 3 novembre 2004 (publiée le 7 décembre sur le site de l'AMF), a, en effet, introduit un recours devant la cour d'appel de Paris (2) à l'appui de prétentions qui semblent remettre profondément en question le fonctionnement de l'Autorité boursière. On a déjà pu traiter, dans ces colonnes, à propos de la défunte Commission des opérations de bourse (COB), de la vulnérabilité particulière des décisions de sanction de la COB face aux recours procéduraux. Or, il semble aujourd'hui, qu'en dépit des améliorations introduites par le décret n° 2003-1109 du 21 novembre 2003 (N° Lexbase : L5881DLE) qui emportait création d'une Commission des sanctions au sein de l'AMF, la protection de l'Autorité est encore imparfaitement assurée. A la lumière des arguments invoqués par l'auteur de l'appel, il apparaît, par ailleurs, que la décision de l'AMF dans ce qu'il semble, selon la presse, désormais, convenu d'appeler l'affaire "Messier", pourrait encourir des griefs relatifs à la sanction (I). Il demeure toutefois que c'est sur le plan de la procédure suivie que le requérant prétend pouvoir obtenir l'annulation (II).

I - Les griefs relatifs à la sanction

La décision de l'AMF s'inscrit dans le contexte tumultueux de la création et du déclin de V.U. (A), marqués, notamment, par des problèmes relatifs à l'information financière (B).

A - V.U., de la lumière à l'ombre

1 - La saga V.U.

C'est le 20 décembre 2000 que, à la suite de la fusion en juin de la même année de Vivendi, Seagram et Canal +, une nouvelle multinationale des médias est constituée : Vivendi Universal. Très vite, des problèmes financiers apparaissent au sein de la société au point que, dès le début de l'année 2002, le groupe envisage de vendre une partie de son capital pour éviter le dépôt de bilan.

En mars de cette même année, la société annonce un déficit record de 13,6 milliards d'euros et un endettement de 14 milliards d'euros, le cours de l'action ne cessant de chuter au point que ce dernier passera sous la barre des 20 euros en juin, contre 60 euros en janvier. C'est ainsi que le 30 juin 2002, M. Messier, alors PDG, est contraint de présenter sa démission.

La phase contentieuse de l'affaire débute véritablement le 30 septembre 2002 avec l'audition par la COB de M. Messier, à la suite de l'ouverture d'une enquête sur l'information financière de V.U.. C'est, ensuite, au tour du juge judiciaire d'ouvrir, le 29 octobre suivant, une information contre X. sur les comptes de Vivendi Universal, au grief, notamment de "la fourniture de fausses informations ayant pu causer un grave préjudice financier".

L'affaire se complique à la fin de l'année 2003 puisque la COB transmet, le 15 septembre, les résultats de ses investigations au parquet de Paris, notamment parce qu'elle soupçonne l'existence de délits d'initiés. L'Autorité boursière américaine : la Securities and Exchange Commission (SEC), quant à elle, contraindra M. Messier à renoncer à son golden parachute, d'un montant de 20,6 millions d'euros, le groupe acceptant, par ailleurs, de verser une amende de 50 millions de dollars (50 millions d'euros) en contrepartie d'une cessation des poursuites.

En juin 2004, les responsabilités personnelles des principaux protagonistes de l'affaire semblent pouvoir être établies puisque, le 4 juin, M. Hannezo, ancien directeur financier du groupe, sera mis en examen pour "délit d'initié, complicité de manipulations de cours et diffusion de fausses informations" et que le 23 juin, M. Messier sera, également, mis en examen pour "manipulation de cours, diffusion de fausses informations et abus de biens sociaux", la caution étant fixée par le juge à 1,35 million d'euros.

2 - L'information financière en question

L'AMF, dans le cadre de ses compétences, a, quant à elle, eu essentiellement à connaître des infractions relevant de l'application des articles 1, 2, 3 et 4 du règlement COB n° 98-07 (N° Lexbase : L1720ASI), qui concernent les obligations d'information du public. A ce titre, l'Autorité ne retiendra pas la responsabilité de M. Hannezo après analyse des fonctions de l'intéressé en matière d'information car, occupant à l'époque les fonctions de directeur général adjoint, ses attributions ne débouchaient pas statutairement sur des missions d'information. En outre, ni M. Messier, ni le conseil d'administration de V.U. ne lui avaient consenti des délégations de pouvoir en matière de consolidation des comptes et d'information financière. L'AMF a, par ailleurs, toujours dans le cadre de sa compétence, cherché à établir d'éventuels manquements d'initiés de la part de MM. Messier et Hannezo.

Il s'agissait donc d'apprécier, en premier lieu, le respect des dispositions du règlement COB n° 98-07 précité, sachant, qu'en l'espèce, on reprochait d'abord à M. Messier d'avoir diffusé des informations financières "susceptibles d'être inappropriées". C'est ici l'utilisation de méthodes particulières de consolidation qui était en cause pour trois filiales de V.U. : Cegetel, Maroc Telecom et Telco. II lui était fait grief, ensuite, d'avoir procédé à une communication inexacte, incomplète et donc trompeuse sur l'endettement, les résultats et la trésorerie du groupe.

En dehors des problèmes relatifs à l'information du public, il s'agissait, en second lieu, d'établir la détention et l'utilisation personnelle d'informations privilégiées en violation des articles 1 et 2 du règlement COB n° 90-08 (3). Il était, en particulier, reproché à MM. Messier et Hannezo d'avoir cédé leurs actions V.U. les 21 et 27 décembre 2001, alors qu'ils pouvaient être suspectés détenir certaines informations, inconnues du public, relatives notamment -selon la décision- : "à l'absence de "cash flow" net positif de V.U. durant le second semestre 2001 ; au risque de perdre les disponibilités importantes constituées par la trésorerie de Cegetel, mise à disposition de V.U. aux termes d'une convention de compte-courant dont l'échéance était fixée fin décembre 2001 ; [...] [et enfin] aux engagements de cessions d'actifs pris auprès d'une agence de notation".

B - L'analyse de l'AMF

1 - Sur la communication financière consécutive aux choix des techniques de consolidation

S'agissant, tout d'abord, des méthodes de consolidation retenues, susceptibles d'être inappropriées, et de la représentation qu'elles ont donnée de la santé financière du groupe, l'AMF prend la peine de rappeler certains principes comptables. Elle souligne, ainsi, qu'aux termes des dispositions du Code de commerce, est soumise à l'obligation de consolidation des comptes toute société qui exerce sur une autre un contrôle "exclusif" (la consolidation doit alors s'opérer par intégration globale), ou "conjoint" (l'intégration proportionnelle est requise), ou encore "une influence notable" (la mise en équivalence doit alors être retenue). Ces dispositions visant à assurer l'information des associés et des créanciers, doivent leur donner, selon les textes, une "image fidèle du patrimoine, de la situation financière, ainsi que du résultat de l'ensemble économique constitué par les entreprises comprises dans la consolidation".

A ce titre, l'Autorité relève, d'abord, que, concernant les hypothèses de contrôle précitées, il convenait, en l'espèce, de vérifier d'abord que, s'agissant de Cegetel, V.U., disposant de la majorité des droits de vote, était en situation de contrôle exclusif -et donc soumis à une obligation de consolidation globale- à moins qu'il ne puisse être établi l'existence d'une convention "privant l'associé majoritaire de la direction financière et opérationnelle de l'entreprise ainsi que de l'utilisation et de l'orientation des actifs de l'entreprise au profit d'un minoritaire".

Ensuite, s'agissant de Maroc Telecom, il y avait lieu d'établir si V.U. exerçait une influence notable, entraînant une obligation de consolidation par mise en équivalence. Enfin, il convenait d'examiner si Telco faisait l'objet, en raison d'un accroissement programmé des participations de V.U. dans la société, soit d'un contrôle conjoint, soit d'"une influence dominante" renvoyant ainsi, selon le cas, à la consolidation par intégration proportionnelle ou par mise en équivalence.

Raisonnant, en premier lieu, à propos de Cegetel, l'Autorité établit que les décisions la concernant relevaient toujours de V.U. en dernier ressort. Dès lors, V.U. ayant opéré la consolidation par intégration globale, aucun manquement ne pouvait lui être reproché. Il en allait de même pour la Société Maroc Telecom, qui, étant contrôlée initialement au titre d'une influence dominante, devait à terme, en vertu d'un certain nombre d'engagements pris auprès du royaume du Maroc, être contrôlée majoritairement. Elle avait donc, à juste titre, fait l'objet d'une consolidation par intégration globale.

Il n'en allait pas de même, toutefois, à propos de la société Telco, sachant qu'il était reproché à V.U. d'avoir retenu, pour celle-ci, le principe de la consolidation "par mise en équivalence", c'est-à-dire celle qui correspond à un contrôle exercé sur le fondement d'une "influence notable". Or, l'Autorité relèvera que durant l'exercice 2001 -seul en cause dans cette affaire-V.U. exerçait un "pouvoir conjoint" impliquant l'application du régime de l'intégration proportionnelle visé à l'article L. 233-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L6319AIU). C'est sur ce fondement que M. Messier et la Société V.U. seront condamnés.

2 - S'agissant des problèmes relatifs à la communication financière sur la dette et le cash-flow

L'AMF distinguera différentes situations. Sur la question, d'abord, de la dette pour la période allant d'octobre à décembre 2000, l'Autorité relève que, par un communiqué du 12 octobre 2000, V.U. avait déclaré : "un solde net de dette" alors que la dette financière nette établie en normes comptables françaises s'élevait à 12,3 milliards d'euros. Le même communiqué faisait état, par ailleurs, d'un endettement du groupe, pour le secteur télécommunication, de 1,2 milliards d'euros alors qu'il s'élevait, en réalité, à 3,4 milliards. A ce titre, M. Messier et la société V.U. se verront déclarer responsables.

Concernant l'année 2001, ensuite, l'AMF relèvera que l'information sur la dette n'était pas trompeuse au sens de l'article 3 du règlement COB n° 98-07. Elle établira, enfin, qu'aucune responsabilité ne pouvait être retenue à propos de la communication relative aux résultats, aussi bien pour l'année 2001 que pour l'année 2002.

L'information sur la trésorerie fera, par ailleurs, l'objet d'une analyse approfondie par l'Autorité qui relèvera que V.U., qui disposait de conditions conventionnelles -demeurées secrètes- d'accès aux fonds de Cegetel, avait contracté à ce titre une dette envers sa filiale. Or, pour le public, cette dette n'était pas perceptible, et ce, d'autant moins que selon les termes mêmes de l'AMF : "l'on voit mal comment, là ou les agences de notations ont été abusées (Merryl Linch), le public aurait pu ne pas l'être".

Elle relèvera, également, qu'un premier communiqué en date du 25 septembre 2001 relatif au cash-flow disponible avait un contenu faux. Au surplus, une conférence de presse en date du 5 mars 2002 avait permis de présenter des données "aussi mal définies que parcellaires, [qui ont] [...] contribué à en fausser et à en inverser la compréhension, le public ayant reçu une image positive de la situation financière de VU, qui était aux antipodes de la réalité".

Enfin, lors d'une assemblée générale, M. Messier devait préciser que "le cash flow pourrait -demain- servir -non seulement au dividende mais au paiement de la dette-", alors que ledit cash flow était, à l'époque, négatif. Sur ce dernier point, c'est, non seulement, le PDG qui sera jugé responsable, mais également la société, responsable de toute communication financière faite en son nom.

3 - S'agissant des éventuels manquements d'initiés liés à l'exploitation d'informations privilégiées

L'Autorité y consacrera la seconde partie de sa décision, examinant si MM. Messier et Hannezo, à qui il était reproché d'avoir cédé un nombre important d'actions durant le mois de décembre à un cours proche de 60 euros, avaient pu bénéficier d'informations privilégiées. Ces dernières auraient pu concerner : l'accès à la trésorerie de Cegetel, les engagements pris auprès d'agence de notation et l'absence de cash flow net positif à la fin de l'année 2001.

Sur le premier point, l'Autorité relève l'absence d'information privilégiée dont auraient pu bénéficier les cédants, qui ne disposaient d'aucun élément "nouveau, précis ou déterminant" susceptible de caractériser une telle information. Sur le deuxième, il s'avère que certaines réticences des agences de notation concernant la dette de V.U. avaient été publiées, l'AMF relevant que le public n'ignorait pas que lesdites agences avaient exprimé leurs inquiétudes et que la société s'était engagée, auprès d'elles, à céder des actifs à court terme pour rembourser une partie de la dette.

Sur le troisième point : la connaissance de l'absence de cash-flow net positif à la fin de l'année 2001, l'Autorité souligne qu'il n'y avait pas lieu d'y voir intrinsèquement l'utilisation d'une "information privilégiée" (du moins au sens du règlement COB n° 90-08), sauf si l'information avait été, durant la période visée au grief, inaccessible au public. Or, l'AMF estime qu'il ne s'agissait pas à l'époque d'une donnée précise et que, de surcroît, les informations relatives à cette situation étaient progressivement révélées par les agences de notation et qu'enfin, V.U., d'elle-même, avait fini par transmettre les informations financières en question.

Ainsi d'en conclure, s'agissant de la recherche de l'utilisation d'informations privilégiées par MM. Messier et Hannezo, que les données sur l'état réel de la société, "à défaut de constituer une indication précise et inaccessible pour le public" ne pouvaient pas être regardées comme une "information privilégiée". L'Autorité soulignera, en exergue, que cette décision se justifiait d'autant plus que M. Messier avait pu indiquer lors de ses auditions qu'il avait, à cette époque, racheté plus de titres qu'il n'en avait vendu.

La sanction est ainsi établie sur les seuls faits que M. Messier, en tant que PDG de V.U., avait délibérément diffusé, au nom de cette société, à propos de la consolidation de Telco, ainsi que des dettes, des cash flow et des perspectives d'avenir du groupe, des informations inexactes et abusivement optimistes. L'autorité fixera cette sanction à un million d'euros pour le président et à la même somme pour la société.

II - Les aspects procéduraux en question

C'est cette décision que M. Messier souhaite voir annulée, un recours ayant été déposé en ce sens auprès de la cour d'appel de Paris. Ce sont, certes, les motifs justifiant la condamnation pour information trompeuse qui sont d'abord contestés, mais surtout les conditions de déroulement de la procédure (A), et ce, d'autant plus, que ce déroulement a été rendu plus complexe en raison de l'existence d'une autre procédure en matière pénale (B).

A - Les griefs tirés du non respect de la procédure

1 - La complexité de la procédure

Dans sa décision, la Commission s'explique longuement sur la justification des différents incidents qui ont émaillé la procédure. S'agissant, d'abord, des délais initialement fixés aux mises en cause pour répondre à la notification des griefs, elle fait valoir des nécessités pratiques d'organisation, eu égard au volume exceptionnel que représentaient les pièces. Cette situation a contraint le rapporteur à indiquer, dans les notifications de griefs, que les parties étaient invitées à faire parvenir leurs observations écrites dans un délai de trois mois à compter de la date à partir de laquelle les pièces du dossier leur seraient accessibles.

Quant à la désignation du rapporteur de la Commission des sanctions de l'AMF, l'Autorité explique que M. Alain Ferri a dû, ensuite, être choisi le 28 novembre 2003, en remplacement de Mme Bourven, précédemment désignée, parce que cette dernière ne comptait pas au nombre des membres de la Commission des sanctions. Les personnes mises en cause ont été informées de cette désignation par lettres en date du 23 décembre 2003.

Enfin, l'AMF souligne qu'à la demande des parties, plusieurs délais supplémentaires pour la clôture des dossiers furent accordés, la date d'expiration, pour ce qui concerne MM. Messier et Hannezo étant finalement fixée au 8 mars 2004 et pour la société V.U., au 10 mars.

La Commission des sanctions de l'AMF se justifie, par ailleurs, sur l'organisation des auditions effectuées par le rapporteur. Le 24 mai 2004, ce dernier avait procédé à l'audition de M. Messier à sa demande mais, le lendemain, il avait entendu également M. Hannezo qui, par lettre du 14 mai 2004, avait précisé vouloir assister à l'audition de M. Messier, ce qui lui avait été refusé. Le 15 juin 2004, le rapporteur entendait la société V.U., représentée par son président, M. Fourtou. Le même jour, le rapporteur écrivait à la société V.U., à M. Messier et à M. Hannezo afin de leur préciser qu'il ne lui paraissait pas utile de procéder aux autres auditions sollicitées.

En réponse à la demande de M. Messier, le rapporteur a, ensuite, convoqué Mme Gros, directeur de la presse et des relations publiques de V.U., à la date du 13 juillet 2004. Elle ne s'est pas présentée et le rapporteur a ensuite estimé qu'elle pourrait être entendue par la Commission des sanctions en séance.

On comprend, dès lors, que la Commission ait dû, dès avant son analyse des conditions de l'information financière, répondre de façon particulièrement détaillée aux griefs des différents protagonistes de l'affaire et, notamment, à ceux qui étaient soulevés par M. Messier et la société V.U..

Les prétentions des parties portaient, en effet, sur trois points principaux. S'agissant de la décision rendue le 3 novembre (publiée le 7 décembre), M. Hannezo soutenait en premier lieu que l'instruction du rapport n'avait été conduite qu'à charge, aucune audition de tiers n'ayant été effectuée. La société V.U. prétendait, pour sa part, que le rapporteur ne pouvait ni reprendre à son compte les griefs sans avoir examiné les arguments des mis en cause, ni formuler de nouveaux griefs à propos de la consolidation de la société Telco ou de la communication sur l'endettement, ni refuser de procéder aux auditions sollicitées. M. Messier, quant à lui, soulevait différents arguments : d'une part, que l'enquête et le rapport n'avaient pas été conduits de manière contradictoire et impartiale, le dossier ne comportant pas toutes les pièces dont disposerait l'AMF et les auditions demandées au rapporteur, dont celle de Mme Gros, n'ayant pas été effectuées. Il soutenait, d'autre part, qu'il convenait que la présente Commission décide de surseoir à statuer jusqu'à la fin de l'information judiciaire en cours afin que certaines pièces du dossier pénal puissent être produites devant elle.

L'AMF écartera, tout d'abord, le grief tiré de l'absence de procédure contradictoire durant l'enquête, considérant, qu'à ce stade, le contradictoire n'est imposé par aucun texte. Le principe du contradictoire, selon elle, n'a à être mis en oeuvre qu'à partir de la désignation du rapporteur et il ne doit s'appliquer qu'aux seules pièces figurant dans le dossier dont celui-ci est saisi. Or, en l'espèce, cette procédure aurait été respectée, toutes les personnes mises en cause ayant eu communication du dossier, ayant été entendues par le rapporteur et ayant pu produire les documents qu'ils estimaient utiles à leur défense.

L'autorité écartera, ensuite, le deuxième grief émis par V.U., s'agissant des appréciations portées par le rapporteur. Tant s'agissant des manquements dont il était saisi, que de l'appréciation du fonctionnement de la société TELCO ou sur les dettes de V.U., l'AMF soutient que ces appréciations relèvent de sa liberté d'analyse et que celle-ci ne peut donner lieu à grief.

Enfin, et c'est sans doute également un point important, l'Autorité reconnaît qu'en ce qui concerne les personnes susceptibles d'apporter leur témoignage, le rapporteur n'a accédé qu'à la demande d'audition de Mme Gros et n'a pu y procéder le 13 juillet 2004, car celle-ci ne s'est pas présentée à la convocation. Toutefois, l'AMF souligne que cette absence de comparution ne saurait constituer un grief admissible, puisqu'il appartient au seul rapporteur d'apprécier les suites à réserver à de telles demandes. Par ailleurs, la Commission estime avoir mis l'ensemble des parties en mesure de solliciter les auditions qu'elles souhaitaient et a répondu favorablement à toutes les demandes. Mme Gros, en particulier, a pu être entendue à l'audience et même déposer des documents écrits joints à la procédure, ces différents éléments permettant à l'Autorité de conclure que le principe du contradictoire avait été pleinement respecté.

Pour en terminer avec le prétentions de M Messier, l'AMF relève in fine que :"le Code de procédure pénale permet aux avocats des mis en examen, s'ils l'estiment utile, de demander au procureur de la République de les autoriser, avec l'accord du magistrat instructeur, à verser dans une autre procédure certaines des pièces de l'information en cours ; que les avocats de M. J.-M. Messier ne sauraient, alors qu'ils ne paraissent pas avoir déposé la moindre requête en ce sens, obtenir de la présente Commission un sursis à statuer dont ils ne justifient aucunement l'utilité".

Cette partie de la motivation soulève le délicat problème de l'articulation entre deux procédures : celle qui était menée par la Commission des sanctions et l'instruction toujours en cours à l'heure actuelle, et dont aura à connaître le juge judiciaire.

B - Le caractère conjoint des procédures boursières et pénales

1 - Coordination

Ces faits, dans leur ensemble, doivent, en effet, être appréciés avec circonspection puisque la procédure suivie par l'AMF s'est déroulée conjointement avec une procédure pénale. C'est d'ailleurs l'occasion de souligner la promptitude d'instruction du volumineux dossier de l'affaire V.U. par la Commission des sanctions. Mais on peut se demander si cette célérité, que le marché et les investisseurs appelaient de leurs voeux, n'a pas débouché sur des dysfonctionnements que le demandeur en appel se fait fort d'exploiter.

A ce titre, Me Olivier Metzner, conseil de M. Messier, a déclaré à la presse que la procédure instruite par l'AMF était entachée d'irrégularités, Me Metzner faisant état de l'absence de pièces mentionnées dans le dossier, au point d'évoquer une "manipulation de procédure" et des "atteintes aux droits de la défense".

Ce qui ressort indiscutablement de cette affaire, même s'il semble difficile de démêler l'écheveau des différents arguments échangés, c'est que l'existence de deux procédures menées de front, mais avec des objectifs et une célérité différents n'a ni clarifié l'instruction menée par le rapporteur, ni débouché sur une sérénité dans la décision, du moins si l'on en croît certaines informations parues dans la presse. Ainsi, le journal Le Monde, dans son édition du 8 février dernier, révélait, sous la plume de Martine Orange, que "depuis des mois, les juges se plaignent d'un manque de coopération des autorités boursières. Plusieurs fois ils ont dû réclamer les pièces qui étaient en possession de l'AMF. Ils ont constaté aussi que des pièces manquaient, que d'autres avaient un temps disparu avant de réapparaître". Selon les mêmes sources, des pièces concernant les stock-options de M. Messier demeureraient introuvables à l'heure actuelle.

2 - Conclusion

Que penser de cet imbroglio procédural ? A l'évidence, on mesure que les instances judiciaires et les autorités boursières n'opèrent pas dans le même registre. Face aux multiples problèmes qu'avait pu rencontrer la COB en matière de procédure et de respect des droits de la Convention européenne des droits de l'homme (N° Lexbase : L4800AQT), la constitution de l'AMF semblait avoir permis de prendre en considération les enseignements des échecs passés. A ce titre, le décret n° 2003-1109 du 21 novembre 2003 relatif à l'Autorité des marchés financiers, en instituant une Commission des sanctions, était censé mettre la nouvelle autorité à l'abri des recours purement procéduraux. Il s'avère, cependant, qu'un an après la constitution de l'AMF, de nouveaux problèmes se posent, problèmes dont la dimension, si l'on en croit la presse, pourrait s'avérer considérable.

La question se situe-t-elle réellement à ce niveau de détail ? En d'autres termes, peut-on concilier à la fois l'inévitable lenteur d'une justice dont on souhaite qu'elle soit sereine et impartiale et les exigences, autrement plus volatiles, des marchés ? Ces derniers exigent des sanctions promptes et une autorité efficace. Comment instituer, alors, une institution de marché puissante et dissuasive (rappelons en particulier qu'aux Etats-Unis, la SEC est présentée comme le "gendarme de la bourse"), qui puisse exercer également des fonctions juridictionnelles ou quasi-juridictionnelles sans être suspectée ? Le législateur, en instituant l'AMF n'a-t-il pas présumé de la souplesse du cadre juridique qui est celui d'une autorité administrative indépendante ? Il semble, en tout cas, que le modèle de régulation des marchés à la française, soit inutilement fragilisé et qu'il risque, pour cette raison d'être remis en question. On ne saurait, en effet, imaginer qu'autant d'attaques frontales contre l'institution ne finissent par altérer l'image de l'autorité boursière.

Jean-Baptiste Lehnoff
Maître de conférences à l'ENS-Cachan


(1) Le Monde, 8 février 2005.
(2) Article 26 II. du décret du 21 novembre 2003 : "les recours contre les décisions de portée individuelle prises par l'Autorité des marchés financiers, autres que celles mentionnées au I, sont portés devant la cour d'appel de Paris".
(3) Règlement COB n° 90-08, 17 juillet 1990, relatif a l'utilisation d'une information privilégiée (N° Lexbase : L4749A4N), désormais articles 611-1 et s. du Règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L4083GUR). 

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