Jurisprudence : CJCE, 29-02-1996, aff. C-56/93, Royaume de Belgique c/ Commission des Communautés européennes

CJCE, 29-02-1996, aff. C-56/93, Royaume de Belgique c/ Commission des Communautés européennes

A4972AW3

Référence

CJCE, 29-02-1996, aff. C-56/93, Royaume de Belgique c/ Commission des Communautés européennes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1010907-cjce-29021996-aff-c5693-royaume-de-belgique-c-commission-des-communautes-europeennes
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Cour de justice des Communautés européennes

29 février 1996

Affaire n°C-56/93

Royaume de Belgique
c/
Commission des Communautés européennes



61993J0056

Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 29 février 1996.

Royaume de Belgique contre Commission des Communautés européennes.

Aides d'Etat - Système tarifaire préférentiel pour les livraisons de gaz naturel aux produits néerlandais d'engrais azotés.

Affaire C-56/93.

Recueil de Jurisprudence 1996 page I-0723

1. Aides accordées par les États ° Notion ° Tarification préférentielle économiquement justifiée du gaz naturel en faveur d'une catégorie d'entreprises ° Exclusion

(Traité CE, art. 92, § 1)

2. Aides accordées par les États ° Décision de la Commission constatant la compatibilité d'une mesure nationale avec l'article 92, paragraphe 1, du traité ° Appréciation économique complexe ° Contrôle juridictionnel ° Limites

(Traité CE, art. 92, § 1)

3. Aides accordées par les États ° Dispositions du traité ° Champ d'application ° Interventions financières étatiques affectant la concurrence et les échanges entre États membres, indépendamment des objectifs poursuivis

(Traité CE, art. 92)

4. Actes des institutions ° Motivation ° Obligation ° Portée ° Prise en compte du contexte et des antécédents

(Traité CE, art. 190)

1. L'application par un État membre ou par l'entité qu'il influence d'un tarif fixé à un niveau inférieur à celui qui aurait été normalement choisi peut être qualifiée d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Dans une telle situation, l'État ou l'entité n'agit pas comme un opérateur économique ordinaire, mais utilise le tarif préférentiel pour faire bénéficier certaines entreprises d'un avantage pécuniaire en renonçant au profit qu'il pourrait normalement réaliser. En revanche, ne constitue pas une mesure d'aide un tarif préférentiel qui, dans le contexte du marché concerné, est objectivement justifié par des raisons économiques telles que la nécessité de lutter contre la concurrence exercée sur ce marché.

A cet égard, un système tarifaire préférentiel pour les fournitures de gaz naturel pratiqué par un État membre en faveur de très grands utilisateurs industriels relevant d'un secteur de production déterminé ne constitue pas une aide étatique dans la mesure où, en premier lieu, ce tarif est justifié par la nécessité de lutter contre la concurrence exercée par les importations des pays tiers afin de garder une clientèle existante importante et où, en second lieu, le prix frontière octroyé à un distributeur de gaz naturel établi dans un autre État membre est de nature à permettre à celui-ci d'accorder un tarif comparable aux très grands utilisateurs industriels relevant du même secteur de production de ce second État membre.

2. Le contrôle juridictionnel d'un acte, impliquant une appréciation économique complexe, par lequel la Commission constate la compatibilité d'une mesure nationale avec l'article 92, paragraphe 1, du traité doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté et de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de détournement de pouvoir.

3. L'article 92 du traité appréhende les interventions financières étatiques non pas en fonction de leurs causes ou des objectifs qu'elles poursuivent, mais en fonction de leurs effets sur la concurrence et les échanges entre États membres. De cette approche il résulte qu'une pratique imputable à un État membre objectivement justifiée par des raisons commerciales n'est pas à considérer comme une aide d'État du seul fait qu'elle permet aussi d'atteindre un objectif politique.

4. La motivation exigée par l'article 190 du traité doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d'exercer son contrôle. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

Dans un cas où une décision de la Commission constatant la compatibilité d'une mesure nationale avec l'article 92, paragraphe 1, du traité a été précédée d'une autre décision de la Commission relative au même mécanisme, d'un arrêt de la Cour, éclairé par les conclusions de l'avocat général, annulant celle-ci et d'une communication de la Commission rouvrant la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité, auxquels elle fait référence, il y a lieu, pour apprécier si elle est suffisamment motivée, de tenir compte de ces antécédents.

Dans l'affaire C-56/93,

Royaume de Belgique, représenté M. Jan Devadder, directeur d'administration au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de Me Claude A. Gonthier, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de Belgique, 4, rue des Girondins,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Michel Nolin et Ben Smulders, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume des Pays-Bas, représenté par MM. Jaap de Zwaan et Ton Heukels, conseillers juridiques adjoints au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade des Pays-Bas, 5, rue C. M. Spoo,

partie intervenante,

ayant pour objet l'annulation de la décision de la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, adressée le 29 décembre 1992 aux autres États membres et autres intéressés, concernant un système tarifaire préférentiel appliqué par les Pays-Bas pour les livraisons de gaz naturel aux fabricants néerlandais d'engrais azotés (JO C 344, p. 4),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, J. C. Moitinho de Almeida, C. Gulmann (rapporteur), P. Jann et L. Sevón, juges,

avocat général: M. N. Fennelly,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 8 juin 1995,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 28 septembre 1995,

rend le présent

Arrêt

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 mars 1993, le royaume de Belgique a, en vertu de l'article 173 du traité CEE, demandé l'annulation de la décision de la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, adressée le 29 décembre 1992 aux autres États membres et aux autres intéressés, concernant un système tarifaire préférentiel appliqué par les Pays-Bas pour les livraisons de gaz naturel aux fabricants néerlandais d'engrais azotés (JO C 344, p. 4, ci-après la "décision").

2 Le 25 octobre 1983, la Commission avait engagé la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité à l'encontre d'un système tarifaire préférentiel pour des livraisons de gaz naturel appliqué en faveur des producteurs néerlandais d'engrais azotés par la NV Nederlandse Gasunie (ci-après "Gasunie"), entreprise de droit privé dont le capital est détenu à 50 %, directement ou indirectement, par l'État néerlandais.

3 Au cours de cette procédure, Gasunie avait modifié sa structure tarifaire notamment en y ajoutant rétroactivement, avec effet au 1er novembre 1983, un nouveau tarif, dit "tarif F", à l'usage des très grands utilisateurs industriels établis aux Pays-Bas, à l'exclusion de ceux du secteur de l'énergie, remplissant des conditions tenant à la quantité de gaz consommé, au facteur de charge présenté et à l'acceptation d'une éventuelle interruption des livraisons ainsi que de la fourniture de gaz de valeur calorifique différente. En pratique, le tarif F devait essentiellement bénéficier aux producteurs néerlandais d'ammoniac destiné à la fabrication d'engrais azotés. Il correspondait au tarif appliqué aux grands clients industriels, diminué d'un rabais variable dont la valeur maximale était 5 cents/m3.

4 Le 17 avril 1984, la Commission avait décidé de clore la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité, au motif que le tarif F ne contenait aucun élément d'aide étatique. Elle avait notamment estimé que Gasunie opérait de considérables économies de fourniture en raison de l'importance du facteur de charge et des conditions de fourniture présentées par les grands usagers industriels et plus particulièrement par les producteurs d'engrais azotés.

5 A la suite d'un recours introduit par des producteurs français d'ammoniac, la Cour a annulé cette décision par arrêt du 12 juillet 1990, CdF Chimie AZF/Commission (C-169/84, Rec. p. I-3083). L'arrêt était fondé sur un rapport d'expertise, demandé par la Cour, dont il résultait que les économies réalisées par Gasunie lors des livraisons de gaz naturel faites sous le tarif F se chiffraient tout au plus à 0,5 cent/m3 pour des facteurs évalués par la Commission à plus de 5 cents/m3 et que les rabais accordés aux clients bénéficiant du tarif F devaient donc procéder d'autres considérations. La Cour en a donc conclu que la Commission avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des faits.

6 Au terme d'un nouvel examen de la compatibilité du tarif F avec les articles 92 et 93 du traité auquel elle a alors procédé, la Commission est parvenue à la conclusion que ce tarif pouvait se justifier par des raisons commerciales, qu'il n'avait pas favorisé les producteurs néerlandais d'ammoniac par rapport à ceux des autres États membres et que l'État néerlandais n'avait pas eu d'influence sur la fixation des tarifs qui dépasserait celle d'un actionnaire normal dans la mesure où il n'avait pas subi de perte de revenu. Elle a donc estimé que ce tarif était compatible avec le marché commun et a décidé de clore la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité.

7 Contre cette décision de clôture, le royaume de Belgique a introduit le présent recours. A l'appui de celui-ci, il soulève trois moyens tirés respectivement d'une erreur manifeste dans l'appréciation des faits, d'une interprétation erronée de l'article 92 du traité et d'un défaut de motivation.

8 Il ressort du dossier que Gasunie a introduit un nouveau système tarifaire, de sorte que le tarif F n'est plus utilisé depuis le 31 décembre 1991.

Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste dans l'appréciation des faits

9 Par ce moyen, le royaume de Belgique conteste les deux conclusions de la Commission selon lesquelles le tarif F était justifié par des raisons commerciales et n'a pas favorisé les producteurs néerlandais d'ammoniac par rapport à ces mêmes producteurs des autres États membres.

Sur la conclusion de la Commission selon laquelle le tarif F se justifiait par des raisons commerciales

10 Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'application, par un État membre ou par l'entité qu'il influence, d'un tarif fixé à un niveau inférieur à celui qui aurait été normalement choisi peut être qualifiée d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Dans une telle situation, l'État ou l'entité n'agit pas comme un opérateur économique ordinaire, mais utilise le tarif préférentiel pour faire bénéficier certaines entreprises d'un avantage pécuniaire en renonçant au profit qu'il pourrait normalement réaliser. En revanche, ne constitue pas une mesure d'aide un tarif préférentiel qui, dans le contexte du marché concerné, est objectivement justifié par des raisons économiques telles que la nécessité de lutter contre la concurrence exercée sur ce marché (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, points 28 à 30).

11 S'agissant là d'une appréciation économique complexe, il y a également lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le contrôle juridictionnel d'un acte de la Commission impliquant une telle appréciation doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ou de l'absence de détournement de pouvoir (voir, notamment, arrêts du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil, 138/79, Rec. p. 3333, point 25; du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 62; du 10 mars 1992, Ricoh/Conseil, C-174/87, Rec. p. I-1335, point 68, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, point 25).

12 La Commission, soutenue par le royaume des Pays-Bas, fait valoir que le tarif F se justifiait par la nécessité pour Gasunie de lutter contre la concurrence exercée sur le marché de l'ammoniac par les importations d'ammoniac des pays tiers.

13 La Commission explique que le gaz naturel constitue la matière première principale pour la production d'ammoniac et représente environ 75 % du prix de revient de celui-ci. L'ammoniac est, quant à lui, le produit de base pour la fabrication des engrais azotés et intervient à concurrence de 60 % environ dans leur prix de revient. Les producteurs néerlandais d'engrais azotés produisent généralement eux-mêmes l'ammoniac dont ils doivent disposer et consomment annuellement environ 30 % du gaz naturel livré par Gasunie à l'industrie néerlandaise. Cependant, si le prix du gaz naturel utilisé pour produire l'ammoniac est trop élevé, les producteurs d'engrais choisiront de l'acheter ailleurs plutôt que de le produire eux-mêmes.

14 D'après la Commission et le royaume des Pays-Bas, dans les années 1980, la situation de l'industrie de l'ammoniac dans la Communauté était telle que, si Gasunie n'avait pas accordé de tarifs spéciaux aux producteurs néerlandais d'engrais azotés, elle aurait risqué de perdre cet important débouché. Ils estiment ainsi qu'aucun élément ne permettait de conclure que, en livrant du gaz naturel au tarif F aux producteurs néerlandais d'engrais azotés, Gasunie se soit comportée autrement qu'une entreprise privée dans des conditions normales de marché.

15 Le royaume de Belgique soutient que le tarif F n'était pas justifié par des raisons commerciales mais a été appliqué pour des raisons politiques, afin de conférer un avantage aux producteurs néerlandais d'ammoniac. Il conteste à cet égard sur plusieurs points la motivation de la décision litigieuse.

16 Tout en admettant que le tarif F n'était pas confidentiel et qu'il constituait le prix directeur du gaz naturel livré aux producteurs d'ammoniac en Europe continentale du Nord-Ouest, le royaume de Belgique avance, en premier lieu, que, n'étant pas publié ° contrairement aux autres tarifs de Gasunie °, ce tarif n'était pas public.

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