La lettre juridique n°565 du 3 avril 2014

La lettre juridique - Édition n°565

Éditorial

Taubira : bis repetita ?

Lecture: 3 min

N1669BUD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 03 Avril 2014


Les discussions furent sans doute âpres mais, finalement, à la lecture de la nouvelle convention d'assurance-chômage, signée le 22 mars 2014, elle ne pouvait vraiment pas accepter une rupture conventionnelle, même si son bilan pouvait paraître en demi-teinte.

180 jours de carence avant indemnisation : un sacré "différé d'indemnisation", qui aurait fait réfléchir plus d'un, avant de prendre ses "clics et ses clacs" et de poser ses valises... même sous les tropiques.

Et, de toute manière, la rupture conventionnelle est "has been". Pour la première fois depuis cinq ans, le nombre de ruptures n'a pas progressé en 2013, se stabilisant à moins de 320 000 sur l'année. Et, le nombre de demande d'homologation est même en léger recul, début 2014 ; point d'embellie économique, juste une pression des prélèvements sociaux de plus en plus lourde qui freine certains candidats. Alors, lorsque l'on est une icône de la modernité en matière de questions de société, lorsque l'on a été l'hardie promotrice de l'emblématique loi relative au mariage pour tous, on évite de tomber dans le piège de l'optimisation indemnitaire. Et, même si à compter du 1er juillet prochain, la malheureuse mode du licenciement pour motif économique risque bien de refaire surface, au regard de son régime imposable plus favorable, on peine à croire qu'un Etat, même en faillite, se sépare de l'un de ses "serviteurs" les plus zélés, pour un tel motif...

Voici donc Madame le Garde des Sceaux renouvelée dans ses fonctions dans le cadre du deuxième Gouvernement de la mandature.

Le premier avantage de son maintien est la stabilité de l'administration de la Justice au moment où celle-ci est décriée et où les justiciables peinent à lui accorder leur confiance. Elle connaît les dossiers en cours et, pour accélérer les réformes, ce n'est pas un mince atout.

Le deuxième avantage est qu'elle la cote... auprès de la famille juridique et judiciaire la plus peuplée : les avocats. Lors des dernières manifestations réunissant le ministre de la Justice et la profession, le Président du Conseil national des barreaux, le Président de la Conférence des Bâtonniers et les Bâtonnier et vice-Bâtonnier du barreau de Paris, les relations n'avaient pas été aussi cordiales et respectueuses, voire constructives à l'occasion des réflexions sur la Justice du XXIème siècle, depuis longtemps... D'ailleurs, cinq minutes après l'annonce sur le perron de l'Elysée, Pierre-Olivier Sur et Laurent Martinet félicitaient Christiane Taubira pour son maintien au poste de Garde des Sceaux. "Elle bénéficie de notre confiance et d'une désormais longue amitié avec le barreau de Paris. Nous savons qu'elle aura à coeur de maintenir le dialogue constructif avec les 26 500 avocats parisiens", précisaient-ils.

Enfin, sa force de travail et de conviction n'est pas une légende urbaine ; et, il va falloir en redoubler au vu des retards enregistrés sur certains dossiers épineux. Le premier d'entre eux, la réforme pénale, censée "développer les alternatives à l'incarcération" et "mettre un terme à la surpopulation carcérale", sujet de passes d'armes médiatiques avec le nouveau premier des ministres, notamment quant à la suppression des peines plancher, requiert immédiatement son engagement ; l'examen dudit projet ayant soigneusement été repoussé après les élections municipales. Il reste encore à renforcer la justice de proximité, à renforcer la protection des sources pour les journalistes, à renforcer les droits et libertés numériques et à recruter des imams dans les prisons. Quid de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature passée à la trappe dès l'été 2013 ? Les perspectives sénatoriales semblent définitivement compromettre ce projet-ci, du moins.

Saura-t-elle emporter l'adhésion sur une réforme pénale jugée radicale par certains alors que les équilibres politiques sont fragiles ? Saura-t-elle peser de tout son poids politique face à un ministre de l'Intérieur devenu Premier ministre ? Saura-t-elle trouver les moyens budgétaires de ses ambitions affichées, alors que la dette galope ? Saura-t-elle déjouer les "conservatismes judiciaires" et imposer sa marque et son rythme ? Saura-t-elle faire oublier la convocation du procureur général de Paris, pour lui demander de quitter son poste en raison de sa "sensibilité politique" ?

Autant de questions qui appellent des rapides réponses pour ne pas décevoir les attentes des citoyens-justiciables et des professionnels du droit, sur la protection des droits et des libertés.

"Echouer, c'est avoir la possibilité de recommencer de manière plus intelligente" disait Henry Ford...

newsid:441669

Avocats/Honoraires

[Brèves] Validité de la convention prévoyant un honoraire de résultat : pas de nécessité d'un aléa

Réf. : Cass. civ. 2, 27 mars 2014, n° 13-11.682, FS-P+B (N° Lexbase : A2469MIB)

Lecture: 2 min

N1589BUE

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Le 05 Avril 2014

L'existence d'un aléa ne constitue pas une condition de validité de la convention prévoyant un honoraire de résultat. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 27 mars 2014, au visa de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), (Cass. civ. 2, 27 mars 2014, n° 13-11.682, FS-P+B N° Lexbase : A2469MIB ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0079EUH). La Haute juridiction précise, en outre, que ne doit pas être annulée la convention prévoyant le remplacement du taux initial de l'honoraire de résultat de 10 % par celui de 30 %, même si ce remplacement répond à un souci de partage égalitaire entre l'avocat et l'apporteur d'affaires, ce taux ne caractérisant pas un pacte de quota litis. Dans cette affaire, un légataire universelle avait chargé un avocat, aux droits duquel se trouvait une société d'avocats, de la défense de ses intérêts et notamment de diligenter toutes procédures pour faire reconnaître ses droits. La liquidation de la société d'avocats avait été prononcée par jugement du 6 juin 2013 ; et, le liquidateur judiciaire de la société avait repris l'instance. Le client et l'avocat mandaté au début du litige avaient conclu une première convention le 20 septembre 2000, accordant à l'avocat un honoraire complémentaire de résultat de 10 % sur les sommes recouvrées. Le 26 janvier 2001, un nouvel accord s'était substitué à cette convention portant à 30 % l'honoraire de résultat revenant à l'avocat à ce titre. En raison d'un désaccord opposant le client à son avocat, le premier avait saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats d'une contestation d'honoraires. Sa demande tendant à voir annulée la convention d'honoraires de résultat a été accueillie par le premier président de la cour d'appel de Paris ; mais la Haute juridiction casse et annule cette décision par les motifs ainsi exposés. Ce faisant la Cour de cassation semble prendre le contre-pied de la position de certaines juridictions qui pouvaient faire de l'aléa une condition implicite de la validité de l'honoraire de résultat (cf. CA Montpellier, 21 novembre 2013, n° 12/07571 N° Lexbase : A9580KPI et lire N° Lexbase : N9701BTH et CA Aix-en-Provence, 22 janvier 2013, n° 12/09708 N° Lexbase : A6234I3B). A l'inverse, d'autres cours d'appel avaient refusé d'annuler une convention prévoyant un honoraire de résultat, pour défaut d'aléa, rappelant qu'il n'est pas interdit qu'elle prévoit dans tous les cas de figure un honoraire de résultat ; qu'il faut et il suffit que celui-ci corresponde à un service rendu (CA Grenoble, 19 octobre 2011, n° 10/05340 N° Lexbase : A4691HZR).

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Avocats/Institutions représentatives

[Brèves] Annulation d'une délibération instaurant une assurance "perte de collaboration" pour les membres du barreau

Réf. : CA Rouen, 19 mars 2014, n° 13/04940 (N° Lexbase : A2097MH7)

Lecture: 2 min

N1567BUL

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Le 04 Avril 2014

Le choix d'imposer à tous les avocats d'un barreau de participer par leurs cotisations et les ressources de l'Ordre au financement d'une assurance non imposée par la loi est de nature à contredire le caractère indépendant et libéral de la profession, en collectivisant le risque lié à la perte de collaboration, inhérent au caractère libéral du statut d'avocat collaborateur, pour le faire supporter par l'ensemble de la profession. Au surplus, l'octroi de cet avantage aux avocats collaborateurs, alors que les autres avocats libéraux, exerçant à titre individuel ou en qualité d'avocats associés, n'en disposent pas, introduit une rupture d'égalité, non prévue par la loi, dans l'exercice de la profession. Si l'article 17- 6° de la loi de 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) permet au conseil de l'Ordre de traiter toute question intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'a la protection de leurs droits et, notamment, d'administrer et d'utiliser les ressources de l'Ordre pour assurer les secours, allocations ou avantages quelconques attribués à ses membres ou anciens membres, ces pouvoirs ne peuvent être exercés que sous réserve du respect des règles de la profession d'avocat. La délibération litigieuse, non compatible avec le caractère libéral et indépendant de la profession pour les motifs ci-dessus exposés, sera en conséquence annulée. Telle la sentence de la cour d'appel de Rouen rendue dans un arrêt du 19 mars 2014 (CA Rouen, 19 mars 2014, n° 13/04940 N° Lexbase : A2097MH7 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9310ETY). Pourtant, le conseil soutenait que la délibération était compatible avec la nature libérale de l'activité d'avocat, les valeurs libérales de la profession d'avocat ne s'attachant pas à une prise de risque ou à un esprit d'entreprise mais seulement à son mode d'exercice indépendant de son client et à la nature de sa prestation, un service intellectuel. Il contestait, également, qu'il soit ainsi porté atteinte à l'égalité entre les avocats et faisait valoir qu'il s'agissait, durant les premiers mois suivant la perte de la collaboration, de permettre à un confrère avocat, en règle générale débutant dans la profession, d'éviter d'accepter, sous pression professionnelle et financière, une collaboration aux conditions parfois peut-être abusives ou de s'installer sans les ressources nécessaires à assurer la pérennité de son exercice. Mais, pour la cour, le caractère libéral de la profession d'avocat fait référence, d'une part, à l'indépendance de l'avocat tant par rapport à l'Etat que par rapport à ses clients, personnes morales ou physiques, mais aussi, d'autre part, à sa liberté et à sa responsabilité dans l'exercice de ses fonctions, sous la seule réserve du contrôle exercé par l'Ordre. Et, les collaborateurs libéraux disposent de la même indépendance. Aucune charge non rendue obligatoire par la loi ou par la réglementation de la profession ne peut être imposée à l'avocat libéral.

newsid:441567

Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Pourvoi irrecevable en matière pénale : de la nécessité d'un pouvoir spécial pour l'avocat extérieur et précisions quant à la portée de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale

Réf. : Cass. crim., 25 février 2014, n° 13-85.386, F-P+B+I (N° Lexbase : A8150MEL)

Lecture: 7 min

N1610BU8

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, cabinet SEFJ, Chargé d'enseignement à l'Université Paris V, Président de la Commission nationale "Procédure" de l'ACE

Le 04 Avril 2014

L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 25 février 2014 précise sa jurisprudence relative à l'interprétation des dispositions de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2811IPS) après la réforme de la représentation devant la cour d'appel issue de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 (N° Lexbase : L2387IP4) entrée en vigueur le 1er janvier 2012.
La cour d'appel de Versailles, suivant arrêt rendu le 9 juillet 2013, a condamné à quatre mois d'emprisonnement, dont deux avec sursis et mise à l'épreuve, outre 700 euros d'amende, Monsieur Mohammad X, pour menace de mort et contravention de violences. La même décision s'est prononcée sur les intérêts civils.
Un pourvoi fût formé par déclaration au greffier de la cour d'appel de Versailles, signée le 15 juillet 2013, par Me M., avocat au barreau de Paris.
Me M. n'avait pas assisté le prévenu en première instance devant la formation correctionnelle saisie du tribunal de grande instance de Nanterre, n'était pas inscrit dans le ressort de la cour d'appel de Versailles et ne disposait d'aucun pouvoir spécial.
La sanction était inéluctable : l'irrecevabilité du pourvoi.
La Chambre criminelle a, en effet, déclaré le pourvoi ainsi formé irrecevable en application de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, car "formé par un avocat qui, d'une part, n'exerce pas près la juridiction qui a statué, d'autre part, n'ayant pas assisté son client, en première instance, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, ne pouvait prétendre à l'application du III de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), et, enfin, n'était pas muni d'un pouvoir spécial". L'intérêt de cet arrêt porte sur la spécificité qui s'attache au pourvoi formé en matière pénale par mandataire, en l'espèce un avocat.

Reprenant le principe de l'exigence d'un pouvoir spécial (I), cette décision confirme clairement sa position adoptée il y a moins d'un an, levant ainsi clairement l'incertitude que la loi du 25 janvier 2011 pouvait encore laisser planer, compte tenu de la nouvelle rédaction de l'alinéa 2 de l'article 576 du Code de procédure pénale relative à l'étendue de l'exception posée au principe précité (II).

Il convient, à titre liminaire, de rappeler les dispositions de l'article 576 du Code de procédure pénale :

"La déclaration de pourvoi doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.

Elle doit être signée par le greffier et par le demandeur en cassation lui-même ou par un avocat près la juridiction qui a statué, ou par un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier. Si le déclarant ne peut signer, le greffier en fera mention.

Elle est inscrite sur un registre public à ce destiné et toute personne a le droit de s'en faire délivrer copie".

I - L'exigence d'un pouvoir spécial

Si le pourvoi est effectué par un mandataire, ce dernier, sauf exception, doit être muni d'un pouvoir.

Les arrêts de la Chambre criminelle déclarant irrecevables des pourvois formés par mandataires sans que ces derniers aient été munis d'un pouvoir sont nombreux (1).

La manifestation de la volonté du demandeur au pourvoi doit être établie : le demandeur doit personnellement avoir décidé de se pourvoir en cassation et doit avoir chargé un mandataire d'exercer ce recours en son nom.

Ne répond pas à cette exigence le pouvoir donnant mandat à son avocat de "faire toutes diligences nécessaires, suite à l'arrêt rendu par la cour d'appel" (2).

La Chambre criminelle a souvent rappelé que le pourvoi est irrecevable s'il ne résulte pas de l'acte dressé par le greffier que l'avocat déclarant ait été porteur du pouvoir spécial qu'il devait présenter, ni qu'il ait déposé ce pouvoir pour être annexé à sa déclaration (3).

Le pouvoir doit émaner du demandeur lui-même, doit porter la signature du demandeur, doit être spécial, c'est-à-dire viser la décision attaquée et la procédure spécifique du pourvoi à son encontre, doit être postérieur à la décision attaquée et être antérieur au pourvoi.

Il est intransmissible : le mandataire désigné ne peut transmettre à un tiers le mandat qui lui a été personnellement conféré.

La Chambre criminelle rappelle fréquemment que les pourvois formés par un avocat alors que le pouvoir avait été donné à un confrère sont irrecevables, même lorsque la substitution a été prévue en son principe dans le pouvoir établi par le demandeur, car le nom du bénéficiaire n'y figure pas (4).

Il faut à ce sujet prendre garde à la signature d'un pourvoi par le collaborateur de l'avocat désigné, dès lors que ce collaborateur n'était pas expressément désigné dans le pouvoir, la même solution s'appliquant lorsque seul un associé d'une association à la même société civile de moyens est désigné alors que le pourvoi est signé par un autre associé : l'irrecevabilité du pourvoi est alors imparable (5).

Le cas est différent s'agissant d'un associé d'une société civile professionnelle (6), cette dernière étant dotée de la personnalité juridique, elle peut elle-même être désignée dans le pouvoir : il lui suffira d'être représenté par l'un de ses mandataires sociaux en exercice lequel aura qualité et pouvoir pour signer.

La règle s'impose aux avocats.

Leurs fonctions ne leur confèrent aucune qualité pour former un pourvoi au nom d'une personne qui ne leur a pas donné pouvoir à cet effet.

Il ne faut pas se méprendre avec le pouvoir de représentation que leur confère la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, limité par les règles de postulation devant les juridictions du fond, ce que rappelle implicitement l'arrêt commenté lorsqu'il fait référence à la loi précitée.

L'article 5 de cette loi précise, en effet, que les avocats "exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d'appel dont ce tribunal dépend, les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et les cours d'appel. Toutefois, les avocats exercent ces activités devant tous les tribunaux de grande instance près desquels leur barreau est constitué".

Par dérogation, son article 1er, III, dispose que "les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil, et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d'avoué près les cour d'appel auprès de la cour d'appel de Paris quand ils ont postulé devant l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre". Les exceptions à cette exception sont les procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation.

Le texte ajoute "En outre, un avocat ne peut exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d'avoué devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établi son barreau ni au titre de l'aide judiciaire, ni dans les instances dans lesquelles il ne serait pas maître de l'affaire chargé également d'assurer la plaidoirie".

L'exception au principe de l'exigence d'un pouvoir spécial à l'avocat doit, alors, se comprendre dans la combinaison des dispositions de l'article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale et de l'article 1er, III, de la loi du 31 décembre 1971.

II - L'avocat dispensé de pouvoir spécial

L'alinéa 2 de l'article 576 du Code de procédure pénale donne une seule exception : le pourvoi doit être signé par "un avocat près la juridiction qui a statué".

Depuis la mise en vigueur de la réforme du 25 janvier 2011 qui a supprimé les avoués, les avocats "exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d'appel dont ce tribunal dépend les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et d'appel".

L'avocat peut donc désormais former un pourvoi sans pouvoir spécial, comme pouvait le faire l'avoué près la juridiction qui avait statué en vertu de l'ancienne rédaction de l'article 576 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3969AZZ).

La nouvelle rédaction de l'exception prévue à l'article 576 ne répond pourtant pas à la question de savoir si l'avocat peut se dispenser de pouvoir spécial lorsque le barreau auquel il appartient n'est pas celui de la cour qui a statué alors que la loi sur la postulation territoriale lui permet de postuler devant un tribunal dépendant de cette même cour.

La Cour de cassation devait ainsi répondre au problème de la recevabilité du pourvoi formé sans pouvoir spécial par un avocat parisien, pouvant postuler devant le tribunal de grande instance de Nanterre, lequel dépend de la cour d'appel de Versailles, mais dont le barreau est rattaché au tribunal de grande instance de Paris dépendant de la cour d'appel de Paris.

Le 8 janvier 2013, la Chambre criminelle jugea qu'un pourvoi formé par un avocat qui n'exerce pas près la juridiction qui a statué et qui n'était pas muni d'un pouvoir spécial devait être déclaré irrecevable (7).

La solution donnée par cette décision pouvait être perçue comme amorçant une interprétation restrictive de la nouvelle rédaction de l'article 576 : seuls les avocats du barreau de la cour qui a statué seraient alors exonérés de l'exigence d'un pouvoir spécial.

Comment alors résoudre la problématique spécifique des barreaux de Paris et de Nanterre, inclus dans la dérogation du III de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1971 et dépendant chacun d'une cour d'appel distincte ?

Le 5 juin 2013, la Chambre criminelle, saisie cette fois-ci du problème, vint préciser que les pourvois formés par un avocat inscrit au barreau de Paris et qui avait assisté les prévenus devant le tribunal correctionnel de Nanterre dans l'instance ayant donné lieu à l'arrêt attaqué, était recevable par application des dispositions de l'article 576 du Code de procédure pénale et de celles de l'article 1er, III, de la loi du 31 décembre 1971 (8).

C'est ce que confirme nettement huit mois plus tard la Chambre criminelle dans son arrêt du 25 février 2014, à la différence près que la même solution est donnée pour juger l'irrecevabilité d'un pourvoi formé par avocat parisien démuni de pouvoir spécial alors qu'il n'avait pas assisté son client devant le tribunal de grande instance de Nanterre en première instance et qu'il ne pouvait prétendre à l'application du III de l'article 1 de la loi du 31 décembre 1971.

L'avocat inclus dans la dérogation textuelle de la territorialité de la postulation prévue par l'article 1er III de la loi de 1971 peut donc, désormais, former un pourvoi en matière pénale sans pouvoir spécial alors même qu'il n'exerce pas devant la cour d'appel dont l'arrêt est attaqué : il lui suffit d'avoir assisté son client en première instance.

Il était nécessaire de répondre à l'incertitude que laissait planer la partie de l'alinéa 2 de l'article 576 du Code de procédure pénale prévoyant l'exception à l'exigence d'un pouvoir spécial au bénéfice de l'"avocat près la juridiction qui a statué".

Au-delà de l'intérêt de la réponse ainsi donnée en procédure pénale, la lecture de cette décision incite, là encore, à la réflexion plus générale de l'utilité du maintien de la territorialité de la postulation.

La pratique de la multipostulation en région parisienne montre qu'il est parfaitement possible pour l'avocat d'intervenir devant des juridictions distantes de quelques dizaines de kilomètres de son tribunal de grande instance de rattachement.

Devant les cours d'appel, la postulation était le privilège des avoués.

Depuis la mise en vigueur de la loi du 25 janvier 2011, les avocats du ressort de la cour en ont hérité.

En région parisienne il a fallu transposer devant les cours d'appel de Paris et de Versailles ce qui existe pour des tribunaux de Paris et de la petite couronne.

Un avocat de Paris peut désormais régulariser un appel contre une décision du tribunal de grande instance de Nanterre devant la cour d'appel de Versailles à la condition d'avoir postulé en première instance.

Les règles actuelles sont complexes.

L'évolution de l'écriture et de la communication électroniques, ainsi que l'acheminement vers la visioconférence, entament sérieusement l'intérêt du maintien de la territorialité de la postulation.

N'est-il pas alors temps de simplifier en généralisant la multipostulation ?


(1) Cass. crim., 15 janvier 1963, n° 62-91.437, publié au bulletin (N° Lexbase : A5011CH3) : pourvoi formé par un mari au nom de son épouse ; Cass. crim., 19 janvier 1923, Bull. crim. 1923, n° 21 : pourvoi formé au nom du prévenu par la personne civilement responsable ; Cass. crim., 27 janvier 1992, n° 91-85.731, publié au bulletin (N° Lexbase : A0257AB7) : pourvoi formé au nom de son pupille par le tuteur d'un interdit légal.
(2) Cass. crim., 25 février 1998, n° 97-80.801, publié au bulletin (N° Lexbase : A9213CI3) : Dr. pénal,1998, comm. 107, obs. Maron.
(3) Cass. crim., 12 décembre 1974 : Gaz. pal. 1975, 1, jurisp., p. 156 ; Cass. crim., 22 mai 1984, n° 83-93.494, publié au bulletin (N° Lexbase : A8152AA8).
(4) Cass. crim., 23 mai 1995, n° 94-82.502, publié au bulletin (N° Lexbase : A8815AB4).
(5) Cass. crim., 20 juin 1995, n° 93-80.821, publié au bulletin (N° Lexbase : A8336ABD) ; Cass. crim., 5 juin 1997, n° 96-83.302, publié au bulletin (N° Lexbase : A1243ACZ) ; Cass. crim., 13 mai 1996, n° 95-81.565 (N° Lexbase : A2905CKS).
(6) Cass. crim., 5 mars 1992, n° 91-83.676, inédit au bulletin (N° Lexbase : A8754CM8) : Dr. pénal., 1992, comm.111.
(7) Cass. crim., 8 janvier 2013, n° 12-85.343, publié au bulletin (N° Lexbase : A3537MIT).
(8) Cass. crim., 5 juin 2013, n° 12-86.022, F-P+B (N° Lexbase : A3109KIY).

Décision

Cass. crim., 25 février 2014, n° 13-85.386, F-P+B+I (N° Lexbase : A8150MEL)

Pourvoi irrecevable (CA Versailles, ch. corr., 9 juillet 2013)

Lien base : (N° Lexbase : E9684ETT)

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Avocats/Institutions représentatives

[Brèves] Annulation d'une délibération instaurant une assurance "perte de collaboration" pour les membres du barreau

Réf. : CA Rouen, 19 mars 2014, n° 13/04940 (N° Lexbase : A2097MH7)

Lecture: 2 min

N1567BUL

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Le 04 Avril 2014

Le choix d'imposer à tous les avocats d'un barreau de participer par leurs cotisations et les ressources de l'Ordre au financement d'une assurance non imposée par la loi est de nature à contredire le caractère indépendant et libéral de la profession, en collectivisant le risque lié à la perte de collaboration, inhérent au caractère libéral du statut d'avocat collaborateur, pour le faire supporter par l'ensemble de la profession. Au surplus, l'octroi de cet avantage aux avocats collaborateurs, alors que les autres avocats libéraux, exerçant à titre individuel ou en qualité d'avocats associés, n'en disposent pas, introduit une rupture d'égalité, non prévue par la loi, dans l'exercice de la profession. Si l'article 17- 6° de la loi de 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) permet au conseil de l'Ordre de traiter toute question intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'a la protection de leurs droits et, notamment, d'administrer et d'utiliser les ressources de l'Ordre pour assurer les secours, allocations ou avantages quelconques attribués à ses membres ou anciens membres, ces pouvoirs ne peuvent être exercés que sous réserve du respect des règles de la profession d'avocat. La délibération litigieuse, non compatible avec le caractère libéral et indépendant de la profession pour les motifs ci-dessus exposés, sera en conséquence annulée. Telle la sentence de la cour d'appel de Rouen rendue dans un arrêt du 19 mars 2014 (CA Rouen, 19 mars 2014, n° 13/04940 N° Lexbase : A2097MH7 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9310ETY). Pourtant, le conseil soutenait que la délibération était compatible avec la nature libérale de l'activité d'avocat, les valeurs libérales de la profession d'avocat ne s'attachant pas à une prise de risque ou à un esprit d'entreprise mais seulement à son mode d'exercice indépendant de son client et à la nature de sa prestation, un service intellectuel. Il contestait, également, qu'il soit ainsi porté atteinte à l'égalité entre les avocats et faisait valoir qu'il s'agissait, durant les premiers mois suivant la perte de la collaboration, de permettre à un confrère avocat, en règle générale débutant dans la profession, d'éviter d'accepter, sous pression professionnelle et financière, une collaboration aux conditions parfois peut-être abusives ou de s'installer sans les ressources nécessaires à assurer la pérennité de son exercice. Mais, pour la cour, le caractère libéral de la profession d'avocat fait référence, d'une part, à l'indépendance de l'avocat tant par rapport à l'Etat que par rapport à ses clients, personnes morales ou physiques, mais aussi, d'autre part, à sa liberté et à sa responsabilité dans l'exercice de ses fonctions, sous la seule réserve du contrôle exercé par l'Ordre. Et, les collaborateurs libéraux disposent de la même indépendance. Aucune charge non rendue obligatoire par la loi ou par la réglementation de la profession ne peut être imposée à l'avocat libéral.

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Baux commerciaux

[Brèves] Sur l'interruption de la prescription de l'action en contestation d'un congé

Réf. : Cass. civ. 3, 26 mars 2014, n° 12-24.203, FS-P+B (N° Lexbase : A2415MIB)

Lecture: 2 min

N1670BUE

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Le 05 Avril 2014

L'exception d'incompétence du tribunal d'instance soulevée par le preneur en raison de l'existence d'un bail commercial constitue une demande en justice interrompant la prescription biennale de l'action en contestation des motifs du refus de renouvellement notifiée antérieurement. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 26 mars 2014 (Cass. civ. 3, 26 mars 2014, n° 12-24.203, FS-P+B N° Lexbase : A2415MIB). En l'espèce, en mai 1992, un bailleur avait consenti un bail verbal portant sur divers locaux, dans lesquels le preneur exerçait une activité commerciale. Le bailleur lui avait délivré, le 3 juillet 2007, un congé pour infraction aux clauses du bail d'habitation meublé les liant, puis l'avait assigné en expulsion devant le tribunal d'instance. Par décision irrévocable, le tribunal d'instance avait constaté l'existence d'un bail verbal commercial entre les parties et s'était déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance. Le preneur ayant sollicité par acte du 18 décembre 2007 le renouvellement de son bail commercial à compter du 24 juin 2008, le bailleur avait refusé ce renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction par acte du 23 janvier 2008. Il a, ensuite, assigné le locataire par acte du 13 juillet 2010 pour voir constater qu'il n'avait pas contesté le refus de renouvellement dans le délai de deux ans et était donc occupant sans droit ni titre. Débouté de sa demande, le bailleur s'est pourvu en cassation. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle rappelle que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but (voir, par ex., Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 09-10.944, F-P+B N° Lexbase : A4784EQA ; Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-29.817 N° Lexbase : A7472MH9). Or, selon les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, le refus de renouvellement du 23 janvier 2008 ayant été motivé par l'absence de bail commercial liant les parties et le litige soumis au tribunal d'instance opposant les mêmes parties à propos du même bail et ayant le même objet que l'instance en cours, à savoir l'existence d'un droit pour le locataire de se maintenir dans les lieux, l'exception d'incompétence du tribunal d'instance, soulevée le preneur à l'audience du 9 juin 2009 en raison de l'existence d'un bail commercial, avait constitué une demande en justice ayant interrompu la prescription biennale de l'action en contestation des motifs du refus de renouvellement du 23 janvier 2008 (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E5378AEW).

newsid:441670

Baux d'habitation

[Textes] Bulletin de droit immobilier - Cabinet Peisse Dupichot Lagarde Bothorel & Associés - Avril 2014 - Loi "ALUR" : quels changements pour les baux d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 ?

Réf. : Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et l'urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY)

Lecture: 27 min

N1672BUH

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par James Alexandre Dupichot et Marine Parmentier

Le 03 Avril 2014

La loi pour l'accès au logement et l'urbanisme rénové (ALUR) a été promulguée le 24 mars 2014 et publiée au Journal officiel du 26 mars suivant (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014), après son passage sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel qui s'est prononcé par une décision en date du 20 mars 2014 (Cons. const., décision n° 2014-691 DC, du 20 mars 2014 N° Lexbase : A1554MHZ). Etait contestée la conformité à la Constitution de dispositions des articles 1er, 5, 6, 16, 19, 23, 24, 92 et 153 de la loi. Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la majorité des dispositions pour lesquelles il avait été saisi, en censurant, à la marge, certaines d'entre elles. Ainsi, en matière de baux d'habitation, le Conseil constitutionnel était saisi de l'article 5 qui vise notamment à accroître la protection des locataires âgés ayant de faibles revenus, en encadrant les possibilités de leur délivrer un congé. Le Conseil a censuré l'extension de la protection qui était prévue en cas de congé donné à un locataire âgé disposant de faibles ressources, lorsque ledit locataire a à sa charge une personne vivant habituellement dans le logement et ayant également de faibles ressources. Le Conseil considère que l'absence de prise en compte du cumul de ces ressources est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.

Par ailleurs, le Conseil a censuré certaines dispositions du mécanisme d'encadrement des loyers jugé, en son principe, conforme à la Constitution. Il a toutefois censuré la limitation du complément de loyer pouvant être prévu au-delà du loyer de référence majoré aux caractéristiques "exceptionnelles" de localisation ou de confort du logement. Il a en outre censuré, comme contraires au principe d'égalité, les dispositions qui permettaient de faire varier le loyer de référence majoré et le loyer de référence minoré "en fonction de la dispersion des niveaux de loyers observés". Le loyer de référence majoré ne pourra qu'être supérieur de 20 % au loyer de référence et le loyer de référence minoré inférieur de 30 %.

En outre, l'article 16 régit la location des locaux meublés d'habitation, de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile. Le Conseil a jugé ces dispositions conformes à la Constitution. Il a en revanche censuré l'article 19 de la loi qui permettait à l'assemblée générale des copropriétaires d'un immeuble de décider à la majorité des voix de tous les copropriétaires, de soumettre à son accord "toute demande d'autorisation de changement d'usage d'un local destiné à l'habitation par un copropriétaire aux fins de le louer pour de courtes durées à une clientèle de passage". Cet article 19 méconnaissait les exigences de l'article 2 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1366A9H) relatives aux conditions d'exercice du droit de propriété.

Nous vous proposons une présentation des principales mesures relatives aux baux d'habitation soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH), réservant l'analyse des impacts potentiels en matière locations meublées et de copropriété à un prochain bulletin.

1. L'application de certaines dispositions aux contrats de bail en cours

Les contrats de location en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables.

Toutefois, les articles 7, 17-1, 20-1, 21 et 23 dans leur nouvelle rédaction sont applicables aux contrats en cours dès leur entrée en vigueur, dans leur rédaction résultant de la présente loi, sont applicables. L'article 11-1 dans sa nouvelle rédaction est applicable pour les congés délivrés après l'entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014.

Concernant les contrats portant sur des locations meublées en cours, les articles 6, 7, 20-1 et 25-11 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans leur nouvelle rédaction, sont applicables dès leur entrée en vigueur.

2. Le délit de discrimination pour l'accès au logement

Le délit de discrimination pour l'accès au logement est désormais identique à celui défini à l'article 225-1 du Code pénal (N° Lexbase : L8816ITP), en vertu duquel "constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée".

Le champ d'application du délit de discrimination pour l'accès au logement est désormais plus large puisque les critères visés à l'article L. 225-1 du Code pénal sont plus nombreux que ceux antérieurement énoncés à l'article 1er de la loi du 6 juillet 1989.

3. Un nouveau critère d'application des dispositions protectrices de la loi du 6 juillet 1989 : le local d'habitation doit constituer la résidence principale du preneur

L'article 1er de la loi du 6 juillet 1989 déterminant le champ d'application du texte vise désormais les locaux à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnel qui constituent la "résidence principale" du preneur. Celle-ci est caractérisée par une occupation d'"au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l'habitation".

4. L'encadrement plus strict du contenu du contrat de bail

Le nouvel article 3 de la loi du 6 juillet 1989 ne concerne désormais que le contenu du contrat de bail, les dispositions relatives à l'état des lieux étant toutes regroupées au sein du nouvel article 3-2.

Le contrat de bail est plus strictement encadré puisqu'il est prévu qu'il doit respecter un contrat type défini par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de concertation.

En plus des clauses actuellement imposées par l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989, le contrat de bail devrait préciser :

- les équipements d'accès aux technologies de l'information et de la communication ;
- le loyer de référence et le loyer de référence majoré, correspondant à la catégorie de logement et définis par le représentant de l'Etat dans le département dans les territoires visés à l'article 17 ;
- le montant et la date de versement du dernier loyer acquitté par le précédent locataire, dès lors que ce dernier a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail ;
- la nature et le montant des travaux effectués dans le logement depuis la fin du dernier contrat de location ou depuis le dernier renouvellement du bail.

En cas d'absence dans le contrat de location d'une des informations relatives à la surface habitable, aux loyers de référence et au dernier loyer acquitté par le précédent locataire, le locataire peut, dans un délai d'un mois à compter de la prise d'effet du contrat de location, mettre en demeure le bailleur de porter ces informations au bail. A défaut de réponse du bailleur dans le délai d'un mois ou en cas de refus de ce dernier, le locataire peut saisir, dans le délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente afin d'obtenir, le cas échéant, la diminution du loyer.

Par ailleurs, si le bailleur décide de renoncer à la garantie universelle des loyers, il dit expressément y renoncer dans le bail. A défaut, il pourra en bénéficier automatiquement.

Une notice d'information relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs ainsi qu'aux voies de conciliation et de recours qui leur sont ouvertes pour régler leurs litiges devra désormais être annexée au contrat de location. Cette notice d'information précise également les droits, obligations et effets, pour les parties au contrat de location, de la mise en oeuvre de la garantie universelle des loyers.

Chaque partie peut exiger de l'autre partie, à tout moment, l'établissement d'un contrat conforme à ces nouvelles dispositions.

5. Les nouvelles sanctions applicables en cas d'écart constaté entre la surface du logement déclarée au bail et sa surface réelle

Lorsque la surface habitable de la chose louée est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans le contrat de location, le bailleur supporte, à la demande du locataire, une diminution du loyer proportionnelle à l'écart constaté.

A défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du bailleur dans un délai de deux mois à compter de la demande en diminution de loyer, le juge peut être saisi, dans le délai de quatre mois à compter de cette même demande, afin de déterminer, le cas échéant, la diminution de loyer à appliquer.

La diminution de loyer acceptée par le bailleur ou prononcée par le juge prend effet à la date de signature du bail. Si la demande en diminution du loyer par le locataire intervient plus de six mois à compter de la prise d'effet du bail, la diminution de loyer acceptée par le bailleur ou prononcée par le juge prend effet à la date de la demande.

Les spécifications relatives à l'état des lieux seraient visées dans un nouvel article 3-2. Il est plus précisément réglementé et devra être établi selon des modalités définies par décret.

6. Un état des lieux plus strictement encadré avec une possibilité de modification par le locataire dans le délai de dix jours à compter de son établissement

Un état des lieux est établi selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de concertation, dans les mêmes formes et en autant d'exemplaires que de parties lors de la remise et de la restitution des clés.

Il est établi contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles et joint au contrat de location.

Si l'état des lieux ne peut être établi amiablement, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire et à un coût fixé par décret en Conseil d'Etat. Dans ce cas, les parties en sont avisées par l'huissier au moins sept jours à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

A défaut d'état des lieux ou de la remise d'un exemplaire de l'état des lieux à l'une des parties, la présomption établie par l'article 1731 du Code civil (N° Lexbase : L1853ABA) (le locataire est présumé avoir reçu les lieux en bon état de réparations locatives) ne peut être invoquée par celle des parties qui a fait obstacle à l'établissement de l'acte ou à sa remise à l'une des parties.

Le locataire peut demander au bailleur ou à son représentant de compléter l'état des lieux dans un délai de dix jours à compter de son établissement. Si cette demande est refusée, le locataire peut saisir la commission départementale de conciliation territorialement compétente.

Pendant le premier mois de la période de chauffe, le locataire peut demander que l'état des lieux soit complété par l'état des éléments de chauffage.

Le propriétaire ou son mandataire complète les états des lieux d'entrée et de sortie par les relevés des index pour chaque énergie, en présence d'une installation de chauffage ou d'eau chaude sanitaire individuelle, ou collective avec un comptage individuel. L'extrait de l'état des lieux correspondant est mis à la disposition de la personne chargée d'établir le diagnostic de performance énergétique qui en fait la demande, sans préjudice de la mise à disposition des factures.

7. Un dossier de diagnostic technique plus complet

Un dossier de diagnostic technique, fourni par le bailleur, est annexé au contrat de location lors de sa signature ou de son renouvellement et comprend :

- le diagnostic de performance énergétique (il n'a qu'une valeur informative, ce qui empêche ainsi le locataire de s'en prévaloir à l'encontre du bailleur) ;
- le constat de risque d'exposition au plomb ;
- une copie d'un état mentionnant l'absence ou, le cas échéant, la présence de matériaux ou produits de la construction contenant de l'amiante (la liste des matériaux et des produits concernés doit être précisée par décret) ;
- un état de l'installation intérieure d'électricité et de gaz, dont l'objet est d'évaluer les risques pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes. Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'établissement de ce nouvel état ainsi que les dates d'entrée en vigueur de l'obligation en fonction des enjeux liés aux différents types de logements, dans la limite de six ans à compter de la publication de la loi ALUR ;
- dans les zones mentionnées au I de l'article L. 125-5 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8982IZP), le dossier de diagnostic technique est complété à chaque changement de locataire par l'état des risques naturels et technologiques.

8. Les nouvelles clauses interdites dans le contrat de bail

Les stipulations réputées non écrites dans le contrat de bail sont visées à l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989.

La durée des travaux réalisés par le bailleur interdisant au locataire de solliciter une indemnisation est réduite de 40 jours à 21 jours (l'article 1724 du Code civil N° Lexbase : L8981IZN est par conséquent également modifié).

En outre, sera désormais réputée non écrite la clause qui impose au locataire, en surplus du paiement du loyer pour occupation du logement, de souscrire un contrat pour la location d'équipements.

9. Les nouvelles règles de répartition des honoraires entre le bailleur et le locataire

La répartition de la rémunération des intermédiaires est modifiée. Le principe est une prise en charge par le bailleur, sauf pour les prestations suivantes qui pourront être partagées entre le bailleur et le locataire :

- la visite du preneur ;
- la constitution du son dossier ;
- la rédaction du bail ;
- l'état des lieux.

Les modalités du partage d'honoraires sont les suivantes : le montant toutes taxes comprises imputé au preneur pour ces prestations ne peut excéder celui imputé au bailleur et demeure inférieur ou égal à un plafond par mètre carré de surface habitable de la chose louée fixé par voie réglementaire et révisable chaque année, dans des conditions définies par décret.

Ces honoraires sont dus à la signature du bail, sauf en ce qui concerne l'état des lieux pour lequel les honoraires sont dus à compter de la prestation.

10. Les modifications affectant les obligations du locataire

Il est tout d'abord précisé que le paiement partiel du loyer par le locataire, complété par le versement d'une allocation de logement au bénéfice du bailleur, ne peut être considéré comme un défaut de paiement du preneur.

Par ailleurs, il est prévu de prendre en compte la vétusté de la chose louée, ce qui aura notamment un intérêt lors du départ du locataire.

En outre, le locataire doit permettre l'accès aux lieux loués pour la préparation et l'exécution de travaux d'amélioration des parties communes ou des parties privatives du même immeuble, de travaux nécessaires au maintien en état ou à l'entretien normal des locaux loués, de travaux d'amélioration de la performance énergétique à réaliser dans ces locaux et de travaux qui permettent de remplir les obligations de délivrer un logement décent. Avant le début des travaux, le locataire est informé par le bailleur de leur nature et des modalités de leur exécution par une notification de travaux qui lui est remise en main propre ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Aucuns travaux ne peuvent être réalisés les samedis, dimanches et jours fériés sans l'accord exprès du locataire. Si les travaux entrepris dans un local d'habitation occupé, ou leurs conditions de réalisation, présentent un caractère abusif ou vexatoire ou ne respectent pas les conditions définies dans la notification de préavis de travaux ou si leur exécution a pour effet de rendre l'utilisation du local impossible ou dangereuse, le juge peut prescrire, sur demande du locataire, l'interdiction ou l'interruption des travaux entrepris.

Enfin, parmi les obligations du locataire figure celle d'assurer le logement contre les risques dont il doit répondre en sa qualité de locataire. Il doit en justifier lors de la conclusion du bail, puis chaque année en cours de bail. En cas de manquement à cette obligation, le bailleur peut notamment solliciter la résiliation judiciaire du bail ou faire signifier un commandement tendant à obtenir la communication de tout justificatif utile, à défaut de quoi la clause résolutoire du bail peut être actionnée. Désormais, le bailleur peut, en outre, souscrire une assurance pour le compte du locataire. Le montant total de la prime d'assurance annuelle, éventuellement majoré dans la limite d'un montant fixé par décret en Conseil d'Etat, est récupérable par le bailleur par douzième à chaque paiement du loyer. Il est inscrit sur l'avis d'échéance et porté sur la quittance remise au locataire.

11. Les nouveaux délais de prescription applicables aux actions découlant du bail

Toutes actions dérivant d'un contrat de bail sont désormais prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit.

Toutefois, l'action en révision du loyer par le bailleur est prescrite un an après la date convenue par les parties dans le contrat de bail pour réviser ledit loyer.

12. Une meilleure protection du sous-locataire

Afin de sécuriser la situation du sous-locataire, le locataire doit désormais transmettre au sous-locataire l'autorisation écrite du bailleur et la copie du bail en cours.

13. Un statut plus sécurisant pour la colocation

Un nouvel article 8-1 est désormais consacré à la colocation.

Celle-ci est définie comme "la location d'un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale et formalisée par la conclusion d'un contrat unique ou de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur".

Le contrat de colocation doit respecter un contrat type qui sera défini par décret en Conseil d'Etat.

Le logement devra répondre aux normes de décence et la colocation ne devra pas aboutir à une situation de sur-occupation au sens des dispositions du Code de la sécurité sociale.

Le montant de la somme des loyers perçus de l'ensemble des colocataires ne peut être supérieur au montant du loyer applicable au logement en application des articles 17 ou 25-9.

Les parties au contrat de bail d'une colocation peuvent convenir de la souscription par le bailleur d'une assurance pour compte récupérable auprès des colocataires.

Les charges locatives accessoires au loyer principal d'un contrat de bail d'une colocation seraient récupérées par le bailleur au choix des parties et tel que prévu par ce contrat :

- soit dans les conditions classiques, lorsqu'il s'agit de provisions pour charges ;
- soit sous la forme d'un forfait versé simultanément au loyer, dont le montant et la périodicité de versement sont définis dans le contrat et qui ne peut donner lieu à complément ou à régularisation ultérieure.

La solidarité d'un des colocataires et celle de la personne qui s'est portée caution pour lui prennent fin à la date d'effet du congé régulièrement délivré et lorsqu'un nouveau colocataire figure au bail. A défaut, la solidarité du colocataire sortant s'éteint au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois après la date d'effet du congé.

L'acte de cautionnement des obligations d'un ou de plusieurs colocataires résultant de la conclusion d'un contrat de bail d'une colocation identifie nécessairement, sous peine de nullité, le colocataire pour lequel le congé met fin à l'engagement de la caution.

14. Les nouvelles obligations relatives aux détecteurs de fumée

La charge de l'installation d'un détecteur de fumée dans un local d'habitation donné en location pèse sur le bailleur qui doit, lors de l'entrée dans les lieux d'un nouveau locataire, s'assurer de son bon fonctionnement.

En revanche, l'entretien et le renouvellement éventuel du détecteur sont à la charge du locataire.

15. Conséquences de la dissolution d'un PACS sur le bail en cours

Aux termes du nouvel article 1751-1 du Code civil (N° Lexbase : L8792IZN), en cas de dissolution du pacte civil de solidarité, l'un des partenaires pourra saisir le juge compétent en matière de bail aux fins de se voir attribuer le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation des deux partenaires, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l'autre partenaire. Le bailleur sera appelé à l'instance. Le juge apprécie la demande en considération des intérêts sociaux et familiaux des parties.

16. Les aménagements relatifs à la délivrance du congé

En cas de congé pour reprise, le congé doit préciser au locataire la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise. Le bailleur devra en outre justifier du caractère réel et sérieux de la reprise. En cas de contestation, le juge peut, même d'office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations pesant sur le bailleur. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n'apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes.

Les nouvelles dispositions de l'article 15 encadrent dans le temps la possibilité du bailleur de délivrer un congé pour vendre : en effet, celui-ci ne sera autorisé qu'au terme du premier renouvellement du bail en cours. Le nouveau propriétaire ne pourra, dans ce contexte, délivrer un congé pour qu'au terme du bail en cours ou, si le terme du bail intervient moins de deux ans après l'acquisition, après un délai de deux ans.

Si le logement donné à bail est insalubre et que le Préfet a saisi la commission départementale idoine pour se prononcer sur la réalité de l'insalubrité et les mesures de nature à y remédier, la possibilité offerte au bailleur de donner congé est suspendue. Cette suspension est levée lorsque la commission conclut à la salubrité ou qu'un arrêté d'insalubrité est pris.

Le régime du préavis donné par le locataire est substantiellement modifié : en effet, si le principe d'un délai de trois mois demeure, les hypothèses d'application d'un délai réduit à un mois sont augmentées.

Ce délai raccourci s'appliquera :

- sur les zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d'emménagements annuels dans le parc locatif social. Un décret fixe la liste des communes comprises dans ces zones ;
- en cas d'obtention d'un premier emploi, de mutation, de perte d'emploi ou de nouvel emploi consécutif à une perte d'emploi ;
- pour le locataire dont l'état de santé, constaté par un certificat médical, justifie un changement de domicile ;
- pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active ou de l'allocation adulte handicapé ;
- pour le locataire qui s'est vu attribuer un logement défini à l'article L. 351-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1091HP4).

Le locataire souhaitant bénéficier des délais réduits de préavis précise le motif invoqué et le justifie au moment de l'envoi de la lettre de congé. A défaut, le délai de préavis applicable à ce congé est de trois mois.

Le congé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, signifié par acte d'huissier ou remis en main propre contre récépissé ou émargement. Ce délai court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l'acte d'huissier ou de la remise en main propre.

La protection des locataires âgés est accrue puisque les nouvelles dispositions de l'article 15-III interdisent au bailleur de s'opposer au renouvellement du contrat en donnant congé à l'égard de tout locataire âgé de plus de soixante-cinq ans (au lieu de 70 ans jusqu'alors) et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l'attribution des logements locatifs conventionnés (au lieu d'une fois et demie le montant du SMIC jusqu'alors).

Une sanction des bailleurs qui délivreront des congés frauduleux est instaurée : en effet, le fait pour un bailleur de délivrer un congé justifié frauduleusement par sa décision de reprendre ou de vendre le logement est puni d'une amende pénale dont le montant ne peut être supérieur à 6 000 euros pour une personne physique et à 30 000 euros pour une personne morale.

Le montant de l'amende est proportionné à la gravité des faits constatés. Le locataire est recevable dans sa constitution de partie civile et la demande de réparation de son préjudice.

Rappelons, également, que la loi prévoit une meilleure information du locataire sur la marche à suivre en cas de congé frauduleux donné par le bailleur. En effet, une notice d'informations relative aux obligations du bailleur et aux voies de recours et d'indemnisation du locataire devra être jointe au congé délivré par le bailleur en raison de sa décision de reprendre ou de vendre le logement.

17. La création d'observatoires locaux des loyers

Des observatoires locaux des loyers peuvent être créés à l'initiative des collectivités territoriales, des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et compétents en matière d'habitat, ou de l'Etat. Ces observatoires auront, notamment, pour mission de recueillir les données relatives aux loyers sur une zone géographique déterminée et de mettre à la disposition du public des résultats statistiques représentatifs sur ces données.

18. L'encadrement des loyers

Les zones d'urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d'emménagements annuels dans le parc locatif social, sont dotées d'un observatoire local des loyers prévu à l'article 16 de la présente loi (cf. supra). Un décret fixe la liste des communes comprises dans ces zones.

Dans ces zones, le représentant de l'Etat dans le département va fixer chaque année, par arrêté, un loyer médian de référence, un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logement et par secteur géographique.

Les montants de ces loyers de référence seront déterminés en fonction de la structuration du marché locatif constatés par l'observatoire local des loyers. Chaque loyer de référence est égal au loyer médian calculé à partir des niveaux de loyers constatés par l'observatoire local des loyers selon les catégories de logement et les secteurs géographiques.

Le loyer de référence majoré est égal à un montant supérieur de 20 % au loyer de référence.

Le loyer de référence minoré est égal au loyer de référence diminué de 30 %.

Dans ces mêmes zones dites "tendues", le loyer de base des logements mis en location est fixé librement entre les parties lors de la conclusion du contrat de bail, dans la limite du loyer de référence majoré. Une action en diminution de loyer peut être engagée si le loyer de base prévu dans le contrat de bail est supérieur au loyer de référence majoré en vigueur à la date de signature dudit contrat. Un complément de loyer peut être appliqué au loyer de base pour des logements présentant des caractéristiques de localisation ou de confort par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique. Le locataire qui souhaite contester le complément de loyer dispose d'un délai de trois mois à compter de la signature du bail pour saisir la commission départementale de conciliation. En l'absence de conciliation, le locataire dispose d'un délai de trois mois à compter de la réception de l'avis de la commission départementale de conciliation pour saisir le juge d'une demande en annulation ou en diminution du complément de loyer. La fin de non-recevoir tirée de l'absence de saisine préalable de la commission départementale de conciliation peut être soulevée d'office par le juge.

En dehors des zones dites "tendues", la fixation du loyer des logements mis en location est libre.

Le Gouvernement tente de créer un dispositif pour réguler le cours du marché locatif et favoriser ainsi l'accès de tous au logement. Néanmoins, si le principe de création d'un loyer médian est contesté en tant que tel par grand nombre des praticiens, que penser de l'absence de définition en l'état des modalités de fixation de ces loyers médians, dont les caractéristiques seront déterminées par décret ?

19. Les conditions de la révision du loyer en cours de bail

La révision du loyer ne peut excéder la variation de l'indice de référence des loyers (IRL). Cependant, cette variation ne jouera désormais qu'à la hausse et non à la baisse.

La faculté de révision du loyer n'a plus besoin d'être prévue dans le bail (même s'il est toujours préférable de la mentionner pour éviter toute discussion) : en effet, le bailleur pourra l'appliquer sans qu'il soit nécessaire de prévoir une clause spécifique.

En contrepartie, la faculté du bailleur de réviser le loyer est plus strictement encadrée dans le temps : la demande de révision doit être formée dans le délai d'un an suivant sa date de prise d'effet. A défaut, le bailleur est réputé y avoir renoncé pour l'année écoulée. S'il manifeste sa volonté dans le délai d'un an, la révision ne s'applique qu'à compter de sa demande.

Cela réduit drastiquement les délais actuels puisqu'il est aujourd'hui possible au bailleur de faire application rétroactive sur les cinq dernières années de la révision du montant du loyer...

20. La remise des clefs et la restitution du dépôt de garantie

La restitution des clefs par le locataire en fin de bail doit résulter d'une remise en main propre ou d'une lettre recommandée AR. Le locataire doit indiquer au bailleur sa nouvelle adresse.

Le délai de restitution du dépôt de garantie est désormais d' un mois à compter de la remise des clefs dans l'hypothèse où l'état des lieux de sortie est conforme à l'état des lieux d'entrée, déduction faite, le cas échéant, des sommes restant dues au bailleur et des sommes dont celui-ci pourrait être tenu, en lieu et place du locataire, sous réserve qu'elles soient dûment justifiées.

Lorsque les locaux loués se situent dans un immeuble collectif, le bailleur procède à un arrêté des comptes provisoire et peut, lorsqu'elle est dûment justifiée, conserver une provision ne pouvant excéder 20 % du montant du dépôt de garantie jusqu'à l'arrêté annuel des comptes de l'immeuble. La régularisation définitive et la restitution du solde, déduction faite, le cas échéant, des sommes restant dues au bailleur et des sommes dont celui-ci pourrait être tenu en lieu et place du locataire, sont effectuées dans le mois qui suit l'approbation définitive des comptes de l'immeuble. Toutefois, les parties peuvent amiablement convenir de solder immédiatement l'ensemble des comptes.

A défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard. Cette majoration n'est pas due lorsque l'origine du défaut de restitution dans les délais résulte de l'absence de transmission par le locataire de l'adresse de son nouveau domicile.

21. La sanction de la demande au candidat à la location de pièces justificatives non autorisées

Désormais ne sont plus listées les pièces qui ne peuvent être demandées à un candidat à la location, mais un décret précisera la liste des pièces qui peuvent être demandées.

Le bailleur indélicat, qui sollicitera des pièces non autorisées, encourt une amende administrative dont le montant ne pourra être supérieur à 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. Le montant de l'amende est proportionné à la gravité des faits constatés.

L'amende ne peut être prononcée plus d'un an à compter de la constatation des faits.

22. La création de la garantie universelle des loyers (GUL)

L'une des mesures phares de la loi "ALUR", mais également l'une des plus critiquées par les professionnels de l'immobilier, est la création d'une garantie universelle des loyers, dispositif ayant pour objet de couvrir, sous la forme d'un système d'aides, les bailleurs contre les risques d'impayés de loyer, afin de favoriser l'accès au logement et de prévenir les risques d'expulsion.

Les impayés de loyer s'entendent des loyers, des charges récupérables et de la contribution pour le partage des économies de charges prévue à l'article 23-1 demeurés impayés.

Nombreux sont ceux qui critiquent une telle mesure notamment parce qu'elle risque de créer un effet pervers, à savoir d'inciter les locataires à ne plus fournir tous les efforts possibles pour payer leur loyer.

La garantie universelle des loyers s'applique aux contrats de location des catégories de logements suivantes :

- les logements constituant la résidence principale du preneur ;
- les logements meublés constituant la résidence principale du preneur ;
- les logements constituant la résidence principale de l'occupant qui sont loués ou gérés par un organisme de maîtrise d'ouvrage d'insertion ou un organisme qui exerce les activités d'intermédiation locative ou de gestion locative sociale ;
- la garantie universelle des loyers s'applique également aux contrats de sous-location.

Pour bénéficier de la garantie, le bailleur doit satisfaire aux conditions suivantes :

- ne pas avoir demandé le cautionnement mentionné à l'article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 ;
- ne pas avoir souscrit d'assurance pour les risques couverts par la garantie universelle des loyers ;
- délivrer un logement satisfaisant aux caractéristiques de décence prévues à l'article 6 ;
- ne pas louer le logement à l'un de ses ascendants ou descendants, ou à ceux de leur conjoint ou concubin ou de toute personne liée à eux par un pacte civil de solidarité ;
- avoir déclaré son contrat de location auprès de l'agence de la garantie universelle des loyers ;
- avoir établi un contrat de location écrit, respectant le contrat type et ne mentionnant pas le renoncement au bénéfice de la garantie universelle des loyers ;
- lorsque le locataire bénéficie de l'aide personnelle au logement, avoir demandé son versement entre ses mains.

Le bénéfice de la garantie est refusé lorsque le bailleur a fait l'objet d'une interdiction de bénéficier de la garantie, soit parce qu'il a sollicité ou obtenu un versement par fraude d'aides au titre de la garantie, soit lorsque, depuis moins de dix ans, il a été mis en demeure de faire cesser la mise à disposition aux fins d'habitation de locaux impropres à l'habitation ou a proposé à la location un logement ayant fait l'objet d'un arrêté de péril ou d'un arrêté, sauf lorsque l'autorité responsable a prononcé la mainlevée de l'arrêté.

Le montant de l'aide versée au titre de la garantie est ainsi calculé :

- le montant est déterminé par référence au montant des impayés de loyer ;
- l'aide est versée dans la limite d'un plafond modulé en fonction de la localisation du logement, de sa catégorie et de sa surface.

Le plafond est majoré lorsque le locataire est, à la date de conclusion du contrat de location, étudiant, apprenti, salarié titulaire d'un contrat autre qu'un contrat à durée indéterminée ou demandeur d'emploi.

En outre, ce plafond est complété :

- d'un montant représentatif des charges récupérables déterminé en fonction de la localisation du logement, de sa catégorie et de sa surface ;
- de la contribution pour le partage des économies de charges, si elle s'applique au contrat de location.

Le montant de l'aide est réduit ou l'aide est supprimée dans les cas suivants :

- le bailleur déclare tardivement les impayés de loyer ;
- le bailleur fait preuve de négligence dans l'exercice de ses droits ;
- le loyer représente plus de la moitié des ressources du locataire à la date de conclusion du contrat de location (sauf notamment si le locataire est étudiant ou apprenti).

Lorsque le logement est à usage mixte professionnel et d'habitation, l'aide peut être réduite.

Les aides versées au titre de la garantie ouvrent droit à un recours subrogatoire contre le locataire et, le cas échéant, contre la personne qui s'est portée caution.

Les actions contentieuses introduites par le bailleur en raison du non-paiement du loyer, des charges récupérables ou de la contribution pour le partage des économies de charges ne peuvent être rejetées du seul fait que le bailleur a perçu une aide au titre de la garantie.

Le texte institue une agence de la garantie universelle des loyers, chargée de mettre en place et d'administrer la garantie et de contrôler sa mise en oeuvre. A ce titre, elle peut financer des actions d'accompagnement social des locataires en situation d'impayés de loyer.

L'agence peut prononcer des sanctions à l'encontre des bailleurs ayant sollicité ou obtenu un versement par fraude d'aides au titre de la garantie et à l'encontre des locataires en cas de fausse déclaration.

Ces sanctions sont les suivantes :

- une sanction pécuniaire, qui ne peut excéder, pour les bailleurs, un montant équivalant à deux ans de loyer et, pour les locataires, deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale. Ces sanctions sont recouvrées par l'Etat au profit de l'agence comme en matière de créances étrangères à l'impôt ;
- l'interdiction de bénéficier de la garantie universelle des loyers pendant une durée maximale de dix ans pour les bailleurs, de deux ans pour les locataires.

23. L'amélioration de la prévention des expulsions

La trêve hivernale est prolongée puisqu'elle démarre le 1er novembre pour se finir le 31 mars (au lieu du 15 mars auparavant).

Le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu'il habite sans avoir obtenu le concours de l'Etat dans les conditions prévues à l'article L. 153-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5830IRD), à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

A compter du 1er janvier 2015, les bailleurs personnes morales, autres qu'une société civile constituée exclusivement entre parents et alliés jusqu'au quatrième degré inclus, ne peuvent faire délivrer, sous peine d'irrecevabilité de la demande, une assignation aux fins de constat de résiliation du bail avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant la saisine de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives. Cette saisine est réputée constituée lorsque persiste une situation d'impayés, préalablement signalée dans les conditions réglementaires aux organismes payeurs des aides au logement en vue d'assurer le maintien du versement des aides sociales. Cette saisine peut s'effectuer par voie électronique, selon des modalités fixées par décret.

***

Telles sont les principales évolutions affectant les baux d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 découlant de loi "ALUR". Nous reviendrons dans le cadre de notre prochain bulletin sur les évolutions en vue en matière de locations meublées et de copropriété.

newsid:441672

Entreprises en difficulté

[Brèves] Censure d'une importante partie du dispositif de la loi "Florange"

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-692 DC, du 27 mars 2014 (N° Lexbase : A9857MHK)

Lecture: 2 min

N1561BUD

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Le 03 Avril 2014

Le 27 mars 2014, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi visant à reconquérir l'économie réelle (loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 N° Lexbase : L9440IZN) relatives au refus de cession d'un établissement en cas d'offre de reprise et à la sanction de ce refus, les jugeant jugé contraires à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété (Cons. const., décision n° 2014-692 DC, du 27 mars 2014 N° Lexbase : A9857MHK). Il a également censuré les dispositions prévoyant une pénalité en cas de non-respect de l'obligation de recherche d'un repreneur. L'article 1er de la loi complète, notamment le Code de commerce pour prévoir une pénalité prononcée par le tribunal de commerce en cas de refus de cession d'un établissement ainsi qu'une pénalité en cas de manquement à l'obligation d'information. D'une part, le Conseil a relevé cet article permet un refus de cession de l'établissement en cas d'offre de reprise sérieuse seulement lorsque ce refus est motivé par la "mise en péril de la poursuite de l'ensemble et l'activité de l'entreprise cessionnaire". Il a jugé que ceci prive l'entreprise de sa capacité d'anticiper des difficultés économiques et de procéder à des arbitrages économiques. Par ailleurs, l'article 1er de la loi confie au tribunal de commerce le soin d'apprécier si une offre de reprise est sérieuse, ce qui conduit le juge à substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise pour des choix économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise. En conséquence, le Conseil constitutionnel a jugé que l'obligation d'accepter une offre de reprise sérieuse en l'absence de motif légitime de refus et la compétence confiée au tribunal de commerce pour apprécier cette obligation et sanctionner son non-respect font peser sur les choix économiques de l'entreprise, notamment d'aliénation de ses biens, et sur sa gestion des contraintes qui portent une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre. D'autre part, le Conseil a relevé que la pénalité prévue à l'article L. 773-1 du code de commerce sanctionne, du fait de cette censure, le seul non-respect de l'obligation de recherche d'un employeur. Cette pénalité peut atteindre vingt fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé. Une telle sanction est hors de proportion avec la gravité des manquements réprimés. Le Conseil constitutionnel a par ailleurs jugé conformes à la Constitution les dispositions contestées de l'article 8 (information du comité d'entreprise en cas d'offre publique d'acquisition) et l'article 9 (modalités de distribution d'actions gratuites). Il a également jugé conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1er qui modifient le Code du travail et qui mettent à la charge de l'employeur les obligations d'information mises à la charge de l'employeur dans le cadre de l'obligation de recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement.

newsid:441561

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Rattachement d'un enfant majeur au foyer fiscal : le décès de l'un des parents entraîne la fin du foyer fiscal et donc du rattachement

Réf. : CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2014, n° 351408, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2263MIN)

Lecture: 1 min

N1575BUU

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Le 03 Avril 2014

Aux termes d'une décision rendue le 28 mars 2014, le Conseil d'Etat retient que le décès d'un des deux parents d'une jeune fille majeure rattachée à leur foyer fiscal entraîne création d'un nouveau foyer fiscal, constitué du parent survivant, et auquel l'enfant n'est pas rattaché de facto (CE 10° et 9° s-s-r., 28 mars 2014, n° 351408, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2263MIN). En l'espèce, la fille d'un couple de contribuables, majeure de moins de 25 ans poursuivant ses études, a demandé le rattachement au foyer fiscal de ses parents. A la suite du décès du père, l'administration fiscale a refusé de prendre en compte ce rattachement au titre de la période de l'année suivant cet événement, et a taxé la mère comme seule membre du foyer fiscal. La Haute juridiction rappelle qu'une personne majeure entrant dans le champ d'application du 3 de l'article 6 du CGI (N° Lexbase : L1177ITR) peut opter, dans le délai de déclaration, pour l'année entière et pour l'ensemble de ses revenus, entre une imposition de ses revenus dans les conditions de droit commun et le rattachement, avec l'accord du contribuable, au foyer fiscal de ses parents ou de l'un de ses parents, selon le cas et en suivant les règles fixées par ces dispositions. Dans le cas du rattachement, l'article 196 B du même code (N° Lexbase : L0510IPL) institue des avantages valant pour une année entière. Dès lors, le rattachement d'une personne majeure à des foyers fiscaux différents au titre d'une même année n'est pas permis, même si le foyer fiscal auquel cette personne majeure était rattachée a disparu au cours de l'année d'imposition du fait du décès de l'un des conjoints du foyer fiscal. Le décès du père a créé un nouveau foyer fiscal, constitué par la mère. La fille ne peut pas être rattachée à ce foyer du seul fait qu'elle était rattachée au foyer existant avant le décès .

newsid:441575

Fonction publique

[Chronique] Chronique de droit de la fonction publique - Avril 2014

Lecture: 13 min

N1569BUN

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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour

Le 03 Avril 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de la fonction publique de Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour. Durant la deuxième quinzaine du mois de janvier 2014, le Conseil d'Etat a rendu trois arrêts importants concernant la fonction publique. Dans une première affaire (CE 4° et 5° s-s-r., 29 janvier 2014, n° 356196, mentionné aux tables du recueil Lebon), il a examiné le cadre juridique applicable au versement de l'indemnité de licenciement des fonctionnaires hospitaliers licenciés pour insuffisance professionnelle et a posé pour principe qu'en l'absence de dispositions prévoyant un partage de la charge de l'indemnité de licenciement pour insuffisance professionnelle d'un fonctionnaire hospitalier, celle-ci doit être assumée par le seul établissement qui a prononcé le licenciement . Par un arrêt du 31 janvier 2014 (CE 2° et 7° s-s-r., 31 janvier 2014, n° 369718, mentionné aux tables du recueil Lebon), il s'est prononcé sur les conséquences contentieuses du non-respect du droit à la communication du dossier du fonctionnaire à l'occasion d'une décision prise en considération de la personne et a jugé que le retrait de l'emploi d'inspecteur d'académie ne peut être décidé sans que l'agent concerné ait été mis à même de consulter son dossier administratif, sous peine de le priver d'une garantie dont l'absence entache d'illégalité la décision. Enfin, le 17 janvier 2014 (CE, S., 17 janvier 2014, n° 352710, publié au recueil Lebon), la Section du contentieux a posé le principe d'une présomption dans la qualification des accidents de trajet et envisagé les limites de cette présomption en cas de retour anticipé de l'agent à son domicile : est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s'accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l'effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l'accident du service.
  • L'indemnisation du fonctionnaire hospitalier licencié pour insuffisance professionnelle (CE 4° et 5° s-s-r., 29 janvier 2014, n° 356196, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB= A4100MD9] ; cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E1375EQY)

Les fonctionnaires titulaires ne disposent pas d'une garantie de l'emploi totale et absolue. Le statut général envisage diverses situations dans lesquelles l'administration pourra prononcer la radiation des cadres. Selon l'article 24 du titre I du statut général (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3), la cessation définitive de fonctions qui entraîne radiation des cadres et perte de la qualité de fonctionnaire résulte, notamment, du licenciement des fonctionnaires. Le licenciement -qui se distingue de la révocation prononcée à titre disciplinaire- pourra être la conséquence de causes limitativement énumérées pour chacune des branches de la fonction publique, parmi lesquelles on trouve l'insuffisance professionnelle. Ce type de licenciement repose sur une justification bien particulière. En effet, à l'exclusion de toute faute disciplinaire, l'administration peut se séparer d'un agent qui "ne répond pas aux attentes légitimes de son employeur compte tenu de son grade et de son emploi. Il n'accomplit pas de manière satisfaisante les missions qui lui sont confiées, notamment par comparaison avec les fonctions que doit normalement remplir un agent de son grade ou pourvu de ses titres" (1). En bref, il s'agit d'une mesure fondée sur l'intérêt général, celui-ci exigeant que les personnes travaillant à son service exercent leurs fonctions pour la plus grande satisfaction de la collectivité. Dans une décision du 11 mars 2011, "Chambre des métiers et de l'artisanat de Maine et Loire" (2), le Conseil d'Etat a rappelé que la possibilité de prononcer le licenciement pour insuffisance professionnelle d'un agent titulaire ou contractuel est possible même sans texte, à condition de respecter une procédure contradictoire.

Dans l'affaire jugée le 29 janvier 2014, le Conseil d'Etat été conduit à trancher une difficulté liée à la liquidation de l'indemnité due à un fonctionnaire hospitalier à la suite de son licenciement pour insuffisance professionnelle. Cette difficulté était double. L'établissement ayant procédé au licenciement reprochait à l'arrêt de la cour administrative d'appel d'avoir sensiblement augmenté le montant de l'indemnité (passant de 3 3387 à 25 407 euros), au motif que celle-ci doit être calculée sur la base de l'ensemble de la carrière de l'agent et non au prorata temporis des années passées dans l'établissement qui a prononcé le licenciement. Cependant, avant de trancher la question du mode de calcul de l'indemnité de licenciement, l'arrêt a dû régler celle du cadre juridique applicable.

Dans la fonction publique hospitalière, l'article 88 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière (N° Lexbase : L8100AG4) (titre III du statut général des fonctionnaires) précise que le fonctionnaire licencié pour insuffisance professionnelle peut recevoir une indemnité dont le montant est fixé par décret. Or, le décret prévu par ce texte n'est jamais paru. L'article 130 du titre III du statut général prévoit que les dispositions réglementaires prises en application du livre IX du Code de la santé publique en vigueur à la date de publication de son entrée en vigueur demeurent applicables jusqu'à l'intervention des statuts particuliers. Le décret d'application de l'article 88 ne constituant toutefois pas, à proprement parler, un statut particulier, la mise en oeuvre de l'article 130 précité n'apparaissait pas comme une évidence. Le Conseil d'Etat va, néanmoins, considérer que l'article 88 du titre III du statut général vient reprendre les dispositions de l'article L. 888 du Code de la santé publique, aujourd'hui abrogé. Par suite, les conditions d'application des dispositions dont la loi de 1986 reprend les termes sont toujours en vigueur, dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec le nouveau cadre législatif. Ces dispositions sont issues de l'arrêté du 19 décembre 1983, relatif à l'indemnisation des agents des établissements d'hospitalisation publics et de certains établissements à caractère social licenciés pour insuffisance professionnelle (N° Lexbase : L8711IZN). Un tel raisonnement avait déjà été tenu par le tribunal administratif de Lyon, dans un jugement du 18 juin 1998 (3).

La question des textes applicables étant tranchée, l'arrêt du 29 janvier 2014 se prononce sur les modalités de liquidation de l'indemnité de licenciement. A cet égard, le Conseil d'Etat indique, en premier lieu, que les agents bénéficient d'un véritable droit à percevoir les indemnités, dès lors qu'ils remplissent les conditions fixées par l'arrêté de 1983. Ce point n'allait pas nécessairement de soi, puisque l'article 1er de l'arrêté du 19 décembre 1983 dispose que "les agents titulaires des établissements mentionnés à l'article L. 792 du Code de la santé publique [aujourd'hui abrogé] qui, ne satisfaisant pas aux conditions requises pour être admis à la retraite avec jouissance immédiate d'une pension, sont licenciés par application des dispositions de l'article L. 888 du même code, peuvent percevoir, dans la limite des versements prévus aux troisième et quatrième alinéas du présent article, une indemnité [...]". Cette solution permet d'unifier le régime applicable dans les trois fonctions, dès lors que les textes en vigueur dans la fonction publique territoriale et la fonction publique d'Etat instaurent un droit à indemnité (4).

En second lieu, l'arrêt confirme la solution retenue en appel, suivant laquelle en l'absence de dispositions prévoyant un partage de la charge de l'indemnité de licenciement pour insuffisance professionnelle, celle-ci doit être assumée par le seul établissement qui a prononcé le licenciement. Ainsi, il incombait à l'EHPAD ayant prononcé le licenciement de prendre intégralement à sa charge l'indemnité due à l'agent, sans distinguer entre la part liée aux années de service effectuées par celui-ci au sein de cet établissement et celle qui est liée aux services effectués antérieurement au sein d'autres établissements. Cette précision est importante puisque l'article 1er de l'arrêté précité prévoit que l'indemnité est égale aux trois quarts des émoluments afférents au dernier mois d'activité multipliés par le nombre d'années de services validées pour la retraite, sans que le nombre des années retenues pour ce calcul puisse être supérieur à quinze.

  • Le droit du fonctionnaire à consulter son dossier constitue une garantie substantielle (CE 2° et 7° s-s-r., 31 janvier 2014, n° 369718, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4117MDT ; cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E4764EUY)

Dans un important arrêt "Danthony", rendu le 23 décembre 2011 (5), le Conseil d'Etat est venu neutraliser, pour partie, l'invocation de certains motifs d'illégalité externe formulés à l'encontre des actes administratifs. Selon cet arrêt, "si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie". Le droit de la fonction publique se prête particulièrement bien à la mise en oeuvre de cette évolution essentielle des règles du contentieux administratif, le Statut général des fonctionnaires instaurant de nombreuses formalités consultatives ou informatives.

L'affaire jugée le 31 janvier 2014 est relative à la situation d'une inspectrice d'académie dont le détachement dans un emploi de directrice académique des services de l'éducation nationale d'un département a cessé, pour un motif tiré de l'intérêt du service. L'agent ayant été informée de son droit à prendre connaissance de son dossier, elle a demandé à exercer ce droit. Le ministre de l'Education nationale a toutefois pris sa décision de retrait de fonction, sans avoir permis à l'agent de consulter ledit dossier.

Le Conseil d'Etat prononce l'annulation de la décision dès lors que le fonctionnaire n'a pas pu bénéficier d'une garantie procédurale lors du processus d'édiction de la mesure. Pour ce faire, l'arrêt relève que le droit à communication du dossier résulte des dispositions de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, selon lesquelles un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier. Cette disposition présente une importance considérable dans la gestion des agents publics. Elle constitue une des modalités du respect des droits de la défense et tend à lutter contre la tentation de l'arbitraire (6).

Il n'est pas illogique que le Conseil d'Etat y ait vu une véritable "garantie", au sens de la jurisprudence "Danthony". En effet, de longue date, la jurisprudence administrative veille scrupuleusement à la mise en oeuvre du droit à la communication du dossier (7). La neutralisation de certains moyens tirés de l'illégalité de la procédure ayant conduit à une décision administrative ne remet pas en cause la force du principe issu de la loi de 1905, bien au contraire. Confirmant l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat a, dans un arrêt du 26 février 2014 (8), estimé que le retrait des fonctions de recteur d'académie doit être précédé, sous peine d'illégalité, de la mise en oeuvre du droit à communication du dossier par l'agent concerné. Cette garantie s'impose, alors même "qu'en raison de la nature de l'emploi de recteur de l'académie de Lyon qu'occupait [M. X], l'autorité compétente pouvait à tout moment décider de mettre fin à ses fonctions, une telle décision, même si elle est dépourvue de caractère disciplinaire et dès lors qu'elle n'est pas la conséquence d'une nouvelle réglementation applicable à cet emploi [...]".

Ainsi, par touches successives, la jurisprudence définit les contours des garanties procédurales dont la privation est de nature à entacher la légalité des décisions concernant les fonctionnaires ou agents publics. A ce titre, ont été considérés comme des garanties :

- la communication du rapport de l'autorité disciplinaire territoriale saisissant le conseil de discipline (9) ;
- l'obligation de convoquer régulièrement, en nombre égal, les représentants de l'administration et les représentants du personnel, membres d'une commission administrative paritaire (10) ;
- l'établissement de rapports individuels par chacun des deux rapporteurs, reflétant les opinions respectives de leurs auteurs, lors de l'examen des candidatures en vue du recrutement des enseignants-chercheurs (11) ;
- l'entretien préalable à la fin de détachement d'un agent sur un emploi fonctionnel, prévu pour lui permettre de présenter ses observations à l'autorité territoriale (12).

A l'inverse, n'appartiennent pas à la catégorie des garanties :

- l'entretien par lequel une collectivité territoriale informe un contractuel de son intention de ne pas renouveler son engagement (13) ;
- la lecture du rapport disciplinaire établi par l'autorité disciplinaire, lors de la séance du conseil de discipline (14) ;
- la présence, lors d'une réunion de la commission administrative paritaire, de la directrice-adjointe des ressources humaines d'un centre hospitalier, chargée d'assurer le secrétariat de la commission (15) ;
- l'obligation pour une commission de réforme, saisie à la suite de l'annulation d'une révocation pour inaptitude physique, de procéder à un complément d'instruction, dès lors que l'état de santé de l'agent n'a pas connu d'évolution (16).

Conformément à la jurisprudence "Danthony", le non-respect de ces formalités pourra, toutefois, conduire à l'annulation de la procédure si leur absence a exercé une influence sur le sens de la décision prise.

  • Accident de trajet et départ anticipé du service : la circonstance que l'agent soit parti en avance par rapport à ses horaires de travail ne rompt pas, par elle-même, le lien avec le service (CE, S., 17 janvier 2014, n° 352710, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8078KTD ; cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E9652EP8)

La notion d'accident de service est de celles qui ont donné lieu à d'importants apports jurisprudentiels, faute de cadre textuel précis. Afin de pouvoir bénéficier de la protection particulière offerte à ce type de situations, deux conditions doivent se trouver remplies. D'une part, il convient que l'agent soit victime d'un accident, c'est-à-dire que son état soit la conséquence de l'action soudaine et violente d'un événement extérieur. D'autre part, il est nécessaire que cet accident soit lié au service. Le statut général ne donne que peu d'éléments sur le lien des accidents avec le service. L'article 34 du titre I du statut général (loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat N° Lexbase : L7077AG9) évoque un "accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions", permettant au fonctionnaire de conserver l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. De leur côté, les articles L. 27 (N° Lexbase : L2642IZU) et L. 28 (N° Lexbase : L2643IZW) du Code des pensions civiles et militaires de retraite concernent les invalidités résultant de l'exercice des fonctions. Dans un souci de protection accrue du fonctionnaire, les accidents dits "de trajet" sont assimilés aux accidents de service. Au gré des affaires qu'il a eu à juger, le Conseil d'Etat a indiqué que l'accident de trajet est celui qui est survenu alors que l'agent se rendait de son lieu de résidence (ou de prise de repas) à son lieu de travail (ou inversement). Le parcours doit, en principe, être celui qui relie directement ces deux points. Toutefois, la jurisprudence admet que l'agent s'en détourne ou l'interrompe pour des motifs tenant aux "nécessités essentielles de la vie courante" (17). Dans l'arrêt "Oculi", rendu par le Section du contentieux le 29 janvier 2010 (18), le Conseil d'Etat considère, plus largement, que doit être rattaché au service l'accident de trajet survenu lors d'un détour qui ne traduit aucune intention de la part de l'agent de ne pas rejoindre directement son domicile dans un délai habituel.

La question de la période de temps durant laquelle l'accident de trajet est intervenu pose des difficultés particulières. L'arrêt "Oculi" évoque la notion de "délai habituel". Celle-ci permet d'exclure du champ des accidents de service les détours qui, par leur ampleur, modifieraient sensiblement le temps normal de trajet de l'agent. La question de l'heure à laquelle l'accident est survenu apparaît différente. Elle se posait avec acuité dans l'affaire jugée le 17 janvier 2014, un fonctionnaire de police ayant été victime d'un accident de la circulation après avoir quitté son service à 22 heures, soit trois quarts d'heure avant l'horaire normal. La solution du litige impliquait donc de qualifier l'accident. Si ce dernier constituait un accident de service, l'agent pouvait obtenir une rente viagère d'invalidité (19).

La réponse apportée par le Conseil d'Etat intervient en deux temps. En premier lieu, il indique, dans un considérant de principe, "qu'est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s'accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l'effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l'accident du service ; que la circonstance que l'agent soit parti en avance par rapport à ses horaires de travail ne rompt pas, par elle-même, le lien avec le service".

Ainsi, l'arrêt commenté crée une véritable présomption d'imputabilité au service, dès lors que les deux critères du "trajet habituel" et de la "durée normale" sont réunis. Ce faisant, le Conseil d'Etat étend à l'ensemble de la fonction publique une solution déjà admise pour les militaires (20) et appelée de ses voeux par divers auteurs (21). De plus, il permet une unification avec les règles applicables dans le secteur privé, dans lequel une présomption simple d'assimilation de l'accident de trajet à l'accident de travail est posée par l'article L. 411-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5212ADE) (22). Les possibilités de renverser la présomption sont assez largement envisagées. L'arrêt évoque un fait personnel ou "toute autre circonstance". Ces éléments doivent être de nature à rompre le lien qui doit nécessairement unir l'accident survenu durant le trajet et le service que l'agent a quitté ou qu'il doit rejoindre. Ils ne présentent, toutefois, pas le caractère d'une faute, dès lors qu'ils ne jouent pas le rôle de cause d'exonération dans la responsabilité du dommage subi.

S'agissant de l'horaire durant lequel l'accident de trajet a eu lieu, le Conseil d'Etat fait preuve d'une certaine souplesse. Il indique, de manière générale, que le fait d'avoir quitté le service en avance n'a pas pour conséquence d'exclure ipso facto la qualification d'accident de trajet. Tout sera, cependant, question de mesure. En effet, le considérant n° 5 de l'arrêt précise qu'"en cas d'écart sensible avec ses horaires, et sauf dans le cas où ce départ a été autorisé, il appartient à l'administration, puis le cas échéant au juge, de rechercher, au vu des raisons et circonstances du départ, si l'accident présente un lien direct avec le service". En l'espèce, le Conseil d'Etat estime qu'un départ anticipé (et non autorisé) de 45 minutes exclut que le fonctionnaire bénéficie de la présomption de lien avec le service. Par suite, il appartenait donc à l'agent de rapporter la preuve de l'existence de ce lien. Cette preuve résulte, selon l'arrêt, de ce que l'agent a transmis les consignes à son successeur mais, également, de que le son départ anticipé ne traduisait aucune intention de sa part de ne pas rejoindre son domicile dans un délai normal et par son itinéraire habituel. On relèvera aussi avec intérêt que l'arrêt juge inopérant le fait que le fonctionnaire ait été sanctionné d'un blâme pour son départ anticipé du service ce jour-là.

Si l'arrêt commenté examine la question du départ anticipé du service, il ne règle pas explicitement la question des accidents survenus alors que l'agent a quitté son lieu de travail bien au-delà de ses horaires de travail ou a quitté son domicile, en vue de se rendre sur son lieu de travail très en avance. Par le passé, le Conseil d'Etat a considéré que le fait qu'un agent ait quitté son domicile pour se rendre à son travail avec une "avance sensible sur l'heure" à laquelle il devait reprendre son service ne suffit pas à retirer à l'accident le caractère d'un accident de trajet (23). Il incombera à la jurisprudence administrative de dire si, désormais, ce type d'écart temporel est de nature à faire disparaître la présomption d'imputabilité au service. A titre de comparaison, on relèvera que les juridictions judiciaires sont favorables à la qualification d'accident de trajet lorsque la présence du salarié dans l'entreprise après ses horaires de travail n'est pas dictée par un motif purement personnel et indépendant de l'emploi (24). En revanche, un départ anticipé du domicile du salarié -non justifié par l'intérêt de l'entreprise- ne permet pas de bénéficier de la présomption (25).


(1) F. Mallol, Bilan de la jurisprudence sur le licenciement pour insuffisance professionnelle, AJFP, 1996, p. 43.
(2) CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2011, n° 328111, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1882G9L).
(3) TA Lyon, 18 juin 1998, n° 9605103.
(4) Décret n° 85-186 du 7 février 1985, relatif à l'indemnité de licenciement pour insuffisance professionnelle due aux fonctionnaires des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1013G8Z) ; décret n° 85-986 du 16 septembre 1985, relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions (N° Lexbase : L1022G8D).
(5) CE, S., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9048H8M), AJDA, 2012, p. 7.
(6) On rappellera que la loi de 1905 trouve son origine dans l'affaire dite "des fiches" ou "des casseroles", lorsque les opinions politiques et religieuses des militaires étaient consignées par le Gouvernement.
(7) CE, 22 mai 1946, Meillon, JCP, 1947, II, 3403 ; CE, 16 février 1983, n° 24795 (N° Lexbase : A0461AMZ), Rec. p. 10 ; CE 2° et 7° s-s-r., 29 décembre 2004, n° 254100, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2260DGS), AJDA, 2005, p. 510.
(8) CE 3° et 8° s-s-r., 26 février 2014, n° 364153, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1019MGT).
(9) CAA Bordeaux, 4 novembre 2013, n° 12BX03102, AJDA, 2014, p. 482.
(10) CE 2° et 7° s-s-r., 15 janvier 2014, n° 363559, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8081KTH) ; CE 3° et 8° s-s-r., 1er mars 2013, n° 351409, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9301I8Y).
(11) CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2012, n° 330366, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8384IQL).
(12) CE 2° et 7° s-s-r., 16 décembre 2013, n° 367007, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7981KSE).
(13) CE 3° et 8° s-s-r., 26 avril 2013, n° 355509, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8784KCC).
(14) CE 1° et 6° s-s-r., 12 février 2014, n° 352878, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3794MEA).
(15) CE 4° et 5° s-s-r., 6 novembre 2013, n° 359501, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0941KPK).
(16) CE 1° et 6° s-s-r., 19 juin 2013, n° 354226, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2102KHC), JCP éd. A, n° 38, 16 Septembre 2013, 2269.
(17) CE 1° et 4° s-s-r., 27 octobre 1995, n° 154629, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6244ANL), Rec. p. 383 ; CE 8° et 9° s-s-r., 9 janvier 1995, n° 124026, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1974ANG), Rec. p. 872 ; CE 3° s-s., 15 mars 1995, n° 118379, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2965AN7) ; CE 9° et 8° s-s-r., 2 février 1996, n° 145516, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7655ANT).
(18) CE S., 29 janvier 2010, n° 314148, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7558EQY), p. 12, AJDA, 2010, p. 1156, concl. Guyomar.
(19) C. pens. retr., art. L. 27 et L. 28.
(20) CE 4° et 5° s-s-., 7 juillet 2010, n° 328178, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1375E4P), p. 249, AJDA, 2010, p. 1399.
(21) V. A. Bretonneau et J. Lessi, AJDA, 2014, p. 449.
(22) Cass. soc., 22 mars 1978, n° 77-10.866 (N° Lexbase : A3346AGZ) ; Cass. soc., 22 mars 2003, n° 01-12.381.
(23) CE 3° et 5° s-s-r., 17 juin 1977, n° 04100, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1852B84).
(24) Cass. soc., 14 février 1980, n° 79-10.160 (N° Lexbase : A3098ABD), Bull. n° 152 : participation à une réunion amicale organisée dans l'entreprise par les membres de son équipe de travail à l'occasion de leur départ en vacances ; Cass. soc., 21 mars 1996, n° 93-16.070, publié au bulletin (N° Lexbase : A2332ABY), Bull. civ. V, n° 112 : assistance à une réunion syndicale organisée après le temps de travail dans les locaux de l'entreprise et avec l'accord de l'employeur ; refusant la qualification d'accident de trajet : Cass. civ. 2, 24 juin 2003, n° 01-21.501, F-D (N° Lexbase : A9767C8A) (salarié ayant quitté l'entreprise à 22h45 alors que les locaux fermaient à 16h30).
(25) Cass. soc., 18 décembre 1972, n° 71-14.484 (N° Lexbase : A0693CII), Bull. civ. V, n° 703 ; Cass. soc., 6 mars 1975, n° 74-10.737 (N° Lexbase : A3111ABT), Bull.civ. V, n° 126.

newsid:441569

Licenciement

[Brèves] Publication de la loi "Florange" visant à reconquérir l'économie réelle

Réf. : Loi n° 2014-384 du 29 mars 2014, visant à reconquérir l'économie réelle (N° Lexbase : L9440IZN)

Lecture: 2 min

N1691BU8

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Le 04 Avril 2014

La loi n° 2014-384 du 29 mars 2014, visant à reconquérir l'économie réelle (N° Lexbase : L9440IZN), dite "loi Florange", a été publiée au Journal officiel, le 1er avril. Elle permet aux élus d'être mieux informés en cas de projet de fermeture de site et de sanctionner le chef d'entreprise qui sera tenu, en cas de non respect de ses obligations, au remboursement des aides versées par les collectivités.
La loi tient compte de la censure du Conseil constitutionnel opérée le 27 mars 2014 (Cons. const., 27 mars 2014, n° 2014-692 DC N° Lexbase : A9857MHK ; lire N° Lexbase : N1561BUD) qui avait jugé certaines dispositions disproportionnées et portant atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété, notamment concernant le refus de cession d'un établissement en cas d'offre de reprise, ainsi que les sanctions prévues par le législateur.
Ainsi, l'article 1er de la loi qui prévoyait initialement de sanctionner l'employeur dans le cas où celui-ci refuserait une offre de reprise sérieuse lorsqu'il envisage de fermer un établissement avec des pénalités pouvant aller jusqu'à vingt fois le Smic par emploi supprimé a été jugée non-conforme à la Constitution, privant l'employeur de sa "capacité d'anticiper des difficultés économiques et de procéder à des arbitrages économiques à un autre niveau que celui de l'ensemble de l'activité de l'entreprise". En revanche, en cas de non respect par l'employeur des obligations auxquelles il est tenu en cas de fermeture d'un établissement, les personnes publiques compétentes pourront émettre un titre exécutoire, dans un délai d'un an à compter de ce jugement, pour obtenir le remboursement de tout ou partie des aides pécuniaires en matière d'installation, de développement économique ou d'emploi attribuées à l'entreprise au cours des deux années précédant le jugement, au titre de l'établissement concerné par le projet de fermeture.
S'agissant des nouvelles contraintes imposées par la loi au chef d'entreprise, codifiées aux articles L. 1233-57-9 (N° Lexbase : L9583IZX) et suivant le Code du travail, elles ont notamment trait à l'obligation d'informer l'autorité administrative et les collectivités territoriales ainsi que le comité d'entreprise de l'intention de fermer l'établissement et de communiquer à ce dernier tous renseignements utiles au projet de fermeture. Lorsque le projet de fermeture est notifié au maire, l'autorité administrative en informe les élus concernés.
Le chef d'entreprise reste tenu de rechercher un repreneur et le comité d'entreprise est en droit de donner un avis et même de participer aux recherches ou encore de saisir le tribunal du commerce s'il estime que l'entreprise n'a pas respecté ses obligations. Dans ce cas, les personnes publiques compétentes pourront se faire restituer les aides versées.

newsid:441691

Marchés publics

[Brèves] Le placement en redressement judiciaire de l'entreprise retenue par le pouvoir adjudicateur peut affecter la recevabilité de sa candidature

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 26 mars 2014, n° 374387, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2310MIE)

Lecture: 1 min

N1643BUE

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Le 04 Avril 2014

Lorsqu'il est soutenu devant lui que le placement en redressement judiciaire de l'entreprise candidate à l'attribution d'un marché public, y compris lorsque ce placement est intervenu après le dépôt de son offre, affecte la recevabilité de sa candidature, il appartient au juge du référé précontractuel d'apprécier si cette candidature est recevable et d'annuler, le cas échéant, la procédure au terme de laquelle l'offre de l'entreprise aurait été retenue par le pouvoir adjudicateur (dans le cadre de l'office de plein contentieux du juge du référé contractuel, celui-ci est en effet compétent pour vérifier les motifs de l'exclusion d'un candidat de la procédure d'attribution d'un marché, voir CE 2° et 7° s-s-r., 3 mars 2004, n° 258602, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4286DBD). Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 26 mars 2014 (CE 2° et 7° s-s-r., 26 mars 2014, n° 374387, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2310MIE). En appréciant les capacités de l'entreprise attributaire à exécuter le marché compte tenu de son placement en redressement judiciaire intervenu après la date limite fixée pour le dépôt des offres, et non au regard seulement de son placement sous sauvegarde de justice intervenu avant cette date, le juge des référés du tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit. Ce juge n'a pas non plus commis d'erreur de droit en annulant la procédure de passation litigieuse au motif que le choix de l'offre de l'entreprise attributaire constituait un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence, dès lors que cette entreprise ne disposait pas des capacités financières suffisantes pour exécuter le marché litigieux, d'une durée de dix-huit mois, compte tenu de ce qu'elle n'avait pu présenter le plan de sauvegarde dans le délai prescrit par le jugement du tribunal de commerce (cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E8492EQL et lire N° Lexbase : E4849ESE).

newsid:441643

Procédure administrative

[Brèves] Référé provision : appréciation du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dépendant, en amont, de l'interprétation des clauses d'un contrat

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 26 mars 2014, n° 374287, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2309MID)

Lecture: 1 min

N1646BUI

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Le 05 Avril 2014

Lorsque l'appréciation par le juge du référé provision du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dépend, en amont, de l'interprétation des stipulations du contrat dont l'exécution est l'objet du référé provision, cette interprétation relève de l'appréciation souveraine du juge du fond, nonobstant le contrôle de qualification juridique opéré par le juge de cassation sur l'appréciation, qui en découle, du caractère non sérieusement contestable de l'obligation. Telle est la solution d'une décision rendue par le Conseil d'Etat le 26 mars 2014 (CE 2° et 7° s-s-r., 26 mars 2014, n° 374287, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2309MID, voir aussi CE, S., 6 décembre 2013, n° 363290, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8548KQN). Le marché de services conclu entre la communauté d'agglomération et la société X prévoyait que le paiement des prestations accomplies par cette société s'effectuerait sur la base de prix unitaires appliqués aux volumes des déchets effectivement enlevés et traités. Par ailleurs, les stipulations du contrat relatives aux quantités de déchets à enlever et au montant du marché ne constituaient que de simples estimations qui pouvaient être dépassées sans que les entreprises aient à solliciter un nouvel ordre de service. Dès lors, la cour administrative d'appel a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit, ni entacher son arrêt d'inexacte qualification juridique des faits, que la créance réclamée par la société, qui correspondait à la valorisation, sur la base des prix unitaires contractuels, de quantités de déchets réellement enlevés et traités par elle, n'était pas sérieusement contestable (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E4182EX8).

newsid:441646

Procédure pénale

[Brèves] Publication de la loi relative à la géolocalisation

Réf. : Loi n° 2014-372 du 28 mars 2014, relative à la géolocalisation (N° Lexbase : L8602IZM)

Lecture: 1 min

N1572BUR

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Le 03 Avril 2014

A été publiée, au Journal officiel du 29 mars 2014, la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014, relative à la géolocalisation (N° Lexbase : L8602IZM). Ladite loi clarifie les conditions d'utilisation de la géolocalisation par les services enquêteurs, après que la Cour de cassation, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 N° Lexbase : A2353EUP et CEDH, 23 novembre 2011, Req. 37104/06 N° Lexbase : A7244GKI), eut récemment invalidé des pièces de procédure recueillies par ce moyen dans le cadre d'enquêtes préliminaires (Cass. crim., 22 octobre 2013, 2 arrets, n° 13-81.945 N° Lexbase : A4672KND et n° 13-81.949 N° Lexbase : A4648KNH, FS-P+B). Le texte final prévoit que la géolocalisation pourra être utilisée pour des infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement pour les délits d'atteinte aux biens, de trois ans pour les délits d'atteinte aux personnes, de recel de criminel ou d'évasion et de cinq ans pour les délits douaniers. Le Parquet pourra autoriser la géolocalisation pour une durée de quinze jours. En cas d'urgence, un officier de police judiciaire pourra décider d'une géolocalisation, sous réserve d'une autorisation a posteriori dans un délai de 24 heures du procureur de la République. Des dispositions ont été prises pour protéger les témoins ou informateurs des services d'enquête. La publication de la loi intervient après la décision du Conseil constitutionnel, qui s'est prononcé, le 25 mars 2014 (Cons. const., décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014 N° Lexbase : A9174MHA), et a censuré partiellement certaines dispositions (lire N° Lexbase : N1543BUP).

newsid:441572

Protection sociale

[Jurisprudence] La responsabilité civile de l'employeur coupable d'avoir ignoré son obligation de souscrire une assurance groupe garantissant le risque d'invalidité

Réf. : Cass. soc., 19 mars 2014, n° 12-24.976, FS-P+B (N° Lexbase : A7464MHW)

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N1573BUS

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 03 Avril 2014

La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt en date du 19 mars 2014, que l'employeur, coupable de n'avoir pas souscrit d'assurance groupe pour garantir certains risques auxquels sont exposés ses salariés, en l'occurrence le risque invalidité, peut être condamné à des dommages et intérêts d'un montant équivalent à l'avantage perdu (I). Dans cette même affaire, la Cour interprète strictement l'accord de branche applicable et la condition d'ancienneté dans l'entreprise, de manière à permettre à un salarié, dont le contrat de travail se trouvait suspendu depuis de longs mois au moment de son placement en invalidité, de réclamer réparation du préjudice que lui a causé le défaut de souscription (II).
Résumé.

Doit être condamné au versement de dommages et intérêts l'employeur qui n'a pas souscrit un contrat d'assurance groupe prévue par la convention collective, dès lors que la salariée remplissait, à la date de son placement en invalidité deuxième catégorie, les conditions posées par l'accord pour bénéficier de la rente invalidité prévue par l'accord.

Commentaire

I - L'employeur condamné pour avoir négligé d'adhérer à une assurance groupe obligatoire garantissant le risque invalidité

Cadre juridique. La généralisation "d'une couverture collective à adhésion obligatoire en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident", prévue par la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013, doit permettre à tous les salariés de bénéficier effectivement de garanties complémentaires dans le cadre professionnel (1), alors que de nombreuses branches ne sont pas actuellement couvertes. Cette obligation pèsera désormais sur l'employeur, en l'absence de dispositions applicables dans la branche, qui devra mettre en oeuvre ces garanties de manière unilatérale avant le 1er janvier 2016 (CSS, nouvel art. L. 911-7 N° Lexbase : L0435IXE).

Cette obligation risque de multiplier les contentieux lorsque les entreprises ne se seront pas mises en conformité avec leurs nouvelles obligations, ce qui renforce l'intérêt de la présente décision.

Etat du contentieux civil. Le non-respect par l'employeur de ses obligations en lien avec la souscription d'un contrat d'assurance groupe est susceptible de produire deux types d'effets, selon la nature des fautes commises.

L'examen de la jurisprudence montre que les différends les plus fréquents naissent d'un manquement à l'obligation d'information qui pèse sur le souscripteur (loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, art. 12 N° Lexbase : L5011E4D), qu'il s'agisse de l'information initiale sur l'étendue des garanties (2) ou des modifications apportées aux garanties initiales (3). Lorsque l'employeur a ainsi omis de remettre aux salariés bénéficiaires la notice d'information détaillant leurs prestations (4), la jurisprudence considère que cette faute leur a fait perdre une chance de souscrire d'autres garanties plus favorables dont l'importance sera souverainement évaluée par les juges du fond (5). On observera que certaines décisions ont pu indemniser intégralement le préjudice "résultant [...] de l'absence d'une garantie dont elle croyait légitimement bénéficier" (6).

Un contentieux moins fréquent concerne des employeurs qui ont purement et simplement négligé d'affilier leurs salariés. Dans cette hypothèse, le juge sera intransigeant et considère que le préjudice correspond à la valeur des garanties perdues par la faute de l'employeur, sans qu'il soit question ici de réduire la réparation par l'application de la théorie de la perte de chance (7).

C'est dans ce second cas de figure que l'on se trouvait ici.

Les faits. Une salariée avait été engagée en septembre 2003 par une société d'expertise qui relevait de la Convention collective nationale des experts comptables et des commissaires aux comptes (étendue) du 9 décembre 1974 (N° Lexbase : X0587AEH), et singulièrement de son article 7-4 aux termes duquel les cabinets doivent souscrire, auprès d'un organisme habilité, un contrat assurant, pour l'ensemble des salariés comptant une ancienneté minimale d'un an dans le cabinet, des garanties décès, incapacité de travail et invalidité, sous réserve toutefois des cas d'exclusion au bénéfice de l'assurance, tenant à la loi ou aux usages de la profession de l'assurance, et tenant au caractère dangereux ou intentionnel de la cause du dommage.

Cette salariée avait été absente pour maladie une semaine en juin 2004, puis de nouveau quelques jours plus tard jusqu'à une décision de mise en invalidité de deuxième catégorie avec effet au 1er mai 2006. Constatant que son employeur n'avait pas souscrit de garantie conventionnelle de prévoyance, contrairement aux stipulations de la convention de branche, elle avait alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice que ce défaut lui avait causé.

Les juges du fond lui ayant donné raison, l'employeur tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt d'appel en se fondant sur le fait que l'absence de la salariée pour cause de maladie dans les deux années précédant son placement en invalidité interdisait de considérer qu'elle remplissait, au moment du fait générateur, la condition d'ancienneté d'un an exigée par l'accord de branche.

La solution. Telle n'est pas l'opinion, et fort heureusement d'ailleurs, de la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui conforte l'analyse des juges d'appel en rejetant le pourvoi. Pour la Haute juridiction, en effet, l'absence de la salariée, due à un congé longue maladie, ne la privait pas du droit de bénéficier des dispositions conventionnelles normalement invocables qui subordonnaient le bénéfice de la rente invalidité à une "ancienneté minimale d'une année dans le cabinet" au moment de la réalisation du fait générateur, en l'occurrence la décision prise par la Caisse de la classer en invalidité deuxième catégorie.

II - L'assimilation bienvenue entre ancienneté dans l'entreprise et durée de présence à l'effectif

L'interprétation des dispositions conventionnelles litigieuses. En visant une "ancienneté minimale dans le cabinet", l'accord désignait certainement "la présence à l'effectif" du salarié, et non l'"ancienneté" au sens où peut l'entendre le Code du travail notamment lorsqu'il s'agit de vérifier le droit à préavis du salarié (8). La Cour de cassation fait ici une interprétation stricte des dispositions conventionnelles et n'ajoute pas de condition de présence effective dans l'entreprise lorsque les textes ne le font pas, et ne permet d'ailleurs pas non plus à l'employeur d'ajouter unilatéralement pareille restriction (9).

La réparation du préjudice. Dans cette affaire, les juges avaient attribué à la victime des indemnités d'un montant équivalent à celui de la rente perdue par la faute de l'employeur, ce qui est là encore parfaitement justifié. L'application de la théorie de la perte de chance, qui a pour effet de réduire le montant de l'indemnisation pour tenir compte d'une incertitude concernant l'imputabilité du dommage qui s'est finalement réalisé au fait générateur de responsabilité, suppose que certaines variables entrent en ligne de compte dans cette appréciation. Or, s'agissant d'une obligation faite à l'employeur de souscrire une assurance groupe et d'une condition de présence à l'effectif, il ne fait pas de doute que si le salarié remplissait la condition d'ancienneté, ce qui était le cas ici, alors la sanction du défaut de souscription est inévitablement la valeur de l'avantage perdu (10).


(1) Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi, art. 1er (N° Lexbase : L0394IXU) et les obs. de M. Del Sol, Commentaire de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi sur la généralisation de la couverture santé, la fin des clauses de désignation et la réforme de la portabilité, Lexbase Hebdo n° 534 du 4 juillet 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7808BTD).
(2) Cass. soc., 12 mars 2008, n° 07-40.665, inédit (N° Lexbase : A4103D74). Lire 20 années d'application de la loi Evin, par O. Rault-Dubois, A. Ferreira, M. Hallopeau, SSL, 2010, p. 1443.
(3) Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-42.741, publié (N° Lexbase : A2613HSL), D., 2011, p. 1955, note M. Robineau : "après avoir constaté que la société Sodexo, en n'informant pas M. X... de la modification apportée à ses droits résultant du nouvel accord de prévoyance, n'avait pas respecté son obligation d'information prévue par l'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige, a décidé à bon droit que le préjudice subi par le salarié résultait de sa perte de chance d'obtenir, par une souscription individuelle à un contrat de prévoyance, une garantie comparable et ne pouvait être équivalent au montant de la garantie invalidité prévue par le contrat d'assurance de groupe".
(4) Lire dernièrement F. Kessler, RDSS, 2012, p. 1150, obs. sous Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-24.720 (N° Lexbase : A7552ISI).
(5) Cass. civ. 3, 23 novembre 2005, n° 04-16.023, publié (N° Lexbase : A7536DLP). Comp. avec la jurisprudence civile pour qui "l'absence de souscription d'une assurance obligatoire de responsabilité décennale par les entrepreneurs privait dès l'ouverture du chantier les maîtres d'ouvrage de la sécurité procurée par l'assurance en prévision de sinistres et constituait un préjudice certain".
(6) Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-43.819, inédit (N° Lexbase : A3670CT4) ; Cass. soc., 13 mai 2009, n° 07-44.311, inédit (N° Lexbase : A3779EHG) ; Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-42.741, publié (N° Lexbase : A2613HSL) : "le préjudice subi par le salarié résultait de sa perte de chance d'obtenir, par une souscription individuelle à un contrat de prévoyance, une garantie comparable et ne pouvait être équivalent au montant de la garantie invalidité prévue par le contrat d'assurance de groupe" ; Cass. civ. 2, 15 décembre 2011, n° 10-23.889, publié (N° Lexbase : A4843H8U).
(7) Cass. soc., 8 novembre 1994, n° 93-11.239 (N° Lexbase : A1100ABD), Bull. civ. V, n° 293 ; Cass. soc., 5 avril 2006, n° 04-42.105, inédit (N° Lexbase : A9688DN7) : "l'employeur n'avait pas prévenu ses employés de la modification du contrat d'assurance ; que par ce seul motif elle a, sans encourir les griefs du moyen caractérisé l'attitude fautive de l'employeur qui n'a pas permis au salarié de se prévaloir au jour de la déclaration de sa maladie invalidante du contrat d'assurance en cours" ; Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-15.124, inédit (N° Lexbase : A5295HZ7) : "ayant constaté que la salariée avait subi un préjudice consistant dans l'absence d'indemnisation complémentaire pendant toute la période de son arrêt maladie, en raison du défaut d'affiliation par l'employeur au régime conventionnel de prévoyance, la cour d'appel a souverainement apprécié l'étendue de ce préjudice en l'évaluant à la perte des indemnités complémentaires non perçues". Lire sur le sujet J.-F. Césaro, Protection sociale d'entreprise et assurance, Dr. social, 2006, p. 165.
(8) C. trav., art. L. 1234-8, al. 2 (N° Lexbase : L1312H9H) : "Toutefois, la période de suspension n'entre pas en compte pour la détermination de la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier de ces dispositions". La solution est rappelée régulièrement : Cass. soc., 24 mai 2005, n° 04-41.208, F-D (N° Lexbase : A4310DIH). Exception est légalement faite dans certaines hypothèses, notamment lorsque la maladie ou l'accident sont professionnels.
(9) Cass. soc., 21 mars 2012, n° 10-15.553, publié (N° Lexbase : A4173IGN), à propos de l'article 3-16 de la Convention collective nationale des activités du déchet du 11 mai 2000 : "l'article 3-16 de la Convention collective nationale des activités de déchets détermine le montant de la prime de treizième mois perçue par les salariés sans condition de durée effective de leur présence dans l'entreprise, et que l'employeur, qui relève de ladite convention ne peut décider de modalités d'attribution moins favorables aux salariés".
(10) Pour des exemples récents : Cass. soc., 25 mai 2011, n° 09-68.157, inédit (N° Lexbase : A8821HSI), SSL, 2011, p. 1516, note S. Hénion.

Décision.

Cass. soc., 19 mars 2014, n° 12-24.976, FS-P+B (N° Lexbase : A7464MHW)

Rejet (CA Nîmes, 24 avril 2012, sect. 1, n° 10/00168 N° Lexbase : A2801IKX)

Texte en cause : Convention collective nationale des experts comptables et des commissaires aux comptes du 9 décembre 1974, art. 7-4 (N° Lexbase : X0587AEH)

Mots-clés : contrat d'assurance groupe ; invalidité ; défaut de souscription ; préjudice ; ancienneté

Lien base : et (N° Lexbase : E3908EYE)

newsid:441573

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Absence de visite médicale de reprise suite à une erreur des services administratifs : impossibilité de procéder à la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur

Réf. : Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-35.040, FP-P+B (N° Lexbase : A2395MIK)

Lecture: 2 min

N1687BUZ

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Le 03 Avril 2014

Ne justifie pas la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur l'absence de visite médicale de reprise qui procédait d'une erreur des services administratifs de l'employeur qui n'avait pas été commise lors des précédents arrêts de travail et qui n'avait pas empêché la poursuite du contrat de travail pendant plusieurs mois. Telle est la décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendue le 26 mars 2014 (Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-35.040, FP-P+B N° Lexbase : A2395MIK).
En l'espèce un salarié avait saisi la juridiction prud'homale de demandes en annulation d'une mise à pied disciplinaire qui lui avait été notifiée et en résiliation de son contrat de travail. Saisis en appel (CA Bourges, 26 octobre 2012, n° 11/01747 N° Lexbase : A0271IWX), les juges du second degré l'avait débouté de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et de ses demandes subséquentes. L'intéressé s'était alors pourvu en cassation.
Au soutien de son pourvoi, il alléguait que son employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité de travailleurs dans l'entreprise, avait commis un manquement grave à ses obligations, qui à lui seul justifiait le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, en laissant le salarié reprendre son travail après une période d'absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail sans le faire bénéficier, lors de la reprise du travail, d'un examen par le médecin du travail. Il ajoutait que le fait qu'un tel examen médical ait bien eu lieu lors de ses précédents arrêts de travail pour cause de maladie était indifférent.
Cependant la Cour de cassation rejette le pourvoi en précisant que l'absence de visite médicale de reprise procédait d'une erreur des services administratifs de l'employeur qui n'avait pas été commise lors des précédents arrêts de travail et qu'elle n'avait pas empêché la poursuite du contrat de travail pendant plusieurs mois. Par conséquent, cette absence de visite médicale ne pouvait justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2952E44).

newsid:441687

Sociétés

[Jurisprudence] L'article 1843-4 du Code civil ne s'applique pas à la promesse de vente de droits sociaux

Réf. : Cass. com., 11 mars 2014, n° 11-26.915, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5034MGK)

Lecture: 7 min

N1570BUP

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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux, Directeur de l'Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine - IRDAP

Le 03 Avril 2014

En affirmant, par un attendu de principe figurant dans un arrêt promis à la plus large diffusion rendu le 11 mars 2014, que les dispositions de l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD), "qui ont pour finalité la protection des intérêts de l'associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en oeuvre d'une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé", la Chambre commerciale de la Cour de cassation insère un élément nouveau particulièrement significatif dans un contexte jurisprudentiel, et désormais législatif, déjà fort encombré.

L'identification de l'exact cas de figure à propos duquel la Cour de cassation s'est prononcée est indispensable afin de tenter de délimiter l'impact réel de la position adoptée dans le paysage juridique actuel et futur. Dans le cas d'espèce, au sein d'une société anonyme, une convention d'actionnaires avait été conclue prévoyant notamment que la cessation des fonctions d'administrateur, par démission ou révocation pour faute grave, entraînerait de plein droit de la part du dirigeant concerné promesse ferme et irrévocable de céder à la société une partie des actions détenues par lui pour leur valeur nominale. A la suite de la révocation tant de sa qualité d'administrateur que de celle de directeur général, de l'actionnaire concerné, la société s'est prévalue de la promesse de cession. Dans le contentieux qui s'en est suivi, l'intéressé contestant tant sa révocation que le rachat d'une partie de ses actions, la cour d'appel de Grenoble, par arrêt en date du 12 mai 2011, a jugé que la valeur des actions cédées en application de la clause de rachat forcé contenue dans la convention d'actionnaires devait être fixée à dire d'expert selon la procédure instituée par l'article 1843-4 du Code civil et a sursis à statuer sur la demande en fixation du prix des actions dans l'attente de l'estimation de l'expert. Sur le moyen unique du pourvoi incident formé contre cet arrêt, et que nous retiendrons exclusivement dans le présent commentaire, la Chambre commerciale prononce la cassation de l'arrêt d'appel et, par une prise de position qui s'apparente à un revirement de jurisprudence, vient écarter l'application de l'article 1843-4 du Code civil, dès lors qu'il s'agit d'une cession de droits sociaux ou d'un rachat par la société résultant de la mise en oeuvre d'une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé. Au regard du courant jurisprudentiel jusqu'alors en vigueur, l'arrêt est spectaculaire et suscite bien des interrogations. Les premières sont relatives au contenu même de l'arrêt (I). Les secondes, de nature plus prospective, ont trait à l'avenir de l'arrêt (II).

I - Les interrogations quant au contenu de l'arrêt

Compte tenu de la très forte médiatisation de la jurisprudence qui s'est forgée au cours de ces dernières années, il n'est pas nécessaire d'en reprendre chacune des étapes pour y insérer l'arrêt du 11 mars 2014. Pour aller à l'essentiel, on peut retenir que la Haute juridiction a conféré un champ d'application très large à l'article 1843-4 du Code civil. Prenant appui sur le libellé même du texte qui vise "tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ceux-ci par la société", la Cour de cassation a jugé qu'il convenait d'en faire application en présence d'une hypothèse de cession ou de rachat trouvant sa source tant dans la loi que dans les statuts ou dans une convention extrastatutaire (1). L'incidence d'une telle conception très large du domaine d'application de ce texte se ressentait durement en ce que cela conduisait à exclure dans toutes les hypothèses les stipulations des parties relatives à la valeur devant faire référence lors des transfert de titres, l'expert étant jugé libre de retenir les critères qu'il estime les plus appropriés pour fixer cette valeur.

A titre d'illustration de cette jurisprudence, on peut retenir que, dans le cadre d'une convention extrastatutaire dont le libellé était très proche de celui en cause dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation avait opté, par un arrêt en date du 4 décembre 2012 (2) pour la pleine application de l'article 1843-4 et prononcé la cassation de l'arrêt pour violation de ce texte par refus d'application. On peut donc dire que l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble, qui subit les foudres de la cassation dans l'arrêt ici commenté, se situait fort respectueusement dans la ligne de la jurisprudence fermement établie par la Cour de cassation. Les juges d'appel avaient cru bon de rappeler que ce texte, d'ordre public, est d'application générale en cas de cession ou de rachat forcé prévu par la loi ou les statuts mais également par une convention d'actionnaires. Leur fidélité à la Haute juridiction n'est pas récompensée puisque la Chambre commerciale, retournant sa position, exclut cette hypothèse du champ d'application de l'article 1843-4 du Code civil.

Pour justifier la position retenue, la Chambre commerciale affirme, de manière péremptoire, que les dispositions de l'article 1843-4 du Code civil "ont pour finalité la protection des intérêts de l'associé cédant". Au premier abord, on adhère assez facilement à cette conception. C'est bien parce qu'il va faire l'objet d'un rachat de ses droits sociaux dans un contexte qui ne lui est pas forcément favorable que les intérêts du cédant doivent être particulièrement pris en compte. Le recours à l'expert indépendant qui fixera librement la valeur des droits sociaux constitue une garantie pour l'associé cédant. On peut, toutefois, se demander pourquoi il faudrait que la finalité de ce texte soit exclusivement réservée à la protection du cédant. La société elle-même, tenue de racheter les droits sociaux, ou les associés, peuvent avoir aussi le plus grand intérêt à ce que la valeur soit établie au juste niveau par un expert indépendant. Ne peut-on imaginer que le prix de rachat initialement arrêté (dans les statuts ou la convention) puisse ne pas refléter la valeur réelle des droits sociaux et constitue une charge financière infondée et exagérée pour la société ? Le recours à l'évaluation de l'expert peut alors être considéré comme une garantie pour une juste évaluation qui profite à toutes les personnes, physiques ou morales, impliquées dans la cession ou le rachat.

En se situant dans une telle perspective, la Cour de cassation, dans le présent arrêt, établit une distinction entre les cessions forcées et les cessions volontaires. Ce serait seulement dans le premier cas que l'intervention de l'expert, au titre de l'article 1843-4 du Code civil, aurait lieu d'être. La cession étant imposée à l'associé, par suite notamment d'un refus d'agrément ou d'une décision d'exclusion, l'évaluation des droits sociaux qui avait pu être établie par anticipation pourrait alors être écartée par l'expert, dès lors qu'il y aurait contestation sur ce point. En revanche, si la cession résulte d'un engagement pris par l'associé, sous la forme, comme en l'espèce, d'une promesse unilatérale de vente, l'accord devant porter tant sur la chose que sur le prix, le consentement exprimé devrait écarter le recours ultérieur à une évaluation par expert, l'article 1843-4 du Code civil n'ayant plus vocation à s'appliquer. Partie à un engagement auquel il a consenti, l'associé cédant serait tenu par les termes de l'acte, l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) reprenant son empire, et ne pourrait contester le prix en se fondant sur l'article 1843-4, ce dernier texte ne visant que les hypothèses de cession forcée des droits sociaux.

En adoptant, par ce revirement, une nouvelle approche du rôle de l'expertise, fondée sur l'article 1843-4 du Code civil, la Cour de cassation se montre sensible au plaidoyer relayé par une doctrine quasi unanime (3). Dans les cas où la cession litigieuse résulte d'un engagement qui n'est pas l'exécution d'une obligation extérieure à la volonté de l'associé, il lui faudra alors être particulièrement attentif lors de la fixation par anticipation du prix de cession, dès lors qu'il ne pourra plus la contester et se placer sous l'abri de l'article 1843-4 du Code civil, selon la position nouvelle retenue par la Cour de cassation.

II - Les interrogations quant à l'avenir de l'arrêt

Si l'on tente de projeter l'arrêt commenté dans l'avenir proche, deux niveaux d'interrogations peuvent être retenus. En premier lieu, on peut se demander si cet arrêt peut être annonciateur d'un retournement plus complet du courant jurisprudentiel. En second lieu, il convient de s'interroger sur l'impact que pourrait avoir l'annonce d'une réforme législative portant sur l'article 1843-4 du Code civil.

On ne peut manquer de relever que, dans l'arrêt commenté, la Chambre commerciale prend bien le soin de ne viser, dans son dispositif, que l'hypothèse de la convention d'actionnaires, contenant la promesse unilatérale de vente des droits sociaux. Il ne saurait, à coup sûr, en être inféré que la position adoptée s'appliquerait aussi à une stipulation statutaire qui aurait un objet équivalent. Comme cela a pu être relevé (4), les statuts constituent un acte juridique qui ne relève pas exclusivement du droit commun des contrats et pourrait dès lors faire l'objet d'un traitement distinct de celui appliqué, depuis l'arrêt commenté, aux conventions d'associés. Pour autant, si la raison d'être de ce revirement de jurisprudence est de créer une distinction entre les hypothèses de cession ou rachat imposées à l'associé et celles auxquelles il a consenti librement, ce raisonnement peut certainement viser aussi les clauses contenues dans les statuts qui auraient un même objet. L'octroi de la qualité d'associé, qu'elle ait lieu lors de la constitution de la société ou en cours de vie sociale, suppose l'adhésion aux stipulations des statuts. Si ceux-ci comportent un engagement de vente des droits sociaux, par exemple (comme dans l'arrêt commenté) en cas de cessation des fonctions de dirigeants, on pourrait considérer qu'il s'agit alors d'une hypothèse de cession volontaire et non point forcée. L'application de l'article 1843-4 du Code civil devrait dès lors être écartée, comme s'il s'agissait d'un engagement extrastatutaire. La portée de l'arrêt du 11 mars 2014 serait alors bien plus conséquente.

Prononcé à quelques semaines d'une réforme du droit des sociétés qui devrait retoucher le texte de l'article 1843-4, l'arrêt doit être aussi examiné au regard de la pérennité de la position qu'il retient. La loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014, habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises (N° Lexbase : L7681IY7), prévoit en effet que le Gouvernement est autorisé à prendre toute mesure pour modifier l'article 1843-4 "pour assurer le respect par l'expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties". Tant que l'ordonnance annoncée n'est pas publiée, un doute subsiste s'agissant de l'ampleur de la réforme de ce texte. Si l'on s'en tient à la version du projet qui a été diffusée par le ministère de la Justice (4) afin de solliciter les remarques et suggestions du public, c'est le périmètre d'application de ce texte qui serait retouché pour ne viser que les cas où "la loi prévoit" une cession des droits sociaux ou un rachat par la société. Toutes les hypothèses ayant pour origine une stipulation statutaire (dès lors qu'elle ne serait pas que la reprise ou la suite nécessaire d'un cas légal) ou une convention d'associés ne seraient plus visées par l'article 1843-4 du Code civil. L'expert n'ayant plus vocation à intervenir, se trouverait vidée de tout doute la question liée à la fixation par les parties de la valeur des droits sociaux dont la cession, volontaire ou forcée, serait envisagée. La décision commentée ne serait alors qu'une anticipation du droit positif et n'aurait plus vocation à perdurer.


(1) V. not. Cass. com., 4 décembre 2007, n° 06-13.912, FS-P+B (N° Lexbase : A0299D3H), D., 2008, p. 16, obs. A. Lienhard, Dr. sociétés, 2008, n° 23, note R. Mortier, D. Gibirila, Le caractère d'ordre public de l'article 1843-4 du Code civil relatif à la détermination par expertise de la valeur de droits sociaux, Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition privée (N° Lexbase : N3475BEG) ; Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-17.465, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7605EGR), D., 2009, p. 1349, obs. A. Lienhard et p. 2195, note B. Dondéro, Bull Joly Société, 2009, p. 529, obs. F.-X. Lucas et p. 728, note A. Couret, J.-B. Lenhof, La liberté de l'expert : précisions sur le régime de mise en oeuvre de l'expertise des droits sociaux de l'article 1843-4 du Code civil, Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition privée (N° Lexbase : N6556BKZ) ; Cass. com., 24 novembre 2009, n° 08-21.369, FS-P+B (N° Lexbase : A1650EPS), D., 2009, p. 2924, obs. A. Lienhard, Rev. Sociétés, 2010, p. 21, note J. Moury, D. Gibirila, La contestation antérieure à la cession de droits sociaux, condition de nomination de l'expert de l'article 1843-4 du Code civil, Lexbase Hebdo n° 376 du 17 décembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N7046BMW).
(2) Cass. com., 4 décembre 2012, n° 10-16.280, F-P+B (N° Lexbase : A5686IYA), JCP éd. E, 2013, 1000, note B. Dondéro ; D. Gibirila, Le domaine d'application de l'expertise de l'article 1843-4 du Code civil, Lexbase Hebdo n° 324 du 24 janvier 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N5385BTM).
(3) Voir not., J. Moury, Supplique à l'adresse de mesdames et messieurs les Hauts conseillers afin qu'ils accordent grâces aux praticiens de la tierce estimation, Rev. Sociétés, 2013, p. 330.
(4) Cf. Questionnaire sur le projet d'ordonnance sur le droit des sociétés ; lire Projet d'ordonnance sur le droit des sociétés, Lexbase Hebdo n° 375 du 27 mars 2014- édition affaires (N° Lexbase : N1485BUK).

Décision

Cass. com., 11 mars 2014, n° 11-26.915, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5034MGK).

Cassation (CA Grenoble, 12 mai 2011).

Lien base : (N° Lexbase : E0563EUE).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Avril 2014

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N1653BUR

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 03 Avril 2014

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de TVA. L'harmonisation de l'application du taux de TVA applicable à l'ensemble de la presse a été une mesure favorablement accueillie par les acteurs de ce domaine économique et de la vie publique au nom de l'égalité fiscale et comme soutien à ce secteur. Cependant, la France s'expose ainsi à une possible sanction de la part des instances européennes, car cette mesure est contraire au droit de l'UE (loi n° 2014-237 du 27 février 2014, harmonisant les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne). Les deux affaires examinées ensuite par notre auteur ont reçu un retentissement bien moindre, néanmoins ce sont des affaires intéressant aussi le droit de l'UE. Plus particulièrement, la CJUE rappelle la nécessaire conciliation entre une large application du droit à déduction et la lutte contre la fraude à la TVA qui devient un enjeu financier de première importance (CJUE, 13 février 2014, aff. C-18/13). Enfin, dans un troisième point, sera abordée une décision complexe qui permet d'évoquer les règles particulières applicables aux livraisons d'électricité dans le cadre d'opérations intracommunautaires (CJUE, 6 février 2014, aff. C-323/11).
  • Extension du taux réduit de 2,1 % à la presse en ligne (loi n° 2014-237 du 27 février 2014, harmonisant les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne N° Lexbase : L5665IZT)

Par la loi du 27 février 2014 (1), applicable à compter du 1er février 2014, il a été procédé à une harmonisation des taux de TVA applicables à la presse ; presse imprimée et en ligne sont soumises au taux unique de 2,1 % (2). Cette mesure a fait l'objet de nombreux débats et elle a été adoptée de manière consensuelle par le Parlement, car elle comporte des enjeux importants pour le secteur de la presse (A). Cependant, cette extension du taux "super réduit" à la presse numérique est contraire au droit de l'Union européenne (B).

A - Le taux de 2,1 % appliqué à la presse fait partie d'un ensemble d'aides directes et indirectes apportées à ce secteur. Ce traitement préférentiel repose sur l'article 11 de la DDHC (3) (N° Lexbase : L1358A98) et le Conseil constitutionnel a reconnu le fondement constitutionnel de la politique publique en vue de préserver et de développer le pluralisme de la presse (4).

L'application du taux super réduit constitue une aide indirecte ancienne à la presse, car déjà la loi du 30 juillet 1920 l'exonérait de la taxe sur le chiffre d'affaires. Ce régime a perduré avec la mise en oeuvre de la TVA. Le bénéfice du taux de 2,1 % est réservé aux publications ayant reçu l'agrément de la commission paritaire des publications et agences de presse (5). Cette aide fiscale n'est pas la seule, la presse est aussi exonérée de la contribution économique territoriale (6).

Malgré l'importance des aides directes et indirectes (7), le secteur de la presse subit une crise sans précédent qui se traduit par "une baisse importante de sa diffusion, une réduction régulière des points de vente, une diminution sensible du chiffre d'affaires malgré la hausse du prix de vente, et enfin une chute significative des recettes publicitaires" (8). Aussi, malgré le soutien massif de l'Etat qui représente près de 395 millions d'euros (9), il apparaît que la presse papier est en fort mauvaise posture, sa situation se dégrade de manière continue et inexorable.

Dans le même temps, s'est développée la presse numérique. Elle est reconnue par l'article 1er de la loi du 1er août 1986 (10), modifiée en 2009 (11), qui dispose qu'outre les publications de presse existent aussi les services de presse en ligne. Cependant, le taux applicable à la presse numérique n'a pas été aligné sur le taux préférentiel valable pour la presse imprimée. Cette différence de traitement est fondée sur le droit de l'Union européenne. Pour autant, l'application du taux super réduit à l'ensemble de toute la presse, imprimée et numérique a fait l'objet d'une demande récurrente dès l'apparition de ce mode de diffusion.

A l'appui de cette demande sont évoquées plusieurs raisons. La première tient au principe de neutralité technologique (12), selon lequel un même service doit être soumis à un taux unique indépendamment de son mode de diffusion. Il s'agirait aussi de mettre fin à une situation contraire au principe d'égalité entraînant une absence de neutralité fiscale. Enfin, l'extension de la TVA au taux de 2,1 % à la presse numérique constituerait un élément essentiel pour permettre une transition technologique, la presse en ligne venant se substituer en tout ou partie à la presse papier.

Au plan budgétaire, l'application du taux de 2,1 % au lieu de 5,5 % à la presse imprimée coûte aux finances de l'Etat entre 190 et 205 millions d'euros, selon les exercices (13). Selon la Direction générale des médias et des industries culturelles, l'harmonisation des taux de TVA entre presse imprimée et presse numérique engendrerait un manque à gagner pour l'Etat de 5millions d'euros (14). L'ensemble des acteurs, comme la plupart des parlementaires, considèrent que cette perte de recette fiscale est peu importante eu égard aux principes en jeu. Elle paraît d'autant plus mineure que cette mesure d'harmonisation pourrait permettre de "relancer" le secteur de la presse. Depuis 2006, le Gouvernement comme le Parlement ont cherché à mettre fin à cette inégalité, mais se sont heurtés à l'incompatibilité de cette extension du taux de 2,1 % avec la législation de l'Union européenne.

B - Aux termes de l'article 98 et de l'annexe III de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (15), les Etats membres peuvent soumettre au taux réduit notamment les livres et produits assimilés tels que les journaux et les périodiques. Cependant, au paragraphe 2 de l'article 98, il est précisé que "les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique", notamment "la fourniture de textes, de musiques ou de films" (16). Enfin, le taux de 2,1 % ne peut plus être appliqué à une nouvelle catégorie de biens ou de services en vertu de l'article 110 de la Directive 2006/112/CE.

Très clairement, en adoptant une mesure permettant l'application du taux de 2,1 % à la presse en ligne, la loi française vient en contradiction avec les dispositions du droit de l'UE. Bien qu'il ne s'agisse pas du taux super réduit mais du taux réduit, la France avait déjà pris une disposition analogue concernant les livres numériques. En dépit du droit de l'UE, la France a décidé d'appliquer le taux réduit non seulement aux livres imprimés mais aussi aux livres numériques (17). La Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction contre la France et le Luxembourg. Aucun des deux Etats n'a modifié sa législation, et en 2013 la Commission a saisi la CJUE de recours contre ces Etats. Dans le même temps, et à côté de la procédure mise en oeuvre par la Commission européenne, la France a été très active sur le plan politique.

La France (18) cherche à convaincre les instances européennes et Etats membres de modifier le droit de l'UE en vue de mettre en oeuvre une convergence des taux applicables aux biens et services similaires fournis par des modes de diffusion différents. Par plusieurs communications (19), la Commission a admis la nécessité de prendre en considération les évolutions technologiques et la convergence des taux qui pouvaient en découler. Néanmoins, elle ne manque pas de rappeler que tout changement ne peut intervenir que dans le cadre d'une modification de la Directive 2006/112/CE. La Commission a continué ses travaux et a livré le 22 mai 2013 les résultats de la consultation publique concernant les taux réduits et plus particulièrement les produits culturels (livres, presse, radio, télévision) (20).

Malgré cette évolution de la Commission, au terme de laquelle il apparaît possible que puissent être modifiés et harmonisés les taux de TVA applicables aux produits fournis sous des formes technologiques différentes, notamment le livre et la presse, actuellement, la loi du 27 février 2014 est en contradiction avec le droit de l'UE et risque d'encourir la même procédure que celle mise en oeuvre pour le taux réduit appliqué au livre numérique. A plus long terme, on peut aussi s'interroger sur la réussite d'une telle harmonisation. Si, pour le livre en ligne, l'alignement peut être effectué du fait de la soumission au taux réduit ; le cas est différent pour la presse, car le taux de 2,1 % est une dérogation du fait de son antériorité au 1er janvier 1991. Si la Commission peut accueillir l'harmonisation au taux réduit, en revanche, il paraît difficile d'étendre le champ d'application d'un taux préférentiel se situant hors du droit commun de l'UE.

  • Fraude à la TVA : la loi nationale ne peut pas imposer de mesures allant au-delà de ce qui est nécessaire pour appliquer les règles communautaires (CJUE, 13 février 2014, aff. C-18/13 N° Lexbase : A1276MEY)

La décision commentée est relative aux moyens de lutte qui peuvent et doivent être mis en oeuvre par les Etats membres en vue de lutter contre la fraude en matière de TVA. Le droit à déduction est à la fois le principe fondamental sur lequel est bâtie la neutralité de la TVA (21) en même temps que la base utilisée dans le cadre de la fraude dite "carrousel". En conséquence, la CJUE est amenée à concilier les deux objectifs, c'est-à-dire de maintenir le droit à déduction pour ne pas mettre en péril la neutralité de la TVA sans que ce droit ne puisse être utilisé frauduleusement ou abusivement. L'arrêt de la CJUE apporte des précisions sur la définition des éléments nécessaires pour définir à quelles conditions le droit à déduction peut être refusé (A) ; la juridiction de l'Union européenne vient aussi encadrer dispositions qui peuvent être prises par les Etats membres en vue de supprimer le droit à déduction en cas de fraude ou d'utilisation abusive (B).

A - Les faits de cette affaire sont relativement simples et les circonstances évoquées peuvent intéresser tous les Etats de l'Union européenne, car aucun n'échappe à la fraude. A l'occasion d'un contrôle fiscal, les autorités bulgares ont constaté qu'une société avait bénéficié du droit à déduction pour certaines opérations. Or, les éléments demandés et recueillis par l'administration fiscale bulgare n'ont pas permis d'établir, selon cette dernière, la réalité des opérations sur lesquelles le droit à déduction est fondé. L'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la TVA basée sur ces opérations et adressé un avis rectificatif à la société.

L'entreprise a contesté cet avis rectificatif, au motif qu'elle détenait les documents contractuels réguliers et les factures justifiant de la TVA déductible. L'administration a maintenu sa position en dénonçant le fait que les factures en cause étaient sans date fiable et dépourvues de force probante. La juridiction de renvoi a posé plusieurs questions préjudicielles ayant toutes trait à la définition des limites à apporter au droit à déduction dans l'hypothèse d'un usage abusif ou frauduleux de ce droit.

Aux termes de l'article 168 de la Directive 2006/112/CE, pour bénéficier du droit à déduction, l'assujetti doit remplir deux conditions : il doit agir en tant que tel et les acquisitions de biens ou services doivent être effectuées en vue de réaliser des opérations elles-mêmes soumises à TVA. Ces conditions doivent suffire à bénéficier du droit à déduction, et dès lors qu'elles sont remplies le droit à déduction ne peut être refusé. Dans la perspective de la garantie de la neutralité de la TVA, le droit à déduction ne peut être, en principe, limité. Ce système de droit à déduction doit permettre de soulager totalement l'entrepreneur de la TVA due ou acquittée dans le cadre de son activité à condition qu'elle soit elle-même soumise à TVA (22).

Eu égard au développement de la fraude en matière de TVA, la Cour de justice a été amenée à se prononcer sur les limites à apporter à ce droit à déduction dans le cas de son utilisation abusive ou frauduleuse. Elle a admis que le droit à déduction pouvait être refusé, au vu d'éléments objectifs, à l'assujetti auquel les opérations servant de base pour fonder le droit à déduction ont été fournis, savait ou aurait dû savoir que par ces opérations il était impliqué dans une fraude commise soit directement par le fournisseur, soit par d'autres opérateurs situés en amont (23). Ce droit à déduction sera refusé indépendamment de la question de savoir si l'assujetti a tiré ou non un bénéfice de sa participation à la fraude (24).

Si aucune question ne se pose véritablement quant aux conséquences de la fraude ou de son utilisation abusive sur le droit à déduction, en revanche la notion "d'éléments objectifs" peut prêter à discussion en fonction des faits de chaque espèce. Dans cette affaire, l'administration fiscale avait estimé que les prestations ne pouvaient avoir été réellement effectuées du fait que le fournisseur -ou son sous-traitant- n'avait pas les moyens nécessaires pour les exécuter, que le coût de ses prestations n'avaient pas été justifié dans leur comptabilité ou encore que l'identité de signataires de documents était inexacte (25). La Cour de justice a considéré que ces éléments ne suffisaient pas à conclure à l'exclusion du droit à déduction. Ils ne peuvent être pris en compte que s'ils sont constitutifs d'un comportement frauduleux et que l'assujetti savait ou ne pouvait ignorer que l'opération invoquée était impliquée dans la fraude. Les différents éléments avancés par les autorités fiscales ne fournissent qu'un faisceau d'indices laissant à penser qu'une fraude pouvait être commise. Cependant, le refus du droit à déduction doit être fondé sur des "éléments objectifs" et non de simples présomptions qui, de manière indirecte, pourraient être révélatrices d'une possible fraude.

B - S'agissant de l'office du juge national en matière de lutte contre la fraude fiscale impliquant le droit à déduction, la CJUE précise deux éléments : le premier porte sur l'articulation entre le droit de l'Union européenne et le droit national ; le second concerne l'obligation pour l'assujetti de tenir une comptabilité suffisamment détaillée.

Lors de la procédure juridictionnelle, l'administration fiscale bulgare a fait état d'éléments nouveaux venant remettre en cause la validité de la signature de certains fournisseurs ainsi que celle des documents comptables présentés par ces derniers. Cependant, la présentation d'éléments nouveaux à ce stade de la procédure n'était pas conforme au droit national. La juridiction de renvoi bulgare a interrogé la CJUE sur l'étendue du contrôle qu'elle doit effectuer : doit-elle contrôler d'office la présence d'une fraude fiscale à la TVA conformément aux exigences du droit de l'Union européenne bien que cet examen soit non conforme au droit interne ?

La CJUE, dans un arrêt du 12 février 2006 (26), a considéré que "le juge national doit opposer d'office les moyens de droit tirés d'une règle contraignante du droit de l'Union européenne lorsque, en vertu du droit national, les juridictions nationales ont l'obligation ou la faculté de le faire par rapport au à une règle contraignante de droit nationale" (27). Cette solution s'applique aussi dans le cadre du refus du droit à déduction consécutif à une fraude ou une utilisation abusive. En l'espèce, la juridiction bulgare est tenue par application du droit national d'examiner d'office s'il existe une fraude fiscale dans le cas où un avis rectificatif remet en cause le droit à déduction. La CJUE précise expressément que cet examen d'office doit être aussi réalisé conformément au droit de l'Union européenne. La juridiction de l'UE conforte sa solution par le rappel d'une décision rendue en Grande chambre (28), par laquelle le juge national doit interpréter le droit interne "dans toute la mesure du possible et à la lumière du texte et de la finalité de la Directive concernée".

Ces décisions rendues ne portaient pas sur la TVA, en faisant référence à ces arrêts, mais la CJUE rappelle que les finalités définies quant à la TVA ne reçoivent pas un régime spécifique mais relèvent aussi du droit de l'Union européenne compris de manière globale. La spécificité de la matière fiscale n'en fait pas un droit à part mais soumis à l'ensemble des principes jurisprudentiels valables pour le droit de l'Union européenne. Les objectifs de la Directive 2006/112 de lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale et l'utilisation abusive des dispositions fiscales doivent être pris en compte par les juridictions nationales dans l'exercice de leur compétence.

Enfin, la CJUE précise que même si, en droit interne, la fraude à la TVA relève d'une catégorie du droit pénal, cette qualification ne fait pas obstacle à ce que le juge chargé de l'appréciation d'un avis rectificatif portant sur le droit à déduction puisse se prononcer sur les éléments objectifs fondant le refus de ce droit en cas de fraude. Par ce considérant, la CJUE énonce que l'objectif de la lutte contre la fraude fiscale ne doit pas être entravé par des éléments de droit national telle que la compétence dévolue au juge pénal. La fraude fiscale ne reçoit pas la même définition d'un droit national à l'autre, et le fait qu'elle soit du ressort du juge pénal ne s'oppose pas à ce qu'un autre juge puisse remettre en cause le droit à déduction utilisé de manière frauduleuse ou abusive.

S'agissant des dispositions comptables, l'article 242 de la Directive 2006/112 dispose que "tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l'application de la TVA et son contrôle par l'administration fiscale". Pour faire respecter cette obligation, les Etats membres disposent d'une certaine marge de manoeuvre quant aux moyens à mettre en oeuvre. Notamment en vue d'éviter la fraude fiscale et en vue d'assurer l'exacte perception de la TVA, l'article 273 de la Directive les autorise à prévoir d'autres obligations (29) que celles prévues par le droit de l'Union européenne. Cependant, ces obligations doivent être prises sous réserve du respect des principes généraux du droit de l'UE et plus particulièrement du principe de proportionnalité (30). Dans ce cadre, le droit de l'UE ne s'oppose pas à ce que soient imposées aux assujettis des règles comptables supplémentaires établies par référence aux normes comptables internationales (31).

Dans l'affaire commentée, il s'agissait de savoir si la règle nationale pouvait prévoir que la prestation de service soit considérée comme fournie dès lors que sont remplies les conditions de reconnaissance de la recette afférente au service. Cette règle a pour effet de rendre la TVA exigible pour le service à la date où les éléments de son coût ont été inscrits dans la comptabilité du fournisseur ou de son sous-traitant. Mais cette règle est contraire au droit de l'Union européenne ; la date de l'exigibilité est déterminée par le moment où est effectuée la prestation de service (32) et elle ne peut l'être en fonction d'accomplissement de formalités réalisées par le fournisseur. La comptabilité constitue un élément essentiel quant à l'établissement et au contrôle de la TVA. Cependant, elle ne peut venir remettre en cause le droit à déduction, ce dernier ne dépend pas de l'accomplissement d'exigences comptables autres que celles inscrites à l'article 226 de la Directive 2006/112.

Cette décision ne comporte pas d'éléments totalement nouveaux quant au droit à déduction mais est exemplaire de la conciliation nécessaire entre le maintien du droit à déduction dans une plénitude nécessaire à la garantie de la neutralité de la TVA et des moyens utiles pour lutter contre la fraude fiscale fondée précisément sur ce droit à déduction. En ces temps de déficit budgétaire, la lutte contre la fraude fiscale, plus particulièrement la fraude "carrousel", s'est accrue. Les Etats membres développent de nouveaux moyens de lutte (33), mais ceux-ci doivent respecter les principes fondamentaux du système commun de TVA dont le droit à déduction est un pilier.

  • Droit au remboursement de TVA - Possibilité pour une entreprise de déduire la TVA dans un Etat membre dans lequel elle n'est pas établie mais a agi par le biais d'un représentant fiscal (CJUE, 6 février 2014, aff. C-323/12 N° Lexbase : A9316MDE)

Bien que considérés comme des biens dans le cadre du système commun de TVA, le gaz et l'électricité posent des difficultés particulières car il peut être "particulièrement ardu de déterminer le lieu de livraison" (34). L'affaire commentée porte précisément sur des opérations concernant l'électricité. Les circonstances de cette affaire sont placées sous l'empire de la Directive 79/1072/CEE (35). Cette Directive a été abrogée et remplacée par la Directive 2008/9/CE (36), cependant les principes invoqués dans cette affaire sont toujours d'actualité et la solution dégagée par la CJUE est valable tant pour la Directive 79/1072/CE que la Directive venant la remplacer.

En l'espèce, une société allemande exerçait sur le territoire roumain une activité de vente d'électricité. Elle a débuté son activité sur le territoire roumain en octobre 2005. A cette date, la Roumanie n'était pas encore membre de l'UE, et par application du droit interne en vigueur à cette époque, l'entreprise allemande avait dû désigner un représentant fiscal. Ce dernier avait, au nom de la société, conclu des contrats et procédé à des opérations qui avaient donné lieu à des "factures fiscales" (37). A compter du 1er janvier 2007, a été supprimée l'obligation de désigner un représentant fiscal, la société exerçant ce rôle pour son client allemand a cessé d'émettre des factures fiscales mais a continué à représenter l'entreprise.

Pour la période de janvier à août 2007, l'entreprise allemande a demandé à bénéficier du droit à déduction pour la TVA acquittée sur la base des factures émises par ses partenaires commerciaux roumains. Ses demandes de déduction ont été présentées par le représentant. L'administration fiscale roumaine a refusé la déduction des sommes demandées au motif que la société n'était plus, depuis le 1er janvier 2007, assujettie à la TVA pour les opérations réalisées en Roumanie ; elle ne pouvait plus ni collecter, ni déduire la TVA afférente. Ces obligations incombaient désormais aux bénéficiaires des livraisons.

Dans un second temps de la procédure, les autorités fiscales roumaines ont maintenu leur décision de refus au motif que la société allemande n'aurait pas respecté les conditions du droit roumain (38). Selon le droit national, seuls les assujettis non identifiés et qui ne sont pas soumis à l'obligation de s'identifier peuvent bénéficier du remboursement de TVA. Or l'entreprise, représentée fiscalement, ne pouvait bénéficier de cette disposition.

A la suite de cette décision, l'entreprise allemande a déposé un recours devant la juridiction roumaine qui a sursis à statuer pour poser une question préjudicielle intéressant l'interprétation de la Directive 79/1072/CEE, à savoir si les dispositions de cette Directive ont pour effet qu'une entreprise assujettie établie dans un Etat membre et ayant effectué des livraisons d'électricité dans un autre Etat membre en ayant désigné un représentant fiscal dans cet Etat ne peut se prévaloir dans l'Etat membre de livraison du droit au remboursement de la TVA acquittée en amont.

Aux termes de l'article 1er de la Directive du 6 décembre 1979 (39), l'assujetti établi dans un autre Etat membre doit remplir deux conditions afin de pouvoir bénéficier du droit au remboursement :
- il ne doit disposer d'aucun établissement stable dans l'Etat membre auquel il demande le remboursement de TVA,
- il ne doit pas avoir effectué des livraisons de biens ou prestations de services réputées se situer dans cet Etat membre, sauf exceptions.

S'agissant de la première condition, la CJUE fait application d'une jurisprudence constante (40) de la définition de l'établissement stable. Pour être qualifié d'établissement stable, l'entité doit présenter "un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées" (41). Au regard de cette définition, la désignation d'un représentant fiscal ne peut constituer un établissement stable, donc l'assimilation du représentant fiscal à l'établissement stable est en contradiction avec le droit de l'UE. Cette décision rappelle ainsi la définition de l'établissement stable par les juges de l'UE dans le cadre de la TVA.

Le second point porte sur la mise en oeuvre du droit au remboursement en l'absence d'opérations réputées avoir lieu dans l'Etat membre auquel est demandé le remboursement. Aux termes du 1 de l'article 15 (42), l'électricité est considérée comme un bien meuble corporel. Néanmoins, eu égard à la nature particulière de cette livraison, des règles spécifiques ont été mises en oeuvre en vue de définir le lieu de livraison. Selon l'article 38 de la Directive 2006/112, il est situé à l'endroit où l'assujetti-revendeur est établi (43). Enfin, la Directive de 2006 (44) dispose que les assujettis qui n'ont effectué que des livraisons de biens pour lesquelles le destinataire a été considéré comme redevable de la taxe par application de l'article 195 de la Directive de 2006 (45), sont également considérés comme des assujettis qui ne sont pas établis dans cet Etat membre par application de la Directive de 1979.

La simple possibilité de réalisation d'opérations imposables dans l'Etat où la demande de remboursement est effectuée ne constitue pas une raison valable de refuser le remboursement. Il faut que les opérations aient été effectivement réalisées. Les autorités fiscales roumaines ne peuvent refuser le droit au remboursement en se fondant sur le fait que la société allemande est représentée fiscalement en Roumanie, car cet élément ne préjuge pas de la réalité des opérations au sens de la Directive de 1979.

Enfin, la CJUE rappelle le caractère essentiel des droits à déduction et au remboursement. Le bénéfice du droit à déduction doit être accordé si les conditions de fond ont été établies et bien que les conditions de forme ne soient pas toutes remplies. Dès lors que la réalité de l'opération n'est pas contestable, le droit à déduction est acquis. Par application du principe de neutralité fiscale, l'absence de respect des conditions formelles est insuffisante, sauf si elle révèle un manquement aux exigences de fond (46).

Depuis le 1er janvier 2010 (47), la procédure de remboursement de TVA est devenue entièrement électronique, elle est plus rapide et moins coûteuse que l'ancienne procédure "papier". Cette nouvelle procédure doit "affermir la position des entreprises" (48), car elles ont droit à des intérêts de retard si le remboursement n'est pas effectué dans les délais. Cependant, la plus grande simplicité pour obtenir le remboursement n'est pas synonyme de plus grande facilité dans l'application des règles particulièrement complexes applicables aux opérations de livraisons d'électricité et de gaz.


(1) I - Le second alinéa de l'article 298 septies du CGI est ainsi rédigé :
"Sont également soumis aux mêmes taux de la taxe sur la valeur ajoutée les ventes, commissions et courtages portant sur les services de presse en ligne reconnus comme tels en application de l'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986, portant réforme du régime juridique de la presse.
II - Le I s'applique aux opérations pour lesquelles la TVA est exigible à compter du 1er février 2014
", JO 28 février 2014, p. 3626.
(2) CGI, art. 298 septies, al. 2 (N° Lexbase : L5680IZE).
(3) "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi".
(4) Rapport de M. le député Patrick Bloche, n° 1735, 29 janvier 2014, p. 3.
(5) CGI, art. 298 septies, al. 1.
(6) CGI, art. 1458 (N° Lexbase : L6056IS4).
(7) Sur l'ensemble de ces aides cf, Cour des comptes, Les aides de l'Etat à la presse écrite, Chapitre 1 - Un secteur économique fortement aidé par l'Etat, juillet 2013, p. 15 et suivantes.
(8) Dominique Antoine et alii, Les aides à la presse, rapport remis à Aurélie Filipetti, ministre de la Culture et de la Communication, avril 2013, p. 4.
(9) Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, de finances pour 2013 (N° Lexbase : L7971IUR).
(10) Loi n° 86-897, portant réforme du régime juridique de la presse (N° Lexbase : L8952IEB), JO 2 août 1986, p. 9529.
(11) Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, art. 27 (N° Lexbase : L3432IET), JO, 13 juin 2009, p. 9666.
(12) Proposition de loi tendant à harmoniser les taux de TVA applicables à la presse imprimée et la presse en ligne, présentée par M. le sénateur David Assouline, 12 février 2014.
(13) Cour des comptes, Les aides de l'Etat à la presse écrite, op. cit., p. 23.
(14) Cour des comptes, Les aides de l'Etat à la presse écrite, op. cit., p. 86.
(15) Directive relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ) : JOUE, 11 décembre 2006, L 347.
(16) Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, Ann. II, op. cit..
(17) Pascale Carré de Souza, Arnaud Moraine, Et si l'application du taux réduit de TVA au livre numérique était compatible avec le droit de l'UE ?, DF, 2012, n° 8, Etude 167.
(18) Par exemple, cf. le communiqué d'Aurélie Filipetti et Monika Grütters, ministres française et allemande de la Culture du 19 février 2014, défendant la possibilité d'appliquer un taux réduit au livre numérique et à la presse en ligne.
(19) Communication sur l'avenir de la TVA du 6 décembre 2011.
Communication sur le commerce électronique du 11 janvier 2012.
(20) Commission européenne, document de consultation, réexamen de la législation existante sur les taux réduits de TVA,
(21) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, op. cit., p. 1.
(22) CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, point 24 (N° Lexbase : A1648AWX) : Rec. p. I-1361 ; DF, 2001, n° 10, p. 410.
(23) CJCE, 6 juillet 2006, aff. C-439/04, point 52 (N° Lexbase : A2718DQQ) : RJF, 10/06, n° 1301 ; DF, 2007, n° 9, comm. 235.
(24) CJUE, 6 décembre 2012, aff. C-285/11, points 38 et 39 (N° Lexbase : A3976IYW) : RJF, 3/13, comm. 375 ; CJUE, 6 décembre 2012, aff. C-285/11, points 35 à 37, op. cit..
(25) Point 31.
(26) CJCE, Grande Chambre, aff. C-2/06 (N° Lexbase : A7462D47) : Rec. p. I-411 ; Note F. Kauff-Gazin : Europe, n° 4, 2008, p. 13.
(27) Point 34.
(28) CJCE, aff. C-212/04 (N° Lexbase : A1488DQ8) : Rec. p. I-6057 ; Note Laurence Idot : Europe, 2006, n° 10, comm. 276.
(29) Ces obligations supplémentaires doivent respecter le principe d'égalité entre les opérations intérieures et les opérations effectuées entre Etats membres et ne pas entraîner de formalités liées au passage d'une frontière.
(30) En matière de sanction, cf. point 29, CJUE, 29 juillet 2010, aff. C-188/09 (N° Lexbase : A9471E7W) : Rec. I-7639 ; RJF, 12/10, n° 1244.
(31) Règlement CE n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil, 19 juillet 2002 (N° Lexbase : L6959A4I), JOCE 11 septembre 2002, L 243, p. 1. Il a pour but l'adoption et l'application des normes comptables internationales dans l'Union européenne afin d'harmoniser l'information financière présentées par les sociétés.
(32) Directive 2006/112/CE, op. cit, art. 63.
(33) Par exemple en droit français, dans le cadre du renforcement des moyens de lutte cf. loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006, de finances rectificative pour 2006, art. 93 (N° Lexbase : L9270HTI) : JO, 31 déc. 2006, p. 20228 ; DF 2007, n° 5, comm. 130.
(34) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, p. 2, op. cit..
(35) Huitième Directive-TVA du Conseil du 6 décembre 1979, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Modalités de remboursement de la TVA aux assujettis non établis à l'intérieur du pays (N° Lexbase : L9405AUU), JOCE, 27 déc. 1979, n° 331.
(36) Directive du Conseil du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la TVA, prévu par la Directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l'Etat membre du remboursement, mais dans un autre Etat membre (N° Lexbase : L8140H3U), JOUE, 20 février 2008, L 44.
(37) Point 27.
(38) Art. 147 ter, paragraphe 1, sous a) du Code des impôts.
(39) Ces conditions ont été reprises à l'article 3 de la Directive du 12 février 2008, op. cit..
(40) CJCE , 17 juillet 1997, aff. C-190/95, point 16 (N° Lexbase : A9909AUK) : Rec. p. I-4383.
(41) Point 46.
(42) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, op. cit., p. 12.
(43) Siège, établissement stable ou à défaut domicile ou résidence habituelle.
(44) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, art. 171, § 1, al. 2., p. 36, op. cit..
(45) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, p. 39, op. cit., art. 195 : "La TVA est due par les personnes qui sont identifiées à la TVA dans l'Etat membre dans lequel la taxe est due et auxquelles sont livrés les biens dans les conditions prévues aux articles 38 et 39 si les livraisons sont effectuées par un assujetti qui n'est pas établi dans cet Etat membre". Cette disposition est applicable aux livraisons d'électricité à destination d'assujettis revendeurs identifiés à la TVA.
(46) CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-146/05, point 29 (N° Lexbase : A5696DYM) : RJF 12/07, n° 1512. CJCE, 12 juillet 2012, aff. C-284/11 (N° Lexbase : A8483IQA) : RJF, 11/12, n° 1093.
(47) Directive 2008/9/CE, 12 février 2009 (N° Lexbase : L8140H3U) : JOUE, 22 février 2008, L 44.
(48) Directive 2008/9/CE, 12 février 2009, op. cit., p. 1.

newsid:441653

Taxes diverses et taxes parafiscales

[Brèves] Aides d'Etat : ouverture d'une enquête sur les réductions fiscales accordées aux grands consommateurs d'énergie au titre de la CSPE

Réf. : Lire le communiqué de presse de la Commission européenne du 27 mars 2014

Lecture: 2 min

N1564BUH

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Le 08 Avril 2014

Le 27 mars 2014, la Commission européenne a publié ses conclusions dans le cadre de l'enquête qu'elle a menée visant à déterminer si les aides octroyées à la production d'électricité à partir d'éoliennes terrestres étaient compatibles avec les règles de l'UE en matière d'aides d'Etat. Un arrêt de la Cour de justice de l'Union du 19 décembre 2013 (CJUE, aff. C-262/12 N° Lexbase : A8082KRR) a confirmé que le soutien apporté en France à la production d'électricité provenant des éoliennes terrestres constitue une aide d'Etat au sens des règles de l'UE. Mais la Commission considère que ce régime, qui consiste en des compensations accordées aux producteurs d'énergie renouvelable pour leurs coûts de production additionnels, sans recevoir de surcompensation, est compatible avec le Traité. En parallèle, la Commission a ouvert une enquête approfondie afin d'examiner si trois types de réductions sur les surtaxes sur les énergies renouvelables (la "CSPE" ou contribution au service public de l'électricité ; CGCT, art. L. 2333-2 N° Lexbase : L8813INQ, cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E5357ETL), accordées en France aux grands consommateurs d'énergie, sont ou non des aides d'Etat incompatibles. A cet égard, la France soutient le secteur des éoliennes terrestres en imposant des tarifs supérieurs au prix du marché aux distributeurs qui achètent l'électricité produite dans ces installations (tarifs de rachat). La valeur annuelle de cette aide est estimée à 500 millions euros. Les tarifs de rachat permettent aux producteurs d'électricité renouvelable de couvrir les coûts de production additionnels qu'ils supportent par rapport aux producteurs utilisant des méthodes traditionnelles de production d'électricité. Chaque consommateur d'électricité en France doit acquitter une redevance uniforme par kWh consommé, la contribution au service public de l'électricité (CSPE), sauf si la consommation individuelle est inférieure à 240 GWh par an, lorsque le montant annuel par site de consommation excède 550 000 euros (indexé), et la taxe est plafonnée à 0,5 % de la valeur ajoutée annuelle des sociétés industrielles qui consomment au moins 7 GWh par an. Selon la Commission, ces trois réductions donneraient aux grands consommateurs d'électricité un avantage sélectif qui pourrait fausser la concurrence au sein du marché unique.
Parallèlement, la Commission annonce qu'elle est en train de réviser les lignes directrices de 2008 sur les aides en faveur de l'environnement, pour la période 2014-2020, envisageant d'y inclure des dispositions permettant l'octroi de réductions pour les grands utilisateurs d'énergie, sous certaines conditions, afin de préserver la compétitivité. Si ces nouvelles lignes directrices étaient adoptées, elles s'appliqueraient à la présente affaire, ainsi qu'à d'autres affaires en cours. L'adoption des nouvelles lignes directrices est prévue pour le 9 avril 2014.

newsid:441564

Vente d'immeubles

[Brèves] Date de transfert de propriété des fruits de l'immeuble : le jour où la vente est parfaite et non le jour du paiement du prix

Réf. : Cass. civ. 3, 26 mars 2014, n° 13-10.984, FS-P+B (N° Lexbase : A2507MIP)

Lecture: 2 min

N1620BUK

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Le 08 Avril 2014

Sauf convention contraire, les fruits de l'immeuble appartiennent à l'acquéreur à compter du jour où la vente est parfaite, autrement dit dès la signature de la promesse synallagmatique, et non à compter de la date de paiement du prix de vente, à savoir celle de l'acte notarié. Telle est la solution qui se dégage de l'arrêt rendu le 26 mars 2014 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 26 mars 2014, n° 13-10.984, FS-P+B N° Lexbase : A2507MIP). En l'espèce, un jugement du 14 décembre 2010 avait déclaré parfaite depuis le 9 juin 2009, la vente par la société P. d'un immeuble à la société S. ; un litige étant survenu entre les parties au moment de la signature de l'acte notarié sur la date d'entrée en jouissance, la société P. avait déposé une requête en interprétation. Pour dire que l'entrée en jouissance devait se faire à la date de paiement du prix de vente, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait retenu que c'est à tort que le tribunal avait interprété le jugement du 14 décembre 2010 en disant que les fruits appartenaient à l'acquéreur à compter de la date à laquelle la vente était parfaite alors que, par application de l'article 1612 du Code civil (N° Lexbase : L1712ABZ), le vendeur n'est pas tenu de délivrer la chose si l'acheteur n'en a pas payé le prix et que la société S. n'avait pas payé celui-ci le 9 juin 2009 mais lors de la régularisation de la vente (CA Aix-en-Provence, 13 novembre 2012, n° 11/14091 N° Lexbase : A7757IW9). Le raisonnement de la cour d'appel est censuré, au visa des articles 1612 et 1614 (N° Lexbase : L1714AB4) par la Cour suprême qui retient qu'en statuant ainsi, alors que, sauf convention contraire, tous les fruits de l'immeuble appartiennent à l'acquéreur depuis le jour de la vente et que son obligation de payer le prix résulte de l'exécution complète par le vendeur de son obligation de délivrance, la cour d'appel a violé les textes susvisés. Il faut comprendre, en effet, comme l'expliquait le moyen, que l'article 1612 précité, qui prévoit que le vendeur n'est pas tenu de délivrer la chose si l'acheteur n'en a pas payé le prix, offre une simple faculté au vendeur, sans subordonner, dans l'hypothèse d'une vente d'immeuble, l'entrée en jouissance de l'acheteur au paiement du prix de vente (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E7907EX7).

newsid:441620

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