La lettre juridique n°135 du 23 septembre 2004

La lettre juridique - Édition n°135

Éditorial

Actions de préférence : "pour un droit moderne des sociétés" * ?

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N2881ABC

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par D. M.

Le 27 Mars 2014


Attendue depuis plus de dix ans par la pratique, l'ordonnance portant réforme des valeurs mobilières a enfin été publiée. Par ses dispositions, elle apporte une refonte espérée, mais également incertaine, des titres financiers. En effet, l'ordonnance vient d'introduire les actions de préférence en droit français, en s'inspirant des preferred shares anglo-saxonnes. Si le phénomène n'est pas nouveau, en France, la pratique ayant déjà recours à des mécanismes permettant à des actionnaires de bénéficier de droits particuliers (actions de priorité, certificats d'investissements...), les nouvelles dispositions ont, toutefois, le mérite d'encadrer et d'uniformiser ces pratiques, tout en leur donnant la souplesse qui leur manquait. En outre, en alignant ainsi le droit français sur les droits américains et anglais par la création des actions de préférence, c'est bien entendu le renforcement de l'attractivité de la place de Paris que vise l'ordonnance. Ainsi, avec les actions de préférence, les sociétés françaises auront-elles, désormais, la possibilité d'effectuer une séparation entre le capital et le pouvoir dans l'entité afin d'éviter les risques de perte de contrôle ou d'extension trop importante du capital. Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un entretien avec Me Angélique Lauprêtre et Me François Leloup, avocats à la Cour, afin de revenir sur ces nouvelles actions et leur mise en pratique.

* cf. rapport commun de l'AFEP, de l'ANSA et du MEDEF, octobre 2003

newsid:12881

Droit financier

[Questions à...] Quel avenir pour les actions de préférence ? Question à... François Leloup et Angélique Lauprêtre, avocats au barreau de Paris

Lecture: 4 min

N2861ABL

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Le 07 Octobre 2010


Introduites dans notre droit positif par l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7), prise en application de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA), les actions de préférence sont, pour beaucoup de praticiens, largement inspirées des preferred shares anglo-saxonnes. L'ordonnance confirme également la pratique des actions de priorité qui avait déjà cours. Les actions de préférence ont vocation à se substituer aux autres catégories d'actions à droits particuliers que sont les actions de priorité, les certificats d'investissement et autres actions à dividende prioritaire. Ces nouvelles actions pourraient présenter des caractéristiques très diverses relatives notamment à l'allocation ou à la suppression du droit de vote ou encore à l'octroi d'un droit préférentiel sur les résultats ou le boni de liquidation de la société. Pour en savoir plus, Lexbase a rencontré deux spécialistes en la matière : François Leloup, avocat associé et Angélique Lauprêtre, avocat du cabinet White & Case LLP. Ils ont bien voulu répondre à nos questions.

Lexbase : Les actions de préférence sont-elles réellement la copie conforme des preferred shares ?

Maître François Leloup : Pas véritablement. Le droit anglo-saxon étant sensiblement différent du nôtre, il est évident que les nouvelles actions de préférence ne peuvent être strictement identiques et donc avoir le même impact que des preferred shares. Par exemple, s'il est possible de créer des preferred shares dotées de droits de vote multiples aux Etats-Unis, il ne nous semble pas que l'ordonnance du 24 juin 2004 ait ouvert une telle possibilité en droit français.

Maître Angélique Lauprêtre : La pratique française reste encore loin de celle des preferred shares anglo-saxonnes. En effet, aux Etats-Unis, on dénombre pas moins de seize catégories de preferred shares utilisées classiquement par les praticiens. En France, les actions de priorité (qui ont précédé les actions de préférence) sont souvent utilisées dans le cadre d'opérations de capital risque, mais restent circonscrites aux sociétés non cotées. Toutefois, il ne faut pas nier que les possibilités techniques ouvertes par ces titres sont particulièrement intéressantes puisqu'elles permettent de répondre avec précision aux objectifs de chaque catégorie d'actionnaires, en adaptant les caractéristiques, financières ou politiques, de leurs actions à leurs contraintes.

Lexbase : Quels sont les nouveaux avantages, pour la pratique, de ces actions dites de préférence créées par l'ordonnance du 24 juin 2004 ?

Maître François Leloup : Les nouvelles actions de préférence vont apporter une certaine souplesse aux montages juridiques. Il sera désormais possible de créer des actions de préférence sans droit de vote, ou dont le droit de vote sera supprimé pour certaines décisions, ou encore pour une durée déterminée. Jusqu'ici, la suppression du droit de vote n'était possible que dans le cadre des actions à dividende prioritaire sans droit de vote. Dans le même ordre d'idées, le recours aux actions de préférence sera particulièrement intéressant pour les montages de capital risque : il va être plus simple de scinder détention du capital et exercice du pouvoir au sein d'une même structure ou encore d'assurer la cohésion au sein d'un même groupe d'actionnaires. Enfin, sur le terrain de l'efficacité, la pratique a pris la mesure des limites posées à l'exécution forcée des pactes d'actionnaires et pourrait développer un véritable intérêt pour la création d'actions de préférence, qui implique la mise en oeuvre de dispositions statutaires.

Maître Angélique Lauprêtre : Il sera également possible de convertir des actions de préférence en actions ordinaires ou en actions de préférence d'une autre catégorie, ou encore, de convertir des actions ordinaires en actions de préférence ; étant observé que les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital (plus d'un quart dans les sociétés cotées) sous peine de nullité (C. com., art. 228-11 N° Lexbase : L8368GQY). Enfin, innovation et preuve d'un certain pragmatisme, il sera désormais possible de dissocier société émettrice et société au sein de laquelle les droits particuliers sont exercés. Concrètement, une société mère pourra émettre des actions octroyant à leurs détenteurs des droits particuliers exercés directement dans l'une de ses filiales. Cette technique peut, bien entendu, être utilisée réciproquement.

Lexbase : Même s'il est difficile, dès aujourd'hui, d'apporter un point de vue objectif sur ces nouvelles actions, voyez-vous déjà plusieurs points obscurs ?

Maître Angélique Lauprêtre : Il est certain que certaines difficultés d'interprétation des termes de l'ordonnance sont d'ores et déjà identifiables. Les praticiens mettant en oeuvre les nouvelles dispositions de l'ordonnance dans le cadre de montages créatifs resteront tenus par les grands principes du droit des sociétés. Par exemple, travaillant sur les privilèges attachés à une catégorie d'actions de préférence, la pratique ne pourra s'affranchir de la prohibition des clauses léonines (C. civ., art. 1844-1 [LXB=L2021ABH ]).

Maître François Leloup : Sans faire preuve de timidité ou de prudence excessive, il conviendra de respecter le cadre qui nous est donné. Par exemple, la faculté d'aménager le droit de vote pose la question du droit de vote plural. Après avoir affirmé le principe de liberté de l'aménagement du droit de vote, l'ordonnance fait référence au principe de proportionnalité du droit de vote à la quotité du capital détenu, nous laissant ainsi dans un certain embarras. Il sera intéressant, à ce titre, de voir la position et la liberté prise par les praticiens sur cette question.

Lexbase : Les difficultés d'interprétation de l'ordonnance ont-elles déjà commencées ?

Maître François Leloup : Oui, une réponse ministérielle (QE n° 43987 de Mme Grosskost Arlette, JOANQ 20 juillet 2004 p. 5453, min. just., réponse publ. 24 août 2004 p. 6685, 12e législature N° Lexbase : L4559GTZ) vient de traiter d'une difficulté d'interprétation concernant l'application de la procédure relative aux avantages particuliers lors de l'émission d'actions de préférence. La position retenue par le Garde des Sceaux, à savoir que cette procédure vise "les actionnaires déjà existants et les actionnaires qui le deviennent au moment de la souscription à condition toutefois que ces actionnaires soient nommément désignés", ne va pas dans le sens de la plus grande libéralité, et l'on peut d'ores et déjà le regretter. C'est la première difficulté, mais sûrement pas la dernière.

Propos recueillis par Damien Mancel
SGR - Droit boursier et financier

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Entreprises en difficulté

[Manifestations à venir] Réforme des procédures collectives

Lecture: 2 min

N2833ABK

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Le 07 Octobre 2010

EFE organise, les 20, 21 et 22 octobre prochains, trois journées de formation consacrées à la réforme des procédures collectives. L'objectif de cette formation est, entre autres, de permettre aux participants de maîtriser les nouveaux mécanismes issus du projet de loi de sauvegarde des entreprises. Programme
  • Mercredi 20 octobre 2004 - Les actions de prévention : quels nouveaux instruments juridiques ?

Extension du champ des procédures collectives : quel nouveau champ d'application ?
Vers un renforcement de la détection des difficultés : faites le point sur les nouvelles dispositions applicables
La traduction en trésorerie : les difficultés prévisibles, des conditions d'ouverture élargies
La cessation des paiements : comment définir la frontière entre l'amiable et le judiciaire ?
Mandat ad hoc, conciliation : vers une meilleure adaptabilité des procédures de prévention aux besoins des entreprises ?
La nouvelle procédure de "sauvegarde" des entreprises : quels mécanismes innovants ?

  • Jeudi 21 octobre 2004 - Faites le point sur le nouveau régime de redressement judiciaire des entreprises

La procédure de redressement judiciaire : quelles nouveautés ?
Quels nouveaux pouvoirs donnés aux contrôleurs ?
Quelles nouvelles solutions proposées aux créanciers ?
Quel impact du projet de loi sur les négociations bancaires ?
Maîtrisez le nouveau régime juridique applicable à la liquidation judiciaire
La liquidation simplifiée : une procédure adaptée aux entreprises à faible actif
La responsabilité des dirigeants : le régime des sanctions rénové

  • Vendredi 22 octobre 2004 - Acquérir ou céder une entreprise en difficulté : les conséquences pratiques de la réforme

Mesurez les difficultés de l'entreprise : nouveaux critères, nouvelles investigations ?
Maîtrisez la dimension sociale : comment accompagner et réussir le traitement social d'une reprise ?
Maîtrisez les aspects fiscaux d'une reprise d'entreprise en difficulté
Pourquoi et comment investir dans une entreprise en difficulté ?
L'accès au capital : quand ? A quelles conditions ? Comment le négocier ?
Mandat ad hoc, redressement ou liquidation : les meilleurs choix pour votre reprise

Intervenants

Bernard Soutumier, président de chambre, tribunal de commerce de Paris
Jérôme Deharveng, ministère de la Justice
Christophe Théron, avocat, Théron & Associés
Guillaume Cornu, associé, Deloitte & Touche Corporate Finance
Thierry Monteran, avocat, UGGC & Associés
Henri Chriqui, administrateur judiciaire, Etude Chriqui Philippot
Jean-Pascal Beauchamp, fondé de pouvoirs, Médianture
Michel Chavaux, administrateur judiciaire, Etude Michel Chavaux
Pierre-Michel Le Corre, professeur agrégé, Université de Toulon et du Var
Stéphane Martin, administrateur judiciaire, Etude Stéphane Martin
Sophie Le Bourgeois, avocat, UGGC & Associés
Dominique Bouchery, directeur des affaires contentieuses, Société Générale
Stéphane Gorrias, mandataire liquidateur, MJA
Valérie Leloup-Thomas, mandataire liquidateur, MJA
Dominique Miellet, avocat, Miellet & Associés
Guilhem Bremond, avocat, Veil Jourde La Garanderie
Vincent Gladel, administrateur judiciaire, Etude Vincent Gladel
Jean-Claude Parrot, avocat, Landwell
Marc Santoni, avocat, Santoni Paccioni & Associés
Jean-Dominique Daudier de Cassini, avocat, Willkie Farr & Gallagher LLP

Date

20, 21 et 22 octobre 2004
8h45 17h30

Lieu

Paris

Tarifs

3 jours : 2 000 euros HT
2 jours : 1 600 euros HT
1 jour : 900 euros HT

Renseignements

Fabienne Raffier
Tél : 01-44-09-24-23
fraffier@efe.fr

newsid:12833

Fiscalité des entreprises

[Focus] La dissolution par confusion de patrimoines (TUP) à la lumière des dernières règles fiscales et comptables

Lecture: 6 min

N2886ABI

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par S. M.

Le 07 Octobre 2010


La dissolution sans liquidation, appelée aussi communément la dissolution par confusion de patrimoines (TUP) est régie par l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM). Cet article prévoit que si une société dont toutes les parts sont réunies en une seule main est dissoute, la dissolution entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Ce n'est qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2002, que le régime de faveur des fusions a pu être appliqué à cette opération. Par ailleurs, un avis du Conseil national de la comptabilité (le CNC), du 25 mars 2004, a apporté de nouvelles précisions sur le traitement comptable de ces transmissions (CNC, avis n° 2004-01 du 25 mars 2004).

1. Une lente accession au régime de faveur des fusions

Par une instruction fiscale en date du 11 août 1993 (BOI n° 4 I-1-93 N° Lexbase : X0827AAU), l'administration avait estimé que la dissolution par confusion de patrimoines n'était pas éligible au régime de faveur des fusions, puisqu'elle n'en avait pas le caractère juridique. Cette position paraissait, toutefois, contraire à la directive européenne du 23 juillet 1990 (directive (CE) 90/434 N° Lexbase : L7670AUM) qui qualifie de fusion "toute opération de transfert universel du patrimoine d'une société à la société détenant la totalité de son capital, par suite d'une dissolution sans liquidation", incluant dans sa définition les dissolutions-confusions. Aussi, certaines sociétés ont eu recours à une fusion simplifiée, beaucoup plus formelle et coûteuse, afin de bénéficier du régime de faveur.

Depuis, la loi de finances pour 2002 (loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001, art. 85 N° Lexbase : L1042AWI) a introduit un nouveau régime de fusion codifié à l'article 210-0 A du CGI qui, d'une part, donne une définition fiscale de la fusion très fortement inspirée de celle de la directive communautaire et, d'autre part, permet de faire bénéficier à la dissolution par confusion de patrimoine (qui n'avait ni les caractéristiques économiques de fusions, ni la qualification juridique au sens du droit des sociétés) du régime de faveur des fusions.

  • La nouvelle définition des fusions pour l'application du régime de faveur

L'article 210-0A, I, du CGI définit désormais les fusions comme les opérations par lesquelles :

- une ou plusieurs sociétés absorbées transmettent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine à une autre société préexistante absorbante, moyennant l'attribution à leurs associés de titres de la société absorbante et, éventuellement, d'une soulte ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale de ces titres ;

- deux ou plusieurs sociétés absorbées transmettent, par suite et au moment de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine à une société absorbante qu'elles constituent, moyennant l'attribution à leurs associés de titres de la société absorbante et, éventuellement, d'une soulte ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale de ces titres.

L'inscription dans le Code général des impôts de cette définition, qui repose sur la nature économique des opérations, est désormais source de sécurité juridique. En effet, il n'existait auparavant aucune définition législative des fusions, des scissions et des apports partiels d'actifs, sauf en matière de droits d'enregistrement.

Par ailleurs, cette définition a pour effet de rendre éligibles au régime de faveur des opérations qui présentent les caractéristiques économiques de fusions, mais qui n'en ont pas la qualification juridique et, notamment, les opérations de dissolution-confusion.

  • Le régime de faveur des fusions

Le régime spécial des fusions est réservé aux opérations auxquelles participent exclusivement des personnes morales ou organismes passibles de l'impôt sur les sociétés, quelle que soit par ailleurs leur forme juridique.

Les conséquences de l'application du régime de faveur pour la société absorbée sont, principalement, les suivantes :

- les plus-values nettes et les profits dégagés sur l'ensemble des éléments d'actif (actif immobilisé et actif circulant) apportés du fait d'une fusion ne sont pas soumis à l'impôt sur les sociétés ;

- l'impôt sur les sociétés n'est applicable aux provisions figurant au bilan de la société absorbée que si elles deviennent sans objet ;

- la société absorbée fait l'objet d'une imposition immédiate à raison des résultats - y compris les plus-values - réalisés au cours de la période d'imposition close par la fusion, augmentés, le cas échéant des provisions devenues sans objet ;

- la société absorbée fait l'objet d'une imposition immédiate à raison des résultats - y compris les plus-values - réalisés au cours de la période d'imposition close par la fusion, augmentés, le cas échéant des provisions devenues sans objet.

2. Conséquence de l'application du régime de faveur à la dissolution par confusion de patrimoines

L'administration a eu l'occasion de commenter l'application du régime de faveur aux dissolutions par confusion de patrimoine par une instruction du 7 juillet 2003 (BOI n° 4 I-1-03 N° Lexbase : X5337ABB).

Il en ressort que, dorénavant, il est possible d'intégrer les actifs et les passifs d'une filiale avec les mêmes effets qu'une fusion, mais selon une procédure plus simple et plus rapide. En effet, la dissolution sans liquidation ne requiert qu'une déclaration de la société mère. Autrement dit, la transmission universelle de patrimoine entraîne ni l'intervention d'un commissaire aux apports chargé d'évaluer le patrimoine transmis, ni la rédaction d'un traité de fusion et encore moins la tenue d'une assemblée générale de l'absorbante. Cette simplification n'est donc pas négligeable.

Pourtant, la TUP n'est pas dépourvue de tout inconvénient. En matière de droits d'enregistrements, la dissolution par confusion de patrimoines peut entraîner un coût fiscal important, dans la mesure où la transmission de l'actif immobilier exigera la taxe de publicité foncière de 0,60 % de la valeur vénale de l'immeuble au lieu d'un droit fixe dans le cas d'une fusion simplifiée .

Quant à la théorie de la mutation conditionnelle, celle-ci s'applique, lorsque certains actifs ont été antérieurement apportés à la société faisant l'objet de la dissolution par confusion par une autre personne morale non soumise à l'impôt sur les sociétés. Cette opération peut générer le paiement du droit de 4,80 %.

Enfin, en ce qui concerne le régime de TVA, l'administration n'a pas encore indiqué sa position.

Demeurent le problème de la valeur des actifs et passifs, ainsi que celui de la rétroactivité. En effet, avant l'avis du Conseil national de la comptabilité en date du 25 mars 2004 (avis n° 2004-01 relatif au traitement comptable, dans les comptes individuels, des fusions et opérations assimilés), la doctrine comptable s'opposait, du fait de l'absence de traité et de commissaire aux apports, à ce que les actifs soient revalorisés. L'opération devait donc se faire à la valeur nette comptable, alors que l'administration avait accepté qu'il soit conféré un effet rétroactif à la dissolution par confusion de patrimoines. Mais, l'avis ici rapporté prodigue de nouvelles règles comptables. D'une part, les actifs et passifs de l'entreprise dissoute sont toujours transmis à la valeur comptable. D'autre part, la rétroactivité des opérations de dissolution par confusion de patrimoine n'étant pas prévue par le Code civil, le CNC confirme qu'il n'apparaît pas possible de donner un effet rétroactif aux TUP sur le plan comptable.

Enfin, les écritures comptables seront reprises chez l'absorbante à l'issue du délai d'opposition des créanciers. Autrement dit, la date d'effet comptable ne correspond pas à la date de la décision de la fusion mais plutôt à l'issue du délai d'opposition des créanciers.

Ainsi la TUP a véritablement été assimilée à une opération de fusion bénéficiant du régime de faveur prévu à l'article 210 A du CGI . Mais, pour ce concerne les règles comptables y afférentes, il faudra attendre un arrêté ministériel, afin que ces dernières soient pleinement applicables.


Lire également :

Nouvelles règles comptables relatives aux fusions et opérations assimilées, Lexbase Hebdo n° 122 du 26 mai 2004 - édition fiscale (N° Lexbase : N1728ABM) ;
Les transmissions universelles de patrimoine : éligibilité au régime fiscal de faveur, Lexbase Hebdo n° 107 du 11 février 2004 - édition fiscale (N° Lexbase : N0497ABZ) ;
Régime fiscal de faveur des fusions : les conséquences de la nouvelle définition des fusions, Lexbase Hebdo n° 45 du 30 octobre 2002 - édition fiscale (N° Lexbase : N4504AA3) ;
- Loi de finances pour 2002 : l'aménagement des régimes de restructurations d'entreprises, Lexbase Hebdo n° 10 du 13 février 2002 - édition fiscale (N° Lexbase : N1946AAC) ;
- Fusion, apports partiels d'actifs, TUP... Ce que les nouvelles règles comptables devraient changer, BCF Entreprises, 4/04, éditions Francis Lefebvre, p. 1 à 5 ;
- La dissolution par confusion de patrimoines : une nouvelle étape, Sybille Plantin, JCP n° 11-14 mars 2002, p. 456 à p. 457 ;
- La dissolution par confusion de patrimoine : une alternative économique à la fusion, Gilles Semadeni et Yves Larue, Entreprise et expertise n° 769 du 26 janvier 2004.


newsid:12886

Fiscalité des entreprises

[Le point sur...] Déductibilité fiscale des sanctions à caractère civil : quand la fin justifie les moyens !

Réf. : CE 8° et 9° s-s, 7 janvier 2000, n° 186108, M. et Mme Philippe c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A9277AGP)

Lecture: 10 min

N2876AB7

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Le 07 Octobre 2010

Si le droit fiscal se caractérise essentiellement par son réalisme, force est de constater qu'il se distingue tout autant par son "amoralisme". En effet, par un arrêt qui peut sembler étrange, la plus Haute juridiction administrative a posé, dans son arrêt "Philippe" du 7 janvier 2000, le principe de la déductibilité fiscale des condamnations à caractère civil à la suite d'une activité illicite pénalement sanctionnée.

En l'espèce, M. Philippe, qui exploitait à titre individuel un fonds de commerce de négoce et de conditionnement de beurre en gros, avait acheté, à bas prix, du beurre à un escroc en toute connaissance de cause. Condamné pénalement pour recel de marchandises, il avait été confondu devant la juridiction civile par les victimes de cette escroquerie et condamné solidairement, avec l'auteur principal de l'infraction, à leur verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. M. Philippe avait, par la suite, déduit des résultats de l'exercice, au cours duquel cette condamnation civile avait été prononcée, la somme ainsi mise à sa charge. En outre, il avait constitué des provisions pour couvrir le risque d'autres condamnations.

L'administration n'avait pas admis ces déductions au motif qu'elles ne s'inscrivaient pas dans le cadre d'une gestion commerciale normale. Saisie de cette affaire, la cour administrative d'appel de Nantes avait confirmé ce redressement eu égard aux risques pris par le contribuable, dans la gestion de son entreprise, excédant manifestement ce qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation.

Contrairement aux conclusions de son commissaire du Gouvernement, qui avait suivi le raisonnement de la cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat a rappelé que l'illicéité ne vaut pas anormalité et, par conséquent, avait censuré, pour erreur de droit, l'arrêt de la cour administrative d'appel, avant de conclure à la déductibilité des sommes litigieuses.

Concrètement, la question posée par la requête des époux Philippe était de savoir si une sanction à caractère civil présente toujours le caractère de charge déductible (1), malgré le fait qu'elle procède d'un acte de gestion condamné pénalement (2).

1. Le principe de déductibilité fiscale des sanctions à caractère civil, indépendamment de leur caractère licite ou illicite

Dans le cadre de son activité, une entreprise, qui ne respecte pas ses obligations contractuelles, peut être condamnée à une astreinte ou à verser des dommages-intérêts à son cocontractant. Par principe, ces diverses pénalités, inhérentes aux risques de la profession, constituent des charges déductibles des résultats de l'exploitation (1.1). Concernant les condamnations civiles consécutives à l'exercice d'une activité immorale, voire illicite, la réponse est plus délicate. Cependant, selon une jurisprudence devenue classique, il n'existe aucun lien entre la déductibilité d'une charge et le caractère illicite de cette dernière (1.2.)

1.1. Le principe de déductibilité de toutes les charges fiscales...

En disposant que le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, l'article 39 du CGI , applicable en matière de bénéfices industriels et commerciaux et en matière d'impôt sur les sociétés , édicte un principe général de déductibilité. Par conséquent, si une dépense ou une perte est subie dans le cadre de la gestion d'une entreprise, il convient d'en admettre la déduction, à moins qu'un texte ne l'interdise formellement.

De telles interdictions sont nombreuses. Ainsi, par exemple, l'article 39, 2, du CGI interdit la déduction des amendes ou des pénalités mises à la charge des contribuables qui ont contrevenu aux dispositions régissant l'assiette des impôts. L'article 39, 2 bis, du même code exclut la déduction des sommes versées à un agent public étranger en vu d'obtenir un marché public. Enfin, l'article 39, 4, du CGI interdit la déduction de certaines dépenses somptuaires.

En revanche, en dehors de ces interdictions expresses, toutes les autres dépenses sont déductibles du résultat imposable, sous réserve bien évidemment de la théorie de l'acte anormal de gestion. Ainsi, les sanctions pécuniaires à caractère civil sont, elles aussi, en principe, déductibles.

Cependant, en application des principes généraux du droit fiscal, la jurisprudence a été amenée à condamner certaines dépenses illicites. Le Conseil d'Etat affirme, en effet, que le principe de la personnalité des sanctions pénales s'oppose à la déduction des amendes pénales infligées au contribuable imposable (CE 9° et 8° s -s, 8 juillet 1998, n° 158891, Association Radio Free Dom c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5737B7M).

En conséquence, la question demeure de savoir si le caractère illicite des dépenses supportées par les entreprises, au regard d'une législation autre que fiscale, est de nature à influer sur leur déductibilité. En d'autres termes, la fiscalité doit-elle contribuer à la moralisation des affaires ?

1.2. ...indépendamment de leur caractère illicite.

Pendant longtemps, le Conseil d'Etat refusa la déductibilité de dépenses supportées par des entreprises dans leur propre intérêt à raison de leur caractère illicite ou immoral.

Puis, cette jurisprudence fut abandonnée par le Haut conseil, à l'occasion de toute une série d'arrêts ayant fait suite à un arrêt de Section du 1er juillet 1983 (CE du 1er juillet 1983, n° 28315, Ministre du Budget c/ Société X N° Lexbase : A0654AM8) qui, sur le fondement de l'article 39, 1, du CGI, a reconnu que des intérêts moratoires, dont était redevable une banque envers la Banque de France, pour n'avoir pas constitué des réserves obligatoires auxquelles elle était tenue par la réglementation sous peine de sanction pécuniaire, doivent être regardés comme fiscalement déductibles. Cette jurisprudence a posé le principe de la déductibilité fiscale des charges des entreprises indépendamment de leur caractère licite ou illicite, l'acte anormal de gestion ne se confondant pas avec l'acte illicite.

Depuis, le Conseil d'Etat a réaffirmé cette position à maintes reprises. Par exemple, dans une affaire de remise de "cadeaux" en infraction à la législation économique (CE, 11 juillet 1983 n° 33942, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9178ALI), le Haut conseil a considéré que les dépenses illicites ne sont pas, par nature, non déductibles, dès lors qu'elles sont conformes à l'intérêt social.

En l'espèce, le Conseil d'Etat a pu ainsi regarder comme fiscalement déductible une condamnation civile prononcée contre un exploitant exerçant une activité de location de fonds de commerce à raison de son activité de recel pénalement sanctionnée.

Ainsi, toutes les sanctions pécuniaires à caractère civil sont, en principe, déductibles, puisque le seul fait qu'une pénalité trouve son origine dans un acte illicite ne suffit pas à interdire la déduction. Cependant, ce dernier ne doit pas être contraire ou étranger aux intérêts l'entreprise.

2. Déductibilité des sanctions à caractère civil résultant d'un acte de gestion condamné pénalement

Une charge n'est déductible fiscalement que dans la mesure où elle correspond à l'intérêt de l'entreprise. Or, comme le souligne le Conseil d'Etat dans sa décision "Philippe", une dépense illicite, même constitutive d'un délit pénal, n'est pas nécessairement anormale, si elle s'inscrit dan l'intérêt de l'entreprise et contribue à son enrichissement (2.1.), peu importe les risques encourus par celle-ci pour arriver à cette fin (2.2).

2.1. Absence de lien automatique entre illicéité et acte anormal de gestion

Conformément à sa jurisprudence traditionnelle fondée sur "l'amoralisme" du droit fiscal, le Conseil d'Etat considère, depuis sa décision du 1er juillet 1983 précitée, que le caractère illicite d'un acte ne préjuge pas, en soi, de l'intérêt qu'il présente ou non pour l'entreprise.

Ainsi, une dépense peut présenter un caractère illicite sans pour autant constituer un acte anormal de gestion, dès lors qu'elle a été engagée dans l'intérêt de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle, par exemple, le Conseil d'Etat a admis que des "pots-de-vin" puissent être déduits du résultat imposable, lorsqu'ils ont permis d'obtenir des marchés à l'exportation (CE, 5 décembre 1983, n° 35697, Société xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie [LXB=1840AM4]).

Cette solution jurisprudentielle se justifie par le respect du principe de non-immixtion de l'administration fiscale et du juge de l'impôt dans la gestion de l'entreprise, principe selon lequel "le contribuable n'est jamais tenu de tirer, des affaires qu'il traite, le maximum de profits que les circonstances lui auraient permis de réaliser" (CE 8° s-s, 7 juillet 1958, n° 35977, M. Dupont c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie), ainsi que de l'interdiction faite au juge fiscal de connaître des actes répréhensibles, dont la sanction relève d'un autre juge.

Par conséquent, un juge ne peut se fonder sur le caractère délictuel de l'activité qui est la cause des charges dont la déduction est en litige, pour estimer qu'elles résultent d'un acte anormal de gestion. Seul compte l'intérêt de l'entreprise... et celui du Trésor !

Dans l'arrêt "Philippe", comme le souligne le commissaire du Gouvernement, "il est clair qu'en participant à un circuit de carambouille, M. Philippe pouvait acquérir des produits qui n'étaient pas payés aux producteurs par son fournisseur ou à un prix inférieur à leur prix d'achat normal et que son entreprise avait intérêt à la mise en place de ce système qui avait pour conséquence nécessaire une augmentation de sa marge bénéficiaire".

Pourtant, il est certain que la commission d'infractions, tel que le recel entraîne, aussi des conséquences dommageables pour l'entreprise, qui peuvent venir contrebalancer la perspective d'un gain purement financier. En effet, outre la possibilité pour l'exploitant d'être condamnée à une lourde amende pénale, qui n'est pas déductible, ce dernier risque aussi l'emprisonnement et la dissolution de la personne morale.

Pour apprécier l'intérêt de l'entreprise à participer à de telles activités délictueuses et déterminer l'existence d'un acte anormal de gestion, la cour administrative d'appel de Nantes a retenu le critère du risque manifestement excessif.

2.2. La notion de risque excessif

Pour apprécier l'existence ou non d'un acte anormal de gestion, la cour administrative d'appel de Nantes a repris une jurisprudence prétorienne du Conseil d'Etat développée notamment dans l'arrêt "Loiseau" du 17 octobre 1990 (CE Contentieux, 17 octobre 1990, n° 83310, M. Loiseau c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4669AQY), dans lequel il refuse la déductibilité des charges engagées par un exploitant, dès lors que les mesures prises par ce dernier excèdent manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être amené à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation. Néanmoins, il considère qu'il n'y a pas de gestion anormale si le risque encouru est seulement important. Dans cette affaire, il s'agissait d'un gestionnaire de portefeuilles, qui dans l'intérêt de son entreprise, a versé à ses clients pour les garantir des pertes susceptibles de résulter de sa gestion des sommes largement plus importantes que ses recettes professionnelles. En persistant à offrir une telle garantie pendant plusieurs exercices, le Conseil d'Etat a estimé que le gestionnaire a manifestement excédé les risques qu'un chef d'entreprise peut prendre dans l'intérêt de son exploitation.

En l'espèce, la cour administrative d'appel a considéré qu'en raison, notamment, du fait que M. Philippe avait demandé aux camionneurs de son entreprise de feindre de prendre la direction de la prétendue entreprise de l'auteur principal de l'escroquerie au moment de quitter le marché de Rungis de manière à conforter les fournisseurs dans l'idée que l'entreprise de celui-ci avait une consistance réelle, le contribuable avait pris des risques manifestement excessifs à ceux qu'un chef d'entreprise peut être amené à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation. Elle en a déduit que les condamnations civiles prononcées contre le requérant personnellement, en réparation du préjudice causé aux victimes de son activité pénalement sanctionnée ne pouvaient être regardées comme des dépenses exposées dans l'intérêt de l'entreprise et ne pouvaient par suite être déduites des résultats de celle-ci, nonobstant la circonstance que celle-ci avait tirée initialement un profit de cette activité délictueuse.

En censurant pour erreur de droit cette décision, le Haut conseil semble revenir sur la jurisprudence "Loiseau", qui constitue une dérogation au principe de non-immixtion de l'administration et du juge dans la gestion de l'entreprise : "c'est seulement si [les] opérations ont été décidées à des fins étrangères aux intérêts de l'entreprise qu'elles peuvent être réputées relever d'une gestion anormale".

Cependant, il convient de ne pas oublier que cette notion de "risque excessif" a été mise en oeuvre pour fixer une règle de quantum de la charge déductible et non pour fonder un principe de non-déductibilité. Dans sa décision, le Conseil d'Etat ne visait sans doute qu'à censurer l'extension de cette théorie prétorienne par la cour administrative d'appel.

Enfin, statuant sur le fond, le Conseil d'Etat considère, qu'en l'espèce, l'administration n'établit pas l'existence d'un acte anormal de gestion. Il convient de rappeler que la Haute cour administrative a déjà posé comme principe que la charge de la preuve de l'acte anormal de gestion incombe à l'administration dans un arrêt du 8 août 1990 (CE, 8 août 1990, n° 92997 SA International Transports (INTERTRANS) Paris c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4781AQ7). Selon le Conseil d'Etat, il ne suffit pas de constater la déduction, dans les charges fiscales d'une entreprise, de condamnations pécuniaires procédant d'activités délictueuses pour déduire l'existence d'un acte anormal de gestion.

Par cette décision "Philippe", le Conseil d'Etat a considéré que les sanctions, qu'un tribunal civil met à la charge d'une entreprise lors d'un litige intéressant son activité commerciale, présentent, toujours, le caractère d'une charge déductible du résultat imposable, même si ces condamnations sont la conséquence d'un acte de gestion, qui a été condamné pénalement.

Cette solution nous semble particulièrement critiquable pour au moins deux raisons. D'une part, elle revient à considérer que le recel et l'escroquerie peuvent être considérés comme des pratiques conformes à l'intérêt de l'entreprise. D'autre part, elle a pour conséquence de transférer le poids financier de la réparation civile du délinquant à l'Etat, et, par suite, aux contribuables.

Peu soucieux de ces considérations, le Conseil d'Etat a réitéré sa jurisprudence, dans un arrêt "Prieur" du 30 décembre 2002 (CE 3/8, 30 décembre 2002, n° 230033, M. Prieur c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7091A4E) en estimant que constituait une charge déductible la réparation civile versée par un garagiste à une société de crédit-bail à la suite d'une condamnation pénale pour escroquerie.

Sabine Dubost
DESS de fiscalité internationale, Université de Paris II Panthéon -Assas
DEA de droit fiscal, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne


Lire également :

- Déductibilité fiscale des sanctions pécuniaires ?, Philippe Losappio, Revue de droit fiscal de 2000, n° 28, P 1010 ;
- Où l'on voit le Conseil d'Etat confirmer dans un arrêt "pousse-au-crime" qu'une activité délictueuse peut être effectuée dans l'intérêt de l'entreprise, obs. critiques Fl. Deboissy, RTD com. 2000, p.760 ;
Condamnations pécuniaires infligées par les juridictions civiles : qu'est-on en droit de déduire ?, Rémi Gouyet, JCP - La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 41 - 10 septembre 2002, p. 1610.

newsid:12876

Social général

[Textes] Le ministère d'avocat devant la Cour de cassation est désormais obligatoire en matière prud'homale

Réf. : Décret n° 2004-836 du 20 août 2004, portant modification de la procédure civile (N° Lexbase : L0896GTD)

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Le 07 Octobre 2010

En disposant, de manière lapidaire, que "l'article R. 517-10 du Code du travail (N° Lexbase : L8829ACY) est abrogé", l'article 39 du décret du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile met un terme à la dispense du ministère d'avocat devant la Chambre sociale de la Cour de cassation (1). On admettra -sans difficulté- que cette réforme, maintes fois annoncée, présente une importance considérable eu égard à ses conséquences pour les justiciables et, singulièrement, les salariés. Le pourvoi en cassation est la voie de recours qui tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit (NCPC, art. 604 N° Lexbase : L1790ADN). Ce pourvoi n'est ouvert qu'à l'encontre des jugements rendus en dernier ressort (NCPC, art. 605 N° Lexbase : L2860ADB), ce qui vise les arrêts de cours d'appel et les jugements de première instance prononcés en premier et dernier ressort. Le pourvoi en cassation est donc une voie de recours extraordinaire qui, de ce fait, n'est ouverte que dans les hypothèses prévues par la loi. Celles-ci ont toutes pour objet de permettre à la Cour de cassation de vérifier que les juges du fond ont fait une exacte application de la règle de droit. Par suite, et ainsi que le soulignent des auteurs autorisés, "la Cour de cassation est juge des jugements et non pas juge des affaires" (L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 4ème éd., 2004, § 1097). Ce que l'on a coutume de résumer en disant que la Cour de cassation est juge du droit et non pas juge du fait.

Cette particularité explique sans doute en grande partie l'exigence légale d'avoir recours à des avocats maîtrisant parfaitement la technique du pourvoi en cassation. Cette exigence est posée par l'article 973 du NCPC (N° Lexbase : L1800ADZ), aux termes duquel "les parties sont tenues, sauf disposition contraire, de se constituer un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation". Ainsi que l'exprime clairement ce texte, le ministère d'avocat est donc en principe obligatoire devant la Cour de cassation. Cependant, une disposition particulière peut toutefois écarter une telle exigence. Tel était précisément le cas en matière prud'homale, l'article R. 517-10 du Code du travail (N° Lexbase : L8829ACY) précisant qu'en cette matière, "le pourvoi en cassation est formé, instruit et jugé suivant la procédure sans ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation".

Cette exception au régime de droit commun se justifiait par le souci d'assurer un meilleur accès des salariés à la justice et, plus particulièrement, pour les plus démunis d'entre eux. Un salarié pouvait donc, sans aucune aide, déposer un mémoire devant la Chambre sociale de la Cour de cassation. Louable en son principe, cette dispense d'avocat n'en demeurait pas moins problématique dans ses conséquences, à au moins deux égards. Pour le salarié tout d'abord, elle conduisait souvent à l'échec du pourvoi en raison de la difficulté bien compréhensible de faire la distinction entre ce qui relève des faits et ce qui a trait au droit. Ensuite, cette dispense était de nature à engorger la Cour de cassation, l'avocat à la Cour de cassation opérant de fait un tri des affaires, en évaluant les chances du pourvoi et en mettant en forme les moyens. Cela explique en grande partie pourquoi un certain nombre de personnalités particulièrement autorisées, au premier rang desquelles figurent beaucoup de Présidents de la Chambre sociale de la Cour de cassation, avaient appelé de leur voeux la réforme opérée par le décret du 20 août 2004 (Cf. par ex., G. Gélineau-Larrivet, Quelques réflexions sur les conseils de prud'hommes et la procédure prud'homale : Mél. offerts à Pierre Drai, Dalloz 2000, p. 343. V. aussi, Cour de cassation, Rapport pour 2000, Doc. française 2001, p. 23 ; suggestion au législateur rappelée dans le Rapport pour 2001).

En rendant le ministère d'avocat à la Cour de cassation obligatoire en matière prud'homale, le décret commenté vient donc exaucer ces voeux. Il va de soi que cette réforme sera diversement appréciée. Les partisans de ce changement, aux côtés desquels on peut raisonnablement se ranger, ne manqueront pas d'avancer qu'avec l'aide d'un avocat spécialisé, le justiciable accroît grandement ses chances de voir son pourvoi aboutir devant la Cour de cassation. En outre, et ainsi que nous le relevions précédemment, cela conduira à un filtrage des pourvois et contribuera, par là-même, à désengorger la Cour de cassation. A rebours, les adversaires de la réforme pointeront certainement son caractère inégalitaire, en ce qu'elle conduit à interdire de fait le pourvoi en cassation aux justiciables les plus démunis financièrement. Cet argument doit cependant être relativisé. D'une part, en effet, une telle inégalité existait antérieurement dès lors qu'une seule des parties, en demande ou en défense, pouvait avoir recours au ministère d'avocat au Conseil. D'autre part, on peut espérer que cette réforme s'accompagnera d'une révision des barèmes de l'aide juridictionnelle et que, de leur côté, les avocats au Conseil pourront négocier avec les syndicats de salariés une politique de modération et prévoir pour les salariés des tarifs plus "doux" (v. en ce sens, Sem. soc. Lamy, n° 1181, p. 4).

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) L'article 59 du décret précise que celui-ci entrera en vigueur le 1er janvier 2005 et sera applicable aux procédures en cours. Toutefois, les articles 20 à 43 seront applicables uniquement aux recours dirigés à l'encontre des décisions rendues à compter du 1er janvier 2005. On peut noter, en outre, pour information, que la dispense du ministère d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est également supprimée en d'autres matières. Ainsi en est-il pour les pourvois formés en matière éducative, d'expropriation pour cause d'utilité publique, de surendettement, contre les arrêts de la cour d'appel de Paris statuant en matière d'indemnisation des transfusés victimes du sida, contre les arrêts d'appel statuant à propos d'une décision du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, contre les ordonnances des premiers présidents de cour d'appel statuant en matière de rétention d'étrangers.

newsid:12873

Social général

[Jurisprudence] France télécom et l'AGS : la Cour de cassation conserve la ligne

Réf. : Cass. soc., 7 septembre 2004, n° 02-21.384, Société France Télécom c/ Assurance de garantie des salaires (AGS), FS-P (N° Lexbase : A3383DDN)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Issue de l'antique service des postes et télécommunications, l'entreprise France Télécom s'éloigne chaque jour un peu plus de son statut public. Quelques mois après le vote par l'Assemblée nationale de la loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom (loi n° 2003-1365, 31 décembre 2003 N° Lexbase : L6346DMY), la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte à son tour sa contribution à la normalisation de l'entreprise et à son intégration dans le secteur privé concurrentiel. Quelques années après un retentissant revirement de jurisprudence concernant l'affiliation d'entreprises relevant partiellement du secteur public à l'AGS, la Cour de cassation entend confirmer ici la nouvelle ligne jurisprudentielle (1). La solution n'est donc guère surprenante, même si elle place l'entreprise dans une situation paradoxale (2).
Décision

Cass. soc., 7 septembre 2004, n° 02-21.384, Société France Télécom c/ Assurance de garantie des salaires (AGS), FS-P (N° Lexbase : A3383DDN)

Rejet (CA Paris, 1re chambre, section S, 25 septembre 2002 N° Lexbase : A4616A4Q)

Texte visé : article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9556GQY)

Mots clefs : AGS ; entreprises soumises à l'obligation d'assurance ; France Télécom.

Faits

1. Le Groupement des Assédic de la région parisienne (Garp) a fait citer la société France Télécom devant le tribunal de grande instance de Paris, d'une part, pour avoir paiement d'une provision à valoir sur le montant des cotisations échues depuis le 1er janvier 1997 au régime d'assurance des salariés contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail et, d'autre part, pour l'entendre condamner à lui fournir sous astreinte et avec exécution provisoire la déclaration des salaires versés depuis le 1er janvier 1997 à ses salariés sous contrat de droit privé.

2. La cour d'appel de Paris a fait droit à ces demandes.

Problème juridique

Le statut particulier de France Télécom la soustrait-elle à l'obligation d'assurer ses personnels auprès de l'AGS ?

Solution

1. Rejet

2. "En vertu de l'article 1-1 ajouté à la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 (N° Lexbase : L9430AXK) par la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 (loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications N° Lexbase : L7801GT4) la personne morale de droit public France Télécom a été transformée, à compter du 31 décembre 1996, en une entreprise nationale dénommée France Télécom, dont l'État détient directement plus de la moitié du capital social et qui est soumise aux dispositions de la loi du 2 juillet 1990, complétée et modifiée par celle du 26 juillet 1996, en tant que celle-ci concerne l'exploitant public France Télécom et, dans la mesure où elles ne sont pas contraires à ladite loi, aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes [...] l'article 1er des statuts de France Télécom approuvés par le décret n° 96-1174 du 27 décembre 1996 (décret n° 96-1174 du 27 décembre 1996, approuvant les statuts de France Télécom et portant diverses dispositions relatives au fonctionnement de l'entreprise nationale N° Lexbase : L7802GT7) dispose que l'entreprise nationale est une société anonyme soumise à la législation sur les sociétés anonymes sous réserve des lois spécifiques la régissant, notamment la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 (loi n° 83-675 N° Lexbase : L6981AGN) et la loi du 2 juillet 1990, modifiée par la loi du 26 juillet 1996, et auxdits statuts".

3. "Aux termes de l'alinéa 1er de l'article L. 143-11-1 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, tout employeur ayant la qualité de commerçant, d'artisan, d'agriculteur ou de personne morale de droit privé et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ses salariés, y compris les travailleurs salariés détachés à l'étranger ainsi que les travailleurs salariés expatriés visés à l'article L. 351-4 (N° Lexbase : L6231ACR), contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail [...]. Ces dispositions ne sont pas contraires aux lois spécifiques régissant l'entreprise France Télécom à laquelle sa soumission aux lois sur les sociétés anonymes confère la qualité de personne morale de droit privé".

4. "La cour d'appel, qui, abstraction faite des motifs critiqués par le moyen et qui sont surabondants, a relevé qu'en vertu de l'article 29-1 ajouté à la loi du 2 juillet 1990 par la loi du 26 juillet 1996 la société France Télécom employait librement depuis le 1er janvier 1997 des agents contractuels sous le régime des conventions collectives, a exactement décidé, peu important l'origine de son capital et le service public national qui entre dans son objet en vertu de la loi, qu'elle devait fournir au Garp les déclarations des salaires versés depuis cette date à ses salariés soumis à un régime de droit privé".

Commentaire

1. La soumission de France télécom à l'obligation d'affiliation à l'AGS

1.1. Une solution conforme au Code du travail

L'article L. 143-11-1, alinéa 1er, du Code du travail, dans sa version antérieure à la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 N° Lexbase : L1304AW9), dispose que "tout employeur ayant la qualité de commerçant, d'artisan, d'agriculteur ou de personne morale de droit privé et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ses salariés, y compris les travailleurs salariés détachés à l'étranger ainsi que les travailleurs salariés expatriés visés à l'article L. 351-4 (N° Lexbase : L6231ACR), contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail".

L'application de ce texte pose traditionnellement de très sérieuses difficultés, s'agissant notamment des sociétés d'économie mixte ou des entreprises gestionnaires d'un service public et donc le capital est détenu, au moins en partie, par l'Etat. On s'est en effet demandé si la seule qualité de personne morale de droit privé suffisait à rendre obligatoire l'affiliation à l'AGS ou si celle-ci était conditionnée par la soumission effective de l'entreprise au droit des procédures collectives.

Jusqu'en 1987, la Cour de cassation considérait que la seule qualité de personne morale de droit privé suffisait à déclencher l'application des articles L. 143-11-1 et suivants du Code du travail, même si l'entreprise concernée ne relevait pas effectivement de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8) (Cass. soc., 12 janvier 1978, n° 77-11.482, Caisse de Compensation de l'Organic c/ Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés, publié N° Lexbase : A1118CHU Dr. soc. 1979, p. 30, obs. F. Derrida ; Cass. soc., 25 février 1981, n° 79-13.223, Association pour la Gestion du Régime d'Assurances des Créances des Salariés AGS, Groupement Régional des Assedic de la Région Parisienne Garp c/ Société Air-France, publié N° Lexbase : A4938AA7 Dr. soc. 1982, p. 185, note H. Blaise).

Par quatre arrêts rendus le 16 décembre 1987 concernant la SNCF, Air France et Radio France, la Chambre sociale de la Cour de cassation allait revenir sur cette interprétation et dispenser ces sociétés de l'obligation de s'assurer auprès de l'AGS, sous prétexte que "les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises étaient inconciliables avec les textes régissant [leur] fonctionnement" (Cass. soc., 16 décembre 1987, n° 83-14.201, Société Air France c/ Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des salariés (AGS), publié N° Lexbase : A0437AHN ; Cass. soc., 16 décembre 1987, n° 83-14.202, SNCF et autre c/ Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des salariés (AGS) et autre, publié N° Lexbase : A7982CH4 ; Cass. soc., 16 décembre 1987, n° 85-10.065, Association pour la gestion du régime d'assurances des créances des c/ Société nationale de radiodiffusion Radio France N° Lexbase : A1749AHA Dr. soc. 1988, p. 489, concl. G. Picca ; Cass. soc., 17 avril 1991, n° 89-16.708, Groupement des Assédics de la Région parisienne et autre c/ Compagnie Air-France, publié N° Lexbase : A4622ABS Dr. soc. 1991, p. 497, concl. G. Picca).

Le 29 février 2000, la Chambre sociale de la Cour de cassation allait faire machine arrière et revenir à son analyse initiale, considérant que la seule condition pour être obligatoirement assujetti à l'obligation d'assurance devait être la soumission au droit des sociétés, peu important que le personnel de l'entreprise puisse effectivement bénéficier des garanties de l'AGS (Cass. soc., 29 février 2000, n° 98-13.264, Assédic de l'Ain et des Deux-Savoie et autre c/ Société Télévision du savoir, de la formation et de l'emploi, publié N° Lexbase : A3623AUQ Dr. soc. 2001, p. 149, chron. B. Hatoux). La solution devait d'ailleurs être suivie par les juges du fond (CA Lyon, 6° ch., 5 mars 2003, n° 02/00978, à propos de GIAT industrie : "la loi ne distinguant pas selon que la personne morale de droit privé est soumise ou non à un statut particulier ou que son capital est ou non détenu par l'Etat ou encore selon l'effectivité du risque de cessation des paiements").

Dans la mesure où l'article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9556GQY) n'exige aucune condition, la solution est donc conforme à la loi : ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus...

1.2. Une solution compatible avec le statut des entreprises privées à capital public

Les entreprises privées en charge de la gestion d'un service public ne sont pas des entreprises comme les autres. Soumises, pour l'essentiel, aux règles du droit privé, elles supportent un certain nombre de sujétions qui justifient des adaptations de leurs statuts.

France télécom est ainsi devenue une société anonyme par la loi du 26 juillet 1996 (loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, de réglementation des télécommunications N° Lexbase : L7801GT4). Le principe de la soumission de l'entreprise au droit privé est affirmé par le législateur (art. 1-1) : "L'entreprise France Télécom est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi".

C'est précisément cette réserve d'une éventuelle contradiction avec les règles propres à l'entreprise qui faisait ici difficulté.

Pour obtenir la cassation de l'arrêt rendu le 25 septembre 2002 par la cour d'appel de Paris, arrêt conforme à la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, France télécom pointait du doigt l'ensemble des dispositions de son statut qui paraissaient incompatibles avec la soumission au régime de l'AGS : le président du conseil d'administration est nommé et révoqué par décret et, en raison de ces dispositions spéciales, France Télécom ne peut, en l'état actuel du droit, être soumise au droit commun des procédures collectives, prévoyant notamment le dessaisissement du débiteur, l'immixtion de mandataires judiciaires dans la gestion de l'entreprise, l'éviction des dirigeants ou encore la cession de l'entreprise à des personnes privées.

On comprend parfaitement les arguments développés par l'entreprise, laquelle trouvait aberrant d'être soumis au droit des procédures collectives, alors que certaines de ces dispositions ne pourraient trouver à s'appliquer. Mais l'argument ne pouvait prospérer. En premier lieu, les éléments avancés par le demandeur s'opposent certes à l'application de certaines des dispositions du régime des entreprises en difficulté, mais pas à toutes. En toute hypothèse, aucune disposition propre à France Télécom ne s'oppose à ce qu'elle puisse payer des cotisations à l'AGS. En second lieu, il est vrai que les trois quarts du personnel de France télécom ne sauraient dépendre du régime de la garantie des salaires, si d'aventure l'entreprise devait être soumise à une procédure collective, simplement parce qu'ils sont fonctionnaires (106 000 au 31 décembre 2002). Mais, pour le quart restant, la garantie de l'AGS pourrait trouver à s'appliquer, le cas échéant. En dernier lieu, la formulation même de l'article 1-1 de la loi modifiée du 2 juillet 1990 (loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications N° Lexbase : L9430AXK) incitait à retenir la solution finalement affirmée. Dans la mesure où le principe est celui de la soumission au droit privé, et l'exception l'application des dispositions incompatibles de la loi, il semblait logique d'interpréter la réserve de manière restrictive, comme cela a été fait ici.

2. Les particularité de l'application des règles relatives à la garantie des salaires à France Télécom

2.1. Une application circonscrite à un petit nombre de salariés

La composition inédite du personnel de France Télécom (trois quarts de fonctionnaires, un quart de salariés) limite dans les faits l'utilité de la soumission de l'entreprise à l'AGS, puisqu'elle cotise essentiellement pour des agents qui ne pourront jamais relever du bénéfice de la garantie.

Comme l'avait souligné la doctrine au moment de la mise en place de l'AGS par la loi du 27 décembre 1973, le législateur a entendu instaurer un mécanisme de solidarité interentreprises, véritable système de "sécurité sociale des salaires" (F. Derrida , D. 1974, chron. XXV).

La situation de l'entreprise France Télécom n'est, à cet égard, pas si différente de la situation des travailleurs qui pratiquent la multiactivité et qui peuvent ainsi être appelés à cotiser à des régimes de Sécurité sociale dont ils ne relèvent pas en raison du caractère accessoire de l'activité au titre de laquelle ils sont contraints de cotiser.

2.2. Une application fondée sur les principes de la solidarité et de la libre-concurrence

C'est d'ailleurs au nom de ce principe de solidarité que la doctrine approuve généralement ces décisions (en ce sens G. Couturier, Droit du travail, Les relations individuelles de travail, PUF ; Collection Droit fondamental Droit social, 3ème éd. 1996, n° 316).

Par ailleurs, et comme cela a été justement souligné (P. Coudert, L'application des procédures collectives aux entreprises publiques, Petites affiches du 14 septembre 1994, n° 110, p. 26), la dispense d'affiliation à l'AGS institue une forme d'inégalité entre les entreprises soumises au droit des sociétés et donc un facteur susceptible de fausser les règles de la concurrence puisque des sociétés, placées dans une position identique sur le marché, supportent des charges différentes.

Dans ces conditions, et comme nous l'avions pensé à l'époque (obs. préc. sous Cass. soc., 29 février 2000), la solution pourrait bien connaître l'application la plus large, en dépit des réserves émises par le Doyen Bernard Hatoux (préc.). Dans la mesure où la Cour de cassation déconnecte totalement la question de l'affiliation à l'AGS de celle de l'effectivité des garanties accordées au personnel de ces entreprises, et ce au nom du principe de solidarité et de respect des règles de la concurrence, on conçoit mal quelles pourraient être les dispositions propres à ces entreprises qui pourraient juridiquement s'opposer à ce qu'elles doivent s'affilier à l'AGS, même à fonds perdus.

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Sociétés

[Textes] La société européenne "à la française" : la société anonyme fermée

Réf. : Proposition de loi portant statut d'une société anonyme fermée

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N2880ABB

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par Aurélie Ecuyer, SGR - Droit des sociétés

Le 07 Octobre 2010

Le principe de la societas europae n'est pas nouveau, néanmoins il aura fallu attendre trente ans après la première proposition pour que le règlement relatif au statut de la société européenne (règlement n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 N° Lexbase : L1040AWG) et la directive complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs (directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 N° Lexbase : L5882A4M) soient adoptés. Ce règlement entre en vigueur le 8 octobre prochain, sans que les modifications nécessaires dans l'ordre interne français aient été effectuées. A cette fin, les sénateurs Jean-Guy Branger et Jean-Jacques Hyest viennent de présenter une nouvelle proposition de loi portant statut d'une société anonyme fermée, complétant celle qu'ils avaient déposée en janvier relative à la transposition de la directive concernant l'implication des travailleurs (une première proposition de loi relative à la société européenne avait déjà été présentée par le sénateur Philippe Marini en octobre 2003, sur ce texte lire N° Lexbase : N9045AAA). Toutefois, une autre proposition pourrait être élaborée par la Chancellerie afin de fédérer l'ensemble des projets en cours. Nous reviendrons sur l'importance et l'intérêt de l'adoption rapide en droit français d'une législation adaptée et sur la présentation de la proposition de loi portant statut d'une société anonyme fermée.
  • L'importance d'une modification rapide du droit interne

La société européenne (SE) va permettre aux sociétés ayant une activité communautaire de se réorganiser et d'éviter les contraintes juridiques et pratiques des différentes législations des Etats membres. Le règlement a prévu quatre modes de constitution de la SE : fusionner les sociétés, former une société holding ou une filiale commune, et transformer une société anonyme de droit national.

L'entrée en vigueur, le 8 octobre 2004, du règlement relatif au statut de la société européenne souligne l'urgence pour le législateur français d'adopter les modifications nécessaires. En effet, la société européenne ainsi créée est régie à la fois par le droit communautaire (le règlement n° 2157/2001) et par les dispositions nationales du lieu du siège de la société. En premier lieu, toutes les règles relatives à la constitution, au fonctionnement, aux comptes annuels et à la dissolution et liquidation de la société dépendent du règlement ; en second lieu, pour les domaines non traités par le droit communautaire, le règlement effectue un renvoi, le cas échéant, au droit interne.

Pour les sociétés européennes souhaitant s'immatriculer en France, l'article 9 du règlement précise que le droit des sociétés anonymes est applicable. C'est pourquoi, il est nécessaire d'apporter certaines modifications au droit des sociétés anonymes, afin qu'il puisse s'articuler avec le règlement (article 3 § 2) et qu'il réponde "aux exigences de compétitivité normative".

Ainsi, les Etats qui adapteront le plus rapidement leur législation nationale, et qui opteront pour des dispositions "intéressantes" pour les sociétés, seront les plus concurrentiels. Le législateur français doit se mettre rapidement à l'oeuvre, afin que la France puisse se positionner au niveau européen, et "attirer" les nouvelles SE.

  • Présentation de la proposition de loi portant statut d'une société anonyme fermée

Le but de la présente proposition de loi est de coordonner le droit français au droit communautaire afin de le rendre plus attractif et compétitif par rapport aux autres Etats membres, notamment ceux qui ont déjà procédé aux modifications nécessaires.

Aux termes de cette proposition de loi, un statut particulier de société anonyme serait créé : la société anonyme fermée (SA fermée). Ce statut serait réservé aux sociétés ne faisant pas appel publiquement à l'épargne et concernerait "les opérateurs privés souhaitant mieux contrôler la gestion" du capital de la société. Ainsi, une section 10 intitulée "Des sociétés anonymes fermées" serait instituée au sein du chapitre V du titre II du livre II du Code de commerce.

Afin de répondre aux exigences posées par l'article 3 § 2 du règlement qui stipule que "les dispositions de l'Etat membre du siège statutaire de la SE filiale exigeant qu'une société anonyme ait plus d'un actionnaire ne sont pas d'application pour la SE filiale", la société anonyme fermée pourrait être unipersonnelle (C. com., art . L. 225-272).

Parallèlement, l'article L. 432-4 du Code du travail (N° Lexbase : L6408ACC) relatif à l'information du comité d'entreprise, devrait être modifié, afin que les salariés des sociétés anonymes fermées à actionnaire unique en bénéficient.

En outre, l'accès au statut de SA fermée serait facilité. Les sociétés anonymes ne faisant pas publiquement appel à l'épargne pourraient opter pour ce statut, en effectuant une simple modification statutaire (C. com., art. L. 225-271). Cet accès le serait également pour les sociétés par actions simplifiées, qui pourraient plus aisément se transformer en SA fermées en raison de leur régime spécifique, et par la même accéder à la société européenne.

Toutefois, l'article L. 225-275 préciserait que "les dispositions relatives aux modalités de publicité concernant la transformation des sociétés par actions simplifiées en sociétés anonymes fermées ou les modalités de prise de décision en vue de l'option des sociétés anonymes pour les sociétés anonymes seront déterminées par décret".

Par ailleurs, plusieurs dispositions ont été présentées afin d'obtenir une SA fermée avec un fonctionnement plus souple, dans un souci de "compétitivité normative".

L'article L. 225-273 du Code de commerce laisserait une option pour la direction de la SA fermée, une structure moniste, un conseil d'administration et un président, ou une structure dualiste composée d'un conseil de surveillance et d'un directoire.

L'alinéa 2 de l'article L. 225-273 du Code de commerce soumettrait la direction et l'administration de la société par principe aux règles applicables aux sociétés anonymes tout en introduisant plus de liberté contractuelle.

Ainsi, la direction et l'administration de la SA fermée serait assujettie, notamment, aux règles applicables aux rémunérations des dirigeants, aux pouvoirs des organes de direction, aux cautions, avals et garanties, aux assemblées générales extraordinaires et aux conventions réglementées.

Néanmoins, l'article L. 225-38 relatif aux conventions réglementées (N° Lexbase : L5909AIP) serait complété par un alinéa concernant l'hypothèse d'un actionnaire unique, précisant que la convention conclue entre celui-ci et la société, serait simplement mentionnée au registre des décisions de l'actionnaire unique. D'une façon plus générale, on pourrait s'interroger sur l'ensemble des décisions prises par cette société par un actionnaire unique, notamment, les décisions relatives aux opérations sur le capital. Ne pourrait-on pas proposer des procédures plus simplifiées que celles qui existent dans les sociétés anonymes à l'heure actuelle ?

Parmi les dispositions qui ne seraient pas applicables à la direction et à l'administration de la SA fermée, on peut citer : le mode de nomination (C. com., art. L. 225-18 N° Lexbase : L5889AIX, L. 225-24 N° Lexbase : L5895AI8, L. 225-78 N° Lexbase : L5949AI8) et de révocation (C. com., art. L. 225-55 N° Lexbase : L5926AIC) des dirigeants, la composition (C. com., art. L. 225-69 N° Lexbase : L5940AIT, L. 225-58 N° Lexbase : L5929AIG, L. 225-17 N° Lexbase : L5888AIW) et les règles de majorité et de quorum des organes de direction et d'administration (C. com., art. L. 225-36-1 N° Lexbase : L2208ATX et L. 225-37 N° Lexbase : L5908AIN).

Toutefois, l'alinéa 5 de l'article L. 225-37, relatif à l'obligation de confidentialité des personnes assistant à une réunion du conseil d'administration, resterait applicable.

Par ailleurs, une plus grande liberté statutaire serait laissée s'agissant des formes et délais de convocation des assemblées générales.

Enfin, les règles relatives aux limitations du cumul des mandats sociaux (C. com., art. L. 225-21 N° Lexbase : L5892AI3, L. 225-67 N° Lexbase : L5938AIR et L. 225-77 N° Lexbase : L5938AIR) seraient écartées.

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