La lettre juridique n°960 du 12 octobre 2023

La lettre juridique - Édition n°960

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[Pratique professionnelle] Congés payés et maladie : quels impacts et quelles solutions à la suite des arrêts du 13 septembre 2023 ?

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N7070BZU

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par Pierre Pomerantz et Pierre Lopes, Avocats, cabinet Fromont Briens

Le 19 Octobre 2023

Mots-clés : congés payés • arrêt maladie • accident de travail • maladie professionnelle • report • prescription

Par plusieurs arrêts du 13 septembre 2023 au fort retentissement, la Cour de cassation a mis en conformité le droit français avec le droit de l’Union européenne s’agissant de l’acquisition de droits à congés payés pour les salariés arrêtés au titre d’une maladie de droit commun ou relevant de la législation professionnelle.

Cette solution expose les entreprises à de nombreuses difficultés, aussi bien d’un point de vue juridique, financier que pratique. Il convient de rechercher des solutions pour en limiter les impacts.


1. À l’origine de ces arrêts : quelle articulation entre droit français et droit européen en matière de congés payés ?

L'article 7 de la Directive du 4 novembre 2003 [1] impose aux États membres d'octroyer au moins quatre semaines de congés annuels payés aux salariés. Ce droit au congé annuel payé a d’ailleurs été érigé en « principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive » [2]

Comme le rappelle la Cour de cassation dans sa notice au rapport relative aux arrêts du 13 septembre 2023, il existe de longue date une contrariété entre droit français et droit européen sur la question des droits à congé payé du salarié en arrêt maladie :

  • En droit français, l’article L. 3141-3 du Code du travail N° Lexbase : L6946K97, qui conditionne l’acquisition de droits à congé payé à l’exécution d’un travail effectif, ne permet pas au salarié dont le contrat de travail est suspendu durant son arrêt maladie d’acquérir de droits à congé payé pendant un arrêt de travail. L’article L. 3141-5 du Code du travail N° Lexbase : L6944K93 assimile toutefois à du temps de travail effectif certaines périodes, dont celles pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an.
  • « L’approche du droit de l’Union européenne est différente. Le droit à congé payé, qui constitue un principe essentiel du droit de l’Union, est attaché à la qualité de travailleur. Certes, ce droit repose sur la prémisse selon laquelle il doit être calculé en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail [3]. Toutefois, les travailleurs absents pour une cause de maladie, situation imprévisible et indépendante de leur volonté, ne sauraient en être exclus [4]. Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne juge que la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé maladie et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de la période de référence. Dans un arrêt rendu le 24 janvier 2012, sur une question préjudicielle posée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, la Cour de justice a dit pour droit que l’article 7, § 1, de la Directive 2003/88/CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à une période de travail effectif minimale pendant la période de référence [5] » [6].

Cette divergence impose, pour être surmontée, de s’en remettre aux règles applicables en matière d’invocabilité du droit de l’Union européenne.

À ce titre, toute directive est dépourvue d’effet direct horizontal, de sorte qu’elle ne peut pas être invoquée devant le juge national par un salarié à l'encontre d'une entreprise de droit privé [7]. Si le juge national est tenu de procéder à une « interprétation conforme » du Code du travail pour parvenir au résultat imposé par la directive et ainsi assurer la primauté du droit de l'Union sur le droit interne [8], il ne peut pour ce faire adopter une approche contra legem [9]. En se fondant sur le seul principe d’interprétation conforme, il n’est donc pas possible d’écarter les dispositions de l’article L. 3141-3 du Code du travail, qui retiennent une position contraire au droit européen sur la question de l’acquisition des droits à congés pour les salariés en arrêt maladie.

La Cour de cassation dépasse cet obstacle en soulignant que « l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui a donné force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a modifié le champ normatif » [10]. Or, l’article 31, § 2, de la Charte décide que tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés, tandis que la CJUE considère que ce texte a vocation à être appliqué dans toutes les situations régies par le droit de l’Union et notamment dans les litiges opposant deux particuliers [11]. Dans ces conditions, la Cour juge, dans deux des arrêts commentés, qu’« il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale » [12].

2. Quels sont les apports des arrêts du 13 septembre 2023 ?

En application des principes précédemment rappelés, la Cour de cassation, par une série d’arrêts rendus le 13 septembre 2023, s’est attachée à assurer la mise en conformité du droit français avec le droit européen en matière de droit à congés payés :

  • Dans une première affaire (n° 22-17.340 N° Lexbase : A47891GH), la Cour juge que les salariés en arrêt de travail pour maladie ou accident, que ceux-ci soient d’origine professionnelle ou non professionnelle, acquièrent des droits à congé au cours de ces périodes d’arrêt ;
  • Dans une deuxième affaire (n° 22-17.638 N° Lexbase : A47951GP), est écartée la disposition de l’article L. 3141-5 du Code du travail qui limite à un an la durée de l’arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle permettant d’acquérir des droits à congé ;
  • Dans un dernier arrêt (n° 22-10.529 N° Lexbase : A47921GL), la Cour apporte une précision s’agissant du point de départ de la prescription. Elle précise ainsi que « lorsque l'employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé ».

3. Quel effet dans le temps présente cette jurisprudence ?

Par principe, la jurisprudence (en ce compris les positions nouvelles retenues dans le cadre d’un « revirement de jurisprudence ») a un effet rétroactif : elle s’applique ainsi à l’ensemble des rapports de droit régis par le texte concerné, et ce même si ceux-ci se sont noués antérieurement au jugement l’ayant dégagée.

Les solutions retenues par la Cour de cassation à l’occasion des arrêts commentés du 13 septembre 2023 s’appliquent donc pour l’avenir, mais également pour le passé, dans la limite des règles de prescription (cf. infra).

À ce titre, si la Cour de cassation a invité, à plusieurs reprises, le législateur à modifier les dispositions du Code du travail sur la question des droits à congé payé du salarié en arrêt maladie. L’application de la jurisprudence dégagée par les arrêts du 13 septembre 2023 n’est pas conditionnée par l’entrée en vigueur d’une telle réforme.

Il nous semble dommageable également que la Cour de cassation n’ait pas souhaité articuler les effets de ses décisions dans le temps, comme elle en dispose pourtant de la faculté.

Ce que n’avait pas manqué de juger le Conseil d’État, dans un autre domaine que le droit du travail, mais pour éviter la fluctuation de normes et pour protéger la sécurité juridique [13].

4. Quels jours de congé sont concernés par cette jurisprudence ?

La protection apportée par la Directive 2003/88/CE ne concerne que les quatre premières semaines de congés payés. Aurait donc pu être envisagé un maintien, à la seule cinquième semaine, de la règle posée par l’article L. 3141-3, selon laquelle le salarié dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un arrêt maladie d’origine non professionnelle n’acquiert pas de droits à congé payé.

La Cour de cassation a toutefois retenu une position différente : elle décide que le salarié malade peut prétendre à l’intégralité des droits à congé payé, « sans faire de distinction entre les quatre semaines minimales garanties par l’article 7 de la Directive 2003/88/CE et les droits issus de dispositions purement nationales, telles que la cinquième semaine légale de congés payés et les congés payés d’origine conventionnelle ».

Pour justifier sa position, la Cour indique que « distinguer les quatre semaines du congé principal de la cinquième semaine pour l’acquisition des droits aurait conduit le juge à opérer une discrimination à raison de l’état de santé, contraire aux dispositions de l’article L. 1132-1 du Code du travail ». Une éventuelle intervention législative pourrait toutefois permettre de limiter l’effet de cette nouvelle jurisprudence aux seules quatre premières semaines de congé.

S’agissant des éventuels jours de congés supplémentaires instaurés par voie d’accord collectif, il pourrait être envisagé d’insérer dans l’accord en question une clause excluant expressément toute acquisition de droits à congés durant les périodes d’absences pour maladie. Une telle disposition conventionnelle pourrait toutefois être considérée comme discriminatoire (et ce d’autant plus que la Cour de cassation s’est explicitement placée sur ce terrain pour motiver les arrêts commentés), sauf éventuellement à ce que l’ensemble des périodes de suspension de contrat, quel que soit leur motif, soient visées par l’exclusion.

5. Quelles conséquences en matière de prescription ?

Le paiement des indemnités de congés payés relève des règles relatives au paiement des salaires [14].

Par conséquent, ce paiement est soumis à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du Code du travail N° Lexbase : L0734IXH.

Pour apprécier le point de départ de la prescription, la Cour de cassation précise qu’il faut se placer à l’expiration de la période, légale ou conventionnelle, de prise des congés payés, à la condition que l’employeur ait mis le salarié en mesure d’exercer ce droit en temps utile.

La portée de l’arrêt (n° 22-10.529 N° Lexbase : A47921GL) est toutefois incertaine compte tenu de la situation particulière tranchée par la Cour cassation.

En effet, la salariée demandait la requalification de son contrat de prestation de services en contrat de travail et, en conséquence, la condamnation de la société au paiement d’indemnités de congés payés pour les périodes de référence afférentes.

Ainsi, les faits concernaient une créance salariale, aux fins de monétiser les congés payés, ce qui n’est autorisé que lors d’une rupture de la relation contractuelle.

Cette solution vient dans la continuité d’un arrêt de la CJUE qui avait traité la situation d’un salarié allemand qui, à la suite de la cessation de son contrat de travail, demandait à son ancien employeur une indemnisation financière relative à ses congés payés [15].

Il avait été jugé que « lorsqu’il n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé acquis au titre d’une période de référence, l’application de la prescription de droit commun prévue par le droit national à l’exercice de ce droit va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité juridique ».

6. Comment limiter l’impact de l'arrêt du 13 septembre 2023 sur la prescription ?

Les salariés absents pendant plusieurs périodes de référence consécutives, et dans l’impossibilité de prendre les congés payés acquis pour des raisons indépendantes de leur volonté, bénéficient du droit au report de leurs droits à congés cumulés, qui peuvent donc être pris après la date de reprise du travail [16].

Ce droit au report supporte toutefois des tempéraments.

La CJUE admet l’encadrement de la période de report des congés payés en raison d’un arrêt maladie d’un salarié (arrêt « KHS » [17]). À ce titre, la CJUE considère qu'il est possible de limiter le cumul des droits aux congés payés pour une période de report de 15 mois. En revanche, une période de report de 9 mois a été jugée insuffisante [18].

Ainsi, en retenant une période de report de 15 mois, on pourrait par exemple estimer que les droits à congés qui auraient dû être posés sur l'exercice courant du 1er juin 2020 au 31 mai 2021 sont perdus à la date du 31 août 2023.

La solution dégagée par l’arrêt « KHS » pourrait ainsi constituer une « porte de sortie » pour les employeurs, afin de limiter la portée des arrêts du 13 septembre 2023 pour les salariés. Une restriction au principe du report des droits à congés n’apparaît d’ailleurs en rien incompatible avec la double finalité de ce droit, qui vise à 1) permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail et 2) disposer d’une période de détente et de loisirs.

Dans l’arrêt « Fraport » [19], la CJUE précise toutefois que la période de report ne peut être opposée au salarié que si l'employeur a mis en mesure le salarié d'exercer son droit à congés payés en temps utile.

Par ailleurs, les principes précédemment énoncés s’appliquent aux salariés en maladie de manière continue sur plusieurs périodes ; tel n’est en revanche pas le cas concernant les salariés absents sur une partie seulement de l'exercice, comme l'a déjà jugé la CJUE dans un arrêt du 22 septembre 2022 [20].

7. Comment régulariser les pratiques ?

L’impact des arrêts de la Cour de cassation a soulevé de nombreuses interrogations pratiques, dont la Direction générale du travail s’est emparée pour entamer une réflexion. L’impact pour les entreprises de cette évolution jurisprudentielle est d’autant plus préjudiciable qu’elle résulte d’une carence du législateur dans la transposition de la Directive européenne précitée ; les revendications salariales qui pourraient en résulter, dont le coût global est chiffré à 2 milliards d’euros par le Medef, seront supportées par les employeurs qui ne faisaient pourtant qu’appliquer le droit national.

Dans l’attente d’une éventuelle intervention législative ou réglementaire, et afin de limiter le risque contentieux, nous vous préconisons de procéder de la manière suivante :

  • Pour l’avenir : sans attendre, il conviendrait de respecter cette nouvelle position jurisprudentielle et de considérer que les salariés en arrêt de travail pour maladie continuent d’acquérir des droits à congés payés. Cette solution implique toutefois un nouveau paramétrage des logiciels de paie, qui pourra prendre un certain temps.
  • Pour la période « passée » de la période d’acquisition en cours (entre le 1er juin 2023 et aujourd’hui) : il conviendrait également de régulariser les jours de congés correspondant à des absences de maladie.
  • Pour les périodes d’acquisition antérieures : toute régularisation « systématique » nous semble plutôt complexe à mettre en œuvre (même si elle serait souhaitable dans la mesure où les jours de congé sont théoriquement dus) compte tenu des éclaircissements encore nécessaires notamment sur les limites de la prescription applicable. Il sera toutefois nécessaire de régulariser au « cas par cas » les demandes formulées par les salariés concernés.

Dans cette démarche, l’employeur a tout intérêt à auditer son mode d’organisation des congés payés. En effet, l’objectif est de pouvoir circonscrire les éventuelles demandes de salariés, sur les reliquats de congés payés, et leur opposer une prescription de leur demande.

Cette prescription est recevable seulement si le salarié a eu connaissance de ses droits par son employeur et qu’il a eu la possibilité d’exercer ce droit en temps utile.

Les compteurs de congés payés disponibles sur les bulletins de paie, ou sur les espaces intranet des salariés, devront donc être analysés par les services compétents.

De la même manière, nous pouvons imaginer plusieurs solutions pratiques pour permettre aux employeurs de limiter la portée des arrêts du 13 septembre dernier :

  • L’employeur se doit d’informer les salariés sur leur droit à congés payés, et de les mettre en demeure de les prendre, plus particulièrement pour ceux revenant d’un arrêt maladie de longue durée.

Dans ce cas, l’employeur pourra démontrer qu’il a mis le salarié en mesure de prendre de ses congés payés en temps utile, et lui opposer en temps voulu la prescription s’il formulait des revendications à ce sujet ultérieurement.

  • Envisager la conclusion d’un accord collectif stipulant qu’en cas d’absence de longue durée excédant la période de référence, la période de report est limitée dans le temps, sous réserve que le période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée, soit une durée minimale de 15 mois.

Un tel accord pourrait, plus largement, prévoir les règles et bonnes pratiques dans la gestion des congés payés : période de report pour les absences consécutives sur plusieurs périodes de référence, règles précisant l’obligation en cas d’arrêt maladie de solder les droits acquis sur la période de référence en cours sauf exceptions justifiées par l’organisation du service et/ou de l’entreprise (les congés payés non pris seront perdus), priorisation de la pose des congés payés acquis par rapport aux RTT, éventuellement revoir les règles de monétisation des RTT,…

À défaut d’accord collectif, le Code du travail rappelle que la période de prise de congés peut être définie unilatéralement par l’employeur après avis, le cas échéant, du comité social et économique [21]. L’arrêt « KHS » renvoyant « aux pratiques nationales », qui ne sont pas définies par la CJUE, il pourrait être envisageable pour l’employeur de fixer la période de report par voie unilatérale.

  • S’agissant des salariés quittant les effectifs, il conviendrait d’adapter la rédaction du solde de tout compte, en stipulant par exemple que le salarié et la société ont liquidé les congés payés dus sur l’ensemble de la période contractuelle. Et ce, afin de faire jouer l’effet libératoire dudit solde dans l’hypothèse où il est signé par le salarié.

[1] Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail N° Lexbase : L5806DLM.

[2] CJCE, 26 juin 2001, aff. C-173/99, Bectu N° Lexbase : A1717AWI, pt 43.

[3] CJUE, gde ch., 4 octobre 2018, aff. C-12/17, Dicu N° Lexbase : A5560YEN, pt 28.

[4] CJUE, gde ch., 20 janvier 2009, aff. C-350/06 et C-520/06, Schultz-Hoff e.a. N° Lexbase : A3596EC8.

[5] CJUE, gde ch., 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez N° Lexbase : A2471IB7.

[6] Notice au rapport relative aux arrêts du 13 septembre 2023 [en ligne].

[7] CJCE, 26 février 1986, aff. C-152/84, Marshall N° Lexbase : A7241AHN ; CJUE, 22 janvier 2019, aff. C-193/17, Cresco Investigation GmbH N° Lexbase : A6807YTB, Europe, 2019, comm. 112, obs. A. Rigaux et D. Simon.

[8] CJUE, 24 janvier 2012, C-282/10, préc..

[9] CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, préc. ; Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, FS-P+B N° Lexbase : A9780I94 ; RJS 2013, n° 384

[10] Notice au rapport relative aux arrêts du 13 septembre 2023 [en ligne].

[11] CJUE, gde ch., 6 novembre 2018, aff. C-684/16, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften N° Lexbase : A0638YKT.

[12] Notice au rapport relative aux arrêts du 13 septembre 2023 [en ligne].

[13] CE, 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et autres N° Lexbase : A1829DCQ.

[14] C. trav., art. D. 3141-7 N° Lexbase : L5800LBG.

[15] CJUE, 22 septembre 2022, aff. C-120/21 N° Lexbase : A54068KG.

[16] Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-44.488, FS-P+B N° Lexbase : A3973EDI.

[17] CJUE, 22 novembre 2011, aff. C-214/10 N° Lexbase : A9722HZ4

[18] CJUE, 3 mai 2012, aff. C-337/10 N° Lexbase : A5062IKP.

[19] CJUE, 22 septembre 2022, aff. C-518/20 et C-727/20 N° Lexbase : A54138KP.

[20] CJUE, 22 septembre 2022, aff. C-518/20, préc..

[21]  C. trav., art. L. 3141-15 N° Lexbase : L6934K9P et L. 3141-16 N° Lexbase : L8584LGZ.

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Contrats et obligations

[Brèves] De l’opposabilité aux tiers des usages d’une profession

Réf. : Cass. com., 4 octobre 2023, n° 22-15.685, F-B N° Lexbase : A17151KQ

Lecture: 3 min

N7081BZB

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 11 Octobre 2023

► Il résulte de l'article 1194 du Code civil que les usages élaborés par une profession ont vocation à régir, sauf convention contraire, non seulement les relations entre ses membres, mais aussi celles de ces derniers avec des personnes étrangères à cette profession dès lors qu'il est établi que celles-ci, en ayant eu connaissance, les ont acceptées.

En l’espèce, en novembre 2017, une société A avait accepté un devis établi par une société B d'un montant de 80 456 euros, qu'elle avait payé le 8 décembre 2017, portant sur la fabrication spécifique et la pose d'armatures en acier en vue de la construction d'une plate-forme logistique. Un nouveau devis, relatif au même chantier, avait été émis le 8 janvier 2018 pour des quantités et prix différents mais n'avait pas été accepté.

Soutenant que les conditions du contrat avaient été unilatéralement modifiées, la société A avait invoqué sa résiliation et demandé le remboursement des sommes versées. La société B avait adressé à cette dernière en réponse une lettre recommandée l'informant de ce qu'elle prenait acte de l'annulation de la commande et de ce qu'elle retenait une indemnité forfaitaire de 64 364,80 euros en application de l'article 4.6 des Usages professionnels des Armaturiers (APA), en y joignant un chèque de 16 091,20 euros.

Prétendant que ces usages professionnels et ces conditions générales lui étaient inopposables, la société A avait assigné la société B en remboursement de la somme retenue.

Elle n’obtiendra pas gain de cause.

Selon la Haute juridiction, comme énoncé supra, il résulte de l'article 1194 du Code civil N° Lexbase : L0910KZQ que les usages élaborés par une profession ont vocation à régir, sauf convention contraire, non seulement les relations entre ses membres, mais aussi celles de ces derniers avec des personnes étrangères à cette profession dès lors qu'il est établi que celles-ci, en ayant eu connaissance, les ont acceptées.

La Cour suprême approuve alors l'arrêt qui avait retenu, d'une part, que, bien que l'objet social de la société A ne soit pas spécifique aux armatures, celle-ci avait commandé personnellement 50 tonnes d'armatures après avoir pris connaissance d'un devis laissant expressément à sa charge des prestations telles que le traçage des axes, le repiquage éventuel du béton et le redressage des armatures après un éventuel repiquage, les interventions sur les armatures de deuxième phase, de reprise ou sur élément préfabriqué, ce dont il ressortait que cette société disposait d'une compétence certaine en matière d'armatures.

L’arrêt énonçait, d'autre part, que les parties avaient la possibilité de soumettre leur contrat à des usages professionnels particuliers et relevait que le devis du 15 novembre 2017, comme la facture pro-forma du 27 novembre suivant, rappelaient que le contrat était soumis aux usages professionnels et conditions générales de l'APA, et mentionnaient que ceux-ci avaient été déposés au greffe du tribunal de commerce de Paris. Il retenait, enfin, que la société A, société commerciale immatriculée depuis 1991, disposant de dix établissements et réalisant un chiffre d'affaires important, savait comment consulter le document de l'APA et qu'elle avait effectué le paiement de la facture du 27 novembre 2017 sans avoir fait aucune observation sur la soumission du contrat à ces conditions générales.

De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la société A avait accepté que sa commande soit soumise aux usages professionnels et conditions générales 2017 de l'APA.

Pour aller plus loin : à noter que le présent arrêt fera l’objet d’un commentaire approfondi par Philippe Grignon, Maître de conférences HDR, membre de l’Institut des usages, Faculté de droit de Montpellier, à paraître prochainement dans la revue Lexbase Droit privé.

newsid:487081

Contrôle fiscal

[Brèves] PLF 2024 : focus sur le nouvel arsenal déployé contre la fraude fiscale

Réf. : Assemblée nationale, projet de loi de finances pour 2024, n° 1680

Lecture: 4 min

N7061BZK

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par Marie-Claire Sgarra

Le 13 Octobre 2023

Le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et le ministre délégué chargé des Comptes publics ont présenté mercredi 27 septembre, en Conseil des ministres, le projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

En matière de lutte contre la fraude fiscale et dans un but de renforcement des contrôles fiscaux, on notera les points suivants.

♦ Prorogation pour deux ans de l’expérimentation prévue par l’article 154 de la loi de finances pour 2020 autorisant les administrations fiscale et douanière à détecter la fraude fiscale par le biais de la collecte et de l’exploitation de certaines données des plateformes en ligne et d’élargir son champ d’application.

♦ Possibilité pour les agents des finances publiques de procéder à des enquêtes actives sous pseudonyme sur des sites internet, réseaux sociaux et applications de messagerie.

♦ Création d’un régime de sanctions gradué applicable, en l’absence de dispositions spécifiques, à l’ensemble des fraudes aux aides publiques, qui permettra d’assortir la récupération d’aides indûment perçues d’une majoration de 40 % ou 80 % en fonction de la gravité des faits.

♦ Création d’une procédure de mise en conformité fiscale, assortie d’un mécanisme d’injonction au déréférencement ou à la restriction d’accès à des interfaces en ligne donnant accès à des sites internet d’entreprises se livrant, depuis un État situé hors de l’Union européenne, à des activités économiques sans acquitter la TVA exigible.

Ajustement des règles de la TVA à l’importation, en rendant les « dropshippers » (dont la pratique commerciale consiste, pour un intermédiaire, à acheter un bien situé en territoire tiers et à le revendre en ligne en France sans jamais en disposer physiquement) redevables de la TVA à l’importation sur les ventes à distance de biens importés, sauf à ce qu’ils s’assurent que la TVA est perçue sur l’intégralité du prix du bien lors de l’importation, et en facilitant la mise en œuvre par les entreprises de leurs obligations relatives aux importations réalisées pour les besoins de leurs activités économiques.

Extension du mécanisme d’autoliquidation de la TVA aux opérations de cessions de garanties d’origine et de certificats prévus dans le Code de l’énergie, dans une perspective de lutte contre le développement des fraudes de type « carrousel ».

Renforcement du contrôle des prix de transfert des entreprises multinationales. Le texte aménage d’une part, le seuil de déclenchement de l’obligation de présenter, en début de contrôle fiscal, une documentation complète de la politique de prix de transfert ainsi que le montant de l’amende pour défaut de présentation de cette documentation, et rend la documentation présentée par l’entreprise opposable et prévoit, d’autre part, d’allonger le délai de reprise dont dispose l’administration pour les transferts d’actifs incorporels et de créer une nouvelle exception à la garantie de non-renouvellement d’une vérification de comptabilité sur ce sujet afin de permettre à la direction générale des finances publiques (DGFIP) d’appliquer pleinement les règles définies à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour contrôler les prix de ces cessions.

Aménagement des modalités de réalisation des contrôles fiscaux. Sans remettre en cause le principe selon lequel le contrôle a lieu sur place dans les locaux de l’entreprise, la modification proposée vise à autoriser l’administration à prendre l’initiative d’une délocalisation. Le lieu serait déterminé en accord avec le contribuable ou, à défaut d’accord, le contrôle se déroulerait dans les locaux de l’administration. Le texte propose également d’assouplir les conditions dans lesquelles des agents des finances publiques peuvent être autorisés à exercer leurs missions de façon anonyme lorsque la révélation de leur identité.

Création d’un délit autonome de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale, visant les personnes physiques ou morales qui mettent notamment à la disposition de leurs clients des moyens, services, actes ou instruments leur permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales.

 

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Conventions et accords collectifs

[Brèves] Métallurgie : un avenant de révision peut-il mettre fin à un accord de branche ?

Réf. : Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 22-23.551, FS-B+R N° Lexbase : A03721KY

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N7057BZE

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par Lisa Poinsot

Le 11 Octobre 2023

► Est valide un avenant de révision conclu par les organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d’application de l’accord révisé à la date de conclusion de l’avenant de révision et n’ayant pas fait l’objet d’opposition ;

Les partenaires sociaux sont en droit de conclure un avenant de révision d’un accord de branche à durée indéterminée mettant fin à cet accord, dès lors que cette extinction prend effet à compter de l’entrée en vigueur d’un autre accord collectif dont le champ d’application couvre dans son intégralité le champ professionnel et géographique de l’accord abrogé par l’avenant de révision.

Telles sont les solutions énoncées par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 4 octobre 2023.  

Faits et procédure. Le 7 février 2022, la nouvelle Convention collective nationale de la métallurgie est signée. Elle est étendue par arrêté du 14 décembre 2022.

Le 9 février 2022, l’Union des industries et métiers de la métallurgie (IUMM) de Savoie et plusieurs syndicats ont signé un avenant portant révision des dispositions conventionnelles territoriales conclues dans le champ de la convention collective du 29 décembre 1975 modifiées applicables aux mensuels de la métallurgie de Savoie. Cet avenant prévoit que cette convention collective et ses avenants et ses annexes sont abrogés et cessent de produire leurs effets à compter de l’entrée en vigueur de la Convention collective nationale de métallurgie, soit le 1er janvier 2024.

Or, le tribunal judiciaire est saisi au motif qu’il ne pouvait être mis fin à un accord collectif par un avenant de révision, de sorte qu’il est demandé aux juges d’obtenir l’annulation de l’avenant du 9 février 2022.

La cour d’appel (CA Chambéry, 24 octobre 2022, n° 22/01427 N° Lexbase : A91988WL) annule l’avenant du 9 février 2022 aux motifs qu'en l'absence de disposition légale prévoyant que la révision peut porter sur la disparition ou l'abrogation totale d'un accord collectif, la procédure de révision n'est relative qu'aux modifications des conventions et accords collectifs et non à leur extinction.

En outre, elle considère que  les règles de la révision ne peuvent avoir pour objet l'extinction d'une convention collective au moyen d'une révision adoptée en vertu de la règle de la majorité, ayant pour effet d'imposer à une organisation syndicale non signataire une extinction sans passer par la procédure de dénonciation et les garanties qui y sont attachées, notamment celles de l'article L. 2261-9 du Code du travail N° Lexbase : L2434H9Z prévoyant un délai de préavis précédant la dénonciation et celles de l'article L. 2261-11 du même code N° Lexbase : L2437H97 relatives au maintien des effets des dispositions de l'accord dénoncé par une partie des signataires.

Enfin, elle affirme que l'avenant de révision litigieux ne peut être qualifié d'accord de révocation d'un commun accord dès lors que l'un des signataires s'est opposé à la signature de cet avenant.

La question posée à la Cour de cassation est alors la suivante : de quelle manière les partenaires sociaux peuvent-ils mettre fin à une convention collective de branche, par la voie unilatérale de la dénonciation ou par la voie négociation d’un avenant de révision-extinction ?

La solution. Sous le couvert de la liberté contractuelle en matière de négociation collective (Cons. const., décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019 N° Lexbase : A8689Z39) et au visa des articles L. 2231-1, alinéa 1er N° Lexbase : L3746IBD, L. 2232-6 N° Lexbase : L1876INS , L. 2261-7 N° Lexbase : L7185K9Y et L. 2261-8 N° Lexbase : L2432H9X du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet la validité d’un avenant de révision mettant fin à un accord collectif à durée indéterminée à condition que l’avenant de révision n’abroge pas un accord collectif sans dispositif conventionnel de remplacement.

En l’espèce, l’avenant de révision du 9 février 2022 ne conduit à aucun vide conventionnel puisque cette extinction prend effet à compter du 1er janvier 2024, soit à compter de l’entrée en vigueur des dispositions de la nouvelle Convention collective nationale de la métallurgie s’appliquant dans le champ professionnel et géographique de la convention territoriale abrogée.

→ Quel impact en pratique ? La procédure de révision, validée par la Cour de cassation peut dès lors s’appliquer à toutes les conventions territoriales dans le domaine de la métallurgie et plus largement lorsqu’un nouvel accord couvre un champ d’application plus large que celui abrogé. Dès lors, il n’est pas besoin de procéder par voie de dénonciation unilatérale. Une question demeure néanmoins : est-ce que cette solution peut s’appliquer à la négociation d’entreprise ?

Pour aller plus loin :

  • v. la notice explicative de la Cour de cassation ;
  • v. ÉTUDE : La révision des conventions et accords collectifs de travail, Les conditions de la révision des conventions et accords collectifs, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E0698YTZ.

 

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Droit des biens

[Jurisprudence] Indemnisation du coût des travaux à réaliser sur le terrain d’autrui : ne pas sabrer le champagne trop vite

Réf. : Cass. civ. 3, 14 septembre 2023, n° 22-15.750, FS-B N° Lexbase : A57361GK

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N7078BZ8

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par Quentin Prim, Docteur en droit privé

Le 11 Octobre 2023

Mots-clés : troubles de voisinage • parcelle en surplomb • travaux de terrassement • affaissement de terrain • expertise • responsabilité civile • travaux de réparation • indemnisation • droit de propriété • exécution forcée • gestion des biens d’autrui • gestion d’affaires • mandat • parcelle viticole

Il résulte des articles 544 et 1382, devenu 1240, du Code civil, qu’à défaut d'accord des parties, la victime d'un dommage ne peut être indemnisée du coût de travaux devant être effectués sur un fonds dont elle n'est pas propriétaire.


 

Conflit en terre champenoise. Le litige oppose deux propriétaires de parcelles viticoles servant à produire du champagne. Ces deux parcelles sont situées sur la même colline, l’une surplombant l’autre. Le propriétaire de la parcelle en aval a réalisé en 1992 des travaux de terrassement en vue de planter de nouvelles vignes ; travaux qui, d’après plusieurs expertises, n’ont pas été réalisés dans les règles de l’art et ont provoqué l’affaissement du terrain de sa voisine situé en amont. Ces désagréments ont donné lieu à plusieurs décisions de justice, aboutissant à la condamnation du viticulteur situé en aval à réaliser des travaux de stabilisation du sol. Estimant avoir exécuté son obligation, le propriétaire de la parcelle a saisi le tribunal judiciaire pour remettre en cause les décisions précédentes, et notamment la liquidation de son astreinte. Les quelques réparations finalement réalisées n’étaient néanmoins toujours pas satisfaisantes et s’apparentaient plutôt à du « bricolage sans aucune cohérence globale » (selon le dernier rapport d’expertise), provoquant une nouvelle condamnation par le tribunal judiciaire de Troyes le 5 janvier 2021, confirmée la cour d’appel de Reims le 1er mars 2022 (CA Reims, 1er mars 2022, n° 21/00246 N° Lexbase : A18957PU).

Cette dernière a toutefois pris la décision étonnante de condamner la partie défaillante non pas à réaliser les réparations nécessaires sous astreinte, mais à payer le coût de ces travaux à sa voisine (une somme non négligeable de 475 840 euros), qui se chargerait de les réaliser. Elle a pris comme justification la carence du propriétaire dans l’exécution de ses obligations, la majeure partie de l’ouvrage devant avoir lieu sur le terrain de l’auteur du dommage.

Cette motivation a poussé la Cour de cassation à relever d’office un motif de pur droit afin de casser cette décision, en application de l’article 620 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6779H79. Elle déclare sur le fondement des articles 544 N° Lexbase : L3118AB4 et 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 du Code civil « qu'à défaut d'accord des parties, la victime d'un dommage ne peut être indemnisée du coût de travaux devant être effectués sur un fonds dont elle n'est pas propriétaire ». Ce faisant, elle confirme le principe de la condamnation mais exclue toute indemnisation du coût des travaux à réaliser sur le terrain voisin.

En effet, comme l’énonce la Cour de cassation, la carence du propriétaire dans la réalisation des travaux à laquelle il a pourtant été condamné ne saurait justifier qu’un tiers, fût-il victime de cette carence, ne réalise ces travaux à sa place sans son accord. Par conséquent, il ne saurait être condamné à verser le prix de la réparation à la victime.

Cette solution n’est pas étonnante : à défaut d’un pouvoir de gestion sur le bien de l’auteur du dommage (I), la victime ne peut être indemnisée du coût des travaux à effectuer (II).

I. La nécessité d’un pouvoir de la victime pour intervenir sur le terrain de l’auteur du dommage

Quand bien même la propriétaire de la parcelle en amont souhaiterait effectuer les travaux sur le bien de son voisin, elle ne pourrait le faire faute de prérogative juridique l’y autorisant. L’intervention d’une personne dans la gestion des biens d’autrui est une situation très encadrée, nécessitant un fondement juridique le permettant (Q. Prim, La gestion des biens d’autrui, 2021). Une simple décision de justice rendue en matière de responsabilité civile délictuelle ne saurait suffire, aucun texte ne prévoyant cette faculté.

On aurait pu imaginer une application de l’article 1144 ancien du Code civil (devenu article 1222 N° Lexbase : L0941KZU) relatif à l’exécution forcée en nature d’une obligation. Ce texte autorise le créancier à faire exécuter lui-même l’obligation à la place du débiteur et à demander le remboursement des sommes dépensées à cette fin. Cependant, il s’applique uniquement aux obligations contractuelles. L’existence d’une obligation contractuelle préalable est nécessaire pour intervenir dans la gestion du bien d’autrui par la voie de l’exécution forcée en nature. D’autant plus qu’en l’espèce, ni le tribunal judiciaire de Troyes, ni la cour d’appel de Reims n’avaient condamné le propriétaire négligent à effectuer des travaux de reprise.

Deux solutions restaient envisageables pour la victime qui aurait souhaité effectuer les travaux à la place de son voisin. La première est la gestion d’affaires (C. civ., art. 1301 et s. N° Lexbase : L0951KZA). Elle permet à une personne d’intervenir dans la gestion du bien d’un tiers à deux conditions : que son action soit utile et qu’elle soit effectuée soit à l’insu, soit sans opposition du maître d’affaires. La gestion d’affaires ne nécessite pas l’existence préalable d’un pouvoir juridique et elle peut être intéressée, mais dans ce cas, elle implique le partage des frais en fonction de l’intérêt de chacun (C. civ., art. 1301-4 N° Lexbase : L0640KZQ). La propriétaire du fonds en amont qui s’inquiète de la carence du propriétaire en aval peut prendre l’initiative d’effectuer les travaux nécessaires, à condition que celui-ci la laisse faire et qu’elle participe au financement.

La seconde possibilité est l’accord entre les parties. Par le biais d’un mandat, le propriétaire du fonds peut autoriser sa voisine à prendre en charge la gestion des travaux de reprise, avec indemnisation totale ou partage des frais engagés. Le pouvoir octroyé par le mandat lui donnerait alors la possibilité d’agir sur le fonds voisin.

Dans les deux cas, l’accord du propriétaire est nécessaire, et c’est ce que rappelle la Cour de cassation, appuyant sa décision du visa de l’article 544 du Code civil N° Lexbase : L3118AB4. La libre disposition de son bien l’autorise à refuser toute intervention d’un tiers, excluant la possibilité d’une indemnisation du coût de ces travaux.

II. L’exclusion de l’indemnisation du coût des travaux à effectuer sur le fonds d’autrui

Dans son raisonnement, le tribunal judiciaire de Troyes a confondu le coût estimé des réparations, déterminé par l’expert, avec le préjudice de la victime du dommage, qualifié de « préjudice financier ». La cour d’appel a confirmé le jugement sans préciser la nature de l’indemnité accordée. Le rapport de l’avocat général préconisait de faire droit à cette solution en l’explicitant : le coût des travaux à réaliser pour prévenir un risque de dommage futur peut effectivement être indemnisé, à condition que ces travaux soient rendus nécessaires par le fait générateur. Le préjudice s’identifie alors à la dépense réalisée pour les travaux et non au risque futur (v. P. Jourdain, note sous Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 07-13.483, F-P+B N° Lexbase : A5337D88 ; RTD civ., 2008, p. 679).

Deux obstacles s’opposaient toutefois à cette solution. D’une part, la dépense de travaux n’avait pas été réalisée en l’espèce : il ne s’agissait que d’une estimation. Difficile dans ce cas de qualifier le préjudice de certain et actuel. Par ailleurs, le principe de réparation intégrale interdit en principe d’imposer une affectation aux fonds versés à la victime (Cass. crim., 2 juin 2015, n° 14-83.967, F-P+B N° Lexbase : A2170NKL). À défaut d’obligation de réaliser les travaux pour la victime, la cause de l’indemnisation (la dépense de travaux) disparaît, tout comme le préjudice allégué.

D’autre part, les réparations à effectuer doivent l’être en majeure partie sur le terrain de l’auteur du dommage, pas sur celui de la victime. Or, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question et a rejeté l’idée que la victime puisse percevoir une indemnisation pour le financement de travaux à réaliser sur un bien ne lui appartenant pas (Cass. civ. 3, 4 mai 1995, n° 93-15.408, inédit au bulletin N° Lexbase : A4064CMH).

En l’absence d’une obligation pour la victime d’effectuer les réparations en lieu et place du propriétaire, l’indemnisation accordée par la cour d’appel de Reims ne pouvait être qualifiée ni de dommages et intérêts réparant un préjudice, ni d’avance sur le coût des travaux à réaliser. À la fois l’accord du propriétaire et la dépense de travaux sont hypothétiques : dans ces conditions, impossible d’envisager une indemnisation.

À retenir. Ainsi, en l’état du droit positif, un tribunal ne peut accorder d’indemnisation à la victime d’un dommage pour réaliser des travaux sur un bien appartenant à son auteur, faute de pouvoir juridique lui permettant d’agir et d’obligation garantissant l’effectivité de cette action. L’accord du propriétaire est nécessaire pour toute intervention matérielle sur son fonds, qu’il l’effectue lui-même ou qu’il laisse un tiers s’en occuper. Le droit de propriété prime ici devant le principe de précaution.

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Entreprises en difficulté

[Brèves] Répétition de l’indu en cas d’erreur sur l’ordre des privilèges : application à la suite d’une omission sur l'état de collocation

Réf. : Cass. com., 4 octobre 2023, n° 22-15.456, F-B N° Lexbase : A17141KP

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N7063BZM

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par Vincent Téchené

Le 11 Octobre 2023

► Lorsqu'un paiement à un créancier privilégié a été effectué à la suite de l'omission sur l'état de collocation d'un créancier de meilleur rang, le liquidateur peut agir en restitution des sommes versées au créancier qui a reçu ce paiement.

Faits et procédure. À la suite de la vente d'un immeuble appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire et en vue de la distribution du prix, le liquidateur a établi l'état de collocation des créanciers en vertu duquel il a adressé à un créancier hypothécaire, un dividende de 268 955,52 euros.

Le liquidateur a assigné ce créancier en restitution d'une somme de 24 224,49 euros qui aurait dû être réglée, selon lui, prioritairement à l'AGS.

Le liquidateur ayant été débouté de sa demande (CA Grenoble, 3 février 2022, n° 21/03808 N° Lexbase : A42337LD), il a formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l'article L. 643-7-1 du Code de commerce N° Lexbase : L9207L77.

Selon ce texte, le créancier qui a reçu un paiement à la suite d'une erreur sur l'ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées. Il en résulte, selon la Cour, que, lorsqu'un paiement à un créancier privilégié a été effectué à la suite de l'omission sur l'état de collocation d'un créancier de meilleur rang, le liquidateur peut agir en restitution des sommes versées au créancier qui a reçu ce paiement.

Or, l'arrêt d’appel a relevé que, malgré l'admission définitive au passif de la créance de l'AGS et son inscription sur l'état des créances privilégiées, ce créancier n'a pas été appelé à la distribution du prix de vente du bien immobilier par l'état de collocation et que le paiement adressé par le liquidateur au créancier hypothécaire est intervenu dans le respect de l'ordre réglé par lui.

Selon la cour d’appel, la demande de restitution du liquidateur ne trouve pas son origine dans une erreur commise dans l'acte de collocation sur le classement légal des droits de préférence, mais bien dans le défaut de collocation d'un créancier qui disposait du droit d'y participer. Ainsi, pour les juges du fond, la demande constitue en réalité une contestation de l'état de collocation qui doit intervenir dans le mois de la publicité de son dépôt, devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire. Le paiement intervenu en vertu de l'état de collocation, dont il n'est pas justifié qu'il ait fait l'objet de contestation, n'est donc entaché d'aucune erreur dans l'ordre des privilèges qu'il a réglé.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel : en statuant ainsi, alors que la somme dont la restitution était demandée par le liquidateur au créancier hypothécaire lui avait été versée à la suite de l'omission d'un créancier de meilleur rang, la cour d'appel a violé le texte visé.

Observations. La règle posée à l’article L. 643-7-1 du Code de commerce a été introduite par l’ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH). Auparavant, la jurisprudence opérait une distinction. Si le créancier accipiens était chirographaire, il était contraint de restituer la somme perçue ; à défaut, il y aurait en effet violation de la règle de l'égalité des créanciers (Cass. com., 17 novembre 1992, n° 90-19.013, publié N° Lexbase : A4737AB3 ; Cass. com., 11 février 2004, n° 02-17.520, FS-P N° Lexbase : A2754DBM). En revanche, si le créancier était privilégié, la répétition de l’indu n’était pas recevable (Cass. com., 30 octobre 2000, n° 98-10.688 N° Lexbase : A7706AHU). Cette solution était critiquée (v. not. P.-M. Le Corre, Les conséquences d'erreurs dans les répartitions : pour une évolution des solutions, Lexbase Affaires, décembre 2013, n° 363 N° Lexbase : N9869BTP).

Le législateur de 2014 a entendu les observations de la doctrine. Désormais, le créancier privilégié, comme le créancier chirographaire, est tenu de restituer ce qu’il a indument perçu.

On rappellera enfin que la règle de la répétition de l’indu en présence d’une erreur dans l’ordre des privilèges ne trouve à s’appliquer que dans la cadre des procédures collectives (Cass. civ. 1, 24 octobre 2019, n° 18-22.549, FS-P+B+I N° Lexbase : A4720ZSM, G. Piette, Lexbase Affaires, novembre 2019, n° 614 N° Lexbase : N1229BY8).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les effets de la procédure de liquidation pour les créanciers, Les règles générales de distribution applicables au paiement des créanciers privilégiés, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E5083EUS.

 

newsid:487063

Eoliennes

[Brèves] Pas d’éoliennes dans un paysage « proustien »

Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 4 octobre 2023, n° 464855, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A20901KM

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N7089BZL

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par Yann Le Foll

Le 11 Octobre 2023

L’exigence de protection des paysages faisant obstacle à la mise en service d’une éolienne peut inclure des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques du paysage, y compris littéraires.

Faits. Une société demande l’annulation de l'arrêté du 15 octobre 2020 par lequel la préfète d'Eure-et-Loir a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Montigny-le-Chartif et Vieuvicq. Elle demande aussi que lui soit délivrée l'autorisation environnementale sollicitée en enjoignant à la préfète d'Eure-et-Loir de fixer les conditions d'exploitation de celle-ci.

Principe. Pour l'application des articles L. 350-1 A N° Lexbase : L7707K9C et L. 511-1 du Code de l'environnement N° Lexbase : L6525L7S, le juge des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) apprécie le paysage et les atteintes qui peuvent lui être portées en prenant en considération des éléments présentant, le cas échéant, des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires.

En cause d’appel. Pour écarter le moyen tiré de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation que la préfète d'Eure-et-Loir aurait commises en refusant l'autorisation sollicitée, la cour administrative d’appel (CAA Versailles, 2e ch., 11 avril 2022, n° 20VE03265 N° Lexbase : A98217TW) a notamment relevé que la réalisation du projet de parc éolien risquerait de porter une atteinte significative notamment à l'intérêt paysager et patrimonial du site remarquable, classé au titre de l'article L. 631-1 du Code du patrimoine N° Lexbase : L2454K9R, du village d'Illiers-Combray et de ses abords.

Elle a relevé que le classement de ce site, qui a le caractère d'une servitude d'utilité publique, trouve son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l'œuvre de Marcel Proust, dont un parcours pédestre favorise la découverte. Elle a également relevé que le clocher de l'église d'Illiers-Combray et le jardin du Pré Catelan, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, sont classés au titre des monuments historiques

Décision. En prenant ainsi en considération des éléments qui ont trait aux dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires du paysage, pour juger que le projet litigieux n'était pas compatible avec l'exigence de protection des paysages résultant des dispositions de l'article L. 511-1 du Code de l'environnement, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Le pourvoi est rejeté.

À ce sujet. Lire Pas d’éoliennes au pays de la « recherche du temps perdu » – Questions à Antoine Bourrel, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Pau, Lexbase Public n° 667, 2022 N° Lexbase : N1483BZX.

newsid:487089

Fiscalité du numérique

[Focus] Achat-revente d’actifs numériques : le BOFiP tire les conséquences de la loi de finances

Réf. : BOFiP, actualité, 28 juin 2023

Lecture: 7 min

N7038BZP

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par Sarah Maubert Mendez - Avocate associée, CENO Avocats

Le 11 Octobre 2023

Mots-clés : actifs numériques • cryptomonnaies

L’administration fiscale est revenue, dans une mise à jour du 28 juin 2023, sur le régime fiscal des opérations d'achat, de vente et d'échange d'actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à un professionnel suite à la loi de finances de 2022.


 

L’investissement en matière d’actifs numériques s’est largement développé au cours des vingt dernières années. En 2021, on dénombrait pas moins de cinq mille cryptomonnaies en circulation dans le monde. Face à ce développement, les législateurs ont été forcés de s’intéresser à la question pour proposer aux contribuables des règles sures et claires pour encadrer ces nouveaux schémas d’investissement.

En France, la doctrine fiscale préconisait initialement le recours à une règle générale d’imposition des plus-values lors des cessions d’actifs numériques. La jurisprudence du Conseil d’État, par une série d’arrêts du 26 avril 2018 (CE 3° et 8° ch.-r., 26 avril 2018, n° 417809, n° 418030, n° 418031, n° 418032, n° 418033, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8851XLE), a ensuite pour la première fois procédé à une distinction entre les investisseurs occasionnels et les investisseurs habituels.

Lire en ce sens les conclusions du Rapporteur public sur cette affaire, R. Victor, Lexbase Fiscal, mai 2018, n° 742 N° Lexbase : N4093BXU.

Cette distinction a ensuite été reprise par la loi de finances pour 2019 et le Code général des impôts a gagné un nouvel article, le 150 VH bis N° Lexbase : L9043LQY, ce dernier permettant alors d’acter la distinction entre les investissements réalisés à titre habituel et ceux dont le caractère était simplement occasionnel.

Toutefois, cette distinction n’était pas pleinement efficace et, en début d’année dernière, la loi de finances pour 2022 (loi n° 2021-1900, du 30 décembre 2021, de finances pour 2022 N° Lexbase : L3007MAM) a finalement modifié le régime applicable en cas de cession d’actifs numériques par des personnes physiques instauré par la loi de finances pour 2019.

I. La nécessité d’un cadre législatif pour encadrer les pratiques

Face au développement exponentiel de l’investissement en matière de cryptoactifs, La loi de finances pour 2019 avait fait un premier pas en créant un régime fiscal propre aux cessions d’actifs numériques.

Dans l’éventualité où les particuliers réalisaient des opérations d’achat, vente ou échange d’actifs numériques à titre occasionnel, le régime applicable s’inspirait grandement du prélèvement forfaitaire unique. Les gains réalisés étaient alors imposés au taux de 12,8 %, augmentés de prélèvements sociaux au taux de 17,2 %.

Pourtant, les critères permettant de distinguer les investisseurs occasionnels des investisseurs habituels n’étaient pas suffisamment clairs pour permettre aux contribuables de bénéficier d’une sécurité juridique complète.

L’administration fiscale précisait d’ailleurs que l’appréciation du caractère habituel ou occasionnel ne pouvait découler que d’un examen, au cas par cas, des circonstances de fait dans lesquelles les opérations étaient menées. Ce faisant, une certaine insécurité régnait puisqu’un contribuable réalisant chaque jour quelques opérations pouvait rapidement tomber dans le piège de l’habitude. Ce faisant, il se retrouvait alors pénalisé par l'application des règles d’imposition réservées aux investisseurs habituels.

Une modification des règles applicables était donc nécessaire pour clarifier les critères et permettre aux contribuables d’investir en conservant la maîtrise de leur imposition.

L’article 70 de la loi de finances pour 2022 a permis une clarification en insérant un 1° au 2 de l’article 92 du Code général des impôts N° Lexbase : L5577MAS désormais rédigé comme suit : « 1° bis Les produits des opérations d'achat, de vente et d'échange d'actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel a ̀ ce type d'opérations ;
II.-Le présent article est applicable à compter du 1er janvier 2023. À compter du 1er janvier 2023, il était alors prévu que les gains de cession seraient imposés en fonction de la qualification dexercice à titre professionnel ou non de lactivité ».

Ce faisant, le législateur remplace alors le critère relatif à la qualification d’exercice à titre professionnel ou non par celui des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par un professionnel, transposant alors aux actifs numériques les critères retenus pour les autres activités de l’article 92 du CGI.

II. Le recours à une nouvelle distinction plus efficace

À compter du 1er janvier 2023, les nouveaux critères choisis par le législateur sont entrés en application. Dans ce nouveau régime, la distinction entre activités occasionnelles et professionnelles se fonde sur des critères qualitatifs, tels que la supériorité de la somme annuelle globale des plus-values provenant de l’activité au regard des autres revenus du foyer fiscal, l’utilisation d'outils professionnels ou encore la complexité des opérations réalisées.

En matière de taxation, le régime reste, peu ou prou, inchangé, puisque les gains qualifiés de « professionnels » (c.-à-d. dans des conditions analogues à celles d’un professionnel depuis le 1er janvier dernier) se voient taxés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux tandis que les gains issus d’un exercice « non professionnel » restent soumis au prélèvement forfaitaire unique de 30% avec option possible pour le barème progressif après application d’un abattement de 305 euros.

Suite à ces modifications, la doctrine administrative a profité d’une modification de sa base BOFIP en date du 28 juin 2023 pour intégrer ce nouveau critère à deux endroits différents. 

Dans un premier temps, le BOI-BIC-CHAMP-60-50, dans son paragraphe 730, prévoit désormais expressément que, conformément aux dispositions de l’article L. 110-1 1° du Code de commerce N° Lexbase : L0093L8X, les personnes physiques exerçant une profession consistant en l’achat-revente d’actifs numériques réalisent une activité commerciale par nature dont les bénéfices sont à déclarer dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (en application de l’article 34 du CGI N° Lexbase : L4844IQH).

Le BOFIP rappelle également que les personnes physiques agissant dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé et réalisant des opérations sur actifs numériques sont imposées selon le régime prévu par l’article 150 VH du CGI, soit une imposition au prélèvement forfaitaire unique de 30% sauf option pour le barème progressif.

Cette doctrine expose enfin que les produits de ces opérations peuvent relever de l’article 92 du CGI, dans les cas de figure où les gains sont effectués dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité professionnelle ou lorsque les gains constituent la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement du système d’unité de compte virtuelle, on parle alors de « minage ».

Dans un deuxième temps, le BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, dans son paragraphe 1080, précise quant à lui que, si l’article 92 permet de déterminer si les gains issus de l’opération d’achat-revente doivent être imposés dans la catégorie des BIC ou des BNC, il existe des cas de figure où les opérations d’achat, revente ou échange d’actifs numériques pourraient être effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité professionnelle sans pour autant que cette activité ne constitue l’activité professionnelle du contribuable, les produits seraient alors imposés comme des bénéfices non commerciaux. La doctrine précise que ce régime subsidiaire n’a vocation à s’appliquer que dans des cas d’espèce très exceptionnels.

La doctrine précise également qu’il faudra apprécier les conditions de réalisation des opérations en fonction d’un faisceau d’indices propre à chaque situation tel que l’importance des moyens matériels et informatiques utilisés par le contribuable, les techniques d’investissement et d’achat-revente ou encore les compétences et la formation professionnelle du contribuable.

Nul doute qu’il faudra guetter toute précision jurisprudentielle apportée relativement à ces indices afin de guider le contribuable dans les bonnes pratiques à adopter pour éviter une requalification de ses gains.

newsid:487038

Licenciement

[Brèves] Infractions routières commises pendant les temps de trajet avec le véhicule de l'entreprise : licenciement disciplinaire ?

Réf. : Cass. soc., 4 octobre 2023, n° 21-25.421, F-B N° Lexbase : A03711KX

Lecture: 2 min

N7095BZS

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par Charlotte Moronval

Le 17 Octobre 2023

► Les infractions routières commises par le salarié avec son véhicule de fonction sur son trajet domicile-lieu de travail ne justifient pas son licenciement disciplinaire, les faits relevant de la vie personnelle du salarié et ne constituant pas une méconnaissance de ses obligations découlant de son contrat de travail, ni se rattachant à sa vie professionnelle.

Faits et procédure. Un salarié, exerçant les fonctions de mécanicien, intervient sur différents chantiers et dispose d'un véhicule de service pour s'y rendre. Le salarié utilise également ce véhicule pour regagner son domicile.

Le salarié commet plusieurs infractions routières, sanctionnées par des contraventions. Ces infractions sont suivies de plusieurs mises en garde adressées par l’employeur et de la mise en place d’actions individuelles de sensibilisation du salarié aux risques routiers.

De nouvelles infractions ayant été commises par le salarié, en dehors de ses horaires et jours de travail, l’employeur finit par le licencier pour motif disciplinaire.

Le salarié conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale, soutenant qu'il n'a commis aucune faute professionnelle puisque les infractions ont été commises en dehors de ses horaires et jours de travail.

La cour d’appel (CA Versailles, 14 octobre 2021, n° 19/00076 N° Lexbase : A130049Z) lui donne raison, constatant, d'abord, que les infractions au Code de la route avaient été commises durant les temps de trajet durant lesquels le salarié n'était pas à la disposition de l'employeur et, ensuite, que l'outil de travail mis à sa disposition n'avait subi aucun dommage et que le comportement de l'intéressé n'avait pas eu d'incidence sur les obligations découlant de son contrat de travail en tant que mécanicien.

L’employeur forme un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation approuve le raisonnement des juges du fond.

Rappel. Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Doit en conséquence être approuvé l'arrêt qui, après avoir constaté que les infractions au Code de la route qui étaient reprochées au salarié avaient été commises durant ses temps de trajet avec le véhicule de l'entreprise mis à sa disposition, lequel n'avait subi aucun dommage, et que son comportement n'avait pas eu d'incidence sur les obligations découlant de son contrat de travail, en sorte que ces infractions ne pouvaient être regardées comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail ni comme se rattachant à sa vie professionnelle, en déduit que ces faits de la vie personnelle ne pouvaient justifier un licenciement disciplinaire.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse du licenciement pour motif personnel, Le non-respect du Code de la route, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9178ESQ.

 

 

 

newsid:487095

Procédure

[Jurisprudence] Ouvrage public irrégulièrement implanté : avantage à Enedis

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 27 septembre 2023, n° 466321, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A29311IE

Lecture: 10 min

N7051BZ8

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par David-André Camous, Avocat associé, cabinet Auravocats, Maitre de conférences à Sciences Po Lyon

Le 12 Octobre 2023

Mot clef : ouvrage public - implantation - imprescriptibilité - écoulement du temps

Par une décision du 27 septembre 2023, le Conseil d’État clôt le débat sur l’application de l'article 2227 du Code civil aux ouvrages publics irrégulièrement implantés. L’action est imprescriptible mais cependant, le Conseil d’État l’encadre par la notion nouvelle de l’écoulement du temps.


 

Un pylône de la société Enedis implanté irrégulièrement sur un terrain. Une demande d’indemnisation et de dépose de l’ouvrage irrégulier. Un premier jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise [1] qui rejette la demande. Puis un appel gagné devant la cour administrative d'appel de Versailles, le 2 juin 2022 [2] avec une injonction à la société Enedis de procéder à la dépose du pylône irrégulier et au déplacement ou à l'enfouissement de la ligne électrique dans un délai de six mois. Et enfin, l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d'appel par le Conseil d’État sur saisine de la société Enedis [3]. Dans son ensemble, la décision commentée est classique et fait une application stricte des jurisprudences antérieures, notamment la décision de principe du Conseil d’État du 29 novembre 2019 [4]. L’affaire pourrait ainsi être banale si ce n’est deux éléments importants qui vont électriser les prochaines décisions.

I. L’apparence d’une décision classique

L’arrêté commenté reprend le considérant de principe de l’arrêt du 29 novembre 2019 qui définit de manière pédagogique la méthodologie que le juge doit appliquer lorsqu’il est saisi d’une demande de contestation d’un ouvrage public irrégulièrement implanté.

A. L'obligation d’une demande préalable

Pour saisir le juge contre un ouvrage public irrégulier, le principe de la demande préalable s’applique [5]. Ainsi, le requérant doit demander la démolition à l'administration et saisir le tribunal du refus de faire droit à sa demande.

Dans une affaire similaire contre la société Enedis, les juges du tribunal administratif de Montpellier [6] ont rappelé que la personne qui a subi un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant eux des conclusions à fin d'injonction de dépose et de déplacement mais uniquement en complément de conclusions indemnitaires. 

En revanche, le délai des deux mois contre une décision préalable qui est en principe applicable aux recours relatifs à une créance en matière de travaux publics ne semble pas opposable à une personne morale de droit privé qui n'est pas chargée d'une mission de service public administratif, comme la société Edenis [7].

B. Du questionnement de la régularisation de l’ouvrage

Une fois la requête recevable, le juge va déterminer si l'ouvrage est irrégulièrement implanté. Si tel est le cas, il doit rechercher si une régularisation appropriée est possible, notamment au vu de la nature de l'irrégularité. Le juge ne doit pas se contenter d’affirmer la régularisation possible, encore faut-il qu’il s’en assure. Le Conseil d’État [8] a censuré un arrêt au motif que les juges s’étaient fondés sur la circonstance qu'une régularisation appropriée était possible, dès lors que la société Enedis pouvait, compte tenu de l'intérêt général qui s'attachait à cet ouvrage, le faire déclarer d'utilité publique et obtenir ainsi la propriété de son terrain d'assiette par voie d'expropriation. Or les juges ne pouvaient se borner à déduire l'existence d'une telle possibilité de régularisation, « sans rechercher si une procédure d'expropriation avait été envisagée et était susceptible d'aboutir ».

C. Du bilan

Si aucune régularisation n’est possible, le juge administratif doit opérer un bilan pour apprécier si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Il doit mettre en balance d’une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage et, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général.

On peut constater que le cout n’est pas à lui seul un élément portant une atteinte excessive à l’intérêt général. Les récents jugements dans lesquels la société Enedis est partie, écartent les seuls inconvénients qui pourraient résulter, de façon générale, du déplacement de la ligne, ainsi que du coût de cette opération [9]. À partir du moment où la société Enedis reconnaît la faisabilité d'un contournement de la propriété des requérants avec enfouissement d'une partie des lignes en litige, permettant d'éviter qu'elles traversent la propriété des requérants, un cout de 39 771,85 euros hors taxe n’est pas excessif [10].

Les juges peuvent en revanche minimiser les inconvénients liés à la présence du poste de transformation lorsque l’ouvrage irrégulièrement implanté bénéficie directement aux requérants [11].

Dans l’affaire commentée, la cour administrative d’appel [12] avait jugé que la société Enedis ne faisait valoir aucun obstacle technique ou juridique s'opposant au déplacement ou à l'enfouissement des ouvrages en litige, lié en particulier à une interruption du service [13]. Le seul cout de 50 000 euros sans compter les coûts induits, coût qui serait supporté par l'ensemble des usagers n’est pas suffisant. La cour avait également souligné que la société Enedis n’alléguait pas même que les travaux entraîneraient un inconvénient quelconque pour les riverains et les usagers du réseau.

Concernant les inconvénients pour l’intérêt public ou les requérants, la cour administrative d’appel [14] avait énuméré au moins deux inconvénients de la présence de ces ouvrages pour les requérantes : un « inconvénient visuel » et l’impossibilité de réaliser une piscine sous la ligne électrique de moyenne tension. Les juges avaient ensuite soulevé un « inconvénient pour l'intérêt public qui s'attache à la préservation de ce monument historique, dans un secteur de la commune où les réseaux ont été enfouis » et ce même « s’ils ne sont pas situés à proximité immédiate de l'église Saint-Martin mais dans son périmètre monuments historiques ».

La cour avait donc conclu qu’« eu égard aux inconvénients que la présence des ouvrages entraîne pour les divers intérêts publics et privés en présence, leur démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général » et elle avait enjoint à la société Enedis de procéder à la dépose du pylône irrégulièrement.

II. De l’imprescriptibilité à l’écoulement du temps

À la différence des jurisprudences précédentes, celle du Conseil d'État du 27 septembre 2023 apporte deux nouveautés.

A. De l’imprescriptibilité

La cour administrative d’appel avait rendu applicables les dispositions de l'article 2227 du Code civil N° Lexbase : L7182IAA, qui prescrivent les actions réelles immobilières par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Elle en avait cependant écarté la prescription au motif qu’aucun élément du dossier ne permettait « d'établir que le pylône et la ligne électrique implantés sur cette propriété existaient depuis plus de trente ans à la date à laquelle les requérantes ont engagé leur action le 29 août 2016 ».

Le tribunal administratif de Montreuil avait fait de même [15], estimant que le requérant ne pouvait « être regardé comme ayant eu connaissance certaine de l'étendue du dommage résultant de l'irrégularité de l'implantation de l'ouvrage public depuis plus de trente ans ».

Les juges du Palais-Royal estiment au contraire qu’aucune disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à l’action en démolition d'un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée. Ainsi, « l’invocation de ces dispositions du Code civil au soutien de l'exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était inopérante ».

Cette imprescriptibilité est justifiée par la rapporteure publique, dans ses conclusions sous l’affaire, par « l’abandon de l’intangibilité absolue de l’ouvrage public » et « l’élaboration de « stabilisateurs automatiques » » issus notamment de la décision du Conseil d'État du 29 novembre 2019 [16], qui conduisent au contrôle de bilan susmentionné.

Peu importe l’ancienneté de l’ouvrage public mal implanté, le juge de plein contentieux peut être saisi par un requérant d’une demande en démolition quand d’une part il est allégué l’irrégularité de l’ouvrage et d’autre part un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage [17].

B. De l’écoulement du temps

Comme pour border l’imprescriptibilité, la rapporteure publique a plaidé pour « amender légèrement » le considérant de principe de la décision du Conseil d'État du 29 novembre 2019 « pour souligner ce qui était déjà sous-jacent, à savoir que l’écoulement du temps doit être pris en compte dans le contrôle du bilan ».

Ainsi, le Conseil d’État a-t-il précisé que le bilan devait tenir « compte de l'écoulement du temps » et en introduisant cette notion, il arrive à une conclusion du bilan différente de celle de la cour administrative d’appel.

Il note d’abord qu'en dépit de l'ancienneté de la présence de ces ouvrages, les intéressées n'ont pas sollicité de mesures tendant à leur déplacement avant que la commune de Villers-en-Arthies ne décide de procéder à l'enfouissement de certaines lignes électriques par délibération du 7 mars 2014 de son conseil municipal sans intégrer la ligne litigieuse dans ce projet. Puis, il tempère l’analyse de la Cour sur l’atteinte excessive à l'intérêt général, par « le temps écoulé depuis l'acquisition de la propriété supportant les ouvrages en cause [qui] était de nature à limiter l'importance des inconvénients allégués ».

Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique, l’écrit explicitement : « Le fait que les propriétaires aient mis plusieurs décennies avant de se plaindre de la présence irrégulière de l’ouvrage nous semble-t-il, dans la circonstance présente, alléger considérablement le plateau de la balance que constituent « les inconvénients ». Mécaniquement, en allégeant le plateau des inconvénients, l’aiguille de la balance penche vers l’atteinte à l’intérêt général.

Comme le souligne la rapporteure publique dans les premières lignes de ses conclusions, « On comprend, à la façon dont Enedis argumente son pourvoi, que [la décision du Conseil d’État] pourrait s’avérer un précédent précieux, ou redoutable, dans potentiellement de nombreuses situations analogues de pylône implantés irrégulièrement mais il y a fort longtemps ».

Elle va s’avérer un précédent précieux pour la société Enedis, dans les contentieux à venir qui l’opposent aux propriétaires qui ont tardé à agir.


[1] TA Cergy, 19 décembre 2019, n° 1709239.

[2] CAA Versailles, 5ème ch., 2 juin 2022, n° 20VE00657 N° Lexbase : A661579U.

[3] Arrêt commenté.

[4] CE, 2°-7° ch. réunies, 29 novembre 2019, n° 410689 N° Lexbase : A0444Z49.

[5] CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L4139LUT : « La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

[6] TA Montpellier, 14 septembre 2023, n° 2201093 N° Lexbase : A71551G4.

[7] TA Montreuil, 17 juillet 2023, n° 2100067 N° Lexbase : A73671BH.

[8] CE, 28 février 2020, n° 425743 N° Lexbase : A92883G4.

[9] TA Rennes, 25 mai 2023, n° 2002686 N° Lexbase : A33829XK. Ici le cout s’élevait à 9 619,14 euros.

[10] TA Montpellier, 14 septembre 2023, n° 2201093, préc.

[11] TA Melun, 2 juin 2023, n° 1907045 N° Lexbase : A78399ZD. Ici les requérants étaient bénéficiaires de l'électricité produite par ce poste de transformation, qui ne pouvait donc être supprimé.

[12] CAA Versailles, 2 juin 2022, n° 20VE00657 N° Lexbase : A661579U.

[13] Selon la rapporteure publique, « Enedis soutient que la portée de ses écritures a été méconnue puisqu’elle avait soutenu que les travaux entraîneraient une interruption du service public ».

[14] CAA Versailles, 2 juin 2022, n° 20VE00657, préc.

[15] TA Montreuil, 17 juillet 2023, n° 2100067, préc.

[16] CE, 2°-7° ch. réunies, 29 novembre 2019, n° 410689, préc.

[17] L’absence de préjudice peut être déduit d’une acquisition d’un lot dans un lotissement, tandis que « le transformateur avait déjà été implanté, pour les besoins de la desserte en énergie électrique des différents lots » et que le requérant « avait été pleinement informé de la présence du transformateur sur la parcelle » au vu  « des annexes de l'acte de vente et notamment de plusieurs plans très clairs, tous paraphés par les parties » (CAA Lyon, 29 septembre 2023, n° 22LY01152 N° Lexbase : A95561IR). Idem pour des requérants qui « ont acquis leur bien alors que l'ouvrage litigieux était déjà implanté, de sorte que la présence de la ligne électrique en surplomb était parfaitement connue des acquéreurs » (TA Nancy, 16 mai 2023, n° 2100649 N° Lexbase : A54889US).

newsid:487051

Procédure civile

[Brèves] Revirement de jurisprudence : droit à l’erreur de l’appelant saisissant une cour d’appel incompétente

Réf. : Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, n° 21-21.007, FS-B N° Lexbase : A17091KI

Lecture: 3 min

N7045BZX

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 11 Octobre 2023

La deuxième chambre civile vient opérer un revirement de jurisprudence en énonçant désormais que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration d'appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité n'est intervenue.

Faits et procédure. Dans cette affaire, le 20 novembre 2018, un justiciable a interjeté appel à l’encontre d’un jugement rendu par un conseil des prud'hommes du 7 septembre 2018, notifié le 22 octobre 2018, devant la cour d'appel de Paris. Le 18 décembre 2018, il a relevé appel du même jugement devant la cour d'appel de Versailles territorialement compétente. Par un arrêt du 11 octobre 2019, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance du 3 avril 2019 du conseiller de la mise en état ayant déclaré l'appel irrecevable. La société intimée a soulevé devant le conseiller de la mise en état la cour d’appel de Versailles, l'irrecevabilité de l'appel relevé le 18 décembre 2018.

Pourvoi. Le demandeur fait grief à l’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d’appel de Versailles d’avoir confirmé l'ordonnance ayant jugé irrecevable son appel relevé devant la cour d'appel de Versailles le 18 décembre 2018. L’intéressé fait valoir la violation par la cour d’appel des articles 2241, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L7181IA9, ensemble l'article 126 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1423H4H et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme N° Lexbase : L7558AIR.

Solution. Énonçant la solution précitée au visa des articles 2241 du Code civil et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. La Haute juridiction relève que « Il résulte de ce texte, interprété à la lumière de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration d'appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité n'est intervenue ». Les Hauts magistrats pour justifier ce revirement énoncent que « seule cette interprétation est de nature à donner son plein effet à la faculté offerte à l'appelant de régulariser cette fin de non-recevoir en rendant effective l'interruption du délai d'appel résultant de l'application de l'article 2241 du Code civil ».

La Cour de cassation, précise que, jusqu’à cette décision, elle jugeait que l'interruption du délai d'appel était non avenue lorsque l'appel était définitivement rejeté par un moyen de fond ou par une fin de non-recevoir. Dès lors, cette solution aboutissait à faire rétroagir une décision d'irrecevabilité rendue postérieurement au second appel formé devant la juridiction compétente (Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-10.663, FS-P+B N° Lexbase : A8907Y4N ; Cass. civ., 27 juin 2019, n° 18-11.471, F-D N° Lexbase : A3025ZHI).

newsid:487045

Procédure pénale

[Brèves] Irrégularités connues après la clôture de l’instruction : inconstitutionnalité de l’absence d’exception au mécanisme de purge des nullités

Réf. : Const. const., décision n° 2023-1062 QPC, du 28 septembre 2023 N° Lexbase : Z1975628

Lecture: 5 min

N6942BZ7

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par Adélaïde Léon

Le 18 Octobre 2023

► Lorsque des faits sont renvoyés devant le tribunal correctionnel à la suite d’une instruction, l’absence d’exception au mécanisme de purge des nullités dans le cas où le prévenu n’a pu avoir connaissance de l’irrégularité avant la clôture de l’instruction méconnait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense.

Rappel de la procédure. Par arrêt du 28 juin 2023 (Cass. QPC, 28 juin 2023, n° 22-83.466, F-D N° Lexbase : A0681994) la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le premier alinéa de l’article 385 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3791AZG.

Objet de la QPC. Les dispositions en cause prévoient que « Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction ».

Il était fait grief à cet alinéa de priver le prévenu de la possibilité d’invoquer devant le tribunal correctionnel un moyen tiré de la nullité de la procédure antérieure, quand bien même le prévenu n’aurait pu en avoir connaissance que postérieurement à la clôture de l’instruction.

De ce fait, ces dispositions méconnaitraient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense.

En outre certaines parties faisaient valoir que, à la différence d’autres hypothèses dans lesquelles une exception au mécanisme de purge des nullités est prévue lorsque le prévenu a pu ignorer un élément de la procédure ou n’a pas été mis en mesure d’ignorer ses droits, les dispositions en cause ne prévoient pas une telle exception en cas de connaissance tardive par le prévenu des moyens de nullité.

Enfin le fait que le prévenu ne bénéficie pas de la même possibilité d’invoquer des nullités devant le tribunal selon que celui-ci est saisi à la suite d’une enquête ou d’une information judiciaire porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi et devant la justice.

Pour les mêmes motifs, certaines parties intervenantes considèrent que ces dispositions méconnaîtraient le droit à un procès équitable et le « principe de sécurité juridique ».

État du droit.

  • Les nullités durant l’instruction. Au cours de l’instruction, la chambre de l’instruction peut être saisie par le magistrat instructeur, le procureur de la République, les parties ou le témoin assisté aux fins d’annulation d’actes ou de pièces de la procédure. Les articles 173-1 N° Lexbase : L5031K8T et 174 N° Lexbase : L8646HW7 du Code de procédure pénale prévoient les conditions de recevabilité des demandes de nullités. Il existe toutefois des exceptions lorsque les parties n’auraient pu avoir connaissance du moyen.
  • L’avis de fin d’information. Lorsqu’il estime que l’instruction est terminée, le juge d’instruction communique le dossier au procureur de la République et en avise les parties et leurs avocats. À compter de l’envoi de cet avis, le procureur et les parties disposent alors d’un certain délai pour présenter des nullités (C. proc. pén., art. 175 N° Lexbase : L7482LPS).
  • Effets de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge d’instruction. Lorsque le juge d’instruction estime, à la fin de l’information, que les faits dont il est saisi constituent un délit, il prend une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Cette ordonnance couvre les vices de la procédure qui ont pu advenir jusqu’alors (C. proc. pén., art. 179 N° Lexbase : L8054LAK). Les parties ne sont dès lors plus recevables à soulever des nullités de la procédure antérieure devant le tribunal.
  • Exception à la purge des nullités. Par dérogation, lorsque l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel a été rendue sans que les conditions de l’article 175 précité aient été respectées, les parties demeurent recevables à soulever des nullités devant le tribunal correctionnel.

Décision. Le Conseil constitutionnel souligne que si cette dernière dérogation permet au prévenu de soulever les moyens de nullité dont il a pu avoir connaissance avant la clôture de l’instruction, le droit ne prévoit pas d’exception au mécanisme de purge des nullités permettant au prévenu de soulever devant le tribunal correctionnel une irrégularité dont il n’aurait eu connaissance que postérieure à la clôture de l’instruction.

Dans ces conditions, les mots « sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction » figurant au premier alinéa de l’article 385 du Code de procédure pénal ont été déclarées contraires à la Constitution en ce qu’elles méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense.

L’abrogation des dispositions en cause est reportée au 1er octobre 2024.

Le Conseil prévoit par ailleurs que jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité pourra être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction.

Pour aller plus loin : N. Catelan, ÉTUDE : La clôture de l’instruction, La décision de renvoi, Procédure pénale (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E85323CY.

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Procédure pénale/Audience criminelle

[Focus] L’intervention du jury criminel : un principe constitutionnel ?

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par Benjamin Fiorini, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 8

Le 18 Octobre 2023

Le 20 septembre 2023, la Chambre criminelle, dans des arrêts remarqués, a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) que nous avions proposées dans un article publié dans cette même revue. Deux de ces questions visent à remettre en cause les cours criminelles départementales en ce qu’elles violent le « principe d’intervention du jury » mentionné par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-213 du 3 septembre 1986.  Le présent article expose un argumentaire enrichi venant en soutien de la thèse d’une constitutionnalisation du jury criminel.


 

Pour tous les défenseurs du jury populaire de cour d’assises, les deux arrêts rendus par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 20 septembre 2023 ont un goût de victoire [1]. En transmettant au Conseil constitutionnel quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) que nous avions proposées dans cette même revue [2], les juges du quai de l’Horloge ont mis les cours criminelles départementales sur la sellette. Le Conseil constitutionnel dispose désormais de trois mois pour statuer sur ces questions.

D’abord, il devra déterminer si les cours criminelles départementales violent le principe constitutionnel d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun (tel est l’objet des deux premières QPC). Ensuite, il devra vérifier si les règles de vote sur la culpabilité et la peine applicables devant les cours criminelles départementales, moins favorables aux accusés que celles prévalant devant les cours d’assises, sont conformes au principe d’égalité des citoyens devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 (tel est l’objet des deux dernières QPC).

Les lignes qui vont suivre se focaliseront uniquement sur les deux premières QPC, qui tendent à conférer au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun une valeur constitutionnelle.  En effet, nous allons montrer que ce principe remplit toutes les conditions requises pour être qualifié de principe fondamental reconnu par les lois de la République ou PFRLR (Chapitre 1.). Toutefois, si le juge constitutionnel venait à lui refuser ce statut, il devrait vraisemblablement le qualifier de principe à valeur constitutionnelle ou PVC (Chapitre 2.).

Chapitre 1. La thèse de l’intervention du jury comme principe fondamental reconnu par les lois de la République

La Constitution de la Vème République française du 4 octobre 1958 ne fait nullement référence au jury populaire. Contrairement à de nombreux pays européens et extra-européens, la France ne fait donc pas expressément de l’intervention des jurés en matière criminelle un principe constitutionnel. Pour autant, un tel principe pourrait être reconnu par le juge constitutionnel en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR).

Les PFRLR sont évoqués par le Préambule de Constitution du 27 octobre 1946, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité. Son premier alinéa dispose que le peuple français « réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’Homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. »

Depuis 1971, le Conseil constitutionnel (et dans une moindre mesure, le Conseil d’État [3]) utilise cette disposition pour constitutionnaliser certains principes qui, pourtant, ne sont pas clairement mentionnés dans la lettre de la Constitution. Toutefois, la reconnaissance d’un PFRLR est un phénomène rare. En l’état de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel n’en a reconnu que onze  : la liberté d’association (1971) [4] ; le respect des droits de la défense (1976) [5] ; la liberté individuelle (1977) [6] ; la liberté d’enseignement (1977)  [7] ; la liberté de conscience (1977) [8] ; l’indépendance de la juridiction administrative (1980)[9] ; l’indépendance des professeurs des universités (1984) [10] ; la compétence de la juridiction administrative dans les contentieux relatifs à l’annulation ou à la réformation des actes administratifs (1987) [11] ; les attributions conférées à l’autorité judiciaire en matière de protection de la propriété privée immobilière (1989) [12] ; le principe selon lequel, en matière de justice pénale des mineurs, la répression de la criminalité des mineurs doit comporter un élément éducatif (2002) [13] ; certaines dispositions législatives et réglementaires propres aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle (2011) [14]. Onze PFRLR identifiés en plus de cinquante ans de jurisprudence constitutionnelle : autant dire que la consécration d’un nouveau principe serait une innovation majeure !

Comme nous l’avions exposé dans notre précédent article, la seule occurrence, pour le moment, où le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur l’intervention du jury criminel en tant que principe constitutionnel est sa décision n° 86-213 du 3 septembre 1986, portant sur la loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'État N° Lexbase : A8139ACG [15]. Cette loi a institué les cours d'assises spécialement composées en matière de terrorisme, lesquelles comportent exclusivement des magistrats professionnels, à l’instar des cours criminelles départementales. Dans leur saisine, les soixante sénateurs requérants invoquaient le « principe de l'intervention du jury en matière criminelle » pour s'opposer à la création de ces cours d'assises sans jury – sans toutefois qualifier ce principe de PFRLR, précision très importante pour le raisonnement qui va suivre. Le Conseil a répondu à cet argument de la manière suivante :

« 10. Considérant que les infractions criminelles énumérées à l'article 706-16 nouveau ne sont justiciables de la cour d'assises composée selon les termes de l'article 698-6 qu'autant qu'il est établi qu'elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'ainsi, à s'en tenir au seul texte de l'article 706-16 nouveau, l'exception apportée au principe de l'intervention du jury a un caractère limité ; que l'argument invoqué par les auteurs de la saisine manque par suite en fait. » 

Comme l’a relevé en 1996 le Haut comité consultatif sur la procédure de jugement en matière criminelle, il s'ensuit que le Conseil constitutionnel, s'il n'a pas explicitement érigé le principe d'intervention du jury au rang des PFRLR, n’a pas non plus écarté cette hypothèse, réservant cette question pour l’avenir [16]. La lecture du compte-rendu de la séance du Conseil [17]  montre que cette position intermédiaire est le résultat d'un compromis entre celui qui présidait alors l’institution, à savoir l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter – selon lequel l'intervention du jury pour juger les crimes de droit commun constitue un « principe constitutionnel et républicain » [18] –, et le doyen Georges Vedel qui soutenait la thèse inverse. 

Or, il apparaît que la reconnaissance de l’intervention en tant que PFRLR, en plus d’être souhaitable pour notre justice et précieuse pour notre démocratie, est juridiquement possible. En effet, d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, trois conditions cumulatives doivent être réunies pour qu’un principe soit intégré aux PFRLR : la première tient à l’importance et à l’objet du principe (Section I.), la deuxième à sa consécration par un texte républicain antérieur à 1946 (Section II.), la troisième à son application continue (Section III.). Nous allons démontrer que ces trois conditions sont réunies s’agissant de l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun, ce qui pourrait déboucher sur l’inconstitutionnalité des dispositions fixant la composition des cours criminelles départementales (Section IV.).

Section I. Première condition de reconnaissance d’un PFRLR : une règle « importante » concernant « les droits et libertés fondamentaux », « la souveraineté nationale » ou « l’organisation des pouvoirs publics »

Pour être reconnu en tant que PFRLR, le principe invoqué doit énoncer une règle revêtant une « importance » suffisante [19] concernant « les droits et libertés fondamentaux », « la souveraineté nationale » ou encore « l’organisation des pouvoirs publics » [20]. En bref, il doit s’agir d’un principe qui intéresse la vie de la Nation et qui constitue davantage qu’une simple tradition.

Or, le jury populaire concerne la procédure criminelle de manière générale, puisqu’il influe sur la composition des juridictions chargées de juger les crimes. De ce fait, son intervention intéresse directement les « droits et libertés fondamentaux » et « l’organisation des pouvoirs publics », comme l’exige le Conseil constitutionnel.

En outre, selon une tradition républicaine bien ancrée, le jury, traduction du droit d’être jugé par ses pairs, est considéré à la fois comme une garantie en faveur de l’accusé et comme un bienfait pour les libertés publiques et individuelles. Ces qualités associées au jury furent constamment réaffirmées tout au long de notre histoire républicaine.

Ainsi, le 20 mars 1790, dans une annexe aux travaux de l’Assemblée nationale constituante qui donnèrent naissance au jury criminel français, le député Duport, dont le projet fut retenu, expose que l’institution du jury est « le Palladium de la liberté publique, comme elle l’est de la liberté individuelle, parce que de simples citoyens décident le fait dans chaque affaire » [21]. Le 11 janvier 1791, au cours des mêmes travaux, le député Thouret décrit le jury comme une « création du génie de la liberté, objet du culte politique des peuples libres, palladium de toutes les Constitutions fondées sur la reconnaissance des droits et de la dignité des hommes » [22].

Le 17 juin 1793, lors d’une séance à la Convention, Cambacérès évoque en ces termes la nécessité de garantir le jugement par jury dans la future Constitution de l’an I : « ceux qui ont quelque habitude de notre législation actuelle connaissent la facilité avec laquelle les jurés ont été établis au criminel, et les avantages que la société retire de cette institution salutaire » [23]

Le 23 juin 1795, Boissy d’Anglas, présentant au nom de la commission des Onze le projet qui deviendra la Constitution de l’an III, donne à la Convention nationale les précisions suivantes : « [e]n nous occupant de la justice criminelle, nous n’avons eu garde de porter la moindre atteinte à la sublime institution des jurés, dont la théorie a été si heureusement confirmée par l’application des principes qui en sont à la base […] ; nous l’avons considérée comme le palladium de la liberté, comme un des plus grands bienfaits que la Révolution ait pu procurer aux Français » [24].

Le 28 juillet 1848, après une longue période d’éclipse républicaine, l’Assemblée nationale discute du projet de Constitution qui fondera la IIème République. Le citoyen Leroux dépose alors sur le bureau de l’Assemblée nationale, au nom du comité de la justice et de la législation civile et criminelle, un projet de décret débutant comme  suit : « Après une révolution qui vient d’ébranler les bases de l’organisation sociale, et au moment où toutes nos institutions vont être soumises à un rigoureux examen, le Gouvernement a jugé nécessaire d’appeler d’abord votre attention sur celle du jury, qui est la sauvegarde de l’ordre public et de nos libertés » [25].  Quelques jours plus tard, le 7 août 1848, le citoyen Crémieux invoque « le droit sacré du jury » [26].

Ces prises de paroles, pleines de force et de conviction, montrent qu’en plus d’intéresser des domaines relevant du champ des PFRLR, l’intervention du jury en matière criminelle ne saurait être considérée comme une simple tradition (comme le soutiendra probablement le Gouvernement), mais bien comme la vigoureuse affirmation de valeurs profondément républicaines.

La première condition posée par le juge constitutionnel pour qualifier un principe de PFRLR est donc remplie. La règle prévoyant l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun pourrait donc être constitutionnalisée, sous réserve que les deux autres conditions soient également remplies.

Section II. Deuxième condition de reconnaissance d’un PFRLR : l’existence d’une base textuelle républicaine antérieure à 1946

Tout PFRLR doit avoir une base textuelle prenant sa source dans une ou plusieurs lois, de nature constitutionnelle ou non, édictées sous un régime républicain antérieur à 1946 [27]. Il faut donc qu’une ou plusieurs lois aient affirmé le principe en question, pour que celui-ci trouve sa place dans le club très fermé des PFRLR.

Avant de démontrer que cette condition est plus que remplie en l’occurrence (II.), il convient de déterminer les législations antérieures à 1946 pouvant être qualifiées de « républicaines » (I.).

I. Détermination des législations « républicaines »

Afin de vérifier si cette deuxième condition est remplie, une première étape consiste à distinguer les régimes républicains de ceux qui ne le sont pas, seuls les premiers entrant dans le champ d’analyse des PFRLR.

C’est ainsi que peuvent assurément être exclues du périmètre de notre étude les lois adoptées sous les régimes suivants :

  • le Premier Empire (18 mai 1804 – 6 avril 1814) ;
  • la Première Restauration (6 avril 1814 – 20 mars 1815) ;
  • les Cent Jours (20 mars 1815 – 7 juillet 1815) ;
  • la Seconde Restauration (7 juillet 1815 – 9 août 1830)  ;
  • la Monarchie de Juillet (9 août 1830 – 24 février 1848) ;
  • le régime de Vichy (10 juillet 1940 – 20 août 1944).

L’exclusion paraît également concerner le Consulat (9 novembre 1799 – 18 mai 1804). En effet, la majorité des constitutionnalistes, au premier rang desquels figure le doyen Louis Favoreu, considère que ce régime ne saurait être pris en compte pour dégager ou écarter des PFRLR, en raison de sa nature davantage impériale que républicaine [28].  En attestent les dispositions de l’article premier du titre premier de l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire, en date du 22 avril 1815, qui dénient expressément au Consulat le caractère républicain en lui attribuant un caractère impérial : « Les Constitutions de l’Empire, nommément l’acte constitutionnel du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), les sénatus-consultes des 14 et 16 thermidor an X (2 et 4 août 1799), et celui du 28 floréal an XII (18 mai 1804), seront modifiées par les dispositions qui suivent. Toutes les autres dispositions sont maintenues. » D’ailleurs, jamais le Conseil constitutionnel ne s’est fondé sur une loi issue de ce régime pour reconnaître ou écarter un PFRLR. Pour autant, il n’a jamais explicitement tranché ce débat.

À noter enfin qu’à travers sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel semble avoir estimé que la période comprise entre la Révolution de 1789 et la Constitution de la Ière République française, quoique monarchique, pouvait entrer dans le domaine de recherche des PFRLR[29].

Il s’ensuit qu’en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, seules les lois adoptées sous les régimes suivants peuvent être prises en compte pour dégager un PFRLR :

  • la période comprise entre l’institution de la première Assemblée nationale constituante et l’avènement de la Ière République (9 juillet 1789 – 21 septembre 1789) ;
  • la Ière République –  Convention et Directoire (21 septembre 1792 – 9 novembre 1799)
  • la IIème République (24 février 1848 – 2 décembre 1802) ;
  • la IIIème République (4 septembre 1870 – 10 juillet 1940) :
  •  le Gouvernement provisoire de la République française (3 juin 1944 – 27 octobre 1946) [30].

Malgré la réticence de la doctrine majoritaire, la législation du Consulat sera également examinée, le juge constitutionnel n’ayant pas explicitement écarté cette période de son prisme d’analyse.

II. L’existence de nombreux textes républicains consacrant le principe d’intervention du jury en matière criminelle

Le moins que l’on puisse dire est que les dispositions législatives et constitutionnelles républicaines ayant consacré le principe d’intervention du jury criminel ne manquent pas. Pour commencer, soulignons que ce principe fut consacré par de nombreuses Constitutions.

En effet, ce principe apparaît au chapitre V, article 9 de la Constitution du 3 et 4 septembre 1791, qui prévoit qu’ « [e]n matière criminelle, nul citoyen ne peut être jugé que sur une accusation reçue par les jurés, ou décrétée par le corps législatif, dans le cas où il lui appartient de poursuivre l’accusation. – Après l’accusation admise, le fait sera reconnu et déclaré par des jurés […]. »

Le même principe se retrouve à l’article 96 de la Constitution du 6 messidor An I (24 juin 1793), qui dispose qu’ « [e]n matière criminelle, nul citoyen ne peut être jugé que sur une accusation reçue par les jurés ou décrétée par le corps législatif. – Les accusés ont des conseils choisis parmi eux, ou nommés d’office. – L’instruction est publique. – Le fait et l’intention sont déclarés par un jury de jugement. – La peine est appliquée par un tribunal criminel. »

Deux années plus tard, l’article 237 de la Constitution du 5 fructidor An III (22 août 1795) reconduit le principe en matière criminelle : « Un premier jury déclare si l’accusation doit être admise ou rejetée : le fait est reconnu par un second jury, et la peine déterminée par la loi est appliquée par les tribunaux criminels. »

L’article 62 de la Constitution du 22 frimaire An VIII (13 décembre 1799), qui fonde le Consulat, consacre également l’intervention du jury (nous mentionnons cette disposition dans l’hypothèse fragile où le Conseil constitutionnel considérerait la législation consulaire comme revêtant un caractère républicain, même si cela irait à l’encontre de la doctrine majoritaire) : « En matière de délit emportant peine afflictive ou infamante, un premier jury admet ou rejette l’accusation : si elle est admise, un second jury reconnaît le fait […]. »

Enfin, il faut tenir compte des dispositions de l’article 82 de la Constitution de la IIème République du 4 novembre 1848 : « Le jury continuera à être appliqué en matière criminelle. »

Outre ces consécrations constitutionnelles, il est remarquable que le Code d’instruction criminelle, dans sa version en vigueur sous la IIIème République, a toujours prévu l’intervention du jury de cour d’assises pour juger les crimes de droit commun. En effet, l’article 231, al. 1 du Code d’instruction criminelle, issu de la loi du 17 juillet 1856 et prenant place dans un titre II intitulé « Des affaires qui doivent être soumises au jury », contenait les dispositions suivantes : « Si le fait est qualifié de crime par la loi, et que la cour trouve des charges suffisantes pour motiver la mise en accusation, elle ordonnera le renvoi du prévenu aux assises. »

Il en va de même à la Libération, l’ordonnance n° 45-764 du 20 avril 1945, adoptée par le Gouvernement provisoire de la République française, ayant reconduit le système du jury pour juger l’ensemble des crimes de droit commun. L’article 231 du Code d’instruction criminelle est ainsi demeuré applicable jusqu’à et applicable jusqu’à l’entrée en vigueur du Préambule de 1946 – et même jusqu’à l’adoption du Code de procédure pénale en 1958.

Les sources textuelles consacrant le principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun étant abondantes, la deuxième condition pour le hisser au rang de PFRLR est parfaitement remplie ; il ne reste qu’à examiner la dernière.

Section III. Troisième condition de reconnaissance d’un PFRLR : l’absence d’exception au principe antérieurement à 1946

Troisième et dernière condition : le principe doit avoir fait l’objet d’une application continue sous l’ensemble des régimes républicains antérieurs à 1946, sans qu’aucune discontinuité ne puisse être recensée. Pour rejoindre la confrérie des PFRLR, il faudrait donc que le principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun n’ait jamais été remis en cause par les législations républicaines antérieures à la IVème République.

Il s’ensuit que toutes les exceptions au principe intervenues postérieurement à 1946 ne sauraient être prises en compte (I.). Or, nous allons démontrer que tout au long de l’histoire républicaine antérieure à 1946, les seules exceptions au principe d’intervention du jury pour juger les crimes ont concerné les crimes politiques, les crimes militaires et les crimes commis par les membres du gouvernement, mais jamais les crimes de droit commun (II.).

I. L’absence de prise en compte des exceptions postérieures à 1946

Comme nous l’avons déjà souligné, d’après la jurisprudence constitutionnelle, seules les législations antérieures à 1946 sont susceptibles de fonder la reconnaissance ou la mise à l’écart d’un PFRLR. Autrement dit, les exceptions postérieures à 1946 ne comptent pas [31].

Il s’ensuit que les cours d’assises spécialement composées, c’est-à-dire siégeant sans jurés, instituées depuis le dernier quart du XXème siècle pour juger certaines infractions limitativement énumérées, ne peuvent être appréhendées comme des exceptions qui empêcheraient la constitutionnalisation du jury criminel. Ne sauraient donc invalider l’hypothèse d’un PFRLR les cours d’assises spécialement composées jugeant :

  • certains crimes contre les intérêts fondamentaux de la Nation commis en temps de paix (loi n° 82-621, du 21 juillet 1982 [32]) [33] ;
  • les crimes commis par les militaires dans l’exercice de leur service sur le territoire de la République en temps de paix, s’il existe un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale (loi n° 82-621, du 21 juillet 1982, modifiée par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011) [34] ;
  • les crimes terroristes (loi n° 86-120, du 9 septembre 1986) [35] ;
  • les crimes liés au trafic de stupéfiants (loi n° 92-1336, du 16 décembre 1992 [36]) [37] ;
  • les crimes ayant trait à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs (loi n° 2011-266, du 14 mars 2011 [38]) [39].

À noter d’ailleurs que la plupart de ces crimes, comme nous le verrons plus loin, ne sont pas des crimes « de droit commun. » Conséquemment, ces exceptions à l’intervention du jury seraient de toute façon inopérantes pour écarter l’hypothèse d’un PFRLR.

II. L’absence d’exception antérieure à 1946

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les législations devant être étudiées à l’aune des PFRLR sont celles adoptées par les régimes suivants : la période comprise entre la Révolution de 1789 et l’institution de la Convention nationale ; la Ière République (entendue comme comprenant la Convention et Directoire) ; la IIème République ; la IIIème République ; le Gouvernement provisoire de la République française.

Il s’agit désormais de mener une enquête historique pour vérifier si, sous l’un de ces régimes, exception a été faite au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun. Si tel était le cas, cela pourrait empêcher la reconnaissance de l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun en tant que PFRLR. Le conditionnel est toutefois de rigueur, puisqu’une légère exception au principe pourrait ne pas suffire à empêcher une telle reconnaissance. Seul le juge constitutionnel peut en décider.

Or, en analysant scrupuleusement les législations relatives au jury criminel adoptées sous les régimes précités, la vérité éclate aux yeux : jamais le principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun n’a fait l’objet de la moindre exception. Jamais !

Dans cette affirmation lourde de conséquences, tous les mots ont leur importance. Cela vaut notamment pour l’expression « crimes de droit de commun » (A.), ainsi que pour la notion d’« intervention du jury » (B.).

A. Des exceptions à l’intervention du jury antérieures à 1946 ne concernant pas les « crimes de droit commun »

L’expression « crime de droit commun » désigne les crimes (c’est-à-dire, les infractions les plus graves) donnant lieu à l’application des règles de fond et de procédure ordinaires [40]. Cette expression est donc doublement excluante, puisqu’elle ne recouvre ni les délits – infractions de moindre gravité –, ni les crimes donnant habituellement lieu à des procédures spéciales.

Selon la doctrine, les crimes de droit commun s’opposent ainsi à cinq autres catégories d’infraction :

  • les délits de presse qui, en plus de ne pas constituer des crimes au sens juridique du terme, obéissent à des procédures particulières ;
  • les crimes militaires, c’est-à-dire notamment ceux commis par les militaires dans l’exercice de leur service [41] ;
  • les crimes politiques, définis comme ceux « qui menacent le régime ou les institutions politiques d’un pays» [42]. Les crimes sont politiques soit objectivement en ce qu’ils portent frontalement atteinte à l’ordre public ou à l’État[43], soit subjectivement en ce que leurs auteurs sont animés par un mobile politique [44]. Par exemple, constituent des crimes objectivement politiques ceux prévus au Titre I du Livre IV du Code pénal, ceux-ci étant d’ailleurs puni de la détention criminelle [45] ;
  • les crimes terroristes. En effet, la doctrine relève que si les infractions terroristes ne sont plus considérées, en droit positif, comme des infractions politiques, elles ne sauraient davantage être appréhendées comme des crimes de droit commun. Les auteurs estiment que les infractions terroristes constituent, désormais, une catégorie « sui generis » [46] (aussi qualifiée de « délits politiques sans nom ») [47] qui se distingue à la fois de la catégorie des crimes politiques et de celle des crimes de droit commun.
  • les crimes commis par les membres du pouvoir exécutif dans l’exercice de leurs fonctions.

Ces précisions sont déterminantes, puisque l’examen minutieux des lois adoptées sous l’ensemble des régimes républicains antérieurs à 1946 révèle que si le jury a parfois été écarté du jugement de certaines infractions, ces mesures ont toujours concerné l’une des cinq catégories exceptionnelles précitées. En revanche, s’agissant des crimes de droit commun, aucune dérogation au principe d’intervention du jury ne peut être répertoriée.

Nous ne croyons pas utile de dresser la liste exhaustive des lois ayant dispensé le jury de connaître les délits de presse, les crimes militaires et les crimes commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions ; par leur objet même, qui ne prête point à discussion, ces lois ne peuvent aucunement constituer des exceptions au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun. On remarquera seulement que les législations républicaines ont parfois consacré l’intervention du jury pour juger les crimes politiques [48], les délits de presse [49] et même les crimes militaires [50], ce qui montre l’importance attachée à l’institution du jury dans notre tradition républicaine.

En revanche, la liste complète des lois républicaines dispensant le jury d’intervenir pour d’autres types de crimes, qui s’avèrent être tous de nature politique, doit être rigoureusement établie et clairement explicitée. Par souci d’exhaustivité, nous mentionnerons également les lois d’exception adoptées sous le Consulat, bien que ce régime, ainsi que nous l’avons expliqué précédemment, ne puisse être considéré comme républicain aux yeux de la plupart des constitutionnalistes. Au total, ce travail va nous conduire à examiner huit lois d’exception : six adoptées dans la continuité de la Révolution de 1789 (1), et deux adoptées sous la IIIème République (2).

1) Les lois d’exception en matière de crimes politiques adoptées dans la continuité de la Révolution de 1789.

Comme le relèvent Frédéric Desportes et Francis Le Gunhec, « [l]a nécessité de protéger la République naissante conduisit les révolutionnaires à multiplier les infractions politiques dans le Code pénal de 1791 », étant précisé que « sur les 150 infractions prévues par le code, 82 étaient de nature politique. » Les deux auteurs ajoutent que « [s]ous la Terreur s’élabora un droit pénal politique qui, dans le mépris absolu des droits de l’homme proclamés quelques années plus tôt, confia à des juridictions d’exception (dont la plus célèbre est sans conteste le Tribunal révolutionnaire institué par le décret du 1er septembre 1793), le soin d’envoyer à l’échafaud les « suspects » et les autres « ennemis du peuple » » [51]. Autrement dit, de nombreux crimes furent perçus à cette époque comme revêtant un caractère politique.

C’est précisément dans ce contexte de politisation des crimes que s’inscrivent les six premières lois que nous allons examiner : quatre ont été adoptées sous la Convention ou le Directoire (a), et deux sous le Consulat (b).

  1. Les lois d’exception en matière de crimes politiques adoptées sous la Convention et le Directoire

Premièrement, le décret du 9 octobre 1792 organisait le jugement des émigrés pris arme à la main ou qui avaient servi contre la France, par des commissions militaires composées de cinq personnes désignées par l’état-major, mais dépourvues de jurés [52]. Le but explicite de ce décret était d’appliquer promptement les dispositions du décret du 9 novembre 1791 prévoyant l’application de la peine de mort aux émigrés qui, au 1er janvier 1792, n’auraient pas déposé les armes. Ce dernier décret accuse les émigrés de « tramer contre la Constitution », et dispose dans son article 1er que « Les Français rassemblés au-delà des frontières du royaume, sont dès ce moment, déclarés suspects de conjuration contre la France » [53].  Il en résulte que les émigrés concernés par ce décret étaient perçus comme s’attaquant directement au régime politique en place. Leur crime était donc, à l’évidence, considéré par le législateur comme objectivement et subjectivement politique.

Deuxièmement, le décret du 19 mars 1793 permettait à des commissions militaires et aux tribunaux criminels ordinaires de « juger révolutionnairement » – c’est-à-dire sans jury et sans recours – « ceux qui sont ou seront prévenus d’avoir pris part aux révoltes ou émeutes contre-révolutionnaires, qui ont éclaté ou qui éclateraient à l’époque du recrutement dans les différents Départements de la République, et ceux qui auraient pris ou prendraient la cocarde blanche, ou tout autre signe de rébellion », lesquels sont déclarés « hors-la-loi » [54]. Comme beaucoup d’auteurs l’ont relevé, il s’agissait d’une procédure « politique » [55] dont le but était de réprimer des crimes objectivement et subjectivement politiques, en ce qu’ils ciblaient frontalement l’ordre établi. Ces crimes ne peuvent donc être considérés comme des crimes de droit commun.

Troisièmement, le décret du 22 nivôse an II (11 janvier 1794) autorisait les tribunaux révolutionnaires provinciaux à juger sans jurés les crimes contre-révolutionnaires, politiques par essence, s’ils en recevaient l’ordre par un représentant en mission [56]. Il s’agissait incontestablement de crimes objectivement et subjectivement politiques.

Quatrièmement, la loi du 29 nivôse an VI (18 janvier 1798) donnait temporairement compétence à des conseils de guerre permanents sans jurés pour juger des faits de brigandage commis par un rassemblement d’au moins trois personnes. Par le biais de cette loi, le Directoire entendait lutter contre les bandes de brigands en « état de guerre contre la société », formulation qui figure à deux reprises dans l’exposé des motifs fait par le rapporteur Girot-Pouzol devant le Conseil des Anciens. Plus précisément, après avoir affirmé que « les rassemblements qui infestent les routes mettent la République en péril », il soutient qu’ « il faut, pour éviter l’anarchie, que la dictature de la loi soit établie sur les brigands ; c’est le moyen le plus sûr d’empêcher qu’ils n’établissent sur la société la dictature de leur crime » [57]. En outre, il faut relever qu’en raison de son caractère exceptionnel, l’application de cette loi était initialement limitée à un an, « c’est-à-dire au temps nécessaire pour arrêter et réprimer tous ces crimes. » Transparaît ainsi clairement l’idée selon laquelle le brigandage, en cette époque, était perçu comme une menace directe pour la stabilité de l’ordre social et des institutions, ce qui en fait, dans ce contexte précis, un crime objectivement politique. Un auteur note d’ailleurs que cette loi « semble avoir été employée contre un brigandage plus politique : elle a été l’outil de la répression de l’an VII » [58]. Un autre auteur conclut que « pour les autorités directoriales, les bandes de brigands sont des contre-révolutionnaires » ; il ajoute que « le brigand est désormais jugé au même titre qu’un prisonnier de guerre ou qu’un traître à la nation. Il devient en quelque sorte un citoyen de seconde zone » [59] . À l’évidence, les crimes visés par cette loi ne sont pas appréhendés, dans le contexte de l’époque, comme des crimes de droit commun. D’ailleurs, il ne s’agit pas ici du seul moment de notre histoire républicaine où ce type d’infractions a été considéré comme revêtant un caractère politique. Par exemple, la loi du 10 mars 1927 relative à l’extradition des étrangers, dans son article 5, conférait un caractère politique aux actes de « barbarie odieuse » ou de « vandalisme » commis au cours d’une insurrection ou d'une guerre civile, faits pouvant être rapprochés de ceux visés par la présente loi.

b. Les lois d’exception en matière de crimes politiques adoptées sous le Consulat

Cinquièmement, la loi consulaire du 18 pluviôse an IX (7 février 1801) attribuait l’appréciation de nouveaux faits de brigandages et de vagabondage, pour une durée limitée, à des tribunaux spéciaux sans jurés [60]. Les motifs de cette loi ont été exposés au Corps Législatif par Portalis – indiquant qu’elle visait à punir ceux chez lesquels « l’esprit de faction et de haine contre la République se joint à l’esprit de brigandage » [61] – avant que Duveyrier n’en fasse le rapport devant l’assemblée générale du Tribunat. À travers ce rapport, l’adoption de la loi a été présentée par le gouvernement comme nécessaire pour lutter contre « ceux qui sont, non pas en guerre sourde et fortuite, mais en guerre ouverte et permanente contre le pacte social. » La loi visait ceux qui « combattent […] le régime établi », « ces monstres [qui] se sont placés, non pas seulement hors de l’empire des lois ordinaires, nos pas seulement hors du pacte social et de la société, mais hors de l’humanité » ; ceux qui « doivent être poursuivis, moins encore comme des méchants que comme des ennemis. ». Le rapporteur Duveyrier ajoute : « Peut-on ne pas conclure que cette organisation audacieuse du désordre met l’ordre public dans un danger réel et pressant, et que les lois ordinaires sont impuissantes contre des forfaits qui s’élancent avec tant d’impudence au-dessus des crimes ordinaires ? » [62]. Ainsi, les motifs ayant conduit à l’adoption de cette loi montrent clairement que le législateur voyait ces crimes non pas comme des « crimes ordinaires », mais comme des crimes revêtant un caractère objectivement politique, en ce qu’ils constituaient un péril mortel pour le régime en place. La procédure mise en œuvre est d’ailleurs présentée comme « un mode extraordinaire de poursuite et de jugement » répondant à une situation d’une gravité exceptionnelle : « La République entière se soulève de toutes parts contre un poison domestique, une cause inférieure de destruction, une vaste conspiration de brigandage et de crimes, qui menace la liberté publique dans ses plus précieuses garanties […] C’est comme un remède indispensable à ce mal extrême, que le gouvernement propose l’établissement momentané des tribunaux criminels spéciaux. » C’est pourquoi l’article 31 de la loi prévoit que « le tribunal spécial demeurera révoqué de plein droit, deux ans après la paix générale. » Cette limitation temporelle illustre, là encore, le caractère exceptionnel de cette procédure, qui doit être appréhendée dans le contexte des périls intérieurs et extérieurs qui menaçaient alors la France.

Il convient de rappeler que cette loi ayant été adoptée sous le Consulat, régime que la majorité des constitutionnalistes jugent davantage impérial que républicain, elle ne devrait vraisemblablement pas être prise en compte par le Conseil constitutionnel s’interrogeant sur l’existence d’un PFRLR. Toutefois, si une telle prise en compte devait avoir lieu, cette loi ne saurait être appréhendée comme une exception au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun, puisque dans son contexte d’adoption et de mise en application, elle ne visait aucunement des crimes de droit commun, mais bien des crimes objectivement politiques.

Sixièmement, la loi du 23 floréal an X (19 mai 1802) donnait compétence à de nouveaux tribunaux spéciaux sans jurés pour juger des crimes tels que le faux en écriture et les incendies volontaires [63]. Au nom du Gouvernement, le rapporteur BERLIER présentait cette loi comme un complément apporté à la loi du 18 pluviôse an IX (7 février 1801), rendu nécessaire par la prolifération de certains crimes, notamment les faux : « c’est avec peine, citoyens Législateurs, que le gouvernement réclame et attend de vous cette mesure complétive de celle que vous adoptâtes le 18 pluviôse an IX. » Il ajoutait : « Vous n’exigerez pas davantage que je justifie cette proposition par les principes du droit commun, tandis qu’il ne s’agit que d’examiner s’il faut en sortir : la justice de la mesure est dans le besoin même de mettre un frein à cette multitude de faussaires qui inondent et menacent la société, et s’il s’élevait quelques voix qui réclamassent l’application des principes propres aux temps ordinaires, je leur répondrais par les raisons qui, dans une matière semblable, déterminèrent votre décret du 18 pluviôse. » Pour marquer cette continuité entre les deux lois, il mentionnait ces « hordes de brigands qui, tremblants aujourd’hui devant la force publique, semblent n’avoir suspendu le cours de leur assassinat que pour tourmenter la société par d’autres crimes, singulièrement celui de faux. C’est dans ce dernier retranchement qu’il faut les atteindre ; il le faut surtout à une époque où les faux de toute espèce semblent lutter contre la paix. » Il décrivait les nouveaux tribunaux spéciaux qu’il propose comme « une institution passagère », et les dispositions qui les organisaient comme des « mesures extraordinaires » visant la catégorie d’infractions « qui menace le plus essentiellement l’ordre social. » S’agissant des incendies volontaires qui, dans certaines circonstances, relevaient également de la compétence de ces tribunaux spéciaux, le rapporteur BERLIER insistait sur le fait que les incendies concernés en sont « l’espèce qui menace le plus essentiellement la société toute entière. » [64] L’ensemble de ces motifs, qui insistent sur la complémentarité entre la présente loi et celle du 18 pluviôse an IX (7 février 1801), confèrent aux crimes visés, commis dans un tel contexte, un caractère objectivement politique.

Là encore, il faut insister sur le fait que cette loi ayant été adoptée sous le Consulat, elle ne devrait pas, selon la plupart des constitutionnalistes, être prise en compte par le Conseil constitutionnel pour écarter un PFRLR. Quoiqu’il en soit, cette loi ne constitue aucunement une exception au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun, l’exposé des motifs montrant sans ambiguïté qu’elle ne visait point des crimes de droit commun, mais des crimes politiques aux yeux du législateur.

2) Les lois d’exception en matière de crimes politiques adoptées sous la IIIème République

Septièmement, doit être mentionnée la « loi scélérate » du 28 juillet 1894 ayant pour objet de réprimer les menées anarchistes, adoptée sous la IIIème République. Par cette loi, les tribunaux correctionnels se virent chargés de juger les infractions de provocation au vol, meurtre, pillage, incendie, aux crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'État et de provocation des militaires à la désobéissance, à condition qu’elles soient commises dans un but de propagande anarchiste [65]. Ainsi, il s’agissait clairement de réprimer des infractions subjectivement politiques, c’est-à-dire dont les auteurs étaient animés par un mobile politique.

Huitièmement, toujours sous la IIIème République, l’article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 dispose que le Sénat peut être constitué en Haute Cour de justice pour juger toute personne prévenue d’attentat commis contre la sûreté de l’État, y compris des particuliers [66]. Une fois de plus, il s’agissait donc de réprimer des infractions objectivement politiques, en ce qu’elles visaient directement le régime en place. Cette loi, mentionnée par le doyen Vedel dans son échange avec le président Badinter en 1986, ne saurait donc être appréhendée comme une exception au principe selon lequel le jury intervient pour juger les crimes de droit commun.

À la lueur de ces explications, il apparaît clairement que chacune de ces lois d’exception n’avait qu’un seul et unique but : faciliter la répression des ennemis du régime. Sous l’empire des lois républicaines antérieures à 1946, la justice criminelle sans jury, quand elle ne servait pas à réprimer les délits de presse, les crimes militaires ou les crimes commis par les membres du pouvoir exécutif dans l’exercice de leurs fonctions, a toujours été un instrument de répression des crimes politiques. En revanche, jamais elle n’a servi à réprimer les crimes de droit commun. Aussi, aucune des exceptions susmentionnées n’est de nature à porter atteinte au principe selon lequel le jury doit intervenir pour juger ces crimes.

Il convient maintenant de s’intéresser aux lois ayant modifié les modalités d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun, sans pour autant remettre en cause le principe de cette intervention.

B. Des lois modifiant la procédure sans remettre en cause « l’intervention du jury » pour juger les crimes de droit commun

Deux catégories de « fausses exceptions » au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun doivent être mentionnées : d’une part, les lois relatives à la compétence, à la composition et au fonctionnement du jury (1), et d’autre part, les lois procédant à la correctionnalisation de certains crimes de droit commun (2).

1) Les lois relatives à la compétence, à la composition et au fonctionnement du jury

Dans son échange précité avec le président Badinter, le doyen Vedel, pour justifier sa réticence à reconnaître l’intervention du jury comme PFRLR, arguait de l’instabilité historique de cette institution. En effet, au cours de l’histoire républicaine, le jury a subi de nombreuses modifications :

  • dans sa compétence. Par exemple, l’appréciation des délits de presse et des crimes politiques fut parfois confiée au jury, et lui fut parfois retirée. De même, si le jury, pendant très longtemps, a exclusivement statué sur la culpabilité, il est désormais associé à la détermination de la peine, depuis une loi du 5 mars 1932 ;
  • dans sa composition. En effet, si le service de jury fut parfois réservé à de riches propriétaires, il fut parfois ouvert sans condition de ressources, par exemple à travers la loi du 2 nivôse an II (22 décembre 1793). De même, il est vrai qu’au cours de l’histoire, l’établissement de la liste des jurés fut confié successivement aux élus, à l’administration, puis au hasard du tirage au sort ;
  • dans son fonctionnement. Ainsi, si le jury, pendant très longtemps, a délibéré sur la culpabilité hors la présence des juges professionnels, la loi du 25 novembre 1941, validée à la Libération par l’ordonnance n° 45-764 du 20 avril 1945 adoptée par le Gouvernement provisoire de la République française, associe désormais les jurés aux magistrats pour délibérer sur la culpabilité et la peine. À noter, d’ailleurs, que si cette innovation a pris corps sous le régime de Vichy, elle n’a été que la mise en œuvre des préconisations émises en 1938 par la commission Matter, sous la IIIème République[67].

Pour autant, ces modifications procédurales ne sauraient faire obstacle à la reconnaissance du PFRLR invoqué. En effet, ces évolutions ne remettent aucunement en cause la continuité de « l’intervention » du jury pour juger les crimes de droit commun, indépendamment de sa forme ou de ses attributions précises, qui restent librement fixées par le législateur. A minima, il faut reconnaître que le jury, depuis son institution consécutive à la Révolution, est toujours intervenu pour statuer sur la culpabilité concernant les crimes de droit commun.

En raisonnant par analogie, il est d’ailleurs remarquable que le Conseil constitutionnel ait déjà reconnu par le passé des PFRLR dont les modalités de mise en œuvre, pourtant, avaient considérablement varié au cours du temps. Tel est le cas, par exemple, du respect des droits de la défense, ou encore de la liberté individuelle, qui n’ont pas toujours eu les mêmes implications au cours de notre histoire républicaine.

2) Les lois procédant à la correctionnalisation de certains crimes de droit commun

Pour terminer, soulignons que plusieurs textes, au cours de l’histoire républicaine, ont procédé à la correctionnalisation de certains crimes de droit commun. Tel fut notamment le cas, sous la IIIème République, de l’avortement (loi du 27 mars 1923) [68] et de la bigamie (loi du 19 février 1933) [69].

À l’évidence, ces dispositions ne font point exception au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun, puisque ce ne sont plus des faits considérés comme des crimes, mais comme des délits, qui sont confiés aux tribunaux correctionnels.

Au contraire, le fait que le législateur, confronté à la réticence des jurés à condamner certains faits, ait préféré correctionnaliser ces faits plutôt que de maintenir leur qualification criminelle tout en confiant leur jugement à une juridiction sans jury, tend à démontrer le caractère sacré, dans notre tradition républicaine, de l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun.

En outre, il faut souligner que la reconnaissance de l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun en tant que PFRLR n’empêcherait pas au législateur de confier le jugement de certains faits, aujourd’hui revêtus d’une qualification criminelle, à un tribunal correctionnel (sans jury), à condition toutefois de prévoir pour ces faits une peine délictuelle. L’idée maîtresse est que les infractions de droit commun les plus graves, c’est-à-dire les crimes, requièrent l’intervention du jury.

Il faut d’ailleurs noter que jusqu’alors, l’institution du jury a joué un rôle politique essentiel pour inciter le législateur à moduler la répression de certaines infractions. Ainsi, la loi du 27 mars 1923 correctionnalisant l’avortement s’explique en grande partie par la réticence des jurés à condamner ce type de faits, en raison de peines encourues qu’ils jugeaient trop sévères [70]. Le constat est similaire pour la loi du 19 février 1933 correctionnalisant la bigamie [71]. Voici une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que le jury populaire est une institution souveraine au service des libertés.

Section IV. Conclusion : l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun remplit toutes les conditions pour être reconnue en tant que PFRLR

En résumé, un PFRLR est un principe essentiel consacré par le législateur républicain, touchant aux « droits et libertés fondamentaux », à la « souveraineté nationale » ou à l’ « organisation des pouvoirs publics », et qui a reçu une application continue jusqu’à l’adoption du Préambule de la Constitution de 1946.

Or, une analyse objective de l’ensemble des constitutions et législations républicaines adoptées depuis 1789 montre que ces trois conditions sont parfaitement remplies par le principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun. Par conséquent, le Conseil constitutionnel, s’il décidait de s’en tenir aux critères jusqu’alors dessinés par sa propre jurisprudence, pourrait être amené à ériger ce principe d’intervention au rang des PFRLR.

Douze ans après la reconnaissance du dernier, l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun serait le douzième PFRLR consacré par le juge constitutionnel, douze comme le nombre de jurés formant le premier jury de jugement à la Révolution… Le symbole serait sublime !

Cette reconnaissance du principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun en tant que PFRLR entraînerait nécessairement l’abrogation des dispositions organisant la compétence et le fonctionnement des cours criminelles départementales, qui jugent aujourd’hui sans jurés environ 57% des crimes de droit commun qui relevaient jusqu’alors de la compétence des cours d’assises.

Chapitre 2. La thèse de l’intervention du jury comme principe à valeur constitutionnelle

De façon subsidiaire, dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel ne reconnaîtrait pas l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun en tant que PFRLR, il pourrait, en répondant favorablement à la deuxième QPC, consacrer l'existence d'un principe à valeur constitutionnelle selon lequel l'intervention du jury est le droit commun du jugement criminel.

Ce principe, distinct du premier, consisterait à affirmer que la majorité des crimes doivent être jugés par un jury populaire. De façon exceptionnelle, il resterait donc possible de confier le jugement de certains crimes à des juridictions criminelles sans jury, à condition toutefois que ces exceptions revêtent un caractère limité et soient justifiées par la poursuite de certains objectifs.

Nous démontrerons que ce principe, qui semble d’ores et déjà reconnu par la jurisprudence constitutionnelle (Section I), devrait emporter l’abrogation des dispositions organisant la compétence et le fonctionnement des cours criminelles départementales (Section II).

Section I. La reconnaissance du « principe d’intervention du jury » par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-213 du 3 septembre 1986

Le principe selon lequel l’intervention du jury est le droit commun du jugement des crimes, quoique sa valeur exacte n’ait pas encore été fixée, semble directement s’évincer de la décision précitée n° 86-213 rendue par le Conseil constitutionnel le 3 septembre 1986. Pour rappel, afin de valider les dispositions instituant les cours d’assises spécialement composées en matière de terrorisme, le Conseil constitutionnel s’est exprimé de la sorte :

« 10. Considérant que les infractions criminelles énumérées à l'article 706-16 nouveau ne sont justiciables de la cour d'assises composée selon les termes de l'article 698-6 qu'autant qu'il est établi qu'elles sont en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ; qu'ainsi, à s'en tenir au seul texte de l'article 706-16 nouveau, l'exception apportée au principe de l'intervention du jury a un caractère limité ; que l'argument invoqué par les auteurs de la saisine manque par suite en fait. » 

À travers cette formule, le Conseil reprend à son compte le principe d'intervention du jury soulevé par les sénateurs requérants, tout en estimant qu'il n'est pas violé en raison de la compétence restreinte des cours d'assises spécialement composées en matière de terrorisme. Cela laisse entendre qu’a contrario, ce principe serait bafoué si un nombre significatif de crimes étaient soustraits à la compétence du jury.

La reconnaissance d’un tel principe serait conforme à l’interprétation doctrinale de la décision du 3 septembre 1986. Ainsi, dans sa thèse intitulée L’avenir du jury criminel, William ROUMIER relève qui si le Conseil constitutionnel n’a pas explicitement consacré le principe d’intervention du jury en tant que PFRLR, il a toutefois « posé pour principe que l’institution du jury constitue le droit commun du jugement en matière criminelle » [72]. De même, dans le rapport DENIAU en date de 1996, le Haut comité consultatif sur la procédure de jugement en matière criminelle relève que la décision du 3 septembre 1986 « permet d’établir que le Conseil considère l’institution du jury comme la procédure normale de jugement en matière criminelle » [73].

Pour rappel, l’expression « principe d’intervention du jury », qui figure dans le dixième considérant de la décision n° 86-213 du 3 septembre 1986, est la résultante d’un compromis entre le président Badinter et le doyen Vedel : tandis que le premier souhaitait voir l’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun reconnu en tant que PFRLR, le second ne le souhaitait pas, sans pour autant condamner un tel principe. Par cette formule, comme le souligna Pierre Joxe lors de la séance, « le Conseil marque sa fidélité à la notion de jury et de jurés populaires », sans pour autant trancher la question du PFRLR qui ne lui était pas posée [74]. Il est donc raisonnable d’estimer que par cette formule, le Conseil constitutionnel, en 1986, a entendu a minima faire de l’intervention du jury criminel un principe à valeur constitutionnelle, tout en réservant pour l’avenir la question de sa reconnaissance en tant que PFRLR.

L’intervention du jury criminel semble donc constituer, à tout le moins, un principe à valeur constitutionnelle. Or, de par leur champ de compétence matérielle extrêmement large, les cours criminelles départementales s’inscrivent en totale contradiction vis-à-vis de ce principe.

Section II. Le « principe d’intervention du jury » violé par les cours criminelles départementales

Selon l’étude d’impact ayant précédé la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC, les cours criminelles départementales sont désormais compétentes pour juger 57 % des affaires criminelles [75]. Cette estimation est proche du constat effectué par le comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle qui, dans son rapport d’octobre 2022, constate que dans les départements d’expérimentation, le champ de compétence des cours criminelles départementales représente 55 % des condamnations prononcées par les cours d’assises entre 2015 et 2018, atteignant même 67 % dans certains départements [76].

Sans que la liste soit exhaustive, il sera rappelé que les cours criminelles départementales sont compétentes pour connaître des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle commis par des majeurs hors récidive. En retenant pour principal critère de compétence celui de la peine encourue, le législateur a ainsi offert aux cours criminelles départementales une compétence très large, concernant la majorité des crimes prévus par le Code pénal. Voici une liste non exhaustive des crimes concernés :

Il s’ensuit que la cour criminelle départementale est devenue la juridiction criminelle de principe pour juger les crimes, au mépris du principe d’intervention du jury pourtant reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-213 du 3 septembre 1986.

À ce titre, la cour criminelle se distingue clairement des autres cours d’assises spécialement composées dont les jurés sont exclus, lesquelles disposent d’une compétence restreinte pour juger exclusivement :

  • certains crimes contre les intérêts fondamentaux de la Nation commis en temps de paix (loi n° 82-621 du 21 juillet 1982) [77] ;
  • les  crimes commis par les militaires dans l’exercice de leur service sur le territoire de la République en temps de paix, s’il existe un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale (loi n° 82-621 du 21 juillet 1982, modifiée par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011) [78] ;
  • les crimes terroristes (loi n° 86-120 du 9 septembre 1986) [79] ;
  • les crimes liés au trafic de stupéfiants (loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992) [80] ;
  • les crimes ayant trait à la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs (loi n° 2011-266 du 14 mars 2011) [81].

Il faut d’ailleurs souligner que ces exceptions, très limitées, au principe d’intervention du jury pour juger les crimes, ont toujours eu pour source deux motifs : d’une part, le risque de pression sur les jurés ; d’autre part, la protection du secret de la défense nationale. En effet, la lecture des travaux parlementaires permet de constater que :

  • l'éviction des jurés des cours d’assises spécialement composées pour juger les crimes d’atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation visait à éviter « le risque de divulgation de secrets de la défense nationale » [82].
  • l'éviction des jurés des cours d’assises spécialement composées pour juger les crimes terroristes a été dictée par le souci d’ « éviter toute prise aux  pressions sur les personnes chargées du jugement des terroristes. Or, ces pressions pourraient être parfois particulièrement sensibles sur les jurés des cours d’assises qui ne disposent pratiquement que de faibles protections légales et matérielles » [83] ; 
  • l'éviction des jurés des cours d’assises spécialement composées pour juger les crimes liés aux trafics de stupéfiants trouvait sa justification en ce que « pour le jugement d’affaires de ce type, un jury populaire risque d’être trop vulnérable aux manipulations, pressions et menaces des trafiquants puissants, organisés et sans scrupules » [84] ;
  • l'éviction des jurés des cours d’assises spécialement composées pour juger les crimes de prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs a notamment été justifiée par le souci  d’« écarter tout risque de pression ou de menace sur des jurés populaires de la part de réseaux criminels internationaux puissants, parfois susceptibles d'être en lien avec des groupes terroristes » [85].
  • l'éviction des jurés des cours d’assises spécialement composées pour juge les crimes commis par les militaires dans l’exercice de leur service sur le territoire de la République en temps de paix, n’est justifiée que s’il existe « un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale » [86].

Ainsi, en plus d’être cantonnées à des infractions très limitées en nombre, ces exceptions au principe d’intervention du jury criminel sont exclusivement guidées par deux objectifs alternatifs : la protection des jurés et la protection des secrets de la défense nationale.

Or, la cour criminelle départementale, en plus d’avoir un champ de compétence matérielle important au point d’excéder celui de la cour d’assises, ne répond à aucun de ces deux objectifs.

Il apparaît donc que les cours criminelles départementales violent le principe d’intervention du jury, déjà énoncé par la jurisprudence constitutionnelle et qui constitue a minima un principe à valeur constitutionnelle, en ce qu’elle font du jugement par jury l’exception en matière criminelle. Au surplus, leur création ne répond à aucun impératif jusqu’alors considéré comme justifiant l’éviction du jury criminel. Si le Conseil constitutionnel affirmait clairement que l’intervention du jury est un principe à valeur constitutionnelle, l’abrogation des dispositions relatives aux cours criminelles départementales devrait en découler.

 

[1] Cass. crim., QPC, 20 septembre 2023, n° 23-84.320 N° Lexbase : A83471HM et n° 23-90.010 N° Lexbase : A83911HA.

[2] B. Fiorini, Le jury, « Dieu merci » ! Cinq propositions de QPC pour lutte contre les cours criminelles départementales, Lexbase pénal, juin 2023.

[3] Le Conseil d’État a dégagé un unique PFRLR, selon lequel l’État français doit refuser d’extrader l’étranger dont l’extradition est demandée dans un but politique (1996) : CE, Ass., 3 juillet 1996, M. Koné.

[4] Cons. const., décision n° 71-44 DC, du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, cons. 2 N° Lexbase : A7886AC3.

[5] Cons. const., décision n° 76-70 DC, du 2 décision 1976, Loi relative au développement et à la prévention des accidents du travail, cons. 2 N° Lexbase : A7934ACT.

[6] Cons. const., décision n° 76-75 DC, du 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales, cons. 1 N° Lexbase : A7954ACL.

[7] Cons. const., décision n° 77-87 DC, du 23 novembre 1977, Loi complémentaire à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de l'enseignement, cons. 3.

[9] Cons. const., décision n° 80-119 DC, du 22 juillet 1980, Loi portant validation d'actes administratifs, cons. 6 N° Lexbase : A8015ACT.

[10] Cons. const., décision n° 83-165 DC, du 20 janvier 1984, Loi relative à l'enseignement supérieur, cons. 20 N° Lexbase : A8085ACG.

[11] Cons. const., décision n° 86-224 DC, du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, cons. 15 N° Lexbase : A8153ACX.

[12] Cons. const., décision n° 89-256 DC, du 25 juillet 1989, Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles, cons. 16 N° Lexbase : A8198ACM.

[13] Cons. const., décision n° 2002-461 DC, du 29 août 2002, Loi d'orientation et de programmation pour la justice, cons. 26 N° Lexbase : A2314AZQ.

[14] Cons. const., décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA, cons. 4 N° Lexbase : A9237HWZ.

[15] Cons. const., décision n° 86-213 DC, du 3 septembre 1986, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l'État N° Lexbase : A8139ACG.

[16] Synthèse du rapport du Haut comité consultatif sur la procédure de jugement en matière criminelle, p. 22 : « On peut estimer que, ce faisant, le Conseil a plus réservé sa position qu’il n’a rejeté l’idée d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République en la matière » [en ligne].

[17] Le compte-rendu est accessible en ligne.

[18] Cons. const., séance du 2 et 3 septembre 1986, p. 46. 

[19] Cons. const., décision n° 98-407 DC, du 14 janvier 1999, Loi relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des Conseils régionaux, cons. 9 N° Lexbase : A8778AC4.

[20] Cons. const., décision n° 2013-669 DC, du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cons. 21 N° Lexbase : A4431KDH.

[21] Archives Parlementaires de 1787 à 1860, 1ère série, tome XII, Deuxième annexe à la séance de l’Assemblée nationale constituante du 29 mars 1790, Moyens d’exécution pour les jurés au criminel et au civil, rédigés en article. Par M. Duport, député de Paris, p. 436 [en ligne].

[22] Archives Parlementaires de 1787 à 1860, 1ère série, tome XXII, Assemblée nationale constituante, séance du mardi 11 janvier 1791, au matin, p. 129 [en ligne].

[23] Archives Parlementaires de 1787 à 1860, 1ère série, tome LXVI, Convention nationale, séance du lundi 17 juin 1793, au matin, p. 597 [en ligne].

[24] Projet de Constitution pour la République française et discours préliminaire, prononcé par M. Boissy d’Anglas au nom de la commission des Onze, Convention nationale, séance du 5 messidor an III (23 juin 1795), p. 58 [en ligne].

[25] Compte-rendu des séances de l’Assemblée nationale, tome 2ème, séance du 28 juillet 1848, p. 708 [en ligne].

[26] Compte-rendu des séances de l’Assemblée nationale, tome 2ème, séance du 7 août 1848, p. 930 [en ligne].

[27] Cons. const., décision n° 88-244 DC, du 20 juillet 1988, Loi portant amnistie, cons. 12 N° Lexbase : A8180ACX.

[28] V. sur ce point : L. Favoreu, Les principes fondamentaux reconnus par les Lois de la Républiquein B. Mathieu et M. Verpeaux (dir.), La République en droit français, Economica, 1996, p. 234 ; M.-H. Fabre, ibid., p. 37 ; L. Sponchiado, De l’usage des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République dans le débat sur le mariage des personnes de même sexe, RFDC 2013, n° 96, p. 965.

[29] Cons. const., décision n° 86-224 DC, du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, cons. 15 N° Lexbase : A8153ACX.

[30] Cons. const., décision n° 97-393 DC, du 18 décision 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, cons. 29 N° Lexbase : A8444ACQ.

[31] V. par ex : Cons. const, décision n° 89-254, du 2 juillet 1989, Loi modifiant la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités d'application des privatisations, cons. 13 N° Lexbase : A8197ACL.

[32] Loi n° 82-621, du 21 juillet 1982, relative à relative à l'instruction et au jugement des infractions en matière militaire et de sûreté de l'État et modifiant les codes de procédure pénale et de justice militaire N° Lexbase : C30227BK.

[33] C. proc. pén., art. 702 N° Lexbase : L0574LTG.

[35] V C. proc. pén., art. 706-25 N° Lexbase : L3176LSG et 698-6.

[36] Loi n° 92-1336, du 16 décembre 1992, relative à l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur N° Lexbase : L9786IE8.

[37] V. C. proc. pén., art. 706-27 N° Lexbase : L4109AZ9 et 698-6.

[38] Loi n° 2011-266, du 14 mars 2011, relative à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs N° Lexbase : L5065IPB.

[39] V. C. proc. pén., art. 706-174 N° Lexbase : L7452IPP et 698-6.

[40] R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Droit pénal général, Cujas, 1988, n° 375 : « L’infraction de droit commun est celle qui est soumise aux règles de fond, de compétence judiciaire ou de procédure généralement applicables aux crimes, aux délits ou aux contraventions. »

[41] B. Bouloc, Droit pénal général, Dalloz, 24e éd., 2013, p. 194. – J. Pradel, Droit pénal général, 20e éd., Cujas, 2014, p. 275 : « Faut-il également considérer comme militaires les infractions de droit commun commises par un militaire ? […] La réponse est affirmative ». –  F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, 16e éd., Economica, 2009, p. 109 : « Aux infractions militaires au sens strict peuvent être assimilées les infractions de droit commun commises dans l’exécution du service par les militaires ».

[42] X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, 2023, n° 45.

[43] C. Le Roux, L’infraction politique, L’Harmattan, 2018, p. 33 : « Une des théories dégagées concernant la définition de l’infraction politique tient à une conception objective. Cette conception s’attache à l’objet ou au résultat même de l’infraction commise, faisant abstraction du mobile du délinquant. L’infraction politique est alors réduite à celle qui porte atteinte à l’existence ou à l’organisation de l’État. ». – V. en ce J.-J. Lemouland, Les critères jurisprudentiels de l’infraction politique, RSC 1988, p. 16 ; B. Bouloc, Droit pénal général, préc., p. 188 : « Si l’on définit l’infraction politique par son objet – le critère est objectif – l’on traite alors comme politique toute infraction portant atteinte à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, soit à un intérêt politique de l’État, soit à un droit politique des citoyens […] ». – V. aussi X. Pin, Droit pénal général, préc., n° 46 : l’une des techniques permettant de déduire la nature politique d’une infraction « consiste à relever l’objet politique de l’infraction qui de porter atteinte à l’organisation politique du pays : ce critère fait apparaître des infractions politiques par nature. Il en est ainsi des infractions prévues par le Code électoral, et la jurisprudence y a même inclus, un temps, les délits de presse ».

[44] C. Le Roux, L’infraction politique, préc., pp. 33-34 : « Contrairement à la conception objective, la conception subjective de l’infraction politique propose de s’intéresser non pas à l’objet même de l’infraction, mais aux raisons animant l’auteur. Cette démarche est donc centrée sur le sujet, sur le délinquant, et seront alors considérées comme politiques les infractions commises avec un mobile politique. Dans cette conception, les infractions de droit commun pourront être qualifiées de politiques, si l’analyse des mobiles du délinquant révèle un dessin politique. » – V. en ce sens : S. Jacopin, Droit pénal général, Bréal, 3e éd., p. 73 ; F. Desportes, F. Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 2009, n° 152 ; Bernard Bouloc, Droit pénal général, préc., p. 188.

[45] Art. 411-2, 411-3, 411-4, 411-6, 411-9 et 412-1 à 412-8 du Code pénal. – V. X. Pin, Droit pénal général, préc., n° 46 : « Les principales infractions politiques sont contenues dans le Code électoral et dans le Livre IV du Code pénal. Crimes ou délits contre la Nation, l’État et la paix publique, mais pas uniquement ».

[46] O. Cahn et J. Alix, Terrorisme et infraction politique : quel intérêt de prolonger la disputatio ?, Mare & Martin, 2021, pp. 217-314 : « La loi du 22 juillet 1992 fait du terrorisme une catégorie d’infraction sui generis, non politiques, même si elles sont insérées parmi les crimes et délits contre l’État, la nation et la paix publique […] ».

[47] O. Beaud, entretien avec R. Théry, Revue de droit d’Assas, Projet, n° 19, 2019, p. 13.

[48] V. par exemple l’article 83 de la Constitution de la IIème République du 4 novembre 1848 : « La connaissance de tous les délits politiques et de tous les délits commis par la voie de la presse appartient exclusivement au jury. »

[49] Ibid.

[50] Par exemple, la loi du 29 octobre 1790 créant les cours martiales fondait la justice militaire sur un système de double jury (d’accusation et de jugement). La présence du jury de jugement fut conservée au sein des tribunaux criminels militaires révolutionnaires par la loi du 12 mai 1793. Elle fut ensuite maintenue dans les tribunaux criminels militaires, par la loi du 3 pluviôse an II (22 janvier 1794).

[51] F. Desportes et F. Le Gunehec Droit pénal général, préc., p. 93.

[52] J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’État, depuis 1788 jusqu’à et y compris 1824, tome V, 1825, p. 22 [en ligne].

[53] J. Teste-Lebeau, Code des émigrés, condamnés et déportés révolutionnairement, Première partie, 1825, p. 10 [en ligne].

[54] J.-B.Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’État, depuis 1788 jusqu’à et y compris 1824, préc., pp. 253-254 [en ligne].

[55] C. Gau-Cabée, Le Tribunal criminel de l’Aude et la répression politique de l’an II : un exemple de Terreur dévoyée, in G. Sicard (dir.), Justice et politique : la Terreur dans la Révolution française, Presse de l’Université Toulouse Capitole, 1997, pp. 177-187.  Un autre auteur observe que les contre-révolutionnaires concernés pas ce décret étaient considérés comme des « non-citoyens » : B. Battais, La justice militaire en temps de paix, Thèse Angers, 2015, p. 24 [en ligne].

[56] Collection du Louvres, in-4°, tome 17, p. 186. Mentionné par J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’État, depuis 1788 jusqu’à et y compris 1824, tome VI, 1825, p. 481 [en ligne].

[57] Gazette nationale ou Le Moniteur universel, 25 janvier 1798, p. 507 [en ligne].

[58] C. Ledent, Voleurs ou révoltés ? Un réseau de brigands brabançons devant la justice française (1799-1804), Presses universitaires de Louvain, pp. 27-38.

[59] Bruno Roman, Lutter contre le brigandage à la fin du Directoire : la loi des otages (Messidor An VII – Brumaire An VIII), Annales historiques de la Révolution française, 2021, n° 4, pp. 9 et 11.

[60] J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’État, depuis 1788 jusqu’à et y compris 1824, tome XII, 1826, p. 386 [en ligne].

[61] J.-G. Locré, La législation civile, commerciale, et criminelle de la France, ou commentaires et compléments des codes français, tome XXVII, 1831, spéc. pp. 250-251 [en ligne].

[62] Ibid., spéc. pp. 255, 258, 263 et 272 [en ligne].

[63] J.-B. Duvergier, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements, et avis du Conseil d’État, depuis 1788 jusqu’à et y compris 1824, tome XIII, 1826, p. 429 [en ligne].

[64] J.-G. Locré, La législation civile, commerciale, et criminelle de la France, ou commentaires et compléments des codes français, tome XXIX, 1831, spéc. pp. 42-49 [en ligne].

[65] Loi du 28 juillet 1894 ayant pour objet de réprimer les menées anarchistes, article 1er.

[66] Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, art. 12, al. 3 : « Le Sénat peut être constitué en Cour de justice par un décret du Président de la République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute personne prévenue d'attentat contre la sûreté de l'État. » 

[67] R. Vouin, Le destin de la cour d’assises française, in Le jury face au droit pénal, Journées J. Dabin, Bruxelles, E. Bruylant, 1967, pp. 136-138 : « cette loi de 1941 n’a pas été improvisée sous l’effet des circonstances. Cette loi de 1941 provient d’un projet établi avant-guerre et qui demeurait depuis 1938 dans les cartons ministériels. Il suffit de dire qu’il s’agit d’un projet de la commission Paul MATTER pour qu’on voie bien que cette loi n’a rien à voir avec les tendances de Vichy en politique intérieure, ni avec la guerre et l’occupation. […] Nous pouvons affirmer, et même dire avec force, que cette loi du 25 novembre 1941 n’est pas le résultat de circonstances d’ordre politique. Elle a été prise en la forme sans débats parlementaires et selon une procédure législative simplifiée. Mais quant au fond, c’est une loi de 1938, en réalité, qui a été adoptée en 1941 et confirmée en 1945. »

[68] Loi du 27 mars 1923 modifiant l’article 317 du code pénal relatif à l’avortement.

[69] Loi du 19 février 1933 modifiant l’article 340 du code pénal relatif à la bigamie.

[70] J.-Y. Le Naour, C. Valenti, Histoire de l’avortement, Le Seuil, 2003, p. 123 : « la plupart des jurys d’assises font preuve d’une coupable indulgence et, trouvant trop sévères les peines prévues par la loi, préfèrent acquitter les prévenus, même en cas de crime avéré. »

[71] F. Cahen, Gouverner les mœurs. La lutte contre l’avortement en France (1890-1950), Ined Éditions, 2016, pp. 137-179 : « La correctionnalisation légale, en matière de bigamie notamment, est pensée à la Belle Époque comme un moyen de destituer définitivement des juridictions populaires à la mansuétude coupable. » 

[72] W. Roumier, L’avenir du jury criminel, LGDJ, 2003, p. 79.

[73] Synthèse du rapport du Haut comité consultatif sur la procédure de jugement en matière criminelle, p. 22.

[74] Cons. const., constitutionnel, séance du 2 et 3 septembre 1986, p. 50.

[75] Etude d’impact, projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, pp. 362-363 [en ligne].

[76] Rapport d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale, octobre 2022, pp. 8-10 [en ligne].

[77] C. proc. pén., art. 702 N° Lexbase : L0574LTG.

[78] V. C. proc. pén., art. 697, 697-1, 698-6 et 698-7.

[79] V C. proc. pén., art. 706-25 et 698-6.

[80] V. C. proc. pén., art. 706-27 et 698-6.

[81] V. C. proc. pén., art. 706-174 [et 698-6.

[82] Assemblée nationale, 2ème séance du 14 avril 1982, p. 1129 [en ligne].

[83] Sénat, rapport n° 457 de P. Masson, annexé au procès-verbal de la séance du 16 juillet 1986,  p. 11 [en ligne].

[84] Assemblée nationale, 2ème séance du 2 juillet 1992, p. 2752 [en ligne].

[85] Exposé des motifs, loi n° 2011-266 du 14 mars 2021 relative à la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs [en ligne].

[86] C. proc. pén., art. 697-1, al. 3 N° Lexbase : L4031IRQ.

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Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] L’indication géographique « Linge basque » validée par la Cour de cassation

Réf. : Cass. com., 27 septembre 2023, n° 21-25.334, F-B N° Lexbase : A11511IH

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par Caroline Le Goffic, Professeur à l’Université de Lille, Membre du CRDP – Équipe LERADP

Le 11 Octobre 2023

Mots-clés :  indication géographique pour les produits industriels et artisanaux – homologation – réputation – savoir-faire

La Cour de cassation rejette le pourvoi contre un arrêt qui avait validé l’homologation par l’INPI du cahier des charges de l’indication géographique « Linge basque ». La Cour indique que pour être protégé par une indication géographique, un produit doit être caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique, ces caractéristiques étant alternatives et non cumulatives.


 

Consacrée par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi n° 2014-344 N° Lexbase : L7504IZX) [1], la catégorie d’indication géographique protégeant des produits industriels ou artisanaux constitue un nouveau type de signe distinctif destiné à protéger les produits issus de traditions et de savoir-faire locaux. L’indication géographique est définie par l’article L. 721-2 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L7690IZT comme « la dénomination d'une zone géographique ou d'un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu'agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique ».

La procédure d’enregistrement de ces indications géographiques peut être ainsi résumée [2] : l’organisme de défense et de gestion, représentant les opérateurs concernés par l’indication géographique en cause, dépose auprès de l’INPI une demande d’homologation du cahier des charges de ladite indication géographique. L’INPI procède alors à une instruction de la demande, s'assurant que les opérations de production ou de transformation décrites dans le cahier des charges, ainsi que le périmètre de la zone ou du lieu, permettent de garantir que le produit concerné présente effectivement une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique. L’INPI ouvre également une enquête publique et procède à la consultation des collectivités territoriales, groupements professionnels et associations de consommateurs intéressés. Au terme de la procédure, la décision d'homologation de l’indication géographique par l’INPI vaut reconnaissance de l'organisme qui assure la défense et la gestion du produit bénéficiant de l'indication géographique. Cette décision, accompagnée du cahier des charges correspondant, est publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle.

Les indications géographiques de produits industriels et artisanaux (IGPIA) connaissent un succès croissant. Avec l’accroissement du nombre d’IGPIA enregistrées par l’INPI (14 à ce jour) se développe un contentieux relatif à la validité de ces enregistrements. Les recours en annulation se multiplient en effet, la plupart du temps introduits par des opérateurs qui n’acceptent pas le cahier des charges.Ainsi les décisions de l’INPI ayant homologué les indications « Porcelaine de Limoges » [3] ou encore « Pierre Marbrière de Rhône-Alpes » [4] ont-elles fait l’objet de recours en annulation. Dans ces deux cas, les juges ont validé l’enregistrement par l’INPI de ces IGPIA.

On retrouve ce même schéma dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt rendu le 27 septembre 2023 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. En l’espèce, par une décision du 15 octobre 2020, l’INPI a homologué le cahier des charges de l’indication géographique « Linge basque » et reconnu le syndicat des tisseurs du linge basque d’origine comme organisme de défense et de gestion. En décembre 2020, une société de tissage a formé un recours en annulation.

Ce recours était, comme dans les autres affaires précitées, fondé sur deux arguments principaux d’ores et déjà très classiques.

D’une part, la société contestait le lien à l’origine. Elle faisait valoir qu'aucune des spécificités revendiquées dans le cahier des charges n’était propre à la zone géographique visée, à savoir les Pyrénées-Atlantiques, en ce que la culture historique du lin avait disparu de cette zone, que la réputation de robustesse et d'authenticité du linge basque ne lui était pas propre, ces qualités étant communes aux autres linges de qualité de diverses régions de France, et que le savoir-faire des tisserands n’était pas non plus propre au linge basque.

D’autre part, la société requérante contestait également la représentativité de l’organisme de défense et de gestion de l’IGPIA.

La cour d’appel de Bordeaux ayant réfuté ces deux arguments par un arrêt en date du 12 octobre 2021 [5], la société de tissage s’est pourvue en cassation.

Au soutien de son pourvoi, elle n’invoquait plus que le premier argument, à savoir le caractère prétendument insuffisant du lien à l’origine.

Le moyen développé au soutien de ce pourvoi consistait, en substance, à faire valoir que le savoir-faire consacré par l’IGPIA était insuffisamment lié au produit concerné et à sa zone d’origine. Ainsi la société de tissage arguait-elle « qu’un savoir-faire traditionnel ne peut justifier l'octroi d'une indication géographique que si, par sa spécificité, il distingue les produits qui en sont le fruit des produits d'autres provenances géographiques ». Or, en l’espèce, selon le pourvoi, la cour d’appel aurait dû caractériser la spécificité de ce savoir-faire permettant de l'attribuer essentiellement au département des Pyrénées-Atlantiques. La société soutenait corrélativement que le savoir-faire en question « n'était pas propre à la fabrication du linge basque mais correspondait au procédé de fabrication de tout tissage à façon de qualité ».

Afin de rejeter le pourvoi, la Cour de cassation commence par poser le principe suivant : « il résulte de l'application combinée des articles L. 721-2 et L. 721-7, 4° N° Lexbase : L2034KGG, du Code de la propriété intellectuelle que, pour être protégé par une indication géographique, un produit doit être caractérisé par un savoir-faire traditionnel ou une réputation qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique, ces caractéristiques étant alternatives et non cumulatives ».

Cette affirmation résulte davantage du second des deux textes visés. En effet, l’article L. 721-7, 4°, du code précise que le cahier des charges de l’IGPIA mentionne « la qualité, la réputation, le savoir-faire traditionnel ou les autres caractéristiques que possède le produit concerné et qui peuvent être attribués essentiellement à cette zone géographique ou à ce lieu déterminé, ainsi que les éléments établissant le lien entre le produit et la zone géographique ou le lieu déterminé associé ». Ainsi autorise-t-il le rattachement à l’origine à s’effectuer soit à travers la réputation, soit à travers le savoir-faire. L’article L. 721-2, en revanche, ne mentionne pas le savoir-faire, mais seulement la réputation. Dans l’arrêt qu’elle avait rendu à propos de la porcelaine de Limoges [6], la Cour de cassation avait résolu cette incohérence apparente en considérant qu’ « il résulte de l'application combinée des articles L. 712-2 et L. 721-7, 4° du Code de la propriété́ intellectuelle qu'est une caractéristique du produit, au sens du premier de ces textes, le fait pour ce produit de résulter d'un savoir-faire traditionnel ».

La Cour de cassation rappelle ensuite qu’aux termes de l'article L. 721-3, alinéa 4, du CPI N° Lexbase : L7691IZU, lorsqu'il instruit la demande d'homologation ou de modification du cahier des charges, l'INPI s'assure que les opérations de production ou de transformation décrites dans le cahier des charges, ainsi que le périmètre de la zone ou du lieu, permettent de garantir que le produit concerné présente effectivement une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l'indication géographique.

Sur cette base, elle relève que les juges du fond ont caractérisé  la tradition de tissage ancrée dans le territoire en cause, et un savoir-faire particulier, caractérisé, « aux termes du cahier des charges, par un procédé de fabrication découpé en quatre étapes distinctes de tissage, qui doivent toutes être réalisées dans le département des Pyrénées-Atlantiques » pour que le produit bénéficie de l'IG « Linge basque ». Il ressort en effet du cahier des charges et des éléments produits par le syndicat des tisseurs du linge basque d'origine que la culture du lin dans le Béarn et le Pays Basque, dès le XIXème siècle, a favorisé l'installation d'ateliers de tissages familiaux dans la région, d'abord destinés aux besoins agricoles puis essentiellement au linge de maison et de table, ces ateliers se mécanisant au XXème siècle grâce au réseau hydro-électrique dans la région, pour connaître leur apogée pendant les « trente glorieuses » avec l'utilisation du coton en remplacement du lin et la diversification des produits caractérisés par des couleurs et des dessins originaux.
Les juges du fond avaient ajouté que ce savoir-faire ancestral, issu d'une tradition artisanale et industrielle, perdure encore dans ce département.

La Cour de cassation en tire la conclusion suivante : « en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a retenu que la réalisation du tissage du linge dans les Pyrénées-Atlantiques résultait d'un savoir-faire local historique, fût-il non exclusif à cette zone géographique, et n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, dès lors qu'elle avait fait ressortir que la réalisation du tissage dans les Pyrénées-Atlantiques était la caractéristique propre et essentielle du linge basque, et qui a établi que le linge tissé dans les Pyrénées-Atlantiques selon un savoir-faire traditionnel développé dans cette zone géographique jouissait d'une réputation de qualité, a, par ces seuls motifs et sans méconnaître les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B, légalement justifié sa décision ».

Cette solution, très favorable à la reconnaissance des IGPIA, s’inscrit dans la droite lignée de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2021 dans l’affaire « Porcelaine de Limoges » [7]. Les juges du fond l’avaient d’ailleurs cité expressément à propos du Linge basque : « la loi du 17 mars 2014, dite loi Hamon, à l'origine de la création des IGPIA, n'exige pas que les matières premières utilisées pour la confection des produits visés proviennent impérativement de la zone géographique concernée, comme l'a jugé un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendu le 14 avril 2021, transposable à plusieurs titres au présent litige ». Dans son arrêt rendu sur un recours formé contre l'homologation de l'IG « Porcelaine de Limoges », la Cour de cassation avait admis l'analyse de la cour d'appel de Paris qui avait rejeté́ l'argument des sociétés requérantes faisant valoir l'épuisement des gisements de kaolin. Dans l’affaire « Linge basque », la cour d’appel de Bordeaux avait ainsi cité l’attendu suivant de la Cour de cassation : « la notion de savoir-faire traditionnel au sens du second de ces textes, n'implique ni exclusivité́, ni caractère secret des techniques mises en œuvre  ». En conséquence, les juges avaient conclu, à bon escient, que « la disparition de la culture du lin dans la zone géographique concernée n'est pas de nature à enlever au produit sa spécificité́ naturelle ».

Cette solution illustre bien la différence entre la notion d’IGPIA et celle d’appellation d’origine en matière agroalimentaire, la seconde étant nettement plus exigeante quant au lien au terroir. S’agissant de produits industriels et artisanaux, le lien à l’origine peut résider dans la seule réputation liée à un savoir-faire historique. Tel est le cas pour le linge basque.  Ici encore, la motivation n’est pas sans rappeler celle développée dans l’affaire « Porcelaine de Limoges. » Le savoir-faire spécifique, en l’espèce, réside dans un procédé particulier de fabrication en quatre étapes qui doivent toutes être réalisées dans le département des Pyrénées Atlantiques. Ainsi le lien à l’origine se trouve-t-il établi.


[1] C. Le Goffic, Les apports de la loi du 17 mars 2014 au Code de la propriété intellectuelle, Prop. ind., 2014, Focus 32.

[2] Cf. C. Le Goffic, Homologation par l’INPI des deux premières indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux, Prop. ind., 2017, alerte 14.

[3] CA Paris, 25 septembre 2018, Propr. intell. 2019, n° 70, p. 70, obs. C. Le Goffic ; pourvoi rejeté par Cass. com., 14 février 2021, n° 19-10.327, F-D N° Lexbase : A79984PW, Propr. intell., 2022, n° 82, p. 74, obs. C. Le Goffic.

[4] CA Bordeaux, 23 mars 2021, n° 19/06730 N° Lexbase : A21534MP, Propr. intell., 2022, n° 82, p. 76, obs. C. Le Goffic.

[5] CA Bordeaux, 12 octobre 2021, n° 20/04960 N° Lexbase : A011249Z, Propr. intell., 2022, n° 82, p. 100, obs. C. Le Goffic.

[6] Cass. com., 14 avril 2021, préc.

[7] Cass. com., 14 avril 2021, préc.

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