Jurisprudence : TA Nancy, du 16-05-2023, n° 2100649


Références

Tribunal Administratif de Nancy

N° 2100649

Chambre 1
lecture du 16 mai 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 8 mars et 3 septembre 2021, les 16 et 20 décembre 2022 et le 31 janvier 2023, M. A C et Mme D C, représentés par Me Merlinge, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'enjoindre à la société anonyme Enedis de déplacer le poteau électrique situé sur la parcelle cadastrée section AD n° 125, située à Nomeny, afin que les lignes électriques ne surplombent plus leur terrain ;

2°) de condamner la société Enedis à leur verser une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'emprise irrégulière constituée par cet ouvrage ;

3°) de mettre à la charge de la société Enedis les dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent que :

- le poteau électrique implanté sur la parcelle cadastrée section AD n° 125, voisine de leur terrain, mais en surplomb de leur propriété, est constitutif d'une emprise irrégulière ;

- cette emprise irrégulière est régularisable dès lors que le coût du déplacement du poteau tel que chiffré par la société Enedis s'élève à 15 215,15 euros hors taxes, de sorte qu'il n'existe aucun inconvénient suffisant faisant obstacle à ce déplacement qui n'entraîne pas d'atteinte excessive à l'intérêt général ;

- rien n'interdit à la société Enedis d'imposer au propriétaire du terrain voisin la mise en œuvre de la solution de déplacement proposée dans le courrier du 18 septembre 2019, dès lors qu'il s'agit simplement d'exécuter la convention de servitude conclue avec ce dernier ;

- la vue constante de cet ouvrage surplombant leur terrain entraîne un préjudice esthétique ; le terrain situé à l'arrière de leur maison est en partie gâché par la vue récurrente et directe de ce poteau et entraîne une dégradation du paysage visible depuis leur maison ;

- le surplomb des fils électriques entraîne une dégradation de la valeur immobilière de leur terrain ;

- la lenteur des réponses de la société Enedis, la mauvaise volonté dont elle a fait preuve depuis plusieurs années, son refus de prise en compte de leurs demandes entraînent un préjudice certain ;

- une somme de 5 000 euros leur sera allouée à titre de dommages et intérêts.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 juillet 2022 et le 18 janvier 2023, la société anonyme Enedis, représentée par Me Trecourt, conclut au rejet de la requête de M. et Mme C et à ce qu'il soit mis à leur charge les entiers dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B,

- les conclusions de Mme Guidi, rapporteure publique,

- les observations de Me Merlinge, représentant M. et Mme C,

- et les observations de Me Flora, substituant Me Trecourt, représentant la SA Enedis.

Considérant ce qui suit :

1. En 2002, la société Electricité de France (EDF) a implanté sur la parcelle cadastrée section AD n° 125 à Nomeny (Meurthe-et-Moselle) un poteau destiné à supporter une ligne à haute tension alimentant deux postes de distribution publique d'électricité desservant plusieurs foyers. Elle a conclu avec le propriétaire de cette parcelle une convention autorisant l'implantation de cet ouvrage et le survol de ce terrain. Ayant constaté que cet ouvrage surplombait en partie la parcelle voisine cadastrée section AD n° 120 dont ils sont propriétaires, M. et Mme C ont mis en demeure la société Enedis de procéder aux travaux nécessaires afin qu'il soit mis fin à ce surplomb. Par un courrier du 3 septembre 2021, M. et Mme C ont demandé à la société Enedis de leur verser une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant de ce surplomb. Par la requête susvisée, M. et Mme C demandent au tribunal d'enjoindre à la société Enedis de déplacer le poteau électrique implanté sur la parcelle cadastrée section AD n° 125 afin que les lignes électriques ne surplombent plus leur terrain et de condamner cette société à leur verser une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'implantation de cet ouvrage.

Sur les conclusions tendant au déplacement de la ligne électrique :

2. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

En ce qui concerne l'irrégularité de l'emprise :

3. Aux termes de l'article L. 323-3 du code de l'énergie🏛 : " Les travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité peuvent être, sur demande du concédant ou du concessionnaire, déclarés d'utilité publique par l'autorité administrative. / La déclaration d'utilité publique est précédée d'une étude d'impact et d'une enquête publique dans les cas prévus au chapitre II ou au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement. / S'il y a lieu à expropriation, il y est procédé conformément aux dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ". Aux termes de l'article L. 323-4 du même code : " La déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics () / La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit : / () / 2° De faire passer les conducteurs d'électricité au-dessus des propriétés privées, sous les mêmes conditions et réserves que celles spécifiques au 1° ci-dessus () ". Aux termes de l'article 1er du décret du 6 octobre 1967🏛 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906🏛 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, d'ébranchage ou d'abattage prévues au troisième alinéa de l'article 12 de la loi du 15 juin 1906🏛 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que ces servitudes ne peuvent être instituées qu'après la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'établissement des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité, ou par une convention conclue entre le concessionnaire et le propriétaire du terrain.

4. Il résulte de l'instruction que le poteau destiné à supporter une ligne à haute tension implanté sur la parcelle cadastrée section AD n° 125, en limite de propriété de M. et Mme C, a fait l'objet en 2002 d'une convention de servitude conclue avec le propriétaire de cette parcelle autorisant l'implantation de l'ouvrage et le survol de ce terrain par la ligne haute tension. En revanche, il résulte de l'instruction que cette ligne électrique survole également la parcelle AD n° 120 appartenant à M. et Mme C et qu'aucune convention de servitude autorisant ce survol n'a été conclue avec les requérants ni avec les propriétaires précédents de cette parcelle. La société Enedis ne justifie d'aucun titre qui, en l'absence d'accord avec ces derniers, aurait été délivré à cette fin par l'autorité administrative. Ainsi, M. et Mme C sont fondés à soutenir que la ligne électrique surplombant leur propriété constitue une emprise irrégulière.

En ce qui concerne la régularisation de l'implantation de l'ouvrage :

5. Il résulte de l'instruction qu'aucune régularisation n'est possible puisque M. et Mme C ont refusé de signer une convention de servitude pour régulariser l'implantation de l'ouvrage public en cause sur leur propriété. Aucune procédure d'expropriation n'a été envisagée. Par suite, une régularisation appropriée n'est pas possible.

En ce qui concerne le bilan des intérêts en présence :

6. D'une part, M. et Mme C indiquent que la vue constante de cet ouvrage surplombant leur terrain entraîne un préjudice esthétique et que le terrain situé à l'arrière de leur maison est en partie gâché par la vue récurrente et directe de ce poteau et entraîne une dégradation du paysage visible depuis leur maison. D'autre part, ils soutiennent que le surplomb de cette ligne électrique entraîne une dégradation de la valeur immobilière de leur terrain. Toutefois, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des inconvénients résultant de la vue du poteau électrique dès lors que cet ouvrage n'est pas implanté sur leur propriété mais sur celle du terrain voisin. Par ailleurs, eu égard à la faible emprise du surplomb et à son implantation en limite de propriété, la gêne visuelle engendrée par la présence de cette ligne électrique apparaît limitée. Enfin, il résulte de l'instruction que M. et Mme C ont acquis leur bien alors que l'ouvrage litigieux était déjà implanté, de sorte que la présence de la ligne électrique en surplomb était parfaitement connue des acquéreurs. Ainsi, la perte de valeur vénale alléguée par M. et Mme C, qui ne font en outre état d'aucun projet de vente de leur parcelle, ne peut être regardée comme étant suffisamment établie.

7. D'autre part, il résulte de l'instruction que la ligne haute tension surplombant la propriété de M. et Mme C alimente deux postes de distribution publique d'électricité desservant plusieurs foyers. Il résulte en outre de l'instruction que la société Enedis a fait étudier plusieurs solutions techniques en vue de mettre fin au surplomb litigieux, consistant soit en un déplacement du poteau et de la ligne aérienne situés sur la parcelle cadastrée section AD n° 125, soit en des travaux d'enfouissement de cette ligne sur cette parcelle. Il résulte toutefois de l'instruction que le propriétaire de la parcelle cadastrée section AD n° 125 s'est opposé à tous travaux de déplacement ou d'enfouissement de la ligne sur son terrain, de sorte que si le déplacement de l'ouvrage public litigieux apparaissait techniquement possible, ce dernier se heurte à un obstacle juridique. A cet égard, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne résulte pas de la convention de servitude conclue entre la société EDF et le propriétaire de la parcelle cadastrée section AD n° 125 qu'elle permettrait à la société Enedis d'imposer à ce dernier l'enfouissement de l'ouvrage public litigieux sur sa propriété, dès lors qu'il résulte clairement des termes de cette convention qu'elle autorise uniquement le concessionnaire à implanter un support pour conducteurs aériens et à faire passer les conducteurs aériens au-dessus de la parcelle pour une longueur totale d'environ 50 mètres. Enfin, la société Enedis soutient sans être sérieusement contestée qu'aucune autre solution technique ne nécessitant pas l'accord du propriétaire de la parcelle cadastrée section AD n° 125 ne pourrait être mise en œuvre sans devoir restructurer totalement le réseau public de distribution d'électricité et revoir fondamentalement sa configuration actuelle.

8. Dans ces conditions, eu égard aux inconvénients limités résultant du surplomb de la ligne électrique sur la parcelle de M. et Mme C, fait parfaitement connu des requérants au moment de l'acquisition de la parcelle, à l'opposition du propriétaire du fonds voisin à tout projet de déplacement ou d'enfouissement de cette ligne électrique et à l'absence d'autres solutions techniques ne nécessitant pas une restructuration totale du réseau électrique, il apparaît que l'injonction sollicitée par les requérants est de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général. Par suite, les conclusions de M. et Mme C tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Enedis de procéder au déplacement de l'ouvrage en cause doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

9. M. et Mme C soutiennent qu'ils subissent divers préjudices résultant de la mauvaise implantation de l'ouvrage public litigieux. Dans ces conditions, ils doivent être regardés comme invoquant la faute commise par la société Enedis à raison de l'emprise irrégulière.

10. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent jugement que le poteau électrique est régulièrement implanté sur la parcelle cadastrée section AD n° 125 voisine de la propriété de M. et Mme C. Ainsi, le préjudice de vue résultant de l'existence de ce poteau est sans lien avec l'emprise irrégulière constituée par le surplomb de la ligne électrique. Dans ces conditions, les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de l'existence de ce poteau ne peuvent qu'être rejetées.

11. En deuxième lieu, si les requérants se prévalent d'un " préjudice esthétique " résultant de la présence des lignes électriques en surplomb de leur propriété, ce préjudice n'est pas établi.

12. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. et Mme C ont acquis leur bien alors que la ligne aérienne surplombant leur parcelle était déjà présente. Dès lors, ils ne sont pas fondés à obtenir une indemnisation au titre de la perte de la valeur vénale de leur propriété, ce préjudice n'étant pas constitué puisque le prix qu'ils ont payé pour acquérir ce bien tenait déjà compte de la présence de cet ouvrage. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander l'indemnisation du préjudice lié à la perte de valeur vénale de leur propriété.

13. En dernier lieu, si les requérants font valoir que la lenteur des réponses de la société Enedis, la mauvaise volonté dont elle a fait preuve, et son refus de prendre en compte leurs doléances des requérants leur a causé un préjudice, ce dernier est sans lien avec l'emprise irrégulière litigieuse.

14. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par M. et Mme C doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Enedis, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme C réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Enedis au même titre.

16. La présente instance n'ayant donné lieu à aucuns dépens, les conclusions présentées à ce titre par les parties ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme C est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Enedis présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et tendant à la mise à la charge des dépens sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A C, à Mme D C et à la société anonyme Enedis.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Coudert, président,

Mme Grandjean, première conseillère,

M. Gottlieb, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.

Le rapporteur,

R. B Le président,

B. Coudert

La greffière,

I. Varlet

La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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