Jurisprudence : TA Montpellier, du 14-09-2023, n° 2201093

TA Montpellier, du 14-09-2023, n° 2201093

A71551G4

Référence

TA Montpellier, du 14-09-2023, n° 2201093. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/99841385-ta-montpellier-du-14092023-n-2201093
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Références

Tribunal Administratif de Montpellier

N° 2201093

4ème chambre
lecture du 14 septembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 3 mars 2022 et le 1er mars 2023, Mme A C et M. B D, représentés par Me Carneiro, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler la décision du 1er février 2022 par laquelle la société Enedis a refusé de procéder à l'enlèvement des ouvrages lui appartenant implantés sur la parcelle cadastrée section AD n° 23, sur la commune de Toulouges ;

2°) d'enjoindre à la société Enedis de procéder au déplacement desdits ouvrages hors de leur propriété dans un délai de trois mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

3°) de condamner Enedis à leur verser une indemnité d'occupation de 50 euros par jour à compter de leur réclamation préalable du 11 février 2021 jusqu'à la libération intégrale des lieux ou la régularisation d'une convention ;

4°) de mettre à la charge de la société Enedis une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent que :

- une régularisation n'est pas possible car la saisine du médiateur n'a pas abouti à un règlement du litige, ils refusent la convention proposée par Enedis laquelle n'a pas donné suite à la proposition qu'ils ont faite ;

- deux poteaux, supports de lignes électriques, sont irrégulièrement implantés sur leur propriété ;

- aucun motif d'intérêt général ne s'oppose au déplacement de ces ouvrages en dehors de leur propriété alors qu'un tel déplacement est réalisable pour un coût qui n'est pas excessif ;

- ces ouvrages, situés à quelques mètres de leur maison d'habitation, au sein de leur unité foncière, leur causent une gêne visuelle importante ;

- dans la mesure où les ouvrages constituent une emprise irrégulière ils sont fondés à demander une indemnité d'occupation fixée à 50 euros par jour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2022, la société anonyme Enedis, représentée par la SCP Piquemal et Associés, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- une régularisation est possible par la signature de conventions de servitudes administratives ;

- l'avantage d'un retrait des ouvrages publics n'est pas établi alors qu'il implique d'importantes contraintes de sorte que l'intérêt général s'oppose à ce déplacement.

Par courrier du 12 juillet 2023, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative🏛, que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions des requérants tendant à ce que la société Enedis soit condamnée à leur verser une indemnité d'occupation en réparation du préjudice subi, faute de liaison préalable du contentieux.

La société anonyme Enedis, représentée par la SCP Piquemal et Associés, a présenté des observations enregistrées le 31 juillet 2023.

Elle fait valoir que :

- le contentieux indemnitaire n'est pas lié faute de demande préalable ;

- l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires implique l'irrecevabilité des conclusions à fin d'injonction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- les observations de Me Carneiro, représentant Mme C et M. D.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C et M. D, propriétaires d'une maison à usage d'habitation sur la commune de Toulouges, ont acquis, en janvier 2021, une parcelle limitrophe, cadastrée AD n° 23, consistant en un hangar agricole avec terrain attenant. Par courrier du 11 février 2021, ils ont demandé à la société Enedis de retirer, à ses frais, les deux poteaux implantés sur leur terrain ainsi que les lignes électriques supportées par ceux-ci et surplombant leur parcelle. Faisant suite au refus opposé par la société, ils ont saisi le médiateur de l'énergie, qui a formulé une recommandation le 10 septembre 2021. Par courrier du 1er février 2022, Enedis a proposé une convention de servitude moyennant une indemnité de 11 412 euros. Par la présente requête, Mme C et M. D demandent l'annulation du refus, opposé par Enedis, de déplacement des ouvrages électriques, le prononcé d'une injonction afin que lesdits ouvrages soient déplacés et une indemnité d'occupation en vue de réparer le préjudice subi.

Sur l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative🏛 : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. Le délai prévu au premier alinéa n'est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l'exécution d'un contrat ".

3. Si les requérants ont demandé à la société Enedis le déplacement des ouvrages implantés sur leur parcelle et ont fait part de leur acceptation d'un accord transactionnel sous réserve de plusieurs conditions portant sur la nature des travaux à réaliser, ils n'ont pas adressé à la société Enedis de demande visant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la présence des ouvrages publics sur leur terrain. Dans ces conditions, leurs conclusions indemnitaires tendant à la condamnation de la société Enedis à leur verser une indemnité d'occupation jusqu'à libération effective des lieux, qui a pour objet d'indemniser le préjudice lié à l'emprise en litige, doivent être écartées du fait de leur irrecevabilité.

Sur la recevabilité des conclusions tendant au déplacement de l'ouvrage public :

4. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

5. Par ailleurs, la personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. De telles conclusions à fin d'injonction ne peuvent être présentées qu'en complément de conclusions indemnitaires. De la même façon, le juge administratif ne peut être saisi, dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant à ce qu'il enjoigne à la personne publique de prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets, qu'en complément de conclusions indemnitaires.

6. Il est constant que la demande des requérants tend à ce que soit jugé irrégulier le refus de démolir l'ouvrage public qu'ils estiment irrégulièrement implanté sur leur terrain et qu'en conséquence injonction soit faite à Enedis de procéder à sa démolition. Leur demande ne constitue pas une action en responsabilité tendant à obtenir réparation du fait du comportement fautif de la personne publique ou de l'abstention fautive à agir de celle-ci. Dans ces conditions, le principe énoncé au point 5 du présent jugement n'a pas vocation à s'appliquer à leur action et l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires présentées par les requérants, en complément de leurs conclusions principales, n'implique pas l'irrecevabilité de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la démolition de l'ouvrage. La fin de non-recevoir soulevée par la société Enedis doit donc être écartée.

Sur les conclusions tendant au déplacement des ouvrages :

7. En premier lieu, il est constant que les ouvrages en litige sont irrégulièrement implantés, à défaut notamment d'une convention de servitude autorisant leur présence.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 323-4 du code de l'énergie🏛 " () La déclaration d'utilité publique confère, en outre, au concessionnaire le droit : / () 3° D'établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes () ". Aux termes de l'article 1er du décret n° 67-886 du 6 octobre 1967🏛 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 15 juin 1906🏛 sur les distributions d'énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique : " Une convention passée entre le concessionnaire et le propriétaire ayant pour objet la reconnaissance des servitudes d'appui, de passage, d'ébranchage ou d'abattage prévues au troisième alinéa de la loi du 15 juin 1906 susvisée peut remplacer les formalités prévues au quatrième alinéa dudit article () ".

9. Il résulte de l'instruction que la société Enedis ne peut pas mettre en œuvre la procédure de servitude d'utilité publique prévue par l'article L. 323-4 du code de l'énergie précité sur la parcelle litigeuse dès lors que seuls des terrains non bâtis et non fermés de murs ou autres clôtures équivalentes peuvent être grevés de servitude, et que tel n'est pas le cas du terrain des requérants. Par ailleurs, si par un courrier du 1er février 2022, la société Enedis a proposé à Mme C et M. D de régulariser l'emprise des poteaux et lignes existants par la signature d'une convention prévoyant une indemnisation de 11 412 euros, cette proposition de régularisation a été refusée par les intéressés et il est constant qu'en l'état, ils n'envisagent aucunement de conclure une telle convention avec Enedis pour régulariser la situation. Enfin, Enedis n'a pas accepté la proposition d'accord transactionnel des requérants prévoyant des travaux d'enfouissement des lignes et de déplacement des poteaux existants. Par conséquent, il ne résulte pas des éléments soumis par les parties qu'une régularisation de l'implantation des poteaux et lignes électriques sur la propriété privée des intéressés soit possible.

10. En troisième lieu, la parcelle cadastrée AD 23 est contiguë à la parcelle cadastrée AD 22 dont sont également propriétaires les requérants et où est implantée leur maison à usage d'habitation. Il résulte de l'instruction que le projet d'extension de cette habitation et de construction d'une piscine n'est pas nécessairement compromis par la présence des ouvrages en litige. Néanmoins, alors qu'un des deux poteaux en litige se trouvait en limite de la parcelle cadastrée AD 22, il se situe désormais au cœur de l'unité foncière des requérants et entraine un important préjudice de vue. Par ailleurs, Enedis reconnaît la faisabilité d'un contournement de la propriété des requérants avec enfouissement d'une partie des lignes en litige, permettant d'éviter qu'elles traversent la propriété des requérants, pour un coût total de 39 771,85 euros hors taxe. Eu égard au montant de 11 412 euros proposé aux requérants pour régulariser l'implantation des ouvrages en litige, et alors que la société Enedis reconnaît qu'en cas de projet réel et sérieux de construction des propriétaires elle pourrait être tenue de déplacer les ouvrages à ses frais, le coût de ces travaux n'apparaît pas excessif. Dans ces conditions, alors qu'Enedis ne justifie pas, par ailleurs, d'un risque d'interruption du service public ou de tout autre motif d'intérêt général susceptible de faire obstacle à une modification de l'implantation de cet ouvrage, ce déplacement ne peut être regardé comme de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général.

11. Il y a donc lieu d'enjoindre à la société Enedis de procéder au déplacement des poteaux et lignes électriques en dehors de la parcelle des requérants dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement à intervenir. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais du litige :

12. Il y a lieu de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 1 500 euros à verser à Mme C et M. D sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il est enjoint à la société Enedis, sauf à conclure une convention avec Mme C et M. D en vue d'établir une servitude, de procéder au déplacement des deux poteaux et des lignes électriques implantés sur leur unité foncière dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 2 : La société Enedis versera une somme de 1 500 euros à Mme C et M. D sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A C et M. B D et à la société Enedis.

Délibéré après l'audience du 31 août 2023, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

Mme Adrienne Bayada, première conseillère,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.

La rapporteure,

A. Lesimple Le président,

E. Souteyrand

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 14 septembre 2023.

La greffière,

M-A. Barthélémy

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