La lettre juridique n°523 du 11 avril 2013 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Chronique de droit des étrangers - Avril 2013

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 13 Avril 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de droit des étrangers de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, une décision rendue par le Conseil d'Etat le 13 février 2013 dans le contentieux des étrangers malades. La Haute juridiction apportant toujours plus de protection en exigeant la présence, dans l'avis médical établi en vue de la délivrance d'un titre de séjour, de l'indication de la capacité pour l'étranger de voyager sans risque vers son pays d'origine (CE 1° et 6° s-s-r., 13 février 2013, n° 349738, mentionné aux tables du recueil Lebon). La deuxième décision est un avis rendu par le Conseil d'Etat, toujours en date du 13 février 2013, qui affirme que, désormais, le refus implicite d'un titre de séjour peut servir de base légale à une décision portant obligation de quitter le territoire. Cette dernière décision devant, en conséquence, être motivée distinctement du refus de séjour contrairement à la règle de principe (CE 2° et 7° s-s-r., 13 février 2013, n° 363533, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, la dernière décision choisie par l'auteur concerne les recours contre les placements en rétention administrative, le Conseil d'Etat affirmant que les stipulations de l'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC) n'impliquent pas que ces recours aient un effet suspensif sur les mesures d'éloignement (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mars 2013, n° 359428, publié au recueil Lebon).
  • L'absence, dans l'avis médical établi en vue de la délivrance d'un titre de séjour, de l'indication de la capacité pour l'étranger de voyager sans risque vers son pays d'origine peut être utilement invoquée pour contester la légalité du refus de titre de séjour (CE 1° et 6° s-s-r., 13 février 2013, n° 349738, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB= A1760I8P])

Il ressort des faits de l'espèce qu'une ressortissante marocaine a obtenu la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" pour raison de santé sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5042IQS) afin de faire soigner son oeil droit après la perte de son oeil gauche. Le préfet de l'Hérault a ensuite renouvelé, par trois fois, la délivrance de ce titre de séjour, jusqu'en septembre 2005, avant de refuser un quatrième renouvellement par un arrêté en date du 19 janvier 2006. Selon la disposition législative précitée, la carte est délivrée de plein droit à l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin inspecteur de santé publique compétent au regard du lieu de résidence de l'intéressé ou, à Paris, du médecin chef du service médical de la préfecture de police.

L'article L. 313-11 énumère onze catégories de personnes qui bénéficient de la délivrance "de plein droit" de ce titre de séjour, sous la seule réserve générale de la menace à l'ordre public. Si, dans la plupart des cas, il appartient au demandeur d'apporter la preuve qu'il entre objectivement dans telle ou telle catégorie, toute marge d'appréciation au profit de l'administration n'a pas disparu. Les catégories sont définies de manière tellement vague que l'administration se trouve bénéficier à nouveau d'une assez grande marge de manoeuvre. Si l'étranger appartient à une catégorie purement objective, la délivrance de plein droit du titre ne sera subordonnée qu'à la preuve de cette appartenance, mais si l'intéressé soutient appartenir à telle ou telle catégorie dont la définition laisse place à une appréciation plus subjective, comme c'est le cas en matière d'état de santé, le pouvoir discrétionnaire de l'administration retrouve toute sa place (1).

Le médecin inspecteur de santé publique a estimé, en l'espèce, que, si l'état de santé de l'intéressée nécessitait une prise en charge, ce défaut de prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que l'intéressée pouvait, en tout état de cause, bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Le tribunal administratif de Marseille a, en ce sens, confirmé le refus du préfet, mais la cour administrative d'appel de Marseille (2) est revenue sur ce premier jugement en se fondant sur le fait que l'avis rendu par le médecin ne comportait pas d'indication sur la possibilité pour l'intéressée de voyager sans risque vers son pays d'origine, alors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que son état de santé lui permettait de supporter un tel voyage (3). Pour la cour, l'absence de l'indication ne met pas l'autorité préfectorale à même de se prononcer de manière éclairée sur la situation de cet étranger. En conséquence, l'omission de l'indication en cause entache d'irrégularité la procédure suivie et, partant, affecte la légalité de l'arrêté pris à sa suite. C'est en ce sens que juge également le Conseil d'Etat en rejetant le pourvoi du ministre de l'Intérieur contre la décision de la cour administrative d'appel.

La décision ainsi rendue par le Conseil d'Etat peut apparaître, par certains égards, opportune dans un contentieux, celui des étrangers malades, où le juge administratif témoigne d'une volonté réitérée de protéger l'étranger gravement malade d'une façon efficace et, où le législateur se veut, par principe, plus sévère. La loi du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (4) a, notamment, tendu à encadrer les conditions de délivrance du titre de séjour accordé à un étranger malade afin de faire obstacle à une jurisprudence du juge administratif tendant à prendre en compte, enfin, la notion d'accès effectif aux soins dans le droit au séjour et l'éloignement des étrangers malades. Le juge administratif considérant qu'il appartenait à l'autorité administrative de vérifier que si un traitement existe, il soit accessible à la généralité de la population, eu égard, notamment, aux coûts du traitement ou à l'existence d'une prise en charge adaptée, soit parce qu'en dépit de l'accessibilité du traitement, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de la situation personnelle de l'étranger l'empêchent d'y accéder effectivement (5).

Visant à restreindre cette jurisprudence, considérée comme particulièrement favorable aux candidats à l'immigration, le législateur, via l'article L. 313-11 précité, a prévu qu'une carte de séjour est délivrée de plein droit à l'étranger malade résidant habituellement en France, "sous réserve de l'absence d'un traitement approprié" dans son pays, et non plus "sous réserve qu'il ne puisse effectivement y bénéficier d'un traitement approprié" (6). La disposition est d'autant plus sévère qu'elle peut amener à une interprétation qui l'est encore plus. Il a pu être jugé que les conséquences d'une exceptionnelle gravité d'un défaut de prise en charge médicale justifiant la délivrance d'un titre de séjour se limitaient au risque vital ou de handicap. Ainsi, un ressortissant turc, victime d'un accident de travail, est resté en France sous couvert d'autorisations provisoires délivrées pour raison de santé. Le préfet lui refuse un titre de séjour en raison de la possibilité de suivre un traitement approprié en Turquie. Ni le tribunal administratif, ni la cour d'appel ne trouvent à y redire : "le risque d'amputation d'une jambe, ne peut être juridiquement regardé comme un risque d'une exceptionnelle gravité" (7).

La modification législative a, au final, clairement pour conséquence de permettre à l'autorité administrative d'éloigner un étranger malade vers un pays dans lequel il ne pourra bénéficier d'un accès effectif au traitement, pourtant éventuellement nécessaire à sa survie. Il est, ainsi, louable que le Conseil d'Etat soit, comme en l'espèce, davantage vigilant en la matière. D'autant plus qu'il aurait pu, sur un plan strictement procédural, faire preuve de souplesse. L'existence d'un vice de procédure ne rend pas nécessairement la décision préfectorale irrégulière. Il en a justement été jugé ainsi à propos de l'avis médical donné par les médecins inspecteurs de santé publique alors qu'il aurait dû émaner de l'agence régionale de santé (8). Il est ainsi fait application de la jurisprudence "Danthony" qui permet de ne pas tenir compte du vice de procédure s'il est resté sans conséquence sur la décision (9). La décision du Conseil d'Etat est donc à saluer en ce sens sachant que, dans une telle hypothèse d'éloignement de l'étranger malade, seule l'invocation d'une violation de l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) concernant les traitements inhumains et dégradants pourra faire échec à la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement.

  • Le refus implicite d'un titre de séjour peut désormais servir de base légale à une décision portant obligation de quitter le territoire qui doit, en conséquence, faire l'objet d'une obligation de motivation distincte (CE 2° et 7° s-s-r., 13 février 2013, n° 363533, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1775I8A)

Tout étranger majeur qui souhaite séjourner en France doit, à l'expiration d'un délai de trois mois suivant son entrée, être muni d'un titre de séjour (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-1 N° Lexbase : L1242HPP). Ce principe s'impose à tous les étrangers, fussent-ils soumis à un accord international. La réponse de l'administration n'est pas toujours explicite et si elle ne statue pas sur la demande dans le délai de quatre mois fixé par l'article R. 311-12 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1585HWM), elle est réputée avoir refusé implicitement le titre de séjour demandé, mais sans que ce refus soit assorti d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) (10). Par définition, une décision explicite de refus de séjour est accompagnée presque systématiquement d'une OQTF dans la mesure où le simple refus de séjour ne constitue pas, à lui seul, une mesure d'éloignement. En même temps, le préfet peut tout à fait refuser un titre de séjour, sans pour autant l'assortir d'une OQTF. L'hypothèse peut se rencontrer lorsque les personnes concernées ne peuvent être expulsées ou éloignées du territoire et que, par conséquent, l'OQTF ne pourra jamais être exécutée de force à l'encontre de l'étranger (11).

Dans le cas d'une décision implicite de refus, l'arrêté du préfet peut, ainsi, ne mentionner que l'OQTF, c'est le cas en l'espèce où le préfet des Côtes-d'Armor a pris un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et interdiction de retour dans un délai de deux ans à l'encontre d'un ressortissant étranger en situation irrégulière. L'arrêté ne fait, cependant, aucune référence à une décision refusant ou retirant à un étranger le droit de demeurer sur le territoire national. Dans la rédaction issue de l'article 52 de la loi du 24 juillet 2006, relative à l'intégration et à l'immigration (N° Lexbase : L3439HKL) (12), l'article L. 511-1-I du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7189IQC) prévoyait que le préfet ne pouvait prendre une décision obligeant un étranger à quitter le territoire français sans lui avoir dans la même décision refusé, de manière explicite, un titre de séjour. Dans un avis contentieux du 28 mars 2008 (13), le Conseil d'Etat en avait déduit qu'il résultait de ces dispositions que le préfet ne pouvait prendre une mesure d'OQTF à l'encontre d'un étranger sans lui avoir dans la même décision, opposé, à nouveau et de manière explicite, un refus à la demande de titre de séjour. En ce sens, un refus implicite de séjour dans un délai de quatre mois ne pouvait servir de base à une OQTF.

Le Conseil d'Etat reste fidèle à la lettre du texte, ou juge, comme il le précise lui-même, "en droit" mais en agissant de la sorte, il poursuit, néanmoins, une stratégie destinée à minimiser les méfaits du dispositif lié à l'OQTF en permettant qu'il soit supplanté par celui de l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (14). La Haute assemblée redonne, ainsi, à ce dernier toute sa place, la faisant redevenir la seule mesure phare dans le contentieux d'éloignement des étrangers au détriment de l'OQTF. Le dispositif ayant jusque là donné des résultats assez éloignés des objectifs poursuivis, notamment en raison de son inefficacité patente, de l'explosion du contentieux qu'on entendait juguler, ou encore de la complexité encore accrue du régime de l'éloignement.

La loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4), est venue modifier l'écriture de l'article L. 511-1. Son objectif est de rationaliser le droit de l'éloignement en transposant la Directive "retour", visant à harmoniser les règles juridiques des conditions d'éloignement des étrangers en situation irrégulière dans l'Union européenne (15). Adoptée après de longues négociations le 16 décembre 2008 par le Conseil, elle est la première Directive prise en matière d'immigration par la procédure de codécision . Son principe est de favoriser le départ volontaire pendant une période de sept à trente jours, ce délai pouvant être raccourci s'il existe un risque de fuite ou si la personne représente une menace pour l'ordre public. La loi étend, ainsi, le champ d'application de l'OQTF, qui devient la mesure d'éloignement de droit commun dans toutes les situations. En effet, le Code des étrangers prévoit qu'un étranger peut faire l'objet d'une OQTF dès lors qu'il a fait également l'objet d'une décision relative au séjour. En revanche, lorsqu'un éloignement est prononcé à l'encontre d'un étranger en situation irrégulière de façon autonome, c'est-à-dire sans lien avec une décision relative au séjour, celui-ci se voit notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) immédiatement exécutoire sans délai de départ volontaire. Cette distinction entre OQTF et APRF est supprimée dans le cadre de la transposition de la Directive. Ainsi, dans tous les cas de séjour irrégulier, l'étranger qui doit être éloigné relèvera de la procédure de l'OQTF et pourra donc bénéficier d'un délai de départ volontaire (titre Ier du livre V du Code des étrangers).

Tirant les conséquences de ces modifications, le Conseil d'Etat revient, en l'espèce, sur son avis du 28 mars 2008 précité, en affirmant que le refus implicite d'un titre de séjour peut désormais servir de base légale à une décision portant OQTF. Il résulte, en effet, des nouvelles dispositions que l'administration est désormais susceptible de prononcer une OQTF, sans que cette mesure d'éloignement se fonde sur un refus de séjour.

Toutefois, le Conseil d'Etat précise, qu'en vertu de l'article L. 511-1 (septième alinéa du I), la décision énonçant l'OQTF doit être motivée. Dans la pratique, lorsqu'une administration est saisie d'une demande de titre de séjour, elle statue le plus souvent de manière explicite et la motivation du refus de séjour sert alors, également, de motivation à l'OQTF subséquente. La question que l'on était en droit de se poser est de savoir quel est le régime de la motivation d'une OQTF reposant sur un refus de titre de séjour implicite qui, par définition, n'est pas motivé. Pour le Conseil d'Etat, dans le cadre d'une décision implicite de refus de séjour, l'exception à l'obligation de motivation ne peut trouver à s'appliquer. L'autorité administrative doit, en conséquence, dans ce cas et, comme le précise le Conseil d'Etat en l'espèce, "motiver sa décision en indiquant les circonstances de fait et les considérations de droit qui la justifient".

La décision du Conseil d'Etat est, en ce sens, intéressante dans la mesure où, s'il est constant que l'arrêté peut regrouper trois décisions (celle du refus de délivrance du titre de séjour, celle faisant obligation de quitter le territoire français, celle proposant une reconduite vers un pays soit de la nationalité de l'étranger, soit dans lequel il est légalement admissible), la question demeurait, toutefois, de savoir si elles devaient être motivées individuellement. La loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007, relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (N° Lexbase : L2986H3Y) (16) y répondait par la négative. Son article 41 dispense tout simplement l'administration de motiver l'OQTF. Celle-ci n'est donc pas tenue de viser dans cette mesure la ou les disposition(s) législative(s) qui s'applique(nt) (17). Le Conseil d'Etat, dans la décision d'espèce, vient quelque peu clarifier les choses en rappelant l'obligation de motivation de l'OQTF, le refus de délivrance du titre et l'OQTF ne constituant pas les mêmes mesures, malgré l'approche adoptée par le législateur. Si la différence est mince, elle existe.

La cour administrative d'appel de Douai (18) a, notamment, mis en exergue une différence certaine entre le droit européen et le droit français sur la motivation de telles décisions, l'OQTF devant être motivée par simple application du droit européen (19), ce qui a donc pour effet d'écarter les dispositions du CESEDA sur ce point. A terme, il faudra forcément mettre fin à cette discordance entre le droit interne et le droit européen, sous peine d'éviter des sanctions répétées des décisions des juridictions administratives.

  • Les stipulations de l'article 5 § 4 de la CESDH n'impliquent pas que le recours contre un placement en rétention ait un effet suspensif sur une mesure d'éloignement (CE 2° et 7° s-s-r., 4 mars 2013, n° 359428, publié au recueil Lebon)

La Cour européenne des droits de l'Homme semble aujourd'hui être le véritable gardien des lieux d'enfermement des étrangers en quête d'admission sur le territoire d'un Etat européen et le Conseil d'Etat s'incline souvent devant sa jurisprudence plus protectrice. Tel n'est pas, cependant, toujours le cas.

Il ressort des faits de l'espèce qu'un ressortissant de nationalité tunisienne est entré irrégulièrement en France au début de l'année 2011. Le préfet de la Gironde a décidé sa reconduite à la frontière par un arrêté du 5 mars 2011, le recours ayant été formé contre cet arrêté ayant été rejeté le 9 mars 2011 par une décision devenue définitive du tribunal administratif de Pau. Le requérant a été interpellé, à nouveau, le 7 octobre 2011 faisant ainsi l'objet, le même jour, d'un arrêté préfectoral décidant son placement en rétention administrative. Un nouveau recours est effectué contre cet arrêté de placement en rétention, rejeté encore une fois, cette fois par le tribunal administratif de Bordeaux le 11 octobre 2011.

La cour administrative d'appel de Bordeaux annule, néanmoins, cet arrêté par un arrêt rendu le 20 mars 2012 (20) en tant seulement qu'il indique que "le recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne suspend pas l'exécution de la mesure d'éloignement". L'absence de recours suspensif contre le placement en rétention étant, selon la Cour, incompatible avec les exigences de l'article 5 § 4 de la CESDH, selon lequel "toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale". Ces stipulations impliquant qu'un étranger faisant l'objet d'un placement en rétention ne puisse, effectivement, être éloigné avant que le juge ait statué sur le recours qu'il a, le cas échéant, introduit contre le placement en rétention. Le ministre de l'Intérieur se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a partiellement annulé l'arrêté de placement en rétention.

Le Conseil d'Etat casse l'arrêt de la cour administrative d'appel en rappelant que législateur a organisé une procédure spéciale pour que le juge statue rapidement sur les mesures d'éloignement lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence, ainsi que sur ces mesures privatives de liberté elles-mêmes (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 512-1 § 3 N° Lexbase : L7203IQT). Il insiste, notamment, sur le caractère distinct des procédures, la célérité du jugement du président du tribunal administratif ou du magistrat désigné à cet effet qui statue au plus tard soixante-douze heures à compter de sa saisine, ou encore sur le fait que l'OQTF ne peut être exécutée d'office avant que le tribunal n'ait statué sur la demande d'annulation s'il est saisi (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 512-3 N° Lexbase : L7201IQR). Il en conclut "que les stipulations de l'article 5, paragraphe 4 [de la CESDH], qui garantissent le droit d'une personne privée de liberté de former un recours devant un tribunal qui statue rapidement sur la légalité de la détention, n'ont ni pour objet, ni pour effet, de conduire à reconnaître un caractère suspensif aux recours susceptibles d'être exercés contre les mesures de placement en rétention administrative prises pour assurer l'exécution des décisions, distinctes, qui ont ordonné l'éloignement des étrangers placés en rétention". L'arrêt de la cour cassé, le Conseil d'Etat règle l'affaire au fond et rejette le recours de l'intéressé qui portait sur la seule mesure de placement en rétention, jugeant implicitement que la fin de la rétention ne prive pas d'objet le recours.

Lorsqu'on évoque l'article 5 § 4 de la CESDH, on parle d'habeas corpus de la Convention (21). L'article donne à tout détenu le droit de faire promptement contrôler sa détention par le juge. Le droit à la liberté et à la sûreté qui y sont garantis sont des éléments essentiels du dispositif de la Convention, l'article en constituant un des piliers (22). Il instaure au profit de toute personne privée de sa liberté un droit de nature procédurale qui a une existence indépendante du premier paragraphe de l'article, lequel a trait au bien-fondé de la décision. Il faut, précise la Cour, "assurer aux individus arrêtés ou détenus le droit à une vérification juridictionnelle de la légalité de la mesure ainsi prise à leur égard" (23). Il doit s'agir de voies de recours existant "avec un degré suffisant de certitude, sans quoi lui manquent l'accessibilité et l'effectivité requises" (24).

Par exemple, l'atténuation du discernement d'une personne détenue dans un hôpital psychiatrique impose qu'elle puisse bénéficier du concours effectif d'un avocat pour l'assister dans les procédures prescrites par l'article 5 § 4 (25). En revanche, un strict parallélisme avec les garanties de l'article 6 n'a pas lieu d'être. L'exigence d'équité procédurale découlant de l'article 5 § 4 n'impose pas l'application de critères uniformes et immuables indépendants du contexte, des faits et des circonstances de la cause. Si une procédure relevant de l'article 5 § 4 ne doit pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) prescrit pour les litiges civils ou pénaux, elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l'individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint.

En revanche, rien n'impose, dans la jurisprudence de la Cour, que les stipulations de l'article 5 § 4 impliquent qu'un étranger faisant l'objet d'un placement en rétention ne puisse être effectivement éloigné avant que le juge n'ait statué sur le recours. Comme peut le relever le Conseil d'Etat, "les stipulations de l'article 5, paragraphe 4 [de la CESDH] [...], n'ont ni pour objet, ni pour effet de conduire à reconnaître un caractère suspensif aux recours susceptibles d'être exercés contre les mesures de placement en rétention administrative prises pour assurer l'exécution des décisions, distinctes, qui ont ordonné l'éloignement des étrangers placés en rétention". Il y a là une prise de position néanmoins assez risquée de la part de la Haute juridiction française dans la mesure où la Cour européenne a plusieurs fois sanctionné la France dans l'ensemble des procédures touchant au contentieux des étrangers justement pour absence de recours suspensif.

Dans un arrêt "Gebremehdin" (26), la Cour européenne des droits de l'Homme a, par exemple, estimé que l'absence de recours suspensif en cas de refus de demande d'asile à la frontière est constitutive d'une violation des articles 13 (droit au recours) (N° Lexbase : L4746AQT) et 3 (prohibition des traitements inhumains et dégradants) (N° Lexbase : L4746AQI) de cette Convention : l'étranger risquant d'être soumis dans son pays d'origine à des traitements inhumains ou dégradants doit pouvoir déposer un recours contre la décision administrative lui refusant l'entrée au titre de l'asile, et pour que ce recours soit effectif, il doit non seulement faire l'objet d'un examen indépendant et rigoureux, mais aussi être de plein droit suspensif. Or, le droit français ne prévoyait pas de recours particulier, c'était la voie du référé-liberté ou du référé-suspension qui était empruntée, et ces procédures n'avaient pas de plein droit un caractère suspensif. Le Gouvernement, tirant les conséquences de cette décision de la Cour européenne des droits de l'Homme, avait introduit dans la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 un nouvel article L. 213-9 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5103IPP) conférant un caractère suspensif au recours en annulation introduit par l'étranger non autorisé à entrer sur le territoire au titre de l'asile dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision de refus d'entrée.

La Cour européenne a également sanctionné récemment l'absence de recours suspensif dans la procédure "prioritaire" qui autorise le renvoi de demandeurs d'asile dans leurs pays avant l'examen de leurs griefs par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et l'a jugé incompatible avec les obligations issues de la Convention européenne des droits de l'homme. En 2011, un quart des demandes d'asile en France a été examiné selon cette procédure accélérée. Dans une décision du 2 février 2012 (27), la Cour de Strasbourg souligne que l'effectivité d'un recours "implique des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité, compte tenu en particulier de l'importance que la Cour attache à l'article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements". Cette absence de recours suspensif devant la CNDA pour les demandes d'asile en procédure prioritaire a placé des milliers de personnes en danger. Depuis plusieurs années, les instances de surveillance du respect des textes internationaux au sein des Nations unies et du Conseil de l'Europe et les organisations non gouvernementales n'ont cessé de recommander à la France de remédier à cette situation.

Enfin, pour finir, il faut aussi évoquer la récente condamnation de la France par la Grande chambre de la CEDH pour violation du droit à un recours effectif combiné au droit à une vie privée et familiale normale à l'endroit d'un ressortissant brésilien éloigné de Guyane. Ce ressortissant avait fait l'objet d'un ARPF et avait été reconduit au Brésil dès le lendemain, malgré son recours devant le tribunal administratif de Cayenne. Un tel recours n'est, en effet, pas suspensif en Guyane (28). Le ressortissant brésilien a, par la suite, saisi la CEDH en se plaignant, notamment, de l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé de contester la mesure de reconduite à la frontière. L'affaire a été renvoyée devant la Grande chambre après que la Cour ait conclu à l'absence de violation de l'article 13 garantissant le droit à un recours effectif (29). La Grande chambre a estimé que l'éloignement s'est déroulé suivant une procédure extrêmement rapide, "voire expéditive", n'ayant pas permis à l'intéressé d'obtenir, avant son éloignement, un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates de la légalité de la mesure (30).

Espérons, au final, que la procédure d'espèce du recours juridictionnel contre la décision de placement en rétention administrative ne subisse à la longue le même sort.


(1) La réserve d'ordre public restant justifiée par le fait que les étrangers ne disposent d'aucun droit de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national.
(2) CAA Marseille, 2ème ch., 22 mars 2011, n° 09MA02258, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8458HQC).
(3) Il ressort, notamment, des pièces du dossier que l'intéressée, qui a déjà perdu la vision par son oeil gauche, souffre à son oeil droit d'une vision très limitée en raison d'une pathologie dégénérative grave susceptible de conduire à terme à une totale cécité en l'absence de soins réguliers et de surveillance adéquate.
(4) Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (JO, 17 juin 2011, p. 10290).
(5) Cf. CE, S., 7 avril 2010, deux arrêts, publié au recueil Lebon n° 301640, (N° Lexbase : A5643EUK), JCP éd. A, 2010, n° 2238, comm. B. Demagny et S. Slama et n° 316625 (N° Lexbase : A5665EUD), JCP éd. A, 2010, act. 315.
(6) Cette disposition réservant, toutefois, le cas d'une "circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé", afin de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.
(7) CAA Marseille, 8ème ch., 17 juillet 2012, n° 10MA04395, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1384IS3), AJDA, 2012, p. 2200.
(8) CAA Lyon, 5ème ch., 12 avril 2012, n° 11LY02230 (N° Lexbase : A8065IPE), AJDA, 2012, p. 1423 ; CAA Nantes, 4ème ch., 20 juillet 2012, n° 11NT01538, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6763ISB), AJDA, 2012, p. 2036.
(9) CE, S., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6763ISB), AJDA, 2012, p. 195, chron. X. Domino et A. Bretonneau, RFDA, 2012, p. 284, concl. G. Dumortier.
(10) Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE), un silence de deux mois de l'administration à la suite d'une demande équivaut à une "décision implicite de rejet" ou à un refus dit "implicite". En ce qui concerne les titres de séjour, en revanche, le décret n° 2002-814 du 3 mai 2002, pris pour l'application de l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif aux délais faisant naître une décision implicite de rejet (N° Lexbase : L5987IWN), prévoit une dérogation à cette règle : "le silence gardé pendant plus de quatre mois sur les demandes de titre de séjour présentées en application du [...] décret [du 30 juin 1946, lequel réglemente la délivrance des cartes de séjour] vaut décision de rejet".
(11) Ces personnes protégées sont mentionnées sous l'article L. 511-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7191IQE). Ce sont, par exemple, l'étranger mineur de dix-huit ans, l'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ou encore l'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans...
(12) Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration (JO, 25 juillet 2006, p. 11047).
(13) CE 2° et 7° s-s-r., 28 mars 2008, n° 311893, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5986D7T).
(14) Voir, en ce sens, O. Lecucq, Obligation de quitter le territoire français : suite... et fin ?, AJDA, 2008, p. 2175.
(15) Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière (N° Lexbase : L3289ICS) (JOUE n° L 348, 24 décembre 2008, p. 98).
(16) JO, 21 novembre 2007, p. 18993.
(17) Voir, en en ce sens, CAA Douai, Plén., 30 octobre 2008, n° 08DA00863, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5083EBU), AJDA, 2009, p. 32, obs. Lepers.
(18) CAA Douai, 1ère ch., 16 mai 2012, n°11DA01670, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6248IQH), JCP 2013 éd. A, n° 2027, comm. J.-B. Vila.
(19) En vertu de la Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en situation irrégulière, préc..
(20) CAA Bordeaux, 5ème ch., 20 mars 2012, n° 11BX02932, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7692IGY), AJDA, 2012, p. 1023.
(21) La cour affirmant qu'il consacre des "habeas corpus guarantees". C'est par la procédure de l'Habeas corpus que la liberté individuelle a été introduite en Angleterre en 1679, ce qui met en lumière le fait que la garantie procédurale est essentielle à cette liberté.
(22) Cf., notamment, CEDH, 18 juin 1971, Req. 2832/66 (N° Lexbase : A1789ERP), § 65.
(23) CEDH, 18 juin 1971, Req. 2832/66, préc., § 76.
(24) Par exemple, CEDH, 24 juin 2004, Req. 49158/99, § 31 à 37.
(25) CEDH, 12 mai 1992, Req. 13770/88 (N° Lexbase : A9966KBQ), § 23-27.
(26) CEDH, 26 avril 2007, Req. 25389/05 (N° Lexbase : A9539DUT).
(27) CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09 (N° Lexbase : A9424IBN), DA, avril 2012, comm. n° 37, V. Tchen, JCP éd. A, 2012, n° 2212, comm. G. Marti.
(28) CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 346700, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9082HZE), AJDA, 2011, p. 2208.
(29) CEDH, 30 juin 2011, Req. 22689/07 (N° Lexbase : A5582HUB), AJDA, 2011, p. 1348.
(30) CEDH, 13 décembre 2012, Req. 22689/07 (N° Lexbase : A8274IY4), D. 2013, p. 91, AJDA, 2012, p. 2408.

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