Jurisprudence : CE 2/7 SSR., 09-11-2011, n° 346700, mentionné aux tables du recueil Lebon



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


346700


M. ROOPCHAN


Mme Catherine Moreau, Rapporteur

Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public


Séance du 3 octobre 2011


Lecture du 9 novembre 2011


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux


Vu le pourvoi, enregistré le 15 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Takaram ROOPCHAN, demeurant au chez Mlle Kanhoye Ronica 2 cité Ampigny à Cayenne (97300) ; M. ROOPCHAN demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler l'ordonnance n° 1001133 du 21 décembre 2010 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er avril 2010 par lequel le préfet de la région Guyane lui a refusé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de reconduite ;


2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à la SCP Le Griel, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;


Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;


Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;


Vu la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de Mme Catherine Moreau, chargée des fonctions de Maître des requêtes,


- les observations de la SCP Le Griel, avocat de M. ROOPCHAN,


- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,


La parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Le Griel, avocat de M. ROOPCHAN ;


Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. ROOPCHAN s'est vu notifier le 27 avril 2010 un arrêté du 1er avril 2010 par lequel le préfet de la région Guyane lui a refusé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de reconduite ; que par un arrêté du 3 novembre 2010, le préfet de la région Guyane a ordonné la reconduite à la frontière de l'intéressé ; que M. ROOPCHAN a demandé, le 17 décembre 2010, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er avril 2010 ;


Considérant que, depuis l'intervention de la loi du 20 novembre 2007, l'article L. 514-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile écarte l'application, en Guyane, des dispositions de l'article L. 512-1 de ce code par lequel le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions permettant à l'autorité administrative de signifier à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français ; que, par conséquent, ne sont pas applicables en Guyane les dispositions des articles L. 776-1, R. 775-1 à R. 775-10 et R. 776-1 à R. 776-20 du code de justice administrative ; qu'y sont, en revanche, applicables les règles de droit commun de la procédure administrative et contentieuse, notamment relatives au délai de recours, éventuellement prorogé par un recours administratif préalable, et au délai d'appel ;


Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée " ; que l'article R. 421-5 du même code dispose : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision " ;


Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la notification à M. ROOPCHAN de l'arrêté du 1er avril 2010 mentionnait qu'il disposait d'un délai d'un mois pour former un recours juridictionnel ; que cette indication était erronée au regard des dispositions de l'article R. 421-1 applicables en Guyane ; que, par suite, la requête tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 1er avril 2010 enregistrée au greffe du tribunal administratif de Cayenne le 17 décembre 2010 n'était pas tardive ; que M. ROOPCHAN est, dès lors, fondé, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral au motif que la requête tendant à l'annulation de cet arrêté était entachée d'une irrecevabilité manifeste ;


Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;


Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ces effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;


Considérant que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés, saisi d'une demande de suspension d'une décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, d'apprécier et de motiver l'urgence compte tenu de l'incidence immédiate du refus de titre de séjour sur la situation concrète de l'intéressé ; que l'article L. 514-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ayant écarté l'application en Guyane de l'article L. 512-1 du même code, le recours d'un étranger dirigé contre une décision de refus de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français mentionnant le pays de destination ne suspend pas l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ; que la perspective de la mise en œuvre à tout moment de la mesure d'éloignement ainsi décidée est de nature à caractériser une situation d'urgence ouvrant au juge des référés le pouvoir de prononcer la suspension de l'exécution de la décision de refus de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative ;


Considérant que la décision du 1er avril 2010 du préfet de la Guyane dont M. ROOPCHAN demande la suspension comportant une obligation de quitter le territoire français, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie ;


Considérant que, pour demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er avril 2010, M. ROOPCHAN a soutenu que cet arrêté méconnaissait les dispositions du 2° et du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, que l'arrêté était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et était intervenu en violation des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'aucun de ces moyens n'est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté en tant qu'il porte sur le refus de séjour ;


Considérant, en revanche, qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de justice administrative : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : (.) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans " ;


Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de certificats de scolarité établis depuis l'année scolaire 2003-2004, que M. ROOPCHAN, né le 16 octobre 1990, réside habituellement en France depuis l'âge de douze ans ; qu'ainsi le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français dont est assorti le refus de séjour qui lui a été opposé méconnaît les dispositions du 2° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français ;


Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. ROOPCHAN est fondé à demander la suspension de l'arrêté du préfet de la Guyane en ce qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français ;


Considérant qu'il n'y a pas lieu d'enjoindre au préfet de la Guyane de délivrer à M. ROOPCHAN une autorisation provisoire de séjour ;


Considérant que M. ROOPCHAN a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Le Griel, avocat de M. ROOPCHAN, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCP Le Griel de la somme de 2 500 euros ;


D E C I D E :


Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cayenne en date du 21 décembre 2010 est annulée.


Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 1er avril 2010 du préfet de la Guyane est suspendue en tant qu'il fait obligation à M. ROOPCHAN de quitter le territoire français.


Article 3 : Le surplus de la demande de M. ROOPCHAN devant le juge des référés du tribunal administratif de Cayenne est rejeté.


Article 4 : L'Etat versera à la SCP Le Griel, avocat de M. ROOPCHAN, une somme de 2 500 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.


Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Takaram ROOPCHAN et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.


Délibéré dans la séance du 3 octobre 2011 où siégeaient : M. Christian Vigouroux, Président adjoint de la Section du Contentieux, Président ; M. Edmond Honorat, M. Rémy Schwartz, Présidents de sous-section ; Mme Dominique Laurent, Mme Dominique Versini-Monod, M. Denis Prieur, M. Gilles Bardou, M. Jacques-Henri Stahl, Conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, chargée des fonctions de Maître des Requêtes-rapporteur.

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