Lexbase Affaires n°159 du 17 mars 2005 : Concurrence

[Le point sur...] Le point sur les restrictions verticales et le droit de la concurrence au vu des dernières décisions du Conseil

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par André-Paul Weber, Professeur d'économie, Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence

le 01 Octobre 2012

L'article 81, paragraphe 1, du Traité CE interdit les accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre les Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. La Cour de justice des Communautés européennes ayant établi que cette disposition n'était pas applicable dès lors que l'incidence de l'accord sur les échanges communautaires ou sur la concurrence n'était pas sensible, la Commission a, par la voie d'une communication, quantifié, au moyen de seuils de parts de marché, "ce qui ne constitue pas une restriction sensible de la concurrence au sens de l'article 81 du traité" (Communication de la Commission concernant les accords d'importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'article 81, paragraphe 1, du Traité instituant la Communauté européenne, 2001/C 368/7, JOCE C 368/13, 22 décembre 2001), règle dite de minimis. C'est ainsi que la Commission considère que les accords entre entreprises, qui affectent le commerce entre les Etats membres, ne restreignent pas sensiblement au sens de l'article 81, paragraphe 1, du Traité "si la part de marché cumulée détenue par les parties à l'accord ne dépasse pas 10 % sur aucun des marchés en cause affectés par ledit accord, lorsque l'accord est passé entre des entreprises qui sont des concurrents existants ou potentiels sur l'un quelconque de ces marchés (accords entre concurrents), ou si la part de marché détenue par chacune des parties à l'accord ne dépasse 15 % sur aucun des marchés en cause affectés par l'accord, lorsque l'accord est passé entre des entreprises qui ne sont pas des concurrents existants ou potentiels sur aucun de ces marchés (accords entre non concurrents)".

Le principe voulant que la Commission n'engage pas de procédure sur demande ou d'office dès lors que les conditions ci-dessus rappelées sont réunies n'est, cependant, pas général. Le principe ne s'applique pas aux accords comportant des "restrictions caractérisées" de concurrence. S'agissant des accords entre non concurrents sont en particulier visées la mise en oeuvre de prix minima de revente, la restriction concernant le territoire dans lequel, ou la clientèle à laquelle, l'acheteur peut vendre les biens ou les services contractuels, la restriction de livraisons croisées entre distributeurs à l'intérieur d'un système de distribution sélective, etc.

Les orientations ainsi définies sont aujourd'hui inscrites dans le droit français de la concurrence. L'article L. 464-6-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3097DYD) permet, désormais, au Conseil de la concurrence de décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre une procédure d'infraction à l'article L. 420-1 (répression des ententes N° Lexbase : L6583AIN) lorsque, en particulier :
"la part de marché cumulée par les entreprises ou organismes parties à l'accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas soit :
a) 10 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui sont des concurrents, existants ou potentiels, sur l'un des marchés en cause ;
b) 15 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui ne sont pas concurrents existants ou potentiels sur l'un des marchés en cause
".

Cette disposition nouvelle résulte de l'article 26-10 de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA). Et c'est par voie d'ordonnance (ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L4315DPI, JO n° 74 du 27 mars 2004, p. 5871) que ce nouveau texte a été introduit dans le Code de commerce. En clair, le Conseil de la concurrence est en mesure de prononcer des mesures de non lieu chaque fois que l'on se situe en deçà des seuils de 10 et 15 % s'agissant respectivement des accords horizontaux et verticaux. Mais, là encore, la mise en oeuvre de la procédure de non lieu suppose, notamment, que les accords en cause ne contiennent aucune des restrictions de concurrence listées à l'article L. 464-6-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3098DYE) à savoir :
"a) Les restrictions qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulées avec d'autres facteurs sur lesquels les parties peuvent influer ont pour objet la fixation de prix de vente, la limitation de la production ou des ventes, la répartition des marchés ou des clients ;
b) Les restrictions aux ventes non sollicitées et réalisées par un distributeur en dehors de son territoire contractuel au profit d'utilisateurs finaux ;
c) Les restrictions aux ventes par les membres d'un réseau de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, indépendamment de la possibilité d'interdire à un membre du système de distribution d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé ;
d) Les restrictions apportées aux livraisons croisées entre distributeurs à l'intérieur d'un système de distribution sélective, y compris entre les distributeurs opérant à des stades différents du commerce
".

A bien des égards, ces dispositions nouvelles procèdent de la logique ayant présidé à l'adoption du règlement de la Commission n° 2790/1999 du 22 décembre 1999 (N° Lexbase : L3833AUI) qui prévoit une exemption à l'application du paragraphe 1 de l'article 81 du Traité CE en ce qui concerne les accords dits verticaux conclus entre des distributeurs et un fournisseur, lorsque, notamment, la part détenue par ce dernier sur le marché pertinent est inférieure à 30 %. Mais encore faut-il, là encore, que l'accord ne contienne pas de "clauses noires" à savoir, pour l'essentiel, celles qui obligeraient chaque distributeur à respecter un prix de vente identique, à s'interdire de revendre à un autre distributeur du réseau, à s'interdire de répondre passivement à des commandes issues de clients situés hors de sa zone d'exclusivité. L'exemption catégorielle ainsi accordée repose sur la constatation selon laquelle les contrats de distribution, notamment sélective, sont de nature à améliorer l'efficience à l'intérieur d'une chaîne de distribution.

Du coup, procédant à l'examen de saisines portant sur des questions de relation entre fournisseur et distributeurs, le Conseil de la concurrence va, selon les cas, se caler sur les orientations définies par le règlement n° 2790/1999 précité ou sur les dispositions nouvelles du Code de commerce. Il n'est pas clair que la jurisprudence en la matière soit encore bien clairement établie et que la sécurité juridique des entreprises soit convenablement assurée.

Par sa décision 03-D-53 du 26 novembre 2003 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Biotherm dans le secteur de la commercialisation des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle (N° Lexbase : X4841ACB), et antérieurement donc à l'adoption des articles L. 464-6-1 et L. 464-6-2 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence s'est placé dans le cadre de la communication de la Commission car la part de marché du fournisseur se situait aux alentours de 3 %. Aucune restriction caractérisée de concurrence n'ayant été décelée, le Conseil a considéré que les conditions générales d'agrément des distributeurs fixées par Biotherm n'avaient pas eu d'effet sensible sur le marché.

Plus récemment, à l'occasion de sa décision n° 05-D-06 du 23 février 2005 relative à une saisine de la société Studio 5 à l'encontre des sociétés Rossimoda, Marc Jacob's International, LVMH Fashion Group et LVMH Fashion Group France (N° Lexbase : X9193ACH), le Conseil de la concurrence, sollicité par les sociétés visées par la saisine de faire application des dispositions prévues par les articles L. 464-6-1 et L. 464-6-2 du Code de commerce, n'a pas répondu favorablement à la demande. Même si le litige portait sur les produits vendus sous la marque Marc Jacob, et que cette marque représentait une part de marché inférieure à 1 %, le Conseil a considéré que les pratiques alléguées, relevant de la pratique des prix imposés, échappaient à la règle de minimis et devaient pouvoir être sanctionnées. Mais, au total, la saisine sera rejetée faute d'éléments suffisamment probants.

Se plaçant cette fois sur le terrain du règlement d'exemption n° 2790/1999, dans sa décision n° 03-D-60 du 17 décembre 2003 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l'horlogerie de luxe (N° Lexbase : X4850ACM), le Conseil constate que la société Cartier dispose d'une part de marché évaluée entre 20 et 21,5 %. Alors que les pratiques de sélection des distributeurs de la société Cartier étaient discriminatoires, le Conseil va soutenir qu'il n'est pas établi que ces pratiques "aient eu d'autre objet que de conforter l'image de la marque et de renforcer la concurrence intermarque".

Par la décision n° 03-D-69 du 26 décembre 2003 relative à pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution de produits pour prothésistes dentaires (N° Lexbase : X4858ACW), le Conseil va, parallèlement, estimer que le contrat de distribution de la société Ivoclar comprenant une clause interdisant la vente par correspondance à ses distributeurs ne constituait pas une restriction flagrante de concurrence au sens du règlement d'exemption de décembre 1999.

Analysant le réseau de franchise créé par la société Plus International (décision n° 03-D-39 du 4 septembre 2003 N° Lexbase : X9359ACM), le Conseil va rappeler qu'une fixation concertée des prix de revente par des commerçants indépendants regroupés sous une même enseigne ne constitue pas une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce lorsque ces commerçants ne se situent pas sur une même zone de chalandise. En revanche, l'enseigne dont certains des franchisés sont situés sur une même zone de chalandise peut définir des prix maximum ou des prix conseillés à condition que la nature de ces indications soit non ambiguë et que les prix ne revêtent pas, en réalité, le caractère de prix imposés ou de prix minima.

Mais, dans sa décision n° 03-D-40 du 5 septembre 2003 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des batteries industrielles (N° Lexbase : X4829ACT), le Conseil va rappeler que les accords de distribution visant à limiter la concurrence par les prix ne peuvent bénéficier de l'exemption prévue par le règlement CE n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, même en deçà de 30 % de part de marché. Plus récemment, sans faire nullement référence au règlement précité, le Conseil condamnera également la société Browning Winchester France (décision n° 05-D-07 du 24 février 2005 relative à des pratiques mises en oeuvre sur les marchés des armes et des munitions civiles N° Lexbase : X9194ACI) pour avoir instauré "[...] une entente en vue de mettre en place un système de prix imposés sur un marché, notamment par l'utilisation de retards ou de suspensions des livraisons à l'encontre des intervenants qui ne respectent pas ce prix". Mais le Conseil fait également observer que "[...] les effets sur le marché et sur l'économie sont cependant atténués, d'une part, par la concurrence que se livrent les différentes marques et fabricants d'armes et de munitions, d'autre part, par le fait que les revendeurs pratiquent couramment sur les armes des remises sur facture sous la forme d'accessoires (étui, bretelle), de prestations (réglage, mises en conformité) ou de produits (munitions) gratuits".

Sans doute peut-on soutenir que ces décisions se situent dans la jurisprudence qui, par le passé, a conduit tant la Commission que le Conseil à condamner bon nombre de contrats de distribution dès lors que certaines de leurs clauses conditionnaient la politique commerciale des distributeurs. Il reste que toutes ces décisions posent le problème majeur qui est de s'interroger sur les motifs qui poussent des fournisseurs à mettre en place des formules de prix minima, formules qui d'ailleurs sont légion. Pourquoi des fournisseurs sont-ils parallèlement tentés d'opposer des refus de vente aux distributeurs qui ne respectent pas la "discipline" tarifaire des prix de revente ?

La double question ainsi formulée a d'autant plus de sens que l'observation des marchés révèle la persistance de ces pratiques et que ces pratiques sont d'ailleurs d'autant plus de mise qu'une sévère concurrence prévaut entre les fournisseurs. C'est un truisme, mais il faut le rappeler, sur tout marché la demande pour tout bien ou service est fonction du prix. Elle est également fonction du nombre des points de vente. Plus le prix au consommateur est faible, plus toutes choses égales par ailleurs la demande est forte. Dès lors, il convient de s'interroger sur les motifs qui poussent des fournisseurs à mettre en place des systèmes de prix minima en s'abritant souvent derrière des vocables plus anodins du type "prix conseillés" ou encore "prix usuellement constatés" et à opposer des refus de vente. Alors que le raisonnement invite à penser que les producteurs de biens en situation de concurrence devraient au pire définir des "prix maximum" de revente, ils définissent des prix planchers qui paraissent en contradiction avec leurs intérêts. Au surplus, en opposant des refus de vente aux distributeurs ne respectant pas la discipline, ils perdent autant d'occasions de vente.

En fait un point essentiel ne doit jamais être oublié : tout fournisseur a besoin du concours de la distribution et il est clair que ce concours est d'autant plus nécessaire que la concurrence entre les fournisseurs est forte. Parce que les distributeurs vendent sans doute des biens et services et qu'ils sont naturellement enclins à promouvoir les ventes offrant de bonnes perspectives en terme de marge commerciale, il doit être bien compris que le fournisseur a tout avantage à contrôler au mieux les conditions de distribution des biens qu'ils proposent sur le marché. D'un mot, l'exercice de la concurrence entre les marques, entre fournisseurs concurrents, passe bien souvent par des restrictions de concurrence intramarque. En se polarisant sur les questions de relations verticales, les autorités en charge des questions de concurrence semblent faire l'impasse sur cet aspect qui, cependant, est essentiel. Sauf cas particulier où le fournisseur cherche à bloquer l'entrée à de nouveaux compétiteurs, il faut bien convenir que l'exercice même de la concurrence entre les fournisseurs génère certes des "restrictions verticales" mais ces restrictions ne sont que la conséquence de la concurrence observable à l'amont. Sans doute serait-il utile que les autorités en charge des questions de concurrence tiennent compte de ces éléments, à défaut, elles multiplieront les instructions sans qu'il soit clairement établi que le sort du consommateur s'en trouve amélioré.

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