La lettre juridique n°385 du 4 mars 2010 : Licenciement

[Jurisprudence] L'employeur peut anticiper la fin du congé de maternité et convoquer la salariée à l'entretien préalable à son licenciement pour faute grave

Réf. : Cass. soc., 17 février 2010, n° 06-41.392, M. Marc-Antoine de Paepe, F-P+B (N° Lexbase : A0348ESP)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Le droit du travail s'efforce de protéger les femmes enceintes, ou qui viennent d'accoucher, contre les mesures discriminatoires ou qui porteraient atteinte à leur santé ou leur sécurité. C'est pour cette raison qu'il est interdit de licencier une femme pendant toute la période de son congé de maternité, quel que soit le motif retenu. Dans un arrêt en date du 17 février 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet, toutefois, que l'employeur peut la convoquer à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave, pour des faits étrangers à la maternité, dès lors que la mesure est notifiée après la cessation du congé, peu important, dès lors, que le licenciement intervienne dans la période de protection de quatre semaines qui suit le congé. La solution est conforme à la lettre de la loi (I), mais en viole, selon nous, l'esprit (II).


Résumé

Pendant les quatre semaines suivant l'expiration des périodes de suspension du contrat de travail, le licenciement pour faute grave non liée à l'état de grossesse ou pour impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement est possible.

I - Le respect de la lettre

  • Cadre légal

Le Code du travail, et singulièrement son article L. 1225-4 (N° Lexbase : L0854H9I), assure aux femmes une protection efficace contre toutes mesures liées à la grossesse ou la maternité.

En premier lieu, leur licenciement est interdit pendant une période qui court du jour de la grossesse jusqu'à quatre semaines après l'expiration du congé de maternité (1), sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à la maternité. En second lieu, et même dans les cas où le licenciement pourrait être justifié par l'un de ces deux motifs exceptionnels, celui-ci ne peut pas être notifié, ni prendre effet, pendant les périodes de suspension du contrat de travail, c'est-à-dire tant que dure le congé de maternité et ce, à peine de nullité (2).

  • Problème en l'espèce

Reste à déterminer le sort qui doit être réservé au licenciement prononcé après l'expiration du congé de maternité, pendant la période des quatre semaines qui suit celui-ci, et au terme d'une procédure initiée pendant le congé.

Dans cette affaire, une salariée avait été convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave pendant la période de congé maternité, licenciement qui lui avait été notifié quatre jours après l'expiration de celui-ci.

La cour d'appel d'Angers avait annulé ce licenciement et condamné l'employeur à payer à la salariée diverses sommes, au motif qu'un licenciement, même fondé sur une faute grave non liée à l'état de grossesse, ne peut être notifié ou prendre effet pendant la période où la femme peut suspendre son contrat de travail, cette période étant étendue aux quatre semaines suivant la période du congé de maternité.

Après avoir affirmé que, "selon les dispositions de l'article L. 1225- 4 du Code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes ; que, toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement ; que dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail", la Chambre sociale de la Cour de cassation en tire comme conséquence que, "pendant les quatre semaines suivant l'expiration des périodes de suspension du contrat de travail, le licenciement pour faute grave non liée à l'état de grossesse ou pour impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement est possible", avant de casser la décision rendue au fond.

  • Une cassation juridiquement justifiée

La protection de la femme enceinte contre le licenciement tient, comme cela a été rappelé, en trois temps : 1° l'interdiction de licencier pendant une période couvrant largement le premier jour de grossesse et les quatre semaines qui suivent l'expiration du congé de maternité (C. trav., art. L. 122-25-2 N° Lexbase : L5495ACI, devenu L. 1225-4) ; 2° la possibilité exceptionnelle de licencier la salariée pour une faute grave ou un motif étrangers à la grossesse ou la maternité (même texte) ; 3° l'interdiction de signifier ou de faire prendre effet un licenciement justifié pendant la durée du congé de maternité (C. trav., art. L. 122-27 N° Lexbase : L5493ACG, ramené dans l'article L. 1225-4).

La lecture du texte est, sur ce point, très clair : l'interdiction de notifier le licenciement fondé sur une faute grave étrangère à la grossesse concerne bien la période du congé de maternité et non l'intégralité de la période d'interdiction de licencier. Cette référence résultait expressément de l'ancien article L. 122-27 du Code du travail, qui visait explicitement "la période de suspension prévue à l'article L. 122-26", c'est-à-dire la "période qui commence six semaines avant la date présumée de l'accouchement et se termine dix semaines après la date de celui-ci", et se retrouve maintenant dans le nouvel article L. 1225-4, qui a regroupé les trois temps dans un seul et même article. Le texte vise bien "les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa" ; or, pendant les quatre semaines qui suivent l'expiration du congé de maternité, le contrat de travail de salariée n'est plus suspendu.

II - Le non-respect de l'esprit

  • L'esprit du droit communautaire

La Directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (N° Lexbase : L7504AUH), dispose, dans son article 10 ("Interdiction de licenciement"), que " 1) les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l'article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu'au terme du congé de maternité visé à l'article 8, paragraphe 1, sauf dans les cas d'exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l'autorité compétente ait donné son accord" (3).

La Cour de Luxembourg a considéré, dans un arrêt rendu le 11 octobre 2007, que "l'article 10 de la Directive [...] doit être interprété en ce sens qu'il interdit non seulement de notifier une décision de licenciement en raison de la grossesse et/ou de la naissance d'un enfant pendant la période de protection visée au paragraphe 1 de cet article, mais également de prendre des mesures préparatoires à une telle décision avant l'échéance de cette période" (4). Même si, dans l'arrêt, les "mesures préparatoires" consistaient en "la recherche et la prévision d'un remplacement définitif de l'employée concernée" (cons. 33), la finalité de la règle posée invite à admettre que l'entretien préalable au licenciement réalisé pendant la période de suspension du contrat constituerait bien pareille "mesure" (5).

Il convient, toutefois, de rappeler que, contrairement aux dispositions plus favorables adoptées par le droit français, la protection accordée par la Directive aux femmes enceintes n'interdit pas de manière absolue le licenciement qui demeure exceptionnellement possible pour des motifs étrangers à la maternité et à condition que l'employeur s'en justifie (6).

En d'autres termes, il est interdit aux Etats membres d'exclure le régime de prohibition des licenciements pour les mesures qui, quoique prononcées après la reprise du travail, auraient été initiées pendant la période de suspension, mais pas de prévoir que ce licenciement sera possible dès lors qu'il repose sur un motif explicite étranger à la grossesse ou la maternité.

  • Situation de la solution au regard des objectifs poursuivis par la législation protectrice

La solution adoptée par la Cour de cassation laisse, toutefois, un goût amer. Est-il, en effet, convenable de permettre à un employeur de commencer la procédure de licenciement disciplinaire, en convoquant la salariée à l'entretien préalable, alors que celle-ci est encore en congé de maternité ? Peut-on véritablement considérer que cette dernière, qui n'a pas encore repris le travail après seize semaines au moins d'arrêt, sera psychologiquement armée pour se défendre utilement ? On peut en douter et regretter le caractère pusillanime de la décision.

Il nous semble que ce qui ressort clairement des termes de la jurisprudence communautaire, c'est que la période de congé de maternité doit être considérée comme un véritable sanctuaire et ce, pour assurer à la femme la protection la plus effective possible, ce qui justifie que la protection s'étende également aux mesures préparatoires au licenciement postérieur.

Dès lors, cette logique devrait prévaloir ici et le licenciement préparé être traité comme le licenciement notifié ou exécuté. Certes, dans cette affaire, ce n'est pas ainsi que la cour d'appel d'Angers avait justifié la nullité du licenciement ; mais la Cour de cassation aurait pu, pour sauver la décision et assurer l'effectivité de la protection de la femme enceinte, procéder par substitution de motifs.


(1) Ce délai est fixé par la loi. Contrairement à la solution qui prévaut pour les salariés qui reprennent leur travail après une absence pour cause de maladie ou d'accident et qui doivent, sous certaines conditions de durée d'absence (7/21 jours selon l'origine ou non professionnelle de l'accident ou de la maladie), subir une visite médicale de reprise qui détermine la fin de la suspension de leur contrat de travail, la visite que doit subir la femme après son accouchement ne prolonge pas le délai de protection (Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-42.461, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4509DDD et les obs. de S. Martin-Cuenot, Confirmation de la singularité de la protection reconnue à la femme enceinte contre le licenciement, Lexbase Hebdo n° 137 du 7 octobre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3020ABH).
(2) La nullité de ce licenciement entraîne le droit à réintégration de la salariée (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7501BSM, Dr. soc., 2003, p. 831, chron. B. Gauriau. Lire, également, les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7288AA8).
(3) Sur la question, P. Rodière, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, 1998, n° 342 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, 3ème éd., 2006, n° 588.
(4) CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-460/06, Nadine Paquay c/ Société d'architectes Hoet + Minne SPRL (N° Lexbase : A7181DYM).
(5) Cons. 35 : "Il convient de relever qu'une interprétation contraire, limitant l'interdiction de licenciement à la seule notification d'une décision de licenciement pendant la période de protection visée à l'article 10 de la Directive 92/85, priverait cet article de son effet utile et pourrait engendrer un risque de contournement par des employeurs de cette interdiction au détriment des droits consacrés par la Directive 92/85 aux femmes enceintes, accouchées et allaitantes".
(6) Principe expressément rappelé par la Cour dans son arrêt, cons. 36 : "Il y a lieu, toutefois, de rappeler que, ainsi qu'il ressort du point 31 du présent arrêt, une travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante peut, conformément aux dispositions de l'article 10, point 1, de la Directive 92/85, être licenciée pendant la période de protection visée à cette disposition dans des cas d'exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou les pratiques nationales".


Décision

Cass. soc., 17 février 2010, n° 06-41.392, M. Marc-Antoine de Paepe, F-P+B (N° Lexbase : A0348ESP)

Cassation CA Angers, ch. soc., 16 janvier 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 1225-4 (N° Lexbase : L0854H9I), L. 1225-17 (N° Lexbase : L5727IAD) et L. 1225-71 (N° Lexbase : L0999H9U)

Mots clef : maternité ; protection ; licenciement ; congé maternité

Lien base : (N° Lexbase : E3340ETU)

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