La lettre juridique n°407 du 9 septembre 2010 : Sociétés

[Jurisprudence] L'exclusion d'un associé d'une société coopérative à capital variable

Réf. : Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-16.156, FS-P+B (N° Lexbase : A6801E4N)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole

le 07 Octobre 2010

Les sociétés à capital variable peuvent revêtir une des formes de droit commun (1). Elles ne représentent pas un type particulier de société, la variabilité du capital constituant une modalité susceptible d'affecter toute forme de société. Cependant, hormis les sociétés coopératives et les sociétés d'investissement à capital variable (SICAV), les sociétés anonymes ne peuvent être à capital variable depuis la loi du 30 décembre 1981 (loi n° 81-1162, art. 30).
Les sociétés à capital variable sont cumulativement gouvernées par des dispositions spécifiques à la variabilité du capital social (clauses statutaires) et par des dispositions particulières à la forme adoptée qui viennent compléter les premières. D'où parfois la difficulté mise en exergue par l'arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 2010, pour concilier ces deux catégories de dispositions. Le litige concerne précisément une société coopérative à forme anonyme à capital variable, la société Creno, dont le conseil d'administration a, dans une réunion du 21 mars 2005, prononcé l'exclusion à dater du 1er octobre 2005 d'un de ses membres, la société anonyme Balicco, actionnaire chez elle depuis le 2 février 1998. A l'appui de sa décision, elle lui a fait grief de plusieurs manquements aux engagements fondamentaux contractés à l'égard du groupe. Aussi, l'a-t-elle assigné en paiement de diverses sommes. L'associé exclu a alors, non seulement demandé le remboursement des sommes indûment versées, mais encore réclamé reconventionnellement la condamnation de la société dont elle est membre au paiement d'une certaine somme d'argent à titre de dommages-intérêts pour exclusion arbitraire et abusive.

Dans son arrêt infirmatif du 17 avril 2009, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, saisie du litige, avait annulé la décision du conseil d'administration excluant la société actionnaire. De plus, elle avait condamné la société Creno à payer à la société Balicco la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral.

Cette décision de justice est censurée par la Chambre commerciale sur les différents points correspondant aux moyens invoqués par le demandeur au pourvoi en cassation : l'organe compétent pour prononcer l'exclusion (I), le respect du principe du contradictoire (II) et la demande en paiement formée contre la société actionnaire exclue (III).

I - L'organe compétent pour prononcer l'exclusion

Pour annuler la décision d'exclusion de l'associé prononcée par le conseil d'administration, la cour d'appel d'Aix-en-Provence s'était appuyée sur l'article 52, alinéa 2, de la loi du 24 juillet 1967, codifié à l'article L. 231-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6278AID). Ce texte confère aux statuts d'une société à capital variable la possibilité de stipuler que l'assemblée générale a le droit de retirer la qualité d'associé à un ou plusieurs de ses membres. Cette disposition légale étant applicable aux faits de l'espèce, puisque la société Creno a été constituée sous la forme d'une société à capital variable, l'exclusion de la société actionnaire n'a pu, selon les juges d'appel, être valablement prononcée par le conseil d'administration qui n'a pas compétence pour le faire.

Cette argumentation est repoussée par la Cour de cassation qui, se fondant sur l'article 7 de la loi du 10 septembre 1947 (loi n° 47-1775, portant statut de la coopération, art. 7 N° Lexbase : L2164ATC), fait prévaloir les dispositions particulières de ce texte sur les dispositions générales régissant le fonctionnement des sociétés à capital variable. En vertu de cet article, les conditions d'adhésion, de retrait et d'exclusion des associés sont déterminées par les statuts des coopérations, lesquels donnent pouvoir au conseil d'administration de la société Creno d'exclure un actionnaire.

Il faut rappeler que les sociétés à capital variable se singularisent par une faculté peu ordinaire expressément prévue par la loi, celle d'exclure un associé. Encore faut-il que la faculté d'exclusion soit mentionnée dans les statuts, que cette mesure s'appuie sur des motifs susceptibles d'un contrôle judiciaire et qu'elle respecte une certaine procédure. Celle-ci est annulée si les stipulations statutaires n'ont pas été respectées ou si elles sont contraires à la loi (2).

A ce propos la juridiction d'appel avait annulé la décision d'exclusion prononcée par le conseil d'administration de la société Creno à l'égard d'un de ses actionnaires la société Balicco. Elle avait fondé sa décision sur l'article L. 231-6, alinéa 2, du Code de commerce qui donne à l'assemblée générale la compétence exclusive pour statuer sur l'exclusion d'un associé d'une société à capital variable. Aussi, avait-elle suivi la jurisprudence traditionnelle relative aux sociétés à capital variable selon laquelle devait être annulée toute décision d'exclusion prononcée par le conseil d'administration (3), l'intervention de l'assemblée générale à laquelle l'associé menacé de retrait forcé doit participer constituant pour ce dernier une garantie à laquelle les statuts ne sauraient déroger (4). Ainsi, dans le sillage de cette orientation générale des tribunaux en la matière, il a été jugé qu'en cas d'inaction de l'assemblée générale, un tribunal peut prononcer l'exclusion d'un associé pour cause grave (5). Effectivement, aucune disposition légale n'autorise les juges à se substituer aux organes sociaux pour prendre des décisions de gestion.

Les juges du second degré avaient, toutefois, commis l'erreur d'invoquer un texte général (l'article L. 231-6, alinéa 2, du Code de commerce) inapplicable au cas d'espèce régi par un texte particulier (l'article 7 de la loi du 10 septembre 1947). La Chambre commerciale, faisant application du texte spécifique, estime au contraire qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision d'exclusion prononcée par le conseil d'administration comme les statuts l'y autorisent au regard de l'article 7 précité de la loi de 1947. Sa position tout à fait logique est indiscutable, parce que conforme à la disposition légale et à la stipulation statutaire.

II - Le respect du principe du contradictoire

La juridiction de seconde instance avait également retenu que la décision d'exclusion avait été discutée et arrêtée sans que la question fût inscrite à l'ordre du jour et portée à la connaissance de la société. Par conséquent, en l'absence de réunion, la société évincée n'avait pas été en mesure de donner une quelconque explication sur les faits qui étaient reprochés à l'actionnaire exclu.

A cet argument de forme, la Cour ce cassation oppose un argument de fond tiré de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL) : la nullité des actes et délibérations des organes d'une société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du droit des sociétés ou des lois qui régissent les contrats. Or, l'impossibilité pour l'actionnaire évincé de venir s'expliquer auprès de l'organe décidant son exclusion ne constitue pas une cause de nullité de la délibération l'ayant exclu. En statuant de la sorte, la cour d'appel avait porté atteinte aux dispositions du texte précité et, d'une manière générale, au principe "pas de nullité sans texte".

La démarche de la Chambre commerciale suscite là aussi l'adhésion. Certes, le débat porte bien sur la procédure, plus précisément sur les droits de la défense posés par le principe du contradictoire (6). A cet égard, la jurisprudence enseigne qu'il importe que l'assemblée générale (ou, comme en l'espèce, le conseil d'administration) statuant sur l'exclusion ait été régulièrement convoquée, que l'exclusion de l'associé ait été prévue à l'ordre du jour et que l'associé menacé d'exclusion participe à cette assemblée afin qu'il y soit entendu (7). A fortiori, comme cela a été jugé, doit être réputée non écrite la disposition du règlement intérieur d'une société à capital variable prévoyant que la décision d'exclusion d'un associé votée en assemblée générale extraordinaire conformément aux statuts doit être prise hors la présence de l'intéressé (8).

Pour autant, comme le décide fort justement la Cour de cassation, l'inobservation du principe du contradictoire ne saurait être sanctionnée par la nullité de la délibération qui a prononcé l'exclusion de l'actionnaire. Tout au plus pourrait-elle occasionner l'allocation d'une indemnité compensatrice du dommage subi.

Par conséquent, forte de l'absence d'explication contradictoire sur les faits reprochés à l'associé exclu et de la connaissance par les adhérents et les clients du réseau de la décision d'exclusion susceptible de nuire à son image et lui ayant causé un préjudice moral, la juridiction d'appel avait condamné la société Creno à verser à la société Belicco une somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts. Cette sanction est cependant écartée par la Haute juridiction au motif que la responsabilité délictuelle ne peut être engagée qu'en présence d'un lien de causalité certain entre la faute et le dommage. Or, à supposer que cette faute consistant en la violation du principe du contradictoire ait été établie, ce lien n'a pas existé en l'espèce entre ladite faute et l'atteinte à l'image de la société Balicco.

III - La demande en paiement formée contre l'actionnaire exclu

Outre les différentes questions tenant directement à l'exclusion de la société actionnaire (I et II), la Chambre commerciale est conviée à statuer sur une somme d'argent dont le paiement est revendiqué contre cette dernière. Elle se prononce sur cette question au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) aux termes duquel "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites".

Là encore, la cour d'appel avait rejeté la demande en paiement formée par la société Creno au titre de la part de cotisation d'adhésion de la société Balicco. Elle avait invoqué la raison selon laquelle cette dernière ayant été exclue avec effet immédiat par décision du 21 mars 2005, elle n'était pas redevable de la cotisation du troisième trimestre. En effet, le principe du paiement trimestriel et d'avance de la cotisation d'adhésion ne pouvait pas recevoir application car l'exclusion avait pris effet avant la clôture de l'exercice en cours.

Selon la Chambre commerciale, l'article 7 des statuts de la société Creno énonçant que les décisions d'exclusion au cours d'un exercice social ne prennent effet qu'au jour de la clôture de cet exercice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

La Cour de cassation, censurant dans toutes ses dispositions la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, remet la cause et les parties dans leur situation initiale et les renvoie pour être fait droit devant cette même juridiction d'appel autrement composée.


(1) C. com., art. L. 231-1 (N° Lexbase : L6273AI8).
(2) Cass. req., 27 avril 1933, S., 1933, 1, p. 209, note Rousseau.
(3) Cass. com., 26 janvier 1981, n° 79-13.686 (N° Lexbase : A3703E8N), Bull. civ. IV, n° 48 ; Bull. Joly Sociétés, 1981, p. 225 ; RTDCom., 1981, p. 318, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.
(4) CA Paris, 24 septembre 1996, 15ème ch., sect. A, 24 septembre 1996, n° 95-014293 (N° Lexbase : A1162DG7), RJDA, 1/1997, n° 70 ; Bull. Joly Sociétés, 1996, p. 1036, note B. Caillaud.
(5) Cass. civ., 11 mars 1925, Rev. sociétés, 1925, p. 230 ; S. 1925, 1, p. 201.
(6) V., sur cette question en général, L. Miniato, Le principe du contradictoire en droit processuel, Bibl. dr. pr., t. 483, 2008.
(7) Cass. civ. 1, 21 juin 1967, n° 64-11.750 (N° Lexbase : A3701E8L), Bull. civ. I, n° 232 ; Cass. com., 3 mars 1969, n° 65-10.708 (N° Lexbase : A3702E8M), Bull. civ. IV, n° 79.
(8) T. com. Paris, 22 février 1993, RJDA, 1993, n° 521.

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