La lettre juridique n°407 du 9 septembre 2010 : Éditorial

Pourquoi transiger, lorsqu'on peut rompre... avec le sourire ?

Lecture: 4 min

N0416BQH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Pourquoi transiger, lorsqu'on peut rompre... avec le sourire ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211128-pourquoi-transiger-lorsquon-peut-rompre-avec-le-sourire
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"La séparation et le divorce sont des poignards à deux tranchants : il faut s'en blesser d'un côté pour les enfoncer de l'autre" - proverbe chinois.

Exit la philosophie confucéenne ! La modernité, c'est l'absence de contrariété... Pardon : la prévention des conflits, dit-on, en bon juriste de formation.

Plus 24 % en un an ! En voilà une mesure gouvernementale plébiscitée : bien qu'il s'agisse de la hausse des ruptures conventionnelles... Et, c'est peut-être là que le bât blesse... 20 553 en mars, 20 293 en avril, 19 0502 en mai... Oui, mais 24 194 ruptures en juin 2010 ! Et hop ! La tendance repart à la hausse... Depuis août 2008, plus de 350 000 ruptures conventionnelles ont été validées et seules 9 % des demandes ont été rejetées... C'est dire que, une fois n'est pas coutume, les politiques comme l'administration décentralisée y ont mis du leur pour que cela tourne à bon compte...

Un succès vous dis-je ! Il s'agissait d'"inscrire dans la loi [en l'espèce, la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail, publiée au Journal officiel du 26 juin 2008] [une] nouvelle procédure, en faisant en sorte qu'elle soit rapide, peu onéreuse et entourée de garanties [qui] permettra au plus grand nombre de salariés de recourir, le cas échéant, à un type d'accord réservé jusqu'à présent, de fait, à une minorité de cadres supérieurs acceptant de se risquer (avec le soutien d'un conseil juridique) dans des procédures au cas par cas" nous livre, sans pudeur, le rapport d'information y afférent.

Nous voilà rassurés : non seulement la mesure fait un tabac en ce contexte de crise économique non résorbé, mais en plus elle est juste et équilibrée puisque la rupture se fait par consentement mutuel -si, si, c'est écrit dans la loi et ses motifs-.

Finalement, cette rupture conventionnelle, c'est un peu la procédure de divorce par consentement mutuel de la réforme de 2005 appliquée au droit du travail ! Plus d'incompatibilité d'humeur entre l'employeur et le salarié -la jurisprudence trouvant chiche le motif ainsi évoqué, alors qu'il est le plus souvent le reflet d'une vérité des plus banales-, la rupture conventionnelle permet de ne pas évoquer de motif de rupture -et ce n'est pas faute d'avoir vu défiler les amendements en ce sens-. Mieux : on ne sait pas qui de l'employeur ou du salarié souhaite véritablement en finir avec cette union contrainte et forcée... qui n'a que trop duré.

Déjudiciarisation : le mot est lâché. Tel est la clé de voûte de toutes ces procédures de règlement parallèles des "contrariétés" -pesons nos mots, puisque, officiellement, il n'y a pas de rupture conventionnelle, ni de divorce par consentement mutuel, s'il y a conflit-, excluant, en premier lieu, l'avocat conseil, empêcheur de tourner en rond, avant d'obérer un juge par trop long à se décider -c'est qu'il occupe désormais deux fauteuils à lui tout seul-...

Et, la procédure de rupture conventionnelle a de beaux jours devant elle, lorsque l'on s'attache à la jurisprudence la plus récente qui précise, en matière de transaction, que le juge doit vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales... Mieux encore : le motif invoqué dans la lettre de licenciement, trop vague pour être matériellement vérifiable, étant exclusif d'une faute grave, le licenciement et la transaction sont nuls -gloups !-.

D'aucuns savent que l'article 2044 du Code civil définit la "transaction" comme un contrat par lequel des parties "terminent une contestation, ou préviennent une contestation à naître". Et, qu'il convient de bien distinguer la rupture négociée de la transaction, cette dernière ne pouvant prendre place qu'après une rupture opérée dans les formes (un licenciement ou une démission). Enfin, s'agissant de la transaction, seule option ouverte en cas de litige sur la rupture de la relation de travail et également seule qualification admise pour des accords postérieurs à cette rupture, elle implique des "concessions réciproques".

Mais, soyons clair(voyant) : si la transaction est un mode de règlement des conflits plébiscité, c'est que "l'argent est l'argent, quelles que soient les mains où il se trouve. C'est la seule puissance qu'on ne discute jamais", nous enseigne Alexandre Dumas dans La Question d'argent. Et, les concessions accordées par le salarié, sachant qu'elles ne sont pas d'ordre uniquement pécuniaires, car mieux vaudrait pour lui poursuivre le contentieux, tiennent souvent à l'absence de motif réel ou avouable de la rupture orchestrée par l'employeur... Si bien qu'à imposer une motivation de la rupture comme préalable à la transaction, on ne voit plus très bien quel avantage retirerait l'employeur d'un tel règlement des conflits, sauf à spolier le salarié de ses droits, notamment, d'une partie de ses indemnités : il aura tout intérêt à jouer la carte contentieuse -et la montre-, car au pire il devra au salarié ce qu'il aurait dû lui verser...

Alors, on comprend certes que le juge prud'homal ne pouvait se satisfaire, ad vita aeternam, d'entériner des transactions équilibrées sans savoir pourquoi il y avait même conflit : les Parlements ont toujours eu du mal à enregistrer la volonté souveraine, fut-elle celle du Peuple. Mais, on comprend, dès lors, qu'à travers la rupture conventionnelle, les parties auront tout le loisir de convenir d'une indemnité satisfaisante et équilibrée, sans que l'on ne s'embarrasse de l'encombrante question des "motifs" de la rupture ; question qui conduit inexorablement à désigner un fautif (le salarié) ou pas, lorsque la motivation est inexistante ou insuffisante (l'employeur).

Heurs de la rupture conventionnelle et malheurs de l'avocat conseil : si ce dernier intervenait tantôt en matière transactionnelle, la "séparation par consentement mutuel au travail" le laisse devant la porte de la chambre à coucher ou, plus précisément, devant la chambre d'enregistrement que constitue l'inspection du travail...

"A vaincre sans péril on triomphe sans gloire", Rodrigue... A éviter absolument tout conflit judiciaire, la Justice s'en trouve-t-elle mieux servie ? Du moins, elle l'est avec le sourire...

newsid:400416

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.