La lettre juridique n°396 du 27 mai 2010 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le constat d'inaptitude déclenchant l'obligation de reclassement peut intervenir en dehors de toute visite médicale de reprise

Réf. : Cass. soc., 8 avril 2010, n° 09-40.975, Société Constructions métalliques Brayonnes, FS-P+B (N° Lexbase : A5913EUK)

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)

le 07 Octobre 2010


Le contentieux de l'inaptitude est pour le moins florissant. Pour l'essentiel, il se cristallise sur des litiges relatifs à la visite médicale de reprise consécutive à un arrêt de travail pour raisons de santé et aux suites juridiques qu'il convient de donner à l'avis d'inaptitude éventuellement formulé par le médecin du travail (spécialement l'obligation de reclassement incombant à l'employeur). Il faut dire que, sur ce terrain, l'imprécision des textes est source d'incertitudes dont les conséquences peuvent s'avérer fort lourdes, le licenciement étant alors frappé de nullité (1). L'arrêt rendu par la Chambre sociale le 8 avril 2010 vient mettre en évidence des incertitudes qui, jusqu'alors, n'avaient pas émergé en jurisprudence. Il conduit les juges de cassation à affirmer sans ambiguïté que le Code du travail "n'impose pas que la constatation de l'inaptitude du salarié soit faite lors d'un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail" ; ce faisant, cette décision contribue à clarifier le cadre juridique applicable à une inaptitude qui n'est pas constatée à l'issue d'un arrêt de travail.
Résumé

L'article R. 4624-31 du Code de travail (N° Lexbase : L3891IAD) n'impose pas que la constatation de l'inaptitude soit faite lors d'un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail, le médecin du travail pouvant la constater après tout examen médical qu'il pratique au cours de l'exécution du contrat de travail.

I - La constatation de l'inaptitude non consécutive à un arrêt de travail

En l'espèce, un salarié avait fait l'objet d'un premier arrêt de travail pour maladie du 25 octobre au 6 novembre 2004. Plusieurs semaines après la reprise du travail, sur la suggestion de son médecin traitant, il sollicite un examen médical auprès de la médecine du travail, examen réalisé le 30 décembre 2004. Quelques jours après, il fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail courant du 3 janvier au 21 mars 2005. A l'initiative, cette fois-ci, du médecin du travail, une autre visite est organisée le 13 janvier et ce, au cours de la période de suspension du contrat de travail. Elle conclut à l'inaptitude du salarié par un avis qualifié par le médecin de "deuxième avis d'inaptitude en application de l'article R. 241-51-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9929ACQ)" (devenu R. 4624-31). Un mois plus tard, le 12 février 2005, le salarié est licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Les circonstances de l'espèce étaient particulières à un double titre : d'une part, la première visite -sollicitée par le salarié- faisait suite à un arrêt de travail sans pour autant constituer une visite médicale de reprise stricto sensu, puisque la situation du salarié ne le faisait pas entrer dans l'un des cas de figure de l'article R. 4624-21 (N° Lexbase : L3918IAD) (absence pour cause de maladie professionnelle, absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail, absence d'au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel, absences répétées pour raisons de santé) ; d'autre part, la seconde visite avait eu lieu pendant un nouvel arrêt de travail et deux semaines après le premier examen.

Le salarié contestait donc la validité de la rupture devant le juge prud'homal. Il obtint gain de cause en appel, les juges déclarant nul le licenciement intervenu pendant la période de suspension du contrat de travail alors que l'inaptitude n'avait pas, selon eux, été régulièrement constatée. La solution retenue pas les juges du fond laisse à penser que la constatation de l'inaptitude ne peut intervenir que lors d'une visite médicale de reprise faisant suite à une suspension du contrat de travail. C'est manifestement ce sous-entendu que la Cour de cassation a voulu lever, puisqu'elle affirme, de façon tout à fait explicite, que l'article R. 4624-31 "n'impose pas que la constatation de l'inaptitude du salarié soit faite lors d'un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail, le médecin du travail pouvant la constater après tout examen médical qu'il pratique au cours de l'exécution du contrat de travail". Dès lors, pour que l'on puisse tirer les conséquences de l'inaptitude, il importe "seulement" de vérifier le respect des modalités de sa constatation, à savoir deux constats d'inaptitude espacés de deux semaines comme l'exige l'article R. 4624-31.

  • Rappel du cadre d'exercice de la surveillance médicale des salariés par le médecin du travail

Que la déclaration d'inaptitude puisse intervenir en dehors de la visite médicale de reprise intervenant au terme de certaines périodes d'arrêt de travail consécutives à une maternité ou à des raisons de santé (C. trav., art. R. 4624-21) ne fait aucun doute. En effet, la loi prescrit ou permet l'examen médical du salarié par la médecine du travail dans de multiples circonstances (2) et, à chaque fois, elle confie au médecin la mission de vérifier l'aptitude au poste. Il en va ainsi à l'occasion de la visite d'embauche (C. trav., art. R. 4624-11, 1° N° Lexbase : L3947IAG), des visites médicales périodiques organisées en principe tous les vingt-quatre mois (C. trav., art. R. 4624-16 N° Lexbase : L3932IAU) ou, encore, lors des visites participant de la surveillance médicale renforcée auxquels certains salariés doivent être soumis (3).

Mais il ne faut pas non plus oublier que tout salarié peut également bénéficier d'un examen médical à la demande de l'employeur ou à sa demande (C. trav., art. R. 4624-18 N° Lexbase : L3927IAP). C'est, d'ailleurs, de cette possibilité qu'avait usé le salarié au cas d'espèce en sollicitant une visite médicale sur les conseils de son médecin traitant environ sept semaines après un arrêt de travail. Certes, à l'occasion d'un examen réalisé à cette occasion, rien n'oblige réglementairement le médecin à délivrer une fiche d'aptitude. Mais il entre dans sa mission générale de surveillance médicale des salariés de s'assurer que leur état de santé est compatible avec le poste occupé. Il n'est pas contestable que le médecin du travail puisse prendre un avis d'inaptitude.

En d'autres termes, sauf dispositions contraires, tout examen médical réalisé par la médecine du travail peut se conclure par un avis d'inaptitude. La seule exception prévue par les textes concerne ce que l'on appelle communément la visite de pré-reprise, dont l'article R. 4624-23 (N° Lexbase : L3912IA7) précise qu'elle tend "à faciliter la recherche des mesures nécessaires lorsqu'une modification de l'aptitude au travail est prévisible" ; cette finalité particulière est exclusive de toute déclaration d'inaptitude car il s'agit de se situer dans une démarche d'anticipation par rapport au terme de l'arrêt de travail et à la date (prévue) de reprise du travail.

  • Portée de l'avis d'inaptitude délivré en dehors de toute visite médicale de reprise

L'article R. 4624-31 dispose que, "sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu'après avoir réalisé [...] deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines". En l'espèce, il s'agissait de savoir si l'avis du médecin du travail émis lors la visite sollicitée par le salarié sept semaines après la reprise du travail pouvait être considéré comme valant premier avis d'inaptitude au sens de l'article R. 4624-31. A cette question, la Cour de cassation répond par l'affirmative et décide que ce n'est pas le moment de la visite qui importe mais sa nature ; on doit être en présence d'un examen médical (4). Si tel est bien le cas, le second examen réalisé dans les deux semaines permet de conférer toute régularité à la procédure de constatation de l'inaptitude. Il devient, dès lors, indifférent que cette seconde visite soit intervenue au cours d'une nouvelle période de suspension du contrat de travail pour raisons de santé puisque la procédure était déconnectée de toute logique de reprise du travail.

II - Des effets alignés sur ceux de la constatation de l'inaptitude consécutive à un arrêt de travail

La solution de principe adoptée par la Cour de cassation emporte deux conséquences d'inégale importance : la première porte sur les voies de recours ouvertes au salarié et est expressément abordée par la décision ; la seconde est implicite et concerne le bénéfice du dispositif protecteur applicable aux salariés inaptes.

  • Le recours du salarié

Dès lors que l'inaptitude a été régulièrement constatée au terme de deux avis médicaux concordants espacés de deux semaines, le salarié peut faire jouer le recours particulier prévu par l'article L. 4624-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1874H9B) s'il est en désaccord avec les conclusions auxquelles est parvenu le médecin du travail. En application de l'alinéa 3 de ce texte, le salarié (5) peut contester l'avis d'inaptitude devant l'inspecteur du travail qui rendra sa décision après avoir recueilli l'avis du médecin inspecteur du travail.

  • L'obligation de reclassement à la charge de l'employeur

De manière implicite, les juges de la Chambre sociale entendent établir un lien entre l'obligation de reclassement et toute constatation d'inaptitude régulièrement effectuée, indépendamment du point de savoir si cette constatation intervient consécutivement à un arrêt de travail ou en dehors de ce contexte. La solution ne va pas de soi si l'on s'en tient à la lettre de l'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97), qui traite de l'obligation de reclassement (6) lorsque l'inaptitude est constatée "à l'issue d'une période de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou à un accident du travail".

La formulation laisse entendre que le dispositif de protection doit être "réservée" aux seuls salariés dont l'avis d'inaptitude est rendu à l'occasion d'une visite médicale de reprise. Non seulement cela entre en contradiction avec les articles réglementaires relatifs aux missions de contrôle de l'aptitude à la charge du médecin du travail qui n'opèrent absolument pas cette distinction, mais une telle interprétation serait contreproductive au regard de la finalité protectrice des textes adoptés en faveur des salariés inaptes. Elle conduirait à exclure du bénéfice de la procédure de reclassement des salariés inaptes au seul motif que leur inaptitude a été constatée en dehors d'une visite médicale de reprise. Telle n'est pas la volonté de la Cour de cassation qui s'attache à l'esprit des textes et opte pour un régime unifié des conséquences à faire produire à tout constat d'inaptitude établi dans des conditions régulières. Ce faisant, elle refuse très logiquement qu'existe un régime de protection à deux vitesses opérant des différences de traitement entre salariés inaptes selon le contexte dans lequel l'avis du médecin a été délivré.

On ne peut que se réjouir de cette prise de position de la Haute juridiction, quand bien même elle ne se déduit qu'en creux de la décision du 8 avril. Elle tend à asseoir davantage la protection du salarié inapte. Pour autant -et c'est là le possible revers de la médaille de cet arrêt-, la solution pourra dissuader des salariés de solliciter un avis de la médecin du travail dans les circonstances non balisées par le Code du travail (visite d'embauche, visites périodiques, visites de reprise) de crainte que la visite puisse déboucher sur un constat d'inaptitude et constituer le point de départ de la procédure de déclaration (définitive) d'inaptitude susceptible de se conclure par un licenciement (7).


(1) Voir, notamment, Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 95-45.363, M. Desroches c/ Coopérative atlantique (N° Lexbase : A3155ABH) ; Cass. soc., 16 février 1999, n° 96-45.394, Société Thivat meunerie c/ M. Tèche (N° Lexbase : A6637AHB) ; Cass. soc., 7 janvier 2003, n° 00-46.225, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Nord-Est c/ M. Jean-Pierre Prévost, F-D (N° Lexbase : A5997A4U).
(2) Voir la partie réglementaire du Code du travail, dont la section 2 du chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie est consacrée aux examens médicaux (art. R. 4624-10 N° Lexbase : L3950IAK et s.).
(3) Au titre de la surveillance médicale renforcée, la périodicité des visites médicales est ramenée à un an. Sont concernés les salariés affectés à certains travaux comportant des exigences ou des risques déterminés, ceux qui viennent de changer de type d'activité ou d'entrer en France (surveillance renforcée pendant une période de dix-huit mois à compter de leur nouvelle affectation), les travailleurs handicapés, les femmes enceintes, les mères dans les six mois qui suivent leur accouchement et pendant la durée de leur allaitement et les travailleurs âgés de moins de dix-huit ans (C. trav., art. R. 4624-19 N° Lexbase : L3924IAL).
(4) Cela ne suffit pas toujours puisqu'il a été jugé que la visite périodique (annuelle à l'époque des faits) à laquelle l'entreprise doit soumettre ses salariés ne peut pas être considérée comme le premier des deux examens mentionnées à l'article R. 4624-31 (N° Lexbase : L3891IAD). Voir Cass. soc., 16 mai 2000, n° 97-42.410, M. Bachène c/ Société Sicpa (N° Lexbase : A9254ATW), Bull. V, n° 182.
(5) Le recours est également ouvert à l'employeur.
(6) Obligation dont on rappellera qu'elle consiste pour l'employeur à rechercher, dans le délai d'un mois qui suit le second constat d'inaptitude, un poste approprié aux capacités du salarié et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail (C. trav., art. L. 1226-2 N° Lexbase : L1006H97).
(7) A noter que l'examen médical tend "à recueillir des informations sur la santé du salarié et sur le lien entre sa santé et sa situation de travail". Pour autant, s'il donne souvent lieu à établissement d'une fiche d'aptitude, il peut, parfois, conduire seulement à la délivrance de conseils en matière de prévention ou à la prescription ou à la réalisation d'examens complémentaires (v. circ. DRT n° 2005-03 du 7 avril 2005, relative à la réforme de la médecine du travail).

Décision

Cass. soc., 8 avril 2010, n° 09-40.975, Société Constructions métalliques Brayonnes, FS-P+B (N° Lexbase : A5913EUK)

CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 14 janvier 2009

Texte visé : C. trav., art. R. 4624-31 (N° Lexbase : L3891IAD)

Lien base : ([LXB=E3271ETC ])

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