La lettre juridique n°396 du 27 mai 2010 : Avocats

[Questions à...] Enjeux du droit communautaire de la concurrence pour les avocats et état de lieux de la transposition de la Directive "Services" en France - Questions à Michel Bénichou, Président de la Fédération des barreaux d'Europe

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N2094BPA

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[Questions à...] Enjeux du droit communautaire de la concurrence pour les avocats et état de lieux de la transposition de la Directive "Services" en France - Questions à Michel Bénichou, Président de la Fédération des barreaux d'Europe. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210885-questions-a-enjeux-du-droit-communautaire-de-la-concurrence-pour-les-avocats-et-etat-de-lieux-de-la-
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Les principes de la Directive "Services" (Directive (CE) 2006/123 du 12 juin 2006, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4) se retrouvent dans les récents travaux du Gouvernement, concernant les réformes des professions libérales et des professionnels du droit. Plus généralement, ils sont inclus dans une grande partie des textes récemment adoptés. Le Sénat avait prévenu : "la transposition en France constitue un chantier considérable au regard du nombre des textes législatifs qui devront être modifiés et de l'importance des modifications apportées" (cf. Rapport d'information du Sénat n° 199, sur la transposition la Directive, 7 février 2008), au point que nous n'avons pas honoré le délai imparti, fixé au 28 décembre 2009. Comme nous l'explique Michel Bénichou, Président de la Fédération des barreaux d'Europe, le texte s'applique aux professions libérales réglementées et impacte, donc, les professionnels du droit. A l'heure des réflexions sur les rapports "Darrois" et "Longuet" (respectivement, sur les professionnels du droit et sur les professions libérales), celui-ci nous fait un état des lieux sur les conséquences concrètes de la Directive "Services" et, plus généralement, du droit communautaire de la concurrence, pour les avocats.
Lexbase : Les professions libérales réglementées sont-elles concernées par le droit communautaire de la concurrence ? Quels textes s'appliquent aux avocats ?

Michel Bénichou : Le Traité de Rome poursuit, notamment, l'objectif d'établissement d'une concurrence non faussée dans le marché intérieur . Le droit de la concurrence fait partie du socle même du Traité et s'applique à toutes les activités de production, de distribution et de service, sans immunités sectorielles, mises à part celles prévues par le Traité.

La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), dans son arrêt du 23 avril 1991 (aff. C-41/90 N° Lexbase : A0092AWC), a défini, très largement, la notion d'entreprise et y a inclus l'activité des professions libérales. Elle considère que "dans le contexte du droit à la concurrence, la notion d'entreprise comprend toutes entités exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement". Le concept est essentiellement fonctionnel. "Le statut juridique est sans importance, les personnes physiques peuvent elles aussi être considérées comme des entreprises" (voir conclusions de l'Avocat général M. Jacobs, sous CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-180/98 N° Lexbase : A5114AY3).

La CJCE (désormais CJUE) considère, donc, que les professions libérales sont des entreprises et sont, donc, soumises aux dispositions communautaires du droit de la concurrence, dès lors qu'elles :

- agissent en tant qu'opérateurs économiques indépendants,

- offrent des services contre rémunération,

- offrent des services spécialisés,

- assument des risques financiers inhérents à l'exercice de leur activité libérale.

Toutefois, l'Avocat général Léger, dans ses conclusions dans l'affaire "Wouters" (CJCE, 19 février 2002, aff. C-309/99 N° Lexbase : A0074AYE), a distingué les activités des avocats réalisées en tant qu'opérateurs indépendants de celles réalisées en tant que salariés, seuls les premiers relevant du droit de la concurrence.

Enfin, dans l'arrêt "Klopp" (CJCE, 12 juillet 1984, aff. C-170/83 N° Lexbase : A8240AUQ), la Cour a indiqué que, en l'absence de règles communautaires spécifiques en la matière, chaque Etat membre conserve la liberté de régler l'exercice de la profession d'avocat sur son territoire.

Les professions libérales règlementées (dont la profession d'avocat) sont, donc, directement concernées par le droit communautaire de la concurrence. Cela a été rappelé à plusieurs reprises et, notamment, par la Commission européenne dans différents rapports (voir, notamment, le rapport "Monti" sur "une nouvelle stratégie pour le marché unique au service de l'économie de la société européenne" et le rapport "Kroes").

Les textes sont ceux du Traité et les règles générales sur la concurrence.

Lexbase : Concernant les professions libérales réglementées, des restrictions ont été dénoncées par la Commission européenne (prix imposés et conseillés, restrictions en matière de publicité, monopoles et tâches réservées et réglementation des structures d'exercice). Lesquelles concernent les avocats ? Quel contrôle exerce la CJUE ?

Michel Bénichou : Toutes les professions libérales règlementées ou officiers publics et ministériels sont concernés par la politique de la concurrence et ont été dénoncés par la Commission européenne quant à certaines pratiques : tarif, prix conseillés, accès à la profession, publicité, multidisciplinarité, règlementation des structures.

Les avocats sont assez peu concernés. En effet, ils n'ont pas de tarifs, pas de prix conseillés ou imposés. Ils ont libéralisé leur publicité et ils n'ont pas de monopole à l'exception -de façon réduite- de la défense devant certains tribunaux.

La CJUE exerce un rôle de "tamis" au travers du test de proportionnalité. Elle va examiner l'intérêt de la restriction de concurrence par rapport à l'intérêt général.

D'autres professions sont directement concernées et pourtant aucune évolution n'intervient. Les notaires, les huissiers et autres professions disposent d'un tarif. Dans ces mêmes professions, il existe un monopole et un accès réservé. La publicité est interdite dans ces professions, il n'y a pas de structures multidisciplinaires.

La seule évolution semble concerner la question de la nationalité des notaires et les conditions d'établissement. La CJUE a tenu une audience de plaidoirie le 27 avril 2010 sur demande de la Commission qui lui demande de constater qu'en imposant une condition de nationalité pour l'accès à la profession de notaire, certains Etats membres (France, Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg et Grèce) ont violé les dispositions du Traité instituant la Communauté Européenne relatif à la liberté d'établissement .

La Commission considère que les activités notariales ne sont pas dotées d'une compétence de décision unilatérale permettant aux Etats membres de maintenir une condition de nationalité pour accéder à cette profession et que le notariat ne se distingue pas d'autres professions et, notamment, celle d'avocat.

L'Avocat général doit rendre ses conclusions le 7 septembre 2010. On peut penser qu'une décision interviendra soit à la fin de l'année 2010, soit au début de l'année 2011.

Lexbase : L'un des derniers textes venus compléter le dispositif est la Directive "Services". Quels en sont les principes directeurs ? Quels enjeux ce texte représente-t-il pour les avocats ?

Michel Bénichou : La Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 est relative aux services dans le marché intérieur et vise à simplifier les procédures administratives et à supprimer les obstacles aux activités de services dans l'Union européenne.

Elle traite ainsi de la liberté d'établissement et de la libre de prestation de services.

Toutefois, elle devrait concerner moins les avocats que d'autres professions. En effet, la Directive "Services" ne remet en cause ni les Directives 77/249/CEE, sur la liberté de prestation de services (N° Lexbase : L9275AU3), et 98/5/CE, sur le libre établissement des avocats communautaires (N° Lexbase : L8300AUX), ni la Directive 2005/36/CE, sur la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN).

Les Directives propres aux avocats priment donc.

Par ailleurs, certains ont pu croire que la Directive "Services" s'opposait au monopole du droit consenti et aux professions juridiques règlementées en matière de défense ou de consultation. Or, c'est un avis inexact.

La Cour de justice reconnaît le droit pour les Etats membres de réserver certaines activités à la profession d'avocat dans le respect des règles de non-discrimination, de nécessité et proportionnalité, dès lors que la règlementation a pour objectif de protéger les destinataires de services contre les préjudices pouvant résulter du recours à des personnes dépourvues des qualifications professionnelles ou morales nécessaires.

Les règles professionnelles des avocats et, notamment, les règles d'organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle, de responsabilité civile et pénale, procurent une garantie d'intégrité et d'expérience aux consommateurs des services juridiques.

Lexbase : Quelle échéance a été fixée pour la transposition de la Directive "Services" ? Où en est la France ? Quelle approche a-t-elle choisi d'adopter ?

Michel Bénichou : La transposition en droit français de la Directive "Services" est en cours. La France est en retard.

La Directive devait être transposée avant la fin 2009. Madame Gebhardt, membre du Parlement européen et rapporteuse, en 2005 et 2006, de la Directive "Services", a dénoncé certains Etats membres qui ne feraient pas le nécessaire pour mettre en oeuvre le texte.

La Directive "Services" prévoit, également, que la règlementation de chacune des activités de service concernée doit être passée au crible, aux fins de savoir si elle contient des dispositions contraires aux principes de la Directive (non-discrimination, nécessité et proportionnalité).

Cela, nécessairement, prend du temps et des arbitrages doivent avoir lieu.

Lexbase : Certaines professions juridiques et judiciaires bénéficient-elles d'exonération ? Selon vous, les avocats auraient-ils dû être exclus du dispositif communautaire ?

Michel Bénichou : Les notaires bénéficient d'une exclusion de la Directive "Services" grâce au travail de lobbying fait par le Gouvernement français de l'époque et, notamment, le ministre de la Justice, Monsieur Perben.

Pourtant, ils délivrent des services. Ils sont en concurrence directe avec les avocats sur nombre de domaines qui ne constituent par leur monopole (constitution de société, conseils en matière de régimes matrimoniaux ou de successions...).

Certains espèrent qu'à cette occasion, la prestation de conseil juridique "à titre accessoire" soit déclarée injustifiée au regard des principes posés par la Directive. Cela n'est pas le cas. La protection des destinataires des services juridiques contre le préjudice qu'ils pourraient subir du fait du conseil juridique qui leur serait donné par des personnes qui n'auraient pas de codification professionnelle ou morale nécessaire justifie le maintien de la règlementation protectrice concernant l'exercice du droit à titre accessoire.

Néanmoins, on peut penser que, compte tenu des Directives applicables directement à la profession d'avocat et des efforts que celle-ci a faits pour se conformer au Traité et, notamment, au droit de la concurrence, les avocats auraient du être exclus de ce dispositif communautaire.

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