La lettre juridique n°396 du 27 mai 2010 : Consommation

[Jurisprudence] Les frais de livraison doivent être remboursés au consommateur qui se rétracte

Réf. : CJUE, 15 avril 2010, aff. C-511/08, Handelsgesellschaft Heinrich Heine GmbH c/ Verbraucherzentrale Nordrhein-Westfalen eV (N° Lexbase : A9183EUN)

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

le 07 Octobre 2010

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu, ces derniers mois, de nombreux arrêts portant interprétation du droit communautaire de la consommation, pilier de plus en plus essentiel pour la construction du marché intérieur. Pour assurer cet objectif essentiel de l'Union européenne, la Directive 2005/29 du 11 mai 2005, sur les pratiques commerciales déloyales (N° Lexbase : L5072G9Q), est sans doute l'un des mécanismes juridiques majeurs qui laisse clairement apparaître ce droit communautaire de la consommation plus comme un droit d'harmonisation qu'un droit de protection. Il en résulte qu'il est laissé aux Etats une marge de liberté dans la transposition du droit communautaire dérivé toujours plus mince. Pour un pays comme la France, qui depuis la fin des années 1970 s'est toujours affirmé comme disposant d'un arsenal législatif très protecteur des consommateurs, les solutions rendues par la Cour, interprétant strictement les dispositions du droit communautaire dérivé, sont souvent critiquées. Pourtant l'objectif affiché par les institutions communautaires, qu'il s'agisse de celles qui sont rédactrices des Directives et Règlements (Commission, Conseil et Parlement) ou de celle qui l'interprète (CJUE), se veut neutre. Il ne s'agit pas d'élaborer un droit protecteur du consommateur ou à l'inverse un droit protecteur des intérêts des entreprises mais bien de concilier les deux sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne par un important travail d'harmonisation. Cette harmonisation du droit de la consommation en Europe a un double sens : il s'agit de rassurer le consommateur qui serait tenté d'acheter dans un autre pays que celui de sa résidence en l'assurant que sa protection y sera identique. Il s'agit, également, de faciliter les échanges intracommunautaires en garantissant au professionnel qui serait tenté de s'engager dans un autre pays que le sien que les dispositions légales applicables à son activité seront identiques à celles de son pays d'origine, législation dont il sait maîtriser les risques.

Il convient néanmoins de se garder de tout procès d'intention : si c'est bien l'harmonisation qui prime, elle demeure parfaitement compatible avec une politique protectrice des intérêts des consommateurs.

En témoigne notamment la question de la vente à distance, qui a déjà fait l'objet d'un traitement spécifique en France depuis deux lois n° 88-21 du 6 janvier 1988 et n° 89-421 du 23 juin 1989 (N° Lexbase : L7752A8M), intégrées aux articles L. 121-16 (N° Lexbase : L6441G9G) à L. 121-20-17 du Code de la consommation. L'intervention législative française est partie d'un simple constat, celui du taux d'insatisfaction des consommateurs qui, ayant commandé à distance, recevaient finalement un bien peu conforme à leurs espérances (quand bien même eut-il été conforme aux stipulations contractuelles). Sans nécessairement en imputer la faute au professionnel de la vente à distance, trop souvent caricaturé comme de mauvaise foi face à un honnête consommateur parfois trop crédule, le fait est que cette technique de vente (étendue à la fourniture de prestations de services) ne permet pas toujours au consommateur d'apprécier pleinement l'objet qu'il s'est engagé à payer. Deux raisons l'expliquent sans doute : la vente à distance est une vente par définition en dehors des lieux de vente, de sorte qu'elle connaît plus facilement les achats moins réfléchis, dits "impulsifs", elle ne permet, par ailleurs, au consommateur d'avoir le produit en mains qu'une fois qu'il l'a commandé et donc qu'il s'est contractuellement engagé.

La solution retenue par le législateur français en 1988 consiste alors en l'instauration, en parfaite dérogation au droit commun des contrats, d'un droit de rétractation de sept jours francs. Le consommateur dispose de ce délai pour restituer au professionnel le bien qu'il a commandé, sans avoir aucunement à en justifier ni à payer aucun frais.

La solution a été reprise par le droit communautaire de la consommation qui, en 1997, a également instauré un droit de rétractation de sept jours au bénéfice du consommateur à distance. La Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (N° Lexbase : L7888AUP), dispose ainsi que : "Pour tout contrat à distance, le consommateur dispose d'un délai d'au moins sept jours ouvrables pour se rétracter sans pénalités et sans indication du motif. Les seuls frais qui peuvent être imputés au consommateur en raison de l'exercice de son droit de rétractation sont les frais directs de renvoi des marchandises.
Pour l'exercice de ce droit, le délai court:
- pour les biens, à compter du jour de leur réception par le consommateur lorsque les obligations visées à l'article 5 ont été remplies,
- pour les services, à compter du jour de la conclusion du contrat ou à partir du jour où les obligations prévues à l'article 5 ont été remplies si elles sont remplies après la conclusion du contrat, à condition que le délai n'excède pas le délai de trois mois indiqué à l'alinéa suivant".

Certains professionnels ont tenté de limiter la portée de la solution, notamment en exigeant du consommateur qui se rétracte le paiement de "frais de dossier" ou autres alternatives à une facturation du droit de rétractation. Ce droit est pourtant par essence gratuit, comme le rappelle l'arrêt du 15 avril 2010. D'autres professionnels ont voulu exiger du consommateur paiement d'une indemnité compensatrice pour l'utilisation du bien livré, ce qui a été refusé par la Cour dans une précédente affaire déjà commentée dans cette revue sauf par exception si le consommateur venait à abuser de son droit (CJCE, 3 septembre 2009, aff. C-489/07, Pia Messner c/ Firma Stefan Krüger N° Lexbase : A7928EKT et nos obs., La CJCE reconnaît l'abus d'un consommateur dans l'exercice de ses droits, Lexbase Hebdo n° 368 du 22 octobre 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N1644BMT). Plus précisément, la CJUE y avait considéré que l'exercice d'un tel droit ne devait pas conduire à certains abus, notamment pour permettre au consommateur de se rétracter alors qu'il avait pleinement profité du bien pendant une longue période.

La Cour vient, dans ce nouvel arrêt du 15 avril 2010, confirmer l'interprétation généralement retenue de la Directive 97/7 du 20 mai 1997 sur la vente à distance : le professionnel ne peut imposer au consommateur le paiement des frais d'envoi.

En l'espèce, une société allemande avait pris l'habitude de ventiler le prix de vente à distance de ses produits en distinguant une partie de celui-ci, constituée des frais d'envoi des marchandises et qui demeurait acquise au professionnel quel que soit l'avenir du contrat à distance (en l'occurrence pour 4,95 euros). Un consommateur qui se rétractait voyait donc son remboursement minoré du prix d'envoi du matériel conformément aux stipulations contractuelles rédigées par le professionnel.

La CJUE était saisie d'un recours préjudiciel sur la question suivante par la Bundesgerichtshof "Les dispositions de l'article 6, paragraphes 1, [premier alinéa] seconde phrase, et 2, de la Directive [97/7] doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à une réglementation nationale conformément à laquelle les frais d'expédition des marchandises peuvent être facturés au consommateur même lorsqu'il a exercé son droit de rétractation ?". La réponse est dépourvue de toute ambiguïté et satisfait pleinement la logique de la Directive de 1997 : cet article "doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet au fournisseur, dans un contrat conclu à distance, d'imputer les frais d'expédition des marchandises au consommateur dans le cas où ce dernier exerce son droit de rétractation".

Il convient, néanmoins, dès à présent de distinguer "frais d'envoi" et "frais de renvoi". Les frais d'envoi sont ceux engagés par le professionnel pour expédier le bien au consommateur, ils sont remboursés au consommateur qui se rétracte. Les frais de renvoi sont, en revanche, ceux supportés par le consommateur qui se rétracte pour réexpédier le produit au professionnel, et n'ont pas, conformément aux dispositions de la Directive, à être remboursés au consommateur. De sorte qu'il est important de comprendre que, si le renvoi d'un produit négocié à distance n'est jamais gratuit, en revanche les frais demandés au consommateur doivent être ramenés au strict nécessaire. Bien évidemment il serait possible qu'un professionnel s'engage à prendre en charge les frais de retour, ce qui constituerait une concession contractuelle, mais l'hypothèse est rare en pratique.

Pour être plus explicite, s'il est possible d'imposer au consommateur une procédure spécifique (par exemple pour imposer avant tout retour l'obtention auprès du professionnel d'un numéro de retour et l'ouverture d'un dossier), celle-ci ne peut être facturée au consommateur. Une autre interprétation de la Directive reviendrait à priver d'intérêt la faculté de rétractation qui, devenue trop onéreuse, ne serait plus exercée par le consommateur.

La solution rendue par cet arrêt du 15 avril 2010 concernait l'interprétation des dispositions du BGB allemand, mais la transposition française (tant en ce qui concerne les textes de loi que l'interprétation retenue par la doctrine et les tribunaux) est parfaitement conforme au droit communautaire. L'article L. 121-20-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5769H9K) dispose, en effet, que "lorsque le droit de rétractation est exercé, le professionnel est tenu de rembourser le consommateur de la totalité des sommes versées, dans les meilleurs délais et au plus tard dans les trente jours suivant la date à laquelle ce droit a été exercé. Au-delà, la somme due est, de plein droit, productive d'intérêts au taux légal en vigueur. Ce remboursement s'effectue par tout moyen de paiement. Sur proposition du professionnel, le consommateur ayant exercé son droit de rétractation peut toutefois opter pour une autre modalité de remboursement".

Il faut dire qu'une solution contraire retirerait tout intérêt au droit de rétractation du consommateur qui doit être, sous réserve d'abus, un exercice gratuit. C'est d'ailleurs ce qui a justifié l'interprétation de la Cour : "il importe de constater que le libellé de l'article 6, paragraphe 2, première phrase, de ladite directive impose au fournisseur, en cas de rétractation du consommateur, une obligation générale de restitution qui porte sur toutes les sommes versées par ce dernier à l'occasion du contrat, quelle que soit la cause du paiement de celles-ci [arrêt, point 43] - Il y a lieu de souligner que le quatorzième considérant de celle-ci énonce que l'interdiction d'imputer au consommateur, en cas de rétractation de ce dernier, les frais occasionnés par le contrat a pour finalité d'assurer que le droit de rétractation garanti par cette directive "ne reste pas de pure forme. Dès lors que ledit article 6 a ainsi clairement pour objectif de ne pas décourager le consommateur d'exercer son droit de rétractation, il serait contraire audit objectif d'interpréter cet article en ce sens qu'il autoriserait les Etats membres à permettre que les frais de livraison soient mis à la charge de ce consommateur dans le cas d'une telle rétraction [point 54 de l'arrêt]".

Le consommateur demeure pleinement protégé par le droit communautaire de la consommation qui, interprété strictement, interdit toute atteinte à la faculté de rétractation du consommateur. Mieux encore, il est possible qu'à l'avenir ce délai passe de 7 à 14 jours (v. projet de Directive sur les droits des consommateurs présenté le 8 octobre 2008, COM(2008) 614).

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