La lettre juridique n°328 du 27 novembre 2008 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Les effets de l'ouverture d'une procédure collective sur l'acquisition de la clause résolutoire

Réf. : Cass. com., 28 octobre 2008, n° 07-17.662, M. Robert Marc, F-P+B (N° Lexbase : A0621EBM)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Lorsqu'au jour de l'ouverture du redressement judiciaire du preneur, l'ordonnance de référé constatant l'acquisition de la clause résolutoire d'un bail commercial est frappée d'appel, l'acquisition de la clause résolutoire, pour défaut de paiement des loyers antérieurs à l'ouverture de la procédure soumise aux dispositions de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), n'a pas encore été constatée par une décision passée en force de chose jugée à cette date, de sorte que le bailleur ne peut plus poursuivre l'action antérieurement engagée, peu important à cet effet que l'ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 2008. Le bailleur d'un local commercial avait fait délivrer à son preneur le 9 mars 2006 un commandement visant la clause résolutoire. Par ordonnance du 16 août 2006, le juge des référés avait constaté la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dans le mois du commandement et avait ordonné l'expulsion de la société. Le locataire avait alors été mis en redressement judiciaire par jugement du 24 janvier 2007. La cour d'appel, statuant en matière de référé, a jugé que le bailleur était irrecevable à poursuivre son action tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire. Ce dernier s'est pourvu en cassation.

I - Sur la limitation des effets de la clause résolutoire en matière de bail commercial

La clause résolutoire, ou clause de résiliation, est une clause qui prévoit à l'avance qu'en cas d'inexécution par l'une des parties des obligations découlant du contrat dans lequel elle est stipulée, ce dernier sera résilié. Elle revêt un caractère d'automaticité en ce sens que, lorsque les conditions de son application sont remplies, le contrat est résilié de plein droit.

En raison de la radicalité de ces effets, l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII) réglemente sa mise en oeuvre dans le cadre des baux commerciaux. Cet article prévoit en effet, d'une part, que la clause prévoyant la résiliation de plein droit ne peut produire effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux, commandement qui doit mentionner, à peine de nullité, ce délai. Il offre, d'autre part, au juge saisi d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 (N° Lexbase : L1358ABW), 1244-2 (N° Lexbase : L1359ABX) et 1244-3 (N° Lexbase : L1360ABY) du Code civil, en accordant des délais, la faculté de suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation. L'article L. 145-41 du Code de commerce prévoit une limite à cette faculté judiciaire de suspendre les effets de la clause résolutoire : la résiliation ne doit pas avoir été constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis "l'autorité de la chose jugée".

Cette faculté d'ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire perturbe de manière importante l'automaticité de la clause résolutoire insérée dans un bail commercial. Si le juge reste tenu de constater la résiliation d'un bail commercial lorsque les conditions de sa mise en oeuvre sont remplies, sans pouvoir apprécier si la gravité du manquement justifie une telle sanction (Cass. civ. 3, 20 juillet 1989, n° 88-13.856, Société La Balette c/ Mme Medus N° Lexbase : A7818AGN), il lui est toujours possible de suspendre cette résiliation sous réserve que le preneur respecte les délais qui lui sont accordés pour remédier à ses manquements. Compte tenu de cette faculté, qui peut être exercée tant qu'une décision de justice ayant acquis, selon le terme visé à l'article L. 145-41 du Code de commerce, l'autorité de chose jugée, la résiliation ne devrait être acquise qu'en présence d'une décision de justice revêtant cette qualité.

Cette exception légale à l'automaticité des effets des clauses résolutoires emporte des conséquences juridiques importantes. Ainsi, depuis un arrêt du 22 mars 2006, la Cour de cassation décide que le bailleur qui demande en justice le constat de l'acquisition d'une clause résolutoire doit notifier sa demande en justice aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce exploité dans les locaux loués antérieurement au jour de cette demande, et non seulement aux créanciers inscrits au jour de l'acquisition de la clause résolutoire (Cass. civ. 3, 22 mars 2006, n° 04-16.747, Société Gelied c/ Société civile immobilière (SCI) Les Chênes rouges, FS-P+B+R N° Lexbase : A7948DNP, Rev. Loyers, 2006/868, n° 367, p. 276, note J. Prigent, D., 2006, p. 1044, obs. Y. Rouquet, Loyers et copr., 2006, comm. n° 105, obs. P. Pereira ; également en ce sens, Cass. civ. 3, 3 octobre 2007, n° 05-22.031, Société Distrifood, FS-P+B N° Lexbase : A6520DY7, Rev. Loyers, 2007/882). La résiliation du bail par l'effet d'une clause résolutoire a donc été analysée, au sens des dispositions de l'article L. 143-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5694AIQ), plus comme une résiliation judiciaire que comme une résiliation amiable. Dans son rapport annuel pour 2006, la Cour de cassation a, d'ailleurs, précisé que l'arrêt du 22 mars 2006 "marque un nouveau pas en avant en assimilant désormais la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire à la résiliation judiciaire. La solution ainsi dégagée, qui tire les conséquences du régime particulier de la mise en oeuvre de la clause résolutoire en matière de baux commerciaux, qui n'a plus rien d'amiable, permet de sauvegarder les intérêts des créanciers inscrits entre la date d'expiration du délai visé au commandement et la date de l'assignation ou de la demande reconventionnelle du bailleur".

Cette absence d'automaticité de la clause résolutoire par l'effet des dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce entraîne, également, des conséquences importantes lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte à l'égard du locataire et que la résiliation est poursuivie pour non paiement de loyers correspondant à une occupation antérieure à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective.

II - Sur la paralysie partielle des effets de la clause résolutoire en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'égard du preneur

Sous l'empire de dispositions applicables avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, il était régulièrement jugé que, si à la date du jugement d'ouverture, la résiliation en vertu d'une clause résolutoire pour non-paiement de loyers antérieurs à ce jugement n'était pas constatée par une décision ayant "force de chose jugée", la résiliation ne pouvait plus être poursuivie (voir, notamment, Cass. com., 12 juin 1990, n° 88-19.808, M. Weber, ès qualités de représentant des créanciers au redressement c/ Epoux Moissette et autre N° Lexbase : A4395ACR ; Cass. civ. 3, 13 mai 1992, n° 90-18.399, Mme Chèze c/ Country club de Bièvres-les-Jonnières et autres N° Lexbase : A7914AG9 ; Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-16.196, M. Daniel Capraro c/ Société Bureau de mobilisation de créances et d'investissement (BMCI), FS-P+B N° Lexbase : A0386DEZ ; Cass. civ. 3, 9 janvier 2008, n° 06-21.499, FS-P+B N° Lexbase : A2696D3A).

Ces décisions se fondaient sur la règle de l'interruption et de la suspension des poursuites entraînées par l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. L'article L. 621-40, I, 2°, du Code de commerce (N° Lexbase : L6892AI4), alors applicable, disposait, en effet, que "le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant [...] à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent". L'article L. 621-29 du Code de commerce (N° Lexbase : L6881AIP) disposait, également, que "à compter du jugement d'ouverture, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou la résiliation de plein droit du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise pour défaut de paiement des loyers et des charges afférents à une occupation postérieure audit jugement". A contrario, ce dernier article pouvait être interprété comme faisant obstacle à la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire pour un défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation antérieure au jugement d'ouverture.

La combinaison de ces textes (qui empêchent le créancier de poursuivre une action en résiliation du bail pour non-paiement des loyers antérieurs au jugement d'ouverture) avec les dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce (qui subordonnent implicitement la résiliation du bail à une décision de justice ayant "acquis autorité de la chose jugée" puisque jusqu'à la survenance d'une telle décision, la suspension des effets de la clause peut être ordonnée) interdit que soit poursuivie en justice, postérieurement au jugement d'ouverture, le constat de l'acquisition de la clause résolutoire pour non-paiement de loyers antérieurs à ce jugement, même si la clause résolutoire devrait être réputée avoir "consommé" ses effets antérieurement.

Il ne faisait guère de doute que sous l'empire des règles issues de la loi la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, applicables aux procédures ouvertes à compter du 1er janvier 2006, la solution serait reconduite, ce que confirme l'arrêt rapporté. En effet, le nouvel article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3741HB8) dispose, de manière analogue à celle de l'ancien article L. 621-40 du même code, que "le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant [...] à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent". L'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3876HB8) vise les "créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période". L'interruption et la suspension des poursuites ont donc toujours vocation à s'appliquer aux loyers correspondant à une période d'occupation antérieure au jugement d'ouverture. Le nouvel article L. 622-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L3873HB3), applicable en présence d'une procédure de sauvegarde ou de redressement, contient des dispositions similaires à celles de l'ancien article L. 621-29 de ce code puisqu'il précise que "la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise est constatée ou prononcée [...] lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu'au terme d'un délai de trois mois à compter dudit jugement".

La cour d'appel de Paris a eu l'occasion de juger, sous l'empire des nouvelles dispositions, qu'à défaut d'ordonnance ayant acquis force de juge jugée avant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire constatant l'acquisition de la clause résolutoire, la résiliation du bail ne peut plus être poursuivie pour des loyers antérieurs (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 17 novembre 2006, n° 05/24650, M. Mohamed Laghloula exerçant sous l'enseigne L'ami du bon pain c/ M. Rivière N° Lexbase : A2013DTQ ; CA Paris, 14ème, sect. B, 13 octobre 2006, n° 06/03503, SARL Maubeuge Press et autres c/ M. Richard Muller N° Lexbase : A4658DSC).

L'arrêt rapporté, rendu dans une espèce où la procédure de redressement avait été ouverte postérieurement au 31 décembre 2005 et dans laquelle la Cour de cassation a expressément relevé l'application des nouvelles dispositions, confirme le maintien de la solution dégagée sous l'empire des anciens textes.

III - Sur la notion de décision "passée en force jugée"

Cet arrêt est également intéressant en ce que la Cour de cassation précise que le bailleur ne peut plus poursuivre l'action antérieurement engagée, dans la mesure où à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l'ordonnance de référé constatant l'acquisition de la clause résolutoire avait été frappée d'appel et qu'en conséquence, la décision n'était pas passée "en force de chose jugée, peut important à cet effet que l'ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire".

A cet égard, il doit tout d'abord être relevé que, si l'article L. 145-41 du Code de commerce donne la possibilité au juge de suspendre les effets de la clause résolutoire lorsque la résiliation n'a pas été constatée par une décision ayant acquis "l'autorité de la chose jugée", la Cour de cassation se réfère toujours à la notion de "force chose jugée". Elle a ainsi précisé que le locataire peut demander des délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n'est pas constatée par une décision "passée en force de chose jugée" (Cass. civ. 3, 26 juin 1991, n° 90-11.948, Etablissements économiques du Casino c/ M. Pommier et autre N° Lexbase : A9623ATL ; Cass. civ. 3, 11 juin 1997, n° 94-21.056, Société SPIA c/ Société coopérative ouvrière de production Théâtre de la Danse N° Lexbase : A0129ACR). Les arrêts relatifs à l'impossibilité de poursuivre le constat de l'acquisition d'une clause résolutoire après l'ouverture d'une procédure collective, y compris celui commenté, visent également les décisions ayant "force de chose jugée".

Les deux notions sont pourtant différentes : un jugement a "autorité de la chose jugée" relativement à la contestation tranchée dès son prononcé (C. proc. civ., art. 480 N° Lexbase : L2720AD4 ; sur la question de l'autorité de chose jugée des ordonnances de référé constatant l'acquisition d'une clause résolutoire, voir Cass. civ. 3, 15 octobre 2008, n° 07-16.725, FS-P+B N° Lexbase : A8054EAK, et nos obs, in La chronique des baux commerciaux de Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 324 du 30 octobre 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N4986BH7), tandis qu'il a "force de chose jugée" s'il n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution ou, s'il est susceptible d'un tel recours, à l'expiration du délai de recours si ce dernier n'a pas été exercé dans les délais (C. proc. civ., art. 500 N° Lexbase : L2744ADY).

Or, et c'était le sens semble-t-il du pourvoi dans l'arrêt commenté, l'ordonnance de référé est en principe exécutoire à titre provisoire (C. proc. civ., art. 489 N° Lexbase : L2729ADG) et l'appel n'a pas d'effet suspensif sur une telle décision. En conséquence, il pouvait être soutenu que l'ordonnance de référé a force de chose jugée dès son prononcé, de sorte que la survenance postérieure d'une procédure collective ne ferait pas obstacle à la poursuite du constat de la résiliation. Cependant, même pour les ordonnances de référés, la Cour de cassation avait déjà précisé qu'elles n'acquièrent force de chose jugée qu'à la condition de ne pas avoir fait l'objet d'un recours dans les délais (voir, en ce sens, Cass. com., 11 janvier 1994, n° 92-11.288, Société Armagnac Loisirs et autre c/ Société Eurobail Sicomi et autre N° Lexbase : A6782ABS) et que tant que dure l'instance d'appel, elles n'acquièrent pas cette qualité (Cass. civ. 3, 9 janvier 2008, n° 06-21.499, FS-P+B N° Lexbase : A2696D3A), ce que rappelle l'arrêt du 28 octobre 2008.

La Cour de cassation semble ainsi retenir une approche "mécanique" de la notion de "recours suspensif d'exécution". Constituerait, selon cette approche, une telle voie de recours celle qualifiée de telle, peu important si compte tenu de la nature de la décision rendue (ordonnance de référé), elle n'entraîne pas la suspension de l'exécution. En effet, l'appel est une voie de recours ordinaire (C. proc. civ., art. 527 N° Lexbase : L1788ADL) et le délai de recours par une voie ordinaire "suspend" l'exécution du jugement, le délai de recours exercé dans ce délai étant également suspensif article 539 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2790ADP).

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