La lettre juridique n°328 du 27 novembre 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] En mariage trompe qui peut...

Réf. : CA Douai, 17 novembre 2008, n° 08/03786, Procureur général c/ M. C. (N° Lexbase : A3937EBG)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

On se souvient que la décision du tribunal de grande instance de Lille annulant un mariage à la demande d'un mari trompé sur la virginité de son épouse avait provoqué de nombreux commentaires (1) et une polémique révélatrice de la manipulation médiatique dont peut faire l'objet une décision de justice (TGI Lille, 1er avril 2008, n° RG 07/08458, M. C. c/ Mme H. épouse C. N° Lexbase : A4262D9Q). On avait même pu dire ou écrire que cette décision constituait un retour au Moyen Age en ce qu'elle permettait d'ériger la virginité en condition du mariage, ou encore qu'elle favorisait l'influence sur le droit de la famille des intégrismes religieux. Les magistrats de la cour d'appel de Douai dans leur décision du 17 novembre 2008 ont, sans doute, au moins aux yeux des pourfendeurs de la décision de première instance, fait triompher la modernité et l'égalité des sexes en privant de tout effet le mensonge de l'épouse sur sa virginité. En l'espèce, l'épouse avait sciemment induit son mari en erreur à propos de sa virginité, dont elle savait pourtant qu'elle constituait un élément déterminant du consentement de celui-ci au mariage. Ni le défaut de virginité, ni son importance pour le mari ne faisaient de doute puisqu'ils étaient l'un et l'autre reconnus par la femme qui par ailleurs s'était associée à la demande d'annulation. Après avoir clairement affirmé que la question de savoir si le mensonge sur la virginité pouvait constituer une qualité essentielle de la personne dans le cadre de l'annulation d'un mariage (I), la cour d'appel de Douai répond clairement que la virginité n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'avait pas d'incidence sur la vie matrimoniale (II). I - La détermination des qualités essentielles relève de l'ordre public

C'est sur le terrain de la recevabilité de l'appel du ministère public à l'encontre du jugement d'annulation du mariage que la cour d'appel se place pour affirmer que la détermination des qualités essentielles des époux relève de l'ordre public. Elle considère, dans un premier temps, que l'action en annulation et le jugement rendu sont susceptibles de mettre en jeu les principes de respect de la vie privée, de liberté du mariage, de prohibition de toute discrimination entre les hommes et les femmes, relèvent du droit des personnes, dont les parties n'ont pas la libre disposition, et de l'ordre public. Elle ajoute, de manière particulièrement nette, que "l'appréciation des qualités essentielles au sens de l'article 180, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1359HI8) relève également du contrôle de l'ordre public dès lors qu'elle ne peut être laissée à la libre disposition des parties", que celles-ci soient comme en l'espèce, ou non, d'accord pour demander l'annulation du mariage.

Ce faisant la cour d'appel prend le contrepied de la décision du tribunal de grande instance de Lille qui avait considéré que dès lors que pour l'époux la virginité de sa femme était une qualité essentielle et déterminante de son consentement et que celle-ci le savait, une erreur sur cette qualité entraînait la nullité du mariage. Cette solution semblait s'inscrire dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait notamment admis l'annulation d'un mariage en raison d'une erreur sur la qualité de divorcée de l'épouse, cachée à l'époux pour qui cet élément était déterminant au regard de son consentement au mariage (2).

Un tel raisonnement impliquait certes que l'on procède à une analyse concrète et subjective de la qualité essentielle de la personne, ce qui revenait à permettre de subordonner le mariage à des qualités ou caractéristiques personnelles que l'on peut, objectivement, trouver discutables. Il était, cependant, entendu que ces qualités étaient déterminées selon les convictions particulières de l'époux induit en erreur. Sans doute cela peut-il aboutir à des résultats pouvant être jugés excessifs mais dont il ne faut pas oublier qu'ils ne s'appliquent qu'à la situation particulière qui les a provoqués.

La cour d'appel considère, au contraire, que le juge, au nom d'une sorte d'ordre public matrimonial négatif, peut exclure certaines qualités des époux, des qualités essentielles de l'article 180, alinéa 2, du Code civil parce qu'elles sont contraires à des principes essentiels de dignité ou d'égalité. Ce faisant elle poursuit une démarche entreprise il y a longtemps par la Cour de cassation qui admet que le juge contrôle la qualification de telle ou telle caractéristique personnelle en qualité essentielle dans le cadre de l'annulation pour erreur du mariage.

Pareille démarche paraît, cependant, quelque peu hasardeuse particulièrement parce qu'elle passe par une définition de l'ordre public matrimonial qui n'emporte pas, pour le moins, de consensus (3). Surtout, interdire aux époux de faire de la virginité ou de toute autre caractéristique personnelle une qualité essentielle du mariage ne risque-t-il pas de porter atteinte à leur liberté matrimoniale laquelle implique qu'ils épousent la personne de leur choix, en connaissance de cause ? Tel est précisément l'objectif poursuivi par l'article 180 du Code civil et l'annulation pour erreur sur les qualités essentielle.

Plutôt que d'exclure, au nom de l'ordre public, certaines qualités pourtant déterminantes pour nombre d'époux, du champ de l'article 180 du Code civil, ne serait-il pas préférable d'entourer le consentement au mariage de garanties pour s'assurer qu'il est totalement libre -comme se sont attachées à le faire plusieurs lois récentes dont la loi du 4 avril 2006 qui a, dans ce but, abaissé l'âge du mariage pour les femmes (4)-, y compris en ce qu'il porte sur des aspects touchant à l'intimité de la personne des époux ? L'exigence de virginité de la mariée relève évidemment de l'intimité de celle-ci, mais qu'elle peut décider de partager avec son mari. L'annulation du mariage pour mensonge sur la virginité ne porte pas atteinte à la liberté de l'épouse d'avoir ou de ne pas avoir des relations sexuelles avant le mariage, dès lors qu'elle accepte que sa virginité soit une qualité essentielle pour son mari. Encore faut-il qu'elle le fasse volontairement et c'est sans doute là que porte réellement le débat. Le rôle du droit est moins de décider abstraitement quelles sont les convictions morales ou religieuses qui méritent sa protection que de protéger effectivement le respect de celles-ci.

Dès lors que la détermination des qualités essentielles était considérée comme relevant de l'ordre public, le juge pouvait difficilement admettre que la virginité constituait une qualité essentielle de l'épouse...

II - La virginité n'est pas une qualité essentielle de la personne

Reliant habilement la virginité à la vie sexuelle passée de l'épouse, la cour d'appel affirme sans ambages qu'elle ne saurait constituer une qualité essentielle de la personne visée par, l'article 180, alinéa 2, du Code civil "en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale".

Ce faisant la cour d'appel de Douai reprend un raisonnement qui semble se dégager de certaines décisions antérieures. Seules les qualités dont l'absence empêcherait la poursuite de la vie commune des époux pourraient entraîner la nullité pour erreur sur les qualités essentielles (5). Il en va notamment ainsi de l'impuissance du mari ou de l'altération des facultés mentales de l'un des époux. La virginité ne fait pas partie, selon la décision du 17 novembre 2008, de cette catégorie de qualités essentielles. En conséquence, un mensonge sur son existence, qui revient finalement selon les juges de Douai, à un mensonge sur son passé sentimental ne saurait entraîner l'annulation du mariage pour erreur.

La Cour de cassation avait déjà, dans le même sens, approuvé le refus d'annulation d'un mariage à la demande de la femme qui avait découvert, le soir de son mariage, que son mari avait entretenu une liaison avec une femme mariée (6). Cette analyse repose sur une conception on ne peut plus objective du mariage et des qualités essentielles que l'on est en droit d'attendre d'un époux. Elle ne tient pas du tout compte des convictions morales et religieuses qui pourraient animer ces derniers et constituer pour eux un élément déterminant de leur consentement. La cour d'appel affiche une volonté très nette d'empêcher les époux de donner au mariage une connotation morale ou religieuse et a fortiori de le soumettre à des règles qui pourraient être considérées comme contraires aux droits et libertés fondamentales.

Dès lors, comme l'affirme expressément la cour d'appel de Douai, que le mensonge sur une qualité non essentielle de la personne n'est pas une cause de nullité du mariage, le fait pour l'épouse d'avoir trompé son mari sur sa virginité ne peut fonder une annulation, tout au plus pourra-t-il constituer une faute cause de divorce. Les époux pourront toutefois et sans délai engager une procédure de divorce par consentement mutuel pour retrouver leur liberté.

Quoiqu'il en soit, le retour en force assez surprenant de l'ordre public matrimonial dans un domaine dans lequel la volonté individuelle est plutôt à l'honneur, appelle une confirmation et il serait souhaitable que la Cour de cassation, à la demande de l'un des époux, se prononce sur la question. Il en va, une fois encore, de la définition du mariage...


(1) F. Dekeuwer-Defossez, Les sept voiles de la mariée, RJPF, 2008, p. 8 ; V. Larribeau-Terneyre, Autour d'une certaine qualité essentielle en mariage... beaucoup de bruit déjà pour une affaire à suivre, Dr. fam., 2008, comm. n° 98 ; P. Labbée, La mariée n'était pas vierge, D., 2008, p. 1389 ; J. Hauser, 146 ans après, la vengeance ratée de Mme Berthon : nullité pour erreur sur les qualités essentielle, RTDCiv., 2008, p. 455 ; J.-J. Lemouland et D. Vigneau, D., 2008, pan., p. 1788 ; C. Potier, Sexe, mensonge et ... annulation : pour le droit au mensonge sur sa vie intime, RJPF, 2008, p. 29.
(2) Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 96-10.498, M. Noël X c/ Mme Bernadette Y, inédit (N° Lexbase : A5095CLB), Dr. fam., 1998, comm. n° 35, note H. Lecuyer ; RTDCiv., 1998, p. 659, obs. J. Hauser ; Defrénois, 1998, p. 1017, obs. J. Massip.
(3) Sur la nécessité de "construire une image sociologique des qualités essentielles", J. Hauser et D. Huet-Weiller, Traité de droit civil - La famille, T. 1, LGDJ, 1993, n° 260.
(4) Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (N° Lexbase : L9766HH8).
(5) TGI Avranches, 10 juillet 1973, D., 1973 p. 174, obs. Guhio, à propos de l'erreur sur l'aptitude sexuelle ; J. Hauser et D. Huet-Weiller, op. cit., n° 260.
(6) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-21.259, Mme Nathalie Brami c/ M. Philippe Tordjman, FS-P+B (N° Lexbase : A0334DMC), D., 2006, p. 1417, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau, AJFamille, 2006, p. 75, obs. F. Chénédé ; RTDCiv., 2006, p. 285, obs. J. Hauser.

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