La lettre juridique n°315 du 31 juillet 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Inaptitude totale et obligation de reclassement : justification ?

Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-41.318, M. Nota c/ Caisse régionale de crédit agricole Nord Midi Pyrénées, FS-P+B (N° Lexbase : A6390D9K)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Un salarié classé en invalidité deuxième catégorie par la Sécurité sociale et déclaré inapte à son ancien poste et à tout emploi dans l'entreprise peut-il être licencié sans que l'employeur ait recherché à le reclasser ? A cette question la Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt du 9 juillet 2008. Elle rappelle que l'employeur est, en toute hypothèse et, singulièrement, quel que soit le degré d'inaptitude reconnu et indépendamment du caractère temporaire ou définitif de l'inaptitude, tenu de chercher à reclasser le salarié. Elle justifie sa décision en expliquant que seul l'employeur connaît les possibilités d'aménagement des postes dans son entreprise. Cette solution n'est pas nouvelle, mais elle a le mérite de permettre d'expliquer la position de la Cour de cassation concernant le reclassement du salarié inapte.
Résumé
L'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout travail s'entend nécessairement d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise. Un tel avis ne dispense pas l'employeur d'établir qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de reclasser le salarié au sein du groupe auquel elle appartient, au besoin par des mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail. Le classement d'un salarié en invalidité deuxième catégorie par la Sécurité sociale a une finalité distincte et relève d'un régime juridique différent. Ce classement est sans incidence sur l'obligation de reclassement du salarié inapte qui incombe à l'employeur par application des dispositions du Code du travail.

Commentaire

I - Généralité de l'obligation de reclassement

  • Obligation de reclassement du salarié inapte

Le salarié atteint d'une maladie professionnelle bénéficie d'une protection exorbitante du droit commun. Le législateur interdit, en effet, à l'employeur de licencier le salarié pendant la période de suspension de son contrat. L'employeur est, en outre, tenu, une fois la période de suspension achevée, de se conformer aux prescriptions du médecin du travail s'agissant de l'aptitude du salarié à reprendre son emploi .

Si le salarié est déclaré apte par le médecin du travail, il retrouve son ancien poste. Si le salarié est, au contraire, déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur est tenu, au regard des indications du médecin du travail, de rechercher à reclasser le salarié (C. trav., art. L. 1226-10). En principe, l'inaptitude ne peut être reconnue qu'une fois que deux avis concordants ont été donnés par le médecin du travail à l'issue de deux visites successives espacées de 15 jours (C. trav., art. R. 241-51-1 N° Lexbase : L9929ACQ). L'impérativité absolue de ce double avis se trouve atténuée lorsque le maintien du salarié à son poste entraîne un danger immédiat pour la santé et la sécurité de l'intéressé ou celle des tiers (C. trav., art. R. 241-51-1). Dans ce cas, en effet, une seule visite suffit à déclarer le salarié inapte.

Cette obligation de reclassement du salarié inapte, mise à la charge de l'employeur par le législateur, est particulièrement étendue.

  • Obligation de reclassement quelle que soit l'étendue de l'inaptitude du salarié

Une fois l'inaptitude reconnue, l'employeur n'a, en effet, pas d'autre choix que de chercher à reclasser le salarié compte tenu de l'avis émis par le médecin.

Cette obligation de reclassement s'impose à l'employeur en tout état de cause. L'article L. 1226-11, alinéa 2, du Code du travail dispose que l'obligation de reclassement pèse sur l'employeur également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail. Il appartient donc à l'employeur de rechercher et de proposer au salarié un poste approprié à ses nouvelles capacités (C. trav., art. L. 1226-10, alinéa 1er).

Le législateur précise que l'emploi proposé et donc recherché doit être aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail (C. trav., art. L. 1226-10, alinéa 3).

Cette obligation de reclassement s'applique à toute inaptitude qu'elle soit temporaire ou définitive, partielle ou totale. L'employeur ne peut, ainsi, rompre le contrat de travail du salarié que s'il justifie avoir cherché à reclasser le salarié dans l'entreprise, mais, également et le cas échéant, dans le groupe auquel il appartient (Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-40.705, M. Vinh Ton That c/ Société Corsair International N° Lexbase : A4721DD9).

Le fait que le salarié soit déclaré inapte à son ancien poste et à toute reprise de travail dans l'entreprise n'exonère donc pas l'employeur de son obligation, comme le rappelle, une nouvelle fois, la Cour de cassation dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié avait été placé en maladie de mai 2000 au 28 février 2003. Le 26 février 2003, informé de son classement en invalidité deuxième catégorie, le salarié avait sollicité l'examen médical du médecin du travail le 26 février. Le médecin avait conclu à l'inaptitude totale du salarié à son ancien poste et à toute reprise du travail dans l'entreprise. Le médecin avait précisé qu'en application de l'article R. 241-51-1 un second examen n'avait pas lieu d'être.

Le 29 avril le salarié avait été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Contestant cette rupture, il avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

La cour d'appel avait considéré que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et avait condamné la caisse à payer au salarié des sommes au titre de dommages-et-intérêts, indemnité compensatrices de préavis et de congés payés.

La Cour de cassation confirme cette solution. Après avoir rappelé que l'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout travail s'entend, nécessairement, d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise et qu'un tel avis ne dispense pas l'employeur d'établir qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de reclasser le salarié au sein de l'entreprise et, le cas échéant, au sein du groupe auquel elle appartient, au besoin par des mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, elle souligne que le classement d'un salarié en invalidité deuxième catégorie par la Sécurité sociale obéit à une finalité distincte et relève d'un régime différent et que ce classement est sans incidence sur l'obligation de reclassement du salarié inapte qui incombe à l'employeur par application des dispositions du Code du travail.

L'employeur, seul à même de connaître les possibilités d'aménagements de postes de son entreprise n'était donc pas dispensé de rechercher un reclassement pour le salarié.

Cette solution est parfaitement logique et conforme tant à la lettre qu'à l'esprit des règles régissant la matière. La décision commentée permet de donner un sens au maintien de l'obligation de reclassement lorsque le salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail.

II - Légitimité de l'obligation de reclassement du salarié inapte

  • Une jurisprudence constante

La jurisprudence qu'elle soit judiciaire ou administrative fait une application générale et constante de l'obligation de reclassement du salarié inapte. Le Conseil d'Etat a érigé l'obligation de reclassement du salarié inapte au rang de principe général du droit (CE contentieux, 2 octobre 2002, n° 227868, Chambre de commerce et d'industrie de Meurtre-et-Moselle N° Lexbase : A9513AZD).

L'obligation de reclassement est une obligation de moyen renforcée. L'employeur doit justifier avoir procéder aux recherches et justifier ne pas pouvoir reclasser le salarié (C. trav., art. L. 1226-12, alinéa 1er). La jurisprudence judiciaire recherche, en effet, dans toutes les hypothèses qui lui sont soumises, si l'employeur a, préalablement à la rupture, fait un réel effort de reclassement en recherchant les emplois disponibles dans l'entreprise, mais, également, dans tous les établissements du groupe auquel elle appartient (Cass. soc., 18 avril 2000, n° 98-40.754, Mme François Cury, épouse Blanchet c/ Société Miko N° Lexbase : A9034AGP), et s'il a justifié avoir cherché à reclasser le salarié par le biais de mutation, transformation ou aménagement du temps de travail (Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-47.458, FS-P+B N° Lexbase : A0438DDL).

Il n'existe aucun moyen pour l'employeur de s'exonérer de son obligation. L'employeur ne peut pas, par exemple, se cacher derrière l'avis du médecin du travail. Les juges considèrent, en présence d'un avis imprécis qu'il appartient à l'employeur, lorsque le médecin n'a fait aucune suggestion, d'inciter le médecin à faire des propositions et que, s'il ne le fait pas, il n'a pas satisfait à son obligation de reclassement (Cass. soc., 24 avril 2001, n° 97-44.104, Société Etablissement Hild et compagnie c/ M. Nevzat Akyol N° Lexbase : A2863AT9).

Une seule limite a été portée par les juges à cette obligation de reclassement, limite qui a évité que cette obligation passe d'une obligation de moyen renforcé à une obligation de résultat. La jurisprudence n'oblige, en effet, pas l'employeur à créer un nouveau poste dans l'entreprise ou à déplacer un de ses salariés pour donner la place à la personne déclarée inapte (CA Paris, 22ème ch.,sect. C, 3 mai 2007, n° 05/08265, SARL Le Reflet c/ M. Guerandel N° Lexbase : A3326DW4). Cette limite doit être approuvée.

La position retenue par la Cour de cassation ne laisse aucune ambiguïté, l'employeur doit, en tout état de cause, chercher à reclasser.

Nous nous étions interrogés sur le caractère paradoxal d'une telle obligation (Le paradoxe de l'obligation de reclassement impossible, Lexbase Hebdo n° 131 du 29 juillet 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2405ABP). La doctrine avait, pour sa part, appelé de ses voeux une suppression de l'obligation de l'employeur en cas d'avis d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise (voir sur ce point B. Gauriau, Droit social n° 11, novembre 2004, observations p. 1040, sous Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.141, FS-P+B N° Lexbase : A0403DDB). L'auteur trouvait, en effet, surprenant que l'employeur soit tenu de cette obligation en cas d'avis d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise, soulignant que, dans cette hypothèse, les préconisations du médecin du travail font défaut.

  • Une solution désormais fondée

C'est sans doute à ces "critiques " qu'a entendu répondre la Cour de cassation dans la décision commentée.

Jusqu'à présent, en effet, cette dernière rappelait simplement au soutien de sa position le contenu de l'article L. 1226-10, alinéa 3.

Dans la série d'arrêts du 7 juillet 2004, qui avaient suscités la controverse, elle se contentait, au visa de l'article L. 122-24-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1401G9R), d'affirmer que "l'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout travail s'entend nécessairement d'une inaptitude à tout emploi dans l'entreprise ; qu'un tel avis ne dispense pas l'employeur de rechercher une possibilité de reclassement au sein de l'entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagement du temps de travail" (Cass. soc., 7 juillet 2007, n° 02-43.700, FS-P+B N° Lexbase : A0414DDP ; n° 02-47.458, FS-P+B N° Lexbase : A0399DD7 ; n° 02-43.141, FS-P+B N° Lexbase : A0435DDH). Jamais à notre connaissance avant cet arrêt elle n'avait donné une quelconque explication au maintien de l'obligation de l'employeur en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise.

C'est l'apport essentiel de cette décision que de donner la justification de cette position.

En affirmant que "l'avis du médecin du travail ne dispensait pas l'employeur qui seul connaît les possibilités d'aménagement des postes de son entreprise, de rechercher à reclasser le salarié", elle vient donner un fondement à l'obligation de reclassement du salarié totalement inapte.

Si l'on s'en tient à cette décision, lorsque le médecin du travail déclare l'inaptitude du salarié à tout poste dans l'entreprise, c'est à la lumière des postes existants, qu'il rend cet avis. Il n'a pas et ne peut pas avoir connaissance des éventuels aménagements auxquels l'employeur peut procéder. En effet, il ne dirige pas l'entreprise, seul l'employeur est à même de déterminer s'il existe une possibilité pour maintenir le salarié dans l'entreprise.

C'est donc le pouvoir de direction de l'employeur qui justifie cette position...le reclassement du salarié inapte n'est donc plus si paradoxal que cela...si l'on passe outre le fait qu'en cas d'inaptitude totale et à tout poste dans l'entreprise les recommandations du médecin du travail font défaut ...

Décision

Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-41.318, M. Nota c/ Caisse régionale de crédit agricole Nord Midi Pyrénées, FS-P+B (N° Lexbase : A6390D9K)

Cassation partielle de CA Toulouse, 19 janvier 2007

Mots clefs : inaptitude totale ; inaptitude à tout emploi dans l'entreprise ; obligation de reclassement ; portée de l'obligation ; justification du reclassement du salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise ; pouvoir de direction de l'employeur

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