La lettre juridique n°161 du 31 mars 2005 : Procédures fiscales

[Focus] La querelle des changements des motifs dans la procédure de redressement

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

L'administration peut-elle se contenter d'opérer une adjonction de motifs de droit ou de fait dans sa réponse "aux observations du contribuable" sans être, absolument, tenue d'adresser à ce dernier une nouvelle notification de redressement, pour l'aviser des nouveaux motifs de droit ou de fait retenus ? A défaut, l'administration peut-elle, dans une telle situation, courir le risque de se voir reprocher d'avoir enfreint les dispositions de l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5567G4X), aux termes desquelles il est rappelé in fine que "lorsque l'administration rejette les observations du contribuable, sa réponse doit être, également, motivée" ? Le risque pour l'administration de voir la procédure d'imposition déclarée irrégulière par le juge de l'impôt n'est pas négligeable. Le contribuable peut, en effet, faire valoir que des moyens nouveaux dans la confirmation des redressements ont été introduits et considérer, à l'appui de ce texte, que l'administration n'a pas respecté les garanties attachées au débat contradictoire et a, ainsi, porté atteinte aux droits de la défense. Il peut, en outre, considérer que l'administration aurait dû l'aviser de ces nouveaux motifs par la voie d'une nouvelle notification de redressement et, ainsi, lui ouvrir un nouveau délai de réponse de trente jours lui permettant de saisir la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. La jurisprudence précise que l'administration doit se fonder sur les motifs mêmes qu'elle a indiqués dans la notification de redressement pour établir ses impositions (voir en ce sens CE contentieux, 2 juin 1986, n° 32520, Ministre du Budget c/ Solleau N° Lexbase : A3880AMN). La question se trouve, ainsi, soulevée de la validité au plan de la procédure de redressements de la substitution de motifs ou encore de l'addition de motifs conduisant l'administration à rejeter les observations du contribuable ayant fait l'objet d'une notification de redressement

Il doit être, au préalable, précisé que l'administration n'est pas tenue de procéder à une énumération exhaustive de tous les motifs susceptibles de fonder le chef de redressement, mais doit, seulement, mettre le contribuable en mesure d'engager une discussion contradictoire (voir en ce sens CE contentieux, 21 mai 1976, n° 94052, Sieur X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1516AXG ; CE, 3° et 8° s-s., R, 21 décembre 2001, n° 221006, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Labesque VI N° Lexbase : A9405AXM ; CE, 3° et 8° s-s., R, 29 janvier 2003, n° 205636, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie c/ Société Socacoz N° Lexbase : A1794A7L).

Cette situation est à distinguer de celles visées dans d'autres arrêts du Conseil d'Etat (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx N° Lexbase : A3897AI8 ; CE contentieux, 6 février 1981, n° 14583, Société anonyme xxxxx N° Lexbase : A4625AKI) faisant état d'une substitution de motifs constituant des moyens nouveaux en cours de procédure devant le juge de l'impôt.

La jurisprudence du Conseil d'Etat pose le principe suivant lequel, lorsque l'administration, dans le cadre d'une procédure de redressement, entend retenir un autre motif que celui ayant assorti une première notification, elle doit en aviser le contribuable par une nouvelle notification et, ainsi, lui ouvrir, pour en discuter, un nouveau délai de réponse de trente jours (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité).

En d'autres termes, lorsque l'administration modifie les motifs de ses redressements, elle doit procéder à une nouvelle notification (CE contentieux, 28 novembre 1979, n° 12276, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1873AKL).

Cette jurisprudence est formellement admise par la doctrine administrative (BOI n° 13 L-9-78 ; DB 13 L-1414, 1er juillet 1989, n° 62) et s'est trouvée plusieurs fois confirmée et précisément rappelée par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, Mme Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0347A9Q), pour laquelle revêt un caractère irrégulier "un changement de motif figurant dans la réponse aux observations du contribuable".

Ce faisant, il peut être observé qu'il peut arriver, dans certaines situations, que l'administration ne permette pas au contribuable de produire ses observations sur ce nouveau motif de droit ou de fait lorsqu'il se trouve totalement distinct du premier, puisqu'il peut reposer sur des données de fait et de droit parfaitement étrangères à la première motivation. Il en résulte que la question se pose de savoir si le droit du contribuable à une procédure de redressement contradictoire, visé par l'article L. 57 du LPF, a été ou non réellement méconnu.

En procédant ainsi, en effet, le contribuable se demande toujours si l'administration ne l'a pas privé de la possibilité de saisir la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires sur des questions de faits essentielles et cherchera, tout naturellement, devant le juge de l'impôt à obtenir l'annulation de la procédure d'imposition pour méconnaissance de ces garanties substantielles et la décharge, par voie de conséquence, des impositions mises en recouvrement.

Cette question porte, non pas sur le point de savoir si la notification de redressements était suffisamment motivée, mais sur le point de savoir si l'administration était tenue, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, d'adresser une nouvelle notification, dès lors que, après l'émission de sa notification, mais avant l'établissement des impositions, elle entendait changer de manière déterminante sa motivation, non pas nécessairement en substituant aux motifs initiaux de nouveaux motifs fondés sur une base légale différente, mais en ajoutant, le cas échéant, aux motifs initiaux de nouveaux motifs fondés sur une base légale différente.

Car, dans ce dernier cas, comme dans celui de la substitution de motifs, à défaut d'une nouvelle notification de redressement, le contribuable n'a eu, en définitive, connaissance des motifs du redressement notifié qu'au stade de la réponse aux observations du contribuable sans avoir pu faire valoir ses observations.

L'administration, quant à elle, rejettera toute idée d'irrégularité en revendiquant simplement son droit à additionner, le cas échéant, les motifs la conduisant à rejeter la position du contribuable, sans pour autant avoir procédé à une substitution de motif, faisant observer qu'elle dispose du droit, à chaque étape de la procédure, de faire valoir de nouveaux motifs justifiant du bien-fondé de l'imposition.

Ainsi, pour la jurisprudence, le fait que, d'une manière générale au stade de la confirmation des redressements, l'administration, sans opérer de substitution de motifs, ajoute de nouveaux motifs, ne vicie pas, nécessairement, la procédure de redressement, dès lors que l'administration a effectivement la possibilité, à chaque étape de la procédure, de faire valoir des nouveaux motifs justifiant du bien-fondé de l'imposition.

Si ce dernier principe est vrai, il n'est, cependant, pas absolu. Il doit, en effet, se concilier avec les exigences du principe du "contradictoire" qui encadre la procédure de redressement.

Selon une jurisprudence constante, les juridictions administratives considèrent à juste titre que, par application du principe de légalité, "l'administration peut, à tout moment, opposer au contribuable les dispositions fiscales qui lui paraissent propres à justifier l'établissement de l'impôt" (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité).

Toutefois, la mise en oeuvre de ce principe est limitée par la nécessité de l'accommoder avec les exigences du contradictoire, surtout lorsqu'il est prévu par la loi.

Ainsi, afin de permettre le respect du caractère contradictoire de la procédure de redressement prévu par l'article L. 57 du LPF, l'administration ne peut pas, pour établir l'imposition, se fonder sur des motifs sur lesquels le contribuable n'a pu produire d'observations.

Tel est, notamment, le principe qui semble résulter de la jurisprudence administrative relative aux changements et substitutions de motifs dans le cadre de la procédure de redressement (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité ; CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, 2ème ch., Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité).

Il résulte, en effet, de la jurisprudence que, si l'administration n'a pas à procéder à une nouvelle notification de redressements, dès lors qu'elle ne modifie pas, avant l'établissement de l'impôt, les motifs notifiés du redressement et peut effectivement, par la suite, à tout moment de la procédure contentieuse, faire valoir tout moyen nouveau de nature à justifier l'imposition (CE contentieux, 6 février 1981, n° 14583, Société anonyme xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité), en revanche, lorsque, dans le cadre d'une procédure de redressement, elle entend retenir un motif autre que celui ayant assorti une première notification de redressement, elle doit en aviser le contribuable par une nouvelle notification et, ainsi, lui ouvrir un nouveau délai de réponse de trente jours (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité ; CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, 2ème ch., Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité).

Or, la solution adoptée aux cas de changements de motifs par substitution de motifs nouveaux aux motifs initiaux s'applique, nécessairement, au cas où l'administration, sans changer ses motifs initiaux, en ajoute de nouveaux fondés sur une base légale différente, même si le motif additionnel alimente une discussion plus générale sur un même point de droit, (voir dans le même sens, CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, 2ème ch., Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité).

Dans un tel contexte, le respect du caractère contradictoire de la procédure de redressement impose, en effet, à l'administration d'émettre une notification de redressements complémentaire ouvrant au contribuable un nouveau délai de trente jours pour présenter ses observations.

Il ne peut en aller différemment que lorsque les éléments additionnels fournis dans le cadre de la réponse aux observations du contribuable se situent dans le prolongement direct de la discussion sur les motifs et dispositions légales invoquées dans le cadre de la notification de redressement.

Cette position de principe, très formaliste en la matière, semblerait être remise en cause par une évolution assez récente de cours d'appel, qui pourrait bien laisser peser sur le sujet quelques incertitudes, qui devront être confirmées par la jurisprudence à venir.

L'infléchissement de deux cours administratives d'appel (CAA Lyon, 26 mai 1994, n° 92LY00556, Rebotton ; CAA Marseille, 4ème ch., 5 juillet 2004, n° 98MA00075, Mme Maria Helle N° Lexbase : A2434DDI) trouverait leur origine dans un arrêt du Conseil d'Etat (CE contentieux, 22 avril 1985, n° 45813, Ministre du Budget c/ SA "Héli-Union" N° Lexbase : A2961AMM), suivant lequel l'administration pourrait, sans avoir à procéder à une nouvelle notification de redressement, produire de nouveaux motifs pour assurer la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion.

Par cette position, la Haute cour avait accepté dans cette affaire la production par l'administration de nouveaux arguments à l'appui d'un motif de fait déjà mentionné.

En revanche, en ce qui concerne la cour administrative d'appel de Lyon, cette dernière, est semble-t-il allée un peu plus loin (CAA Lyon, 26 mai 1994, n° 92LY00556, précité) en considérant comme régulier un changement de fondement juridique.

Il convient de souligner que, dans une autre affaire, la même jurisprudence précisait que, lorsque l'administration changeait le motif d'un redressement, elle n'avait pas à procéder à une nouvelle notification si le redressement conservait le même fondement juridique (CAA Paris, 2ème ch., 30 décembre 1998, n° 96PA00921, SARL Socacoz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3129BIQ.

A contrario, dès lors que l'administration entend notifier le fondement juridique d'un redressement, n'est-elle pas tenue d'adresser au contribuable une nouvelle notification de redressements ?

Enfin, pour la cour administrative de Marseille (CAA Marseille, 4ème ch., 5 juillet 2004, n° 98MA00075, Mme Maria Helle, précité), il apparaît que, dans le cadre d'une taxation d'office (LPF, art. L. 76 N° Lexbase : L5568G4Y), l'administration qui entend, dans sa réponse aux observations du contribuable, fonder son redressement sur une base légale différente de celle ayant figuré dans la notification de redressements d'origine, ne se trouve pas dans l'obligation de procéder à une nouvelle notification de redressements, dans la mesure où sa réponse contient des indications de droit et de fait répondant suffisamment aux exigences de l'article L. 57 du LPF sur la procédure de rectification.

Il est à noter que le commissaire du Gouvernement, dans cette affaire, avait suggéré d'écarter sans autre considération le moyen tiré de l'irrégularité de procédure soulevé par le contribuable, au motif "qu'une notification de redressements effectué sur le fondement de l'article L. 76 du LPF n'avait pas pour objet de permettre au contribuable d'en discuter les motifs", en sorte que ce dernier ne pouvait en aucun cas se prévaloir d'un changement de base légal (voir en ce sens, CAA Paris, 3ème ch., 29 mars 1994, n° 93PA00397, Radio Free-Dom c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2733BI3).

C'est, donc, dans cet état de la jurisprudence, que se trouve, aujourd'hui, cernée la question du changement des motifs de droit ou de fait, intervenant au cours de la procédure de redressements, laquelle appelle l'administration à procéder à une nouvelle notification de redressement comportant ce nouveau motif de droit, afin de mettre le contribuable en mesure de le contester utilement, conformément aux dispositions de l'article L. 57 du LPF.

En ne procédant pas de la sorte ou en instaurant de subtile distinction suivant les cas d'espèce, ne risque-t-on pas de contrarier, quelque peu, le principe du contradictoire ?

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