La lettre juridique n°161 du 31 mars 2005

La lettre juridique - Édition n°161

Table des matières

La mer exonère, le bateau ramène aux portes de la TVA

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N2556AII

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par S. D.

Le 07 Octobre 2010


Au fil des marées, la mer est-elle un meuble ou un immeuble, telle était la question posée à la Cour de justice des communautés européennes dans un arrêt en date du 3 mars 2005. La réponse est d'importance. En effet, si la mer est un élément liquide déplaçable, l'activité d'amarrage ou d'hivernage de bateaux est soumise à la TVA. Dans l'hypothèse inverse, à savoir si la mer constitue un morceau de terre recouvert d'eau, la location habituelle d'emplacements de stationnement de bateaux s'analyse en une location d'immeuble exonérée aux termes de la 6ème directive-TVA. Si les différentes conceptions des Etats membres concernant la notion de meubles ou d'immeubles peuvent se confronter sur ce "terrain", le dernier mot revient toujours au juge communautaire, seul compétent lorsqu'il s'agit d'interpréter la directive-TVA. "Toutefois, en bon civiliste, ce dernier range la mer dans la catégorie des immeubles", non sans justifier cette définition, "nécessairement communautaire", des biens immeubles, en déterminant la location de ceux-ci comme "le droit donné par le propriétaire d'un immeuble au locataire, contre rémunération et pour une durée convenue d'occuper cet immeuble et d'exclure toute autre personne du bénéfice d'un tel droit". Mais, pour bénéficier de l'exonération, faut-il encore que le bateau ne constitue pas un véhicule. "La CJCE n'hésite pas" : tout moyen de transport de biens ou de personnes est un véhicule et le bateau n'échappe pas à cette définition... tout comme le redevable de la TVA ! Aussi, retrouvez, dans nos colonnes, toute l'analyse, sur ce sujet, de Yolande Sérandour, Professeur à la faculté de droit de Rennes et Directrice du master de droit fiscal des affaires, Centre de droit des affaires.

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Procédures fiscales

[Focus] La querelle des changements des motifs dans la procédure de redressement

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N2513AIW

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

Le 07 Octobre 2010

L'administration peut-elle se contenter d'opérer une adjonction de motifs de droit ou de fait dans sa réponse "aux observations du contribuable" sans être, absolument, tenue d'adresser à ce dernier une nouvelle notification de redressement, pour l'aviser des nouveaux motifs de droit ou de fait retenus ? A défaut, l'administration peut-elle, dans une telle situation, courir le risque de se voir reprocher d'avoir enfreint les dispositions de l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5567G4X), aux termes desquelles il est rappelé in fine que "lorsque l'administration rejette les observations du contribuable, sa réponse doit être, également, motivée" ? Le risque pour l'administration de voir la procédure d'imposition déclarée irrégulière par le juge de l'impôt n'est pas négligeable. Le contribuable peut, en effet, faire valoir que des moyens nouveaux dans la confirmation des redressements ont été introduits et considérer, à l'appui de ce texte, que l'administration n'a pas respecté les garanties attachées au débat contradictoire et a, ainsi, porté atteinte aux droits de la défense. Il peut, en outre, considérer que l'administration aurait dû l'aviser de ces nouveaux motifs par la voie d'une nouvelle notification de redressement et, ainsi, lui ouvrir un nouveau délai de réponse de trente jours lui permettant de saisir la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. La jurisprudence précise que l'administration doit se fonder sur les motifs mêmes qu'elle a indiqués dans la notification de redressement pour établir ses impositions (voir en ce sens CE contentieux, 2 juin 1986, n° 32520, Ministre du Budget c/ Solleau N° Lexbase : A3880AMN). La question se trouve, ainsi, soulevée de la validité au plan de la procédure de redressements de la substitution de motifs ou encore de l'addition de motifs conduisant l'administration à rejeter les observations du contribuable ayant fait l'objet d'une notification de redressement

Il doit être, au préalable, précisé que l'administration n'est pas tenue de procéder à une énumération exhaustive de tous les motifs susceptibles de fonder le chef de redressement, mais doit, seulement, mettre le contribuable en mesure d'engager une discussion contradictoire (voir en ce sens CE contentieux, 21 mai 1976, n° 94052, Sieur X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1516AXG ; CE, 3° et 8° s-s., R, 21 décembre 2001, n° 221006, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Labesque VI N° Lexbase : A9405AXM ; CE, 3° et 8° s-s., R, 29 janvier 2003, n° 205636, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'industrie c/ Société Socacoz N° Lexbase : A1794A7L).

Cette situation est à distinguer de celles visées dans d'autres arrêts du Conseil d'Etat (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx N° Lexbase : A3897AI8 ; CE contentieux, 6 février 1981, n° 14583, Société anonyme xxxxx N° Lexbase : A4625AKI) faisant état d'une substitution de motifs constituant des moyens nouveaux en cours de procédure devant le juge de l'impôt.

La jurisprudence du Conseil d'Etat pose le principe suivant lequel, lorsque l'administration, dans le cadre d'une procédure de redressement, entend retenir un autre motif que celui ayant assorti une première notification, elle doit en aviser le contribuable par une nouvelle notification et, ainsi, lui ouvrir, pour en discuter, un nouveau délai de réponse de trente jours (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité).

En d'autres termes, lorsque l'administration modifie les motifs de ses redressements, elle doit procéder à une nouvelle notification (CE contentieux, 28 novembre 1979, n° 12276, M. xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A1873AKL).

Cette jurisprudence est formellement admise par la doctrine administrative (BOI n° 13 L-9-78 ; DB 13 L-1414, 1er juillet 1989, n° 62) et s'est trouvée plusieurs fois confirmée et précisément rappelée par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, Mme Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0347A9Q), pour laquelle revêt un caractère irrégulier "un changement de motif figurant dans la réponse aux observations du contribuable".

Ce faisant, il peut être observé qu'il peut arriver, dans certaines situations, que l'administration ne permette pas au contribuable de produire ses observations sur ce nouveau motif de droit ou de fait lorsqu'il se trouve totalement distinct du premier, puisqu'il peut reposer sur des données de fait et de droit parfaitement étrangères à la première motivation. Il en résulte que la question se pose de savoir si le droit du contribuable à une procédure de redressement contradictoire, visé par l'article L. 57 du LPF, a été ou non réellement méconnu.

En procédant ainsi, en effet, le contribuable se demande toujours si l'administration ne l'a pas privé de la possibilité de saisir la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires sur des questions de faits essentielles et cherchera, tout naturellement, devant le juge de l'impôt à obtenir l'annulation de la procédure d'imposition pour méconnaissance de ces garanties substantielles et la décharge, par voie de conséquence, des impositions mises en recouvrement.

Cette question porte, non pas sur le point de savoir si la notification de redressements était suffisamment motivée, mais sur le point de savoir si l'administration était tenue, à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition, d'adresser une nouvelle notification, dès lors que, après l'émission de sa notification, mais avant l'établissement des impositions, elle entendait changer de manière déterminante sa motivation, non pas nécessairement en substituant aux motifs initiaux de nouveaux motifs fondés sur une base légale différente, mais en ajoutant, le cas échéant, aux motifs initiaux de nouveaux motifs fondés sur une base légale différente.

Car, dans ce dernier cas, comme dans celui de la substitution de motifs, à défaut d'une nouvelle notification de redressement, le contribuable n'a eu, en définitive, connaissance des motifs du redressement notifié qu'au stade de la réponse aux observations du contribuable sans avoir pu faire valoir ses observations.

L'administration, quant à elle, rejettera toute idée d'irrégularité en revendiquant simplement son droit à additionner, le cas échéant, les motifs la conduisant à rejeter la position du contribuable, sans pour autant avoir procédé à une substitution de motif, faisant observer qu'elle dispose du droit, à chaque étape de la procédure, de faire valoir de nouveaux motifs justifiant du bien-fondé de l'imposition.

Ainsi, pour la jurisprudence, le fait que, d'une manière générale au stade de la confirmation des redressements, l'administration, sans opérer de substitution de motifs, ajoute de nouveaux motifs, ne vicie pas, nécessairement, la procédure de redressement, dès lors que l'administration a effectivement la possibilité, à chaque étape de la procédure, de faire valoir des nouveaux motifs justifiant du bien-fondé de l'imposition.

Si ce dernier principe est vrai, il n'est, cependant, pas absolu. Il doit, en effet, se concilier avec les exigences du principe du "contradictoire" qui encadre la procédure de redressement.

Selon une jurisprudence constante, les juridictions administratives considèrent à juste titre que, par application du principe de légalité, "l'administration peut, à tout moment, opposer au contribuable les dispositions fiscales qui lui paraissent propres à justifier l'établissement de l'impôt" (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité).

Toutefois, la mise en oeuvre de ce principe est limitée par la nécessité de l'accommoder avec les exigences du contradictoire, surtout lorsqu'il est prévu par la loi.

Ainsi, afin de permettre le respect du caractère contradictoire de la procédure de redressement prévu par l'article L. 57 du LPF, l'administration ne peut pas, pour établir l'imposition, se fonder sur des motifs sur lesquels le contribuable n'a pu produire d'observations.

Tel est, notamment, le principe qui semble résulter de la jurisprudence administrative relative aux changements et substitutions de motifs dans le cadre de la procédure de redressement (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité ; CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, 2ème ch., Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité).

Il résulte, en effet, de la jurisprudence que, si l'administration n'a pas à procéder à une nouvelle notification de redressements, dès lors qu'elle ne modifie pas, avant l'établissement de l'impôt, les motifs notifiés du redressement et peut effectivement, par la suite, à tout moment de la procédure contentieuse, faire valoir tout moyen nouveau de nature à justifier l'imposition (CE contentieux, 6 février 1981, n° 14583, Société anonyme xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité), en revanche, lorsque, dans le cadre d'une procédure de redressement, elle entend retenir un motif autre que celui ayant assorti une première notification de redressement, elle doit en aviser le contribuable par une nouvelle notification et, ainsi, lui ouvrir un nouveau délai de réponse de trente jours (CE contentieux, 11 janvier 1978, n° 87894, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société xxxxx, précité ; CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, 2ème ch., Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité).

Or, la solution adoptée aux cas de changements de motifs par substitution de motifs nouveaux aux motifs initiaux s'applique, nécessairement, au cas où l'administration, sans changer ses motifs initiaux, en ajoute de nouveaux fondés sur une base légale différente, même si le motif additionnel alimente une discussion plus générale sur un même point de droit, (voir dans le même sens, CAA Paris, 28 mai 1991, n° 89PA02012, 2ème ch., Szenes c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, précité).

Dans un tel contexte, le respect du caractère contradictoire de la procédure de redressement impose, en effet, à l'administration d'émettre une notification de redressements complémentaire ouvrant au contribuable un nouveau délai de trente jours pour présenter ses observations.

Il ne peut en aller différemment que lorsque les éléments additionnels fournis dans le cadre de la réponse aux observations du contribuable se situent dans le prolongement direct de la discussion sur les motifs et dispositions légales invoquées dans le cadre de la notification de redressement.

Cette position de principe, très formaliste en la matière, semblerait être remise en cause par une évolution assez récente de cours d'appel, qui pourrait bien laisser peser sur le sujet quelques incertitudes, qui devront être confirmées par la jurisprudence à venir.

L'infléchissement de deux cours administratives d'appel (CAA Lyon, 26 mai 1994, n° 92LY00556, Rebotton ; CAA Marseille, 4ème ch., 5 juillet 2004, n° 98MA00075, Mme Maria Helle N° Lexbase : A2434DDI) trouverait leur origine dans un arrêt du Conseil d'Etat (CE contentieux, 22 avril 1985, n° 45813, Ministre du Budget c/ SA "Héli-Union" N° Lexbase : A2961AMM), suivant lequel l'administration pourrait, sans avoir à procéder à une nouvelle notification de redressement, produire de nouveaux motifs pour assurer la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion.

Par cette position, la Haute cour avait accepté dans cette affaire la production par l'administration de nouveaux arguments à l'appui d'un motif de fait déjà mentionné.

En revanche, en ce qui concerne la cour administrative d'appel de Lyon, cette dernière, est semble-t-il allée un peu plus loin (CAA Lyon, 26 mai 1994, n° 92LY00556, précité) en considérant comme régulier un changement de fondement juridique.

Il convient de souligner que, dans une autre affaire, la même jurisprudence précisait que, lorsque l'administration changeait le motif d'un redressement, elle n'avait pas à procéder à une nouvelle notification si le redressement conservait le même fondement juridique (CAA Paris, 2ème ch., 30 décembre 1998, n° 96PA00921, SARL Socacoz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A3129BIQ.

A contrario, dès lors que l'administration entend notifier le fondement juridique d'un redressement, n'est-elle pas tenue d'adresser au contribuable une nouvelle notification de redressements ?

Enfin, pour la cour administrative de Marseille (CAA Marseille, 4ème ch., 5 juillet 2004, n° 98MA00075, Mme Maria Helle, précité), il apparaît que, dans le cadre d'une taxation d'office (LPF, art. L. 76 N° Lexbase : L5568G4Y), l'administration qui entend, dans sa réponse aux observations du contribuable, fonder son redressement sur une base légale différente de celle ayant figuré dans la notification de redressements d'origine, ne se trouve pas dans l'obligation de procéder à une nouvelle notification de redressements, dans la mesure où sa réponse contient des indications de droit et de fait répondant suffisamment aux exigences de l'article L. 57 du LPF sur la procédure de rectification.

Il est à noter que le commissaire du Gouvernement, dans cette affaire, avait suggéré d'écarter sans autre considération le moyen tiré de l'irrégularité de procédure soulevé par le contribuable, au motif "qu'une notification de redressements effectué sur le fondement de l'article L. 76 du LPF n'avait pas pour objet de permettre au contribuable d'en discuter les motifs", en sorte que ce dernier ne pouvait en aucun cas se prévaloir d'un changement de base légal (voir en ce sens, CAA Paris, 3ème ch., 29 mars 1994, n° 93PA00397, Radio Free-Dom c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2733BI3).

C'est, donc, dans cet état de la jurisprudence, que se trouve, aujourd'hui, cernée la question du changement des motifs de droit ou de fait, intervenant au cours de la procédure de redressements, laquelle appelle l'administration à procéder à une nouvelle notification de redressement comportant ce nouveau motif de droit, afin de mettre le contribuable en mesure de le contester utilement, conformément aux dispositions de l'article L. 57 du LPF.

En ne procédant pas de la sorte ou en instaurant de subtile distinction suivant les cas d'espèce, ne risque-t-on pas de contrarier, quelque peu, le principe du contradictoire ?

newsid:72513

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] L'amarrage et l'hivernage des bateaux soumis au régime du stationnement des véhicules

Réf. : CJCE, 3 mars 2005, aff. C-428/02, Fonden Marselisborg Lystbådehavn c/ Skatteministeriet (N° Lexbase : A1775DH9)

Lecture: 10 min

N2342AIL

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

Offrir aux propriétaires de bateaux la possibilité, moyennant contrepartie, d'utiliser une partie délimitée d'un port ou d'un terrain constitue-t-il une activité immobilière soumise à la TVA ? A cette question, la CJCE apporte une réponse positive. En effet, le 3 mars 2005, le juge communautaire a dit pour droit que :

"1) L'article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (N° Lexbase : L9279AU9), doit être interprété en ce sens que la notion de location de biens immeubles englobe la location d'emplacements prévus pour l'amarrage de bateaux sur l'eau, ainsi que d'emplacements pour l'entreposage de ces bateaux à terre dans l'aire portuaire.

2) L'article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 92/111, doit être interprété en ce sens que la notion de "véhicules" englobe les bateaux".

Fonden Marselisborg Lystbådehavn (FML) est une fondation danoise qui entretient et gère un port de plaisance. Dans le cadre de cette activité, elle loue des emplacements sur l'eau pour bateaux et des places à terre pour l'hivernage de ces mêmes bateaux. L'administration fiscale danoise entendait soumettre à la TVA toutes les locations de FML. Cette dernière opposait l'exonération de la location de biens immeubles prévue par l'article 13 B, b de la 6ème directive-TVA, tout en ignorant la taxation du stationnement des véhicules découlant du paragraphe 2 de ce texte. Le premier juge danois saisi a considéré que l'amarrage ne constituait pas une location immobilière et que les bateaux n'étaient pas des véhicules. En conséquence, la location d'emplacements sur l'eau relevait de la TVA, mais l'hivernage y échappait. Le second juge danois a préféré solliciter la cour de Luxembourg dans les termes suivants : "1) L'article 13, B, sous b), de la sixième directive-TVA [...] doit-il être interprété en ce sens que la notion de "location de biens immeubles" comporte la location d'un emplacement pour bateaux, qui consiste en une partie à terre de l'aire portuaire, ainsi qu'un emplacement délimité et identifiable sur l'eau ? 2) L'article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que la notion de "véhicules" couvre les bateaux ?".

En bon civiliste, le juge communautaire range la mer dans la catégorie des immeubles et les bateaux dans celle des véhicules.

1. La mer est un immeuble

L'article 2, § 1, de la 6ème directive-TVA soumet à cet impôt les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. Il en résulte que la location habituelle d'emplacements de stationnement pour bateaux est taxable, sauf à considérer que la mise à disposition d'une fraction d'un port s'analyse en une location d'immeuble visée par l'exonération prévue par l'article 13 B, b de la directive précitée.

En France, la nature mobilière ou immobilière d'un bien dépend essentiellement de la question de savoir si la chose peut se déplacer ou être déplacée. Aux termes de l'article 518 du Code civil (N° Lexbase : L3092AB7), le sol et tout ce qui en dépend appartiennent à la catégorie des immeubles. A l'évidence, la mer, un port de plaisance et ses aménagements sont fixes. L'administration fiscale danoise et la première juridiction saisie paraissent avoir réduit la notion d'immeuble au bâtiment érigé sur un fonds de terre. Sans doute ont-elles été troublées par l'élément liquide de l'affaire. S'il est exact que l'eau recouvrant le terrain servant de support à un bassin portuaire peut être déplacée, il n'en demeure pas moins que des bateaux ne peuvent flotter et, partant, stationner dans un port sans eau. En sorte que le sol et l'eau nécessaires à l'existence d'un port ne font qu'un. De plus, la terre étant immeuble par nature, le fait qu'il soit recouvert d'eau ne le renvoie pas à la catégorie des meubles.

Cette analyse ne s'imposait pas à la CJCE. L'interprétation du droit communautaire relève exclusivement de la compétence du juge communautaire . Il lui appartient de dire le sens des termes et notions utilisés par le droit communautaire. Ce serait nier l'existence du droit commun voulu par tous les Etats membres que de permettre à chacun d'eux d'interpréter le droit communautaire par référence à ses propres classifications et définitions. Marché unique et interprétation distincte du droit le régissant apparaissent contradictoires. Surtout, dans la mesure où la directive du 17 mai 1977 s'intitule "6ème directive en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme", les mêmes situations de fait doivent recevoir la même qualification et relever du même régime.

A juste titre, le point 28 de l'arrêt "Harbs" (CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-321/02, Finanzamt Rendsburg c/ Detlev Harbs N° Lexbase : A0927DDP), en date du 15 juillet 2004, souligne qu'"il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire, qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des Etats membres pour déterminer son sens et sa portée, doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause" (voir, notamment, CJCE, 18 janvier 1984, aff. C-327/82, Ekro BV Vee- en Vleeshandel c/ Produktschap voor Vee en Vlees, point 11 N° Lexbase : A8684AU8 ; CJCE, 19 septembre 2000, aff. C-287/98, Grand-Duché de Luxembourg c/ Berthe Linster, Aloyse Linster et Yvonne Linster, point 43 N° Lexbase : A1857AWP ; CJCE, 9 novembre 2000, aff. C-357/98, The Queen c/ Secretary of State for the Home Department, ex parte Nana Yaa Konadu Yiadom, point 26 N° Lexbase : A0294AWS ; CJCE, 27 février 2003, aff. C-373/00, Adolf Truley GmbH c/ Bestattung Wien GmbH, point 35 N° Lexbase : A3332A7K ; CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-497/01, Zita Mode s Sàrl c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, point 34 N° Lexbase : A2992DA3). L'arrêt "Temco" (CJCE, 18 novembre 2004, aff. C-284/03, Etat belge c/ Temco Europe SA N° Lexbase : A9123DDA), en date du 18 novembre 2004, rappelle, en son point 16, que "selon une jurisprudence constante, les exonérations prévues à l'article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit communautaire et doivent, dès lors, recevoir une définition communautaire" (voir CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-358/97, Commission des Communautés européennes c/ Irlande, point 51 [lXB=A1931AWG] ; CJCE, 16 janvier 2003, aff. C-315/00, Rudolf Maierhofer c/ Finanzamt Augsburg-Land, point 25 N° Lexbase : A7026A4Y ; CJCE, 12 juin 2003, aff. C-275/01, Sinclair Collis Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, point 22 N° Lexbase : A7807C8N).

La CJCE réitère cette position au point 27 de l'arrêt FML, pour justifier la définition nécessairement communautaire de la location de biens immeubles. En l'espèce, le juge communautaire procède, à nouveau, par rappel en affirmant que "dans de nombreux arrêts, la cour a défini la location de biens immeubles, au sens de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive, comme le droit donné par le propriétaire d'un immeuble au locataire, contre rémunération et pour une durée convenue, d'occuper cet immeuble et d'exclure toute autre personne du bénéfice d'un tel droit" (voir, en ce sens, CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-358/97, Commission des Communautés européennes c/ Irlande, précité, points 52 à 57 ; CJCE, 9 octobre 2001, aff. C-409/98, Commissioners of Customs & Excise c/ Mirror Group plc., point 31 N° Lexbase : A4484AWY ; CJCE, 4 octobre 2001, aff. C-326/99, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën, point 55 et CJCE, 18 novembre 2004, aff. C-284/03, Etat belge c/ Temco Europe SA, précité, point 19) (adde, CJCE, 8 mai 2003, aff. C-269/00, Wolfgang Seeling c/ Finanzamt Starnberg, § 49 N° Lexbase : A9186B4Y, Yolande Sérandour, obs., L'année fiscale 2004, p. 227 ; CJCE, 12 juin 2003, aff. C-275/01, Sinclair Collis Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 25 N° Lexbase : A7807C8N, Yolande Sérandour, obs., L'année fiscale 2004, p. 229).

Il ne restait plus qu'à constater que FML, propriétaire de terrains aménagés, octroyait, soit pour l'hivernage de bateaux, soit pour l'amarrage, le droit exclusif d'occuper un espace délimité, pour une durée limitée et moyennant une rémunération certaine. L'exploitation habituelle d'un ensemble de moyens en vue d'en retirer des recettes à caractère de permanence plaçait l'exploitant dans le champ d'application de la TVA. Cependant, dans la mesure où l'article 13 B, b de la 6ème directive-TVA exonère la location immobilière, il convenait de se demander si le paragraphe 2 de ce texte excluant l'exonération des locations d'emplacements pour le stationnement des véhicules s'appliquait. La CJCE n'hésite pas : le bateau est un véhicule.

2. Le bateau est un véhicule

Selon FML, ces opérations d'amarrage et d'hivernage de bateaux appartenaient à la catégorie des locations de biens immeubles exonérées de TVA, et non à celle des locations d'emplacements pour le stationnement des véhicules effectivement taxables. Au soutien de cette affirmation, elle avançait une prétendue différence de sens entre l'article 13 B, b § 2 utilisant le terme "véhicules" et les articles 28 bis § 2 a et 28 quindecies § 4 b employant l'expression "moyens de transport". Cette dernière désignant tous les engins de transport de personnes, il faudrait réserver le mot "véhicules" aux seuls engins de transport terrestre de personnes.

Vehiculum, de vehere signifie, notamment, transporter. Le terme véhicule désigne, alors, tout moyen de transporter des biens ou des personnes. Il reste à vérifier si ce sens communément admis par les linguistes et les citoyens rencontre l'assentiment du juge. Le tribunal des conflits considère comme des véhicules un bulldozer (TC, 2 juillet 1962, Rec. CE, p. 825), un chasse-neige (TC, 20 novembre 1961, voir A. de Laubadère, note sous l'arrêt, AJDA 1962, n° 100, p. 230), un mécanisme d'arrosage, dont est muni un engin de nettoiement (TC, 11 mai 1964), une pelleteuse mécanique (TC, 16 novembre 1964, J. Moreau, note sous l'arrêt, AJDA, 1965, n° 77, p. 276 ; TC, 2 décembre 1968, F. Dufau, note sous l'arrêt, JCP 1969.11.15908). Le juge judiciaire adopte, également, une définition extensive de la notion de véhicules en y assimilant une pelleteuse mécanique (Cass. civ., 1ère, 8 juillet 1968), une cabine de télé-benne (CA Chambéry, 24 mars 1981), un engin de remontée mécanique (CA Pau, 21 novembre 1980), une benne de camion-benne (Cass. civ., 2ème, 24 juin 1998, n° 96-17.678, Commune de Gamaches c/ Mme Gife et autres N° Lexbase : A5125ACS) et une tondeuse à gazon auto-portée (Cass. civ. 2, 24 juin 2004, n° 02-20.208, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8044DCW).

Manifestement, pour le tribunal des conflits et le juge judiciaire, le seul fait qu'un engin permette de transporter d'un point à un autre une personne caractérise un moyen de transport ou un véhicule. Peu importe que l'engin soit ou non spécialement conçu pour transporter des personnes. A propos des véhicules dédiés au transport de personnes et exclus en France du droit à déduction de la TVA , le juge administratif et/ou l'administration fiscale considèrent que ce texte ne vise pas, quoiqu'ils constituent des véhicules, les engins qui ont, en raison des caractéristiques de leur conception, une autre fonction que celle d'assurer le transport de personnes. Ainsi en va-t-il de la montgolfière publicitaire (CE Contentieux, 21 décembre 1994, n° 135211, Ministre du Budget c/ Société anonyme Soger N° Lexbase : A4220AS4), du voilier de compétition (CE Contentieux, 21 décembre 1994, n° 134131, Ministre délégué au Budget c/ SARL Coursocéan et autres N° Lexbase : A4212ASS), du quad présentant les caractéristiques techniques propres aux véhicules agricoles (instruction du 30 mai 2000, BOI n° 3 D-1-00 N° Lexbase : X7878AAZ) et du triporteur ou du 4 x 4 pick-up conçu pour le transport de marchandises (QE n° 00750 de M. Jean-Louis Masson, JOSEQ 18 juillet 2002, p. 1600, min. Eco., réponse publ. 19 septembre 2002, p. 2087, 12ème législature N° Lexbase : L1054G8K).

Pour les raisons déjà indiquées à propos de la notion de location de biens immeubles, la CJCE a compétence exclusive pour dire le sens communautaire du terme "véhicules" employé par l'article 13 B, b § 2 de la 6ème directive-TVA. Nous avons, toutefois, constaté que la définition retenue ne se distinguait pas de celle adoptée en droit français. Il en va de même de la notion de véhicules.

La CJCE aboutit à ce résultat en suivant une méthode d'interprétation connue des juristes français. En effet, elle s'inspire de l'esprit du texte et de sa finalité en se référant à ses précédentes décisions (CJCE, 27 mars 1990, aff. C-372/88, Milk Marketing Board of England and Wales c/ Cricket St. Thomas Estate, § 19 N° Lexbase : A8668AUL ; CJCE, 14 septembre 2000, C-384/98, D. c/ W., § 16 N° Lexbase : A2011AIC). La 6ème directive-TVA soumet à cet impôt toute consommation de biens ou de services sur le territoire de l'Union européenne. Seule une exonération expresse permet d'y échapper. Comme toute exception, l'exonération doit recevoir une interprétation stricte et la dérogation à l'exception ne doit pas se traduire par une extension de l'exception, cela, dans la mesure où l'exclusion de l'exception ne vise qu'à l'application de la règle générale. En excluant de l'exonération applicable aux locations immobilières la location d'emplacement pour stationnement des véhicules, la 6ème directive revient au principe d'imposition de toutes les activités indépendantes habituelles. Ne pas assimiler un bateau à un véhicule reviendrait à étendre le champ d'application de l'exonération des locations immobilières malgré la limitation voulue par le législateur communautaire (§ 43). De plus, distinguer selon que le moyen de transport est un véhicule automobile ou maritime reviendrait à distinguer là où le texte ne distingue pas. Enfin, le champ d'application d'une exonération dépend de ses motifs. Or, en matière immobilière, l'exonération s'explique par la volonté d'éviter une augmentation des loyers. Ce motif d'ordre social faisant défaut en matière de stationnement de véhicules, la 6ème directive s'en tient à la règle générale d'imposition. A fortiori, cette absence de motivation sociale justifie la non exonération de la location d'emplacements pour l'amarrage et l'hivernage des bateaux (§ 45).

La CJCE aurait pu écarter l'argumentation de FML en lui objectant que les articles 28 bis et suivants de la 6ème directive concernent les échanges entre les Etats membres, et non les exonérations à l'intérieur du pays soumises à l'article 13, dont FML réclamait le bénéfice. A l'évidence, la différence d'objet des textes invoqués interdisait d'en confondre le contenu.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans

Réf. : Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, M. Patrick Monange, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2741DHY)

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N2499AIE

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Le Code du travail s'est contenté de reprendre à son compte la règle de la prescription quinquennale des salaires de l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L5385G7L). Dès lors, il appartient au juge de déterminer le champ d'application de cette courte prescription et d'appliquer, dans les autres hypothèses, la prescription adéquate. Dans cet arrêt en date du 15 mars 2005 et promis à la plus large publicité, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide de faire application de la prescription trentenaire à l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale. Si la mise à l'écart, dans cette affaire, de la prescription quinquennale ne prête guère à discussion (1), l'application de la prescription trentenaire est plus que discutable (2).
Décision

Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, M. Patrick Monange, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2741DHY)

Rejet (cour d'appel de Versailles, 11e Chambre sociale, 3 avril 2002)

Textes concernés : article L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC) ; article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY)

Mots-clefs : discrimination syndicale ; action en réparation ; prescription.

Liens bases : ;

Faits

1. M. Monange a été embauché cadre position 1, en 1974, par la société Renault ; il est passé position II en 1976 puis, de janvier 1984 jusqu'en 1991, a été placé coefficient 565 ; depuis 1978, il est titulaire de divers mandats de représentation et exerce à plein temps les fonctions attachées à ses mandats.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes en paiement d'heures supplémentaires et de dommages-intérêts pour non-respect d'un accord du 12 juillet 1984 et pour discrimination syndicale.

Par un premier arrêt mixte du 20 décembre 2000, la cour d'appel de Versailles a débouté le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et congés payés y afférents et a sursis à statuer sur les autres demandes en ordonnant une enquête.

Par arrêt du 3 avril 2002, la cour d'appel a ordonné le repositionnement du salarié au niveau III B au 31 décembre 2000 et condamné la société Renault à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC).

Problème juridique

Quel est le délai de prescription applicable à l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale ?

Solution

1. "Malgré une référence surabondante à un précédent arrêt ordonnant une mesure d'instruction, la cour d'appel, qui a constaté que le salarié n'avait reçu aucune convocation de 1984 à 1997 à un entretien de gestion de l'évolution de sa carrière, a exactement énoncé que l'employeur avait l'obligation de prendre l'initiative d'appliquer l'accord du 12 juillet 1984, ce qu'il n'avait pas fait ; [...] répondant aux conclusions en les écartant et se livrant aux recherches prétendument omises, elle a pu décider que l'intéressé avait fait l'objet d'une discrimination prohibée par l'article L. 412-2 du Code du travail".

2. "L'action en réparation du préjudice résultant d'une telle discrimination, se prescrit par trente ans".

3. Rejet

Commentaire

1. Le rejet logique de la prescription quinquennale

  • Le champ d'application de la prescription quinquennale

L'article L. 143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4) dispose que "l'action en paiement du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2277 du Code civil". Ce renvoi permet d'englober dans la prescription quinquennale non seulement l'action en paiement du salaire proprement dit, mais également "tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts".

Le champ d'application de cette courte prescription dépend donc directement de la qualification de la créance du salarié. Sont logiquement exclus de cette qualification les remboursements de frais qui viennent compenser une perte, et non un manque à gagner, comme des indemnités kilométriques (Cass. soc., 29 mai 1991, n° 88-42.736, M. Boissière c/ M. Lemaire, publié N° Lexbase : A4454ABL).

Mais, on peut s'interroger sur l'application de cette prescription s'agissant des créances de responsabilité du salarié contre son employeur.

  • L'application en l'espèce

Dans cette affaire, le litige portait sur une discrimination dont un représentant du personnel estimait avoir été victime dans le déroulement de sa carrière. L'entreprise, en l'occurrence Renault, prétendait que "lorsque la demande de dommages et intérêts fondée sur l'article L. 412-2, alinéa 4, du Code du travail répare pour partie la perte de salaires résultant de la discrimination, elle est soumise de ce chef à la prescription quinquennale de l'article L. 143-14 du même Code".

La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de répondre à cette question, mais jamais dans un arrêt publié. Dans des décisions plus anciennes, la Haute juridiction avait, en effet, affirmé que la prescription quinquennale de l'article L. 143-14 du Code du travail ne pouvait s'appliquer dans la mesure où "la demande de dommages-intérêts fondée sur l'article L. 412-2, alinéa 4 du Code du travail n'a pas pour seul objet de réparer la perte de salaire résultant de la discrimination mais d'indemniser l'ensemble du préjudice subi par le salarié du fait de cette discrimination" (Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-43.472, Société Renault véhicules industriels c/ Mme Micheline Bujard, inédit N° Lexbase : A9860ATD ; dans le même sens, Cass. soc., 30 janvier 2002, n° 00-45.266, Société Peugeot Citroën automobiles (PCA) c/ M. Jean-Claude Travel, F-D N° Lexbase : A8781AXI).

C'est donc cette solution qui se trouve ici confirmée, dans une décision promise à la plus large des publicités (P+B+R+I).

  • Un rejet justifié

A s'en tenir à une lecture stricte de l'article L. 143-14 du Code du travail (N° Lexbase : L5268AC4), cette analyse ne peut que se justifier. La prescription quinquennale ne concerne, en effet, que l'action ayant pour objet le paiement du salaire. Or, l'action du salarié visait ici non pas à obtenir le paiement forcé de cette obligation de faire, mais la réparation du préjudice consécutif à une discrimination, préjudice dont le montant sera certes calculé par référence aux salaires perdus au fil des années, mais également en tenant compte du préjudice moral subi par le salarié.

C'est d'ailleurs parce que l'objet de l'action vise à obtenir la réparation d'un préjudice subi et non une somme due en exécution du contrat de travail que la jurisprudence refuse de faire application de la prescription quinquennale à l'action tendant au paiement de l'indemnité de licenciement qui compense le préjudice causé par la perte de l'emploi, ou d'une allocation de fin de carrière qui a la même nature indemnitaire (Cass. soc., 4 mars 1992, n° 88-45.753, Société Sergent Guy c/ M. Boulay, publié N° Lexbase : A9363AAZ).

  • Un rejet paradoxal

Nous ne trouverions rien à redire à cette analyse, si la Cour de cassation elle-même s'en tenait à une application stricte de cette courte prescription. Or, on constate, depuis quelques années déjà, une très nette propension à en faire une application extensive.

Ainsi, la prescription quinquennale s'applique également à l'action tendant à la restitution de salaires indûment versés, ce qui est, comme nous avions eu l'occasion de le souligner, proprement aberrant compte tenu de la différence d'objet de la demande et de la contrariété ainsi introduite avec la jurisprudence des autres chambres de la Cour de cassation (Cass. soc., 23 juin 2004, n° 02-41.877, Caisse de mutualité sociale agricole (CMSA) du Tarn et Garonne, F-P+B N° Lexbase : A8072DCX).

Mais, il faut dire que dans la précédente affaire, l'application de la prescription protège le salarié contre l'action en répétition engagée par l'employeur, alors que dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt commenté, l'application de cette même prescription aurait fait les affaires de l'employeur alors qu'il s'agissait précisément de le sanctionner en raison de son comportement discriminatoire. De tels arguments de politique juridique peuvent donc expliquer que des libertés soient prises avec le texte, même si nous persistons à penser que ces contradictions devraient cesser.

2. L'application problématique de la prescription trentenaire

  • L'application naturelle de la prescription décennale

Une fois écartée l'application de la prescription quinquennale, restait à déterminer quelle devait être la prescription applicable : prescription trentenaire de droit commun (C. civ., art. 2262 N° Lexbase : L2548ABY) où prescription décennale de la responsabilité civile extracontractuelle (C. civ., art. 2270-1 N° Lexbase : L2557ABC) ?

Dans la mesure où la discrimination syndicale constitue un délit, la prescription décennale semblait a priori applicable. Ce n'est pourtant pas la solution qui résulte de cet arrêt, puisque la Cour de cassation fait ici application de la prescription trentenaire de droit commun et rattache donc la violation du principe de non-discrimination syndicale au domaine de la responsabilité contractuelle.

A en croire la Cour, la discrimination serait donc une modalité fautive d'exécution du contrat de travail.

  • L'application contestable de la prescription trentenaire

Cette conception très extensive du rattachement au contrat de travail est en soi très artificielle car elle équivaut à ramener l'ensemble de la relation individuelle de travail au contrat de travail, alors que l'on sait bien que le contrat de travail constitue à la fois un instrument d'individualisation de la relation salariale et un mode d'accès au statut de salarié.

Or, ce statut est composé de dispositions conventionnelles mais aussi légales, et on ne voit pas pourquoi toutes les règles du statut devraient être qualifiées de contractuelles alors qu'elles n'ont pas grand-chose à voir avec la volonté des parties, d'autant plus lorsque l'on se situe dans le champ de l'ordre public absolu, ce qui est incontestablement le cas des règles protectrices des institutions représentatives du personnel, comme l'a d'ailleurs rappelé la Cour de cassation elle-même en reconnaissant le caractère de nullité absolue à la transaction conclue par un salarié protégé avant la notification de son licenciement (Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.293, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2742DHZ, lire Gilles Auzero, Licenciement d'un salarié protégé et conclusion d'une transaction : de l'importance de la chronologie des faits et du respect de la procédure spéciale de licenciement, Lexbase Hebdo n° 160 du 24 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2208AIM).

C'est, en réalité, qu'il ne faut pas rechercher dans cette analyse autre chose que la volonté d'utiliser la technique contractuelle pour renforcer les droits des salariés. Cette utilisation téléologique de l'analyse contractuelle, très sensible dans l'évolution de la jurisprudence en matière de modification du contrat de travail, est également patente lorsqu'il s'agit de rattacher à l'exécution du contrat de travail des créances afin de les faire garantir par l'AGS.

Cet arrêt en constitue une nouvelle illustration. L'application de la prescription trentenaire est ici destinée, avant tout, à sanctionner sur une plus longue durée les entreprises qui bloquent volontairement la carrière des représentants du personnel. C'est donc pour renforcer l'efficacité de la sanction de telles discriminations que la Cour de cassation a ici choisi la prescription la plus longue, et non véritablement une analyse rigoureuse de la nature de la responsabilité civile dont il s'agit.

Certes, au regard des impératifs de la lutte contre les discriminations, cette recherche d'une meilleure efficacité est sans doute louable. Mais la fin justifie-t-elle les moyens ? A force de tordre les techniques juridiques, la Cour de cassation ne risque-t-elle pas de voir ces mêmes techniques se retourner un jour contre les salariés, lorsque le vent aura tourné ?

Comment alors reprocher à d'autres les libertés prises aujourd'hui avec l'orthodoxie juridique ? Comme cela a été démontré avec talent par Gérard Couturier (Les techniques civilistes et le droit du travail - Chronique d'humeur à partir de quelques idées reçues, D. 1975, chron. p. 151 s.) et Gérard Lyon-Caen (Le droit du travail, une technique réversible, Dalloz - Connaissance du droit, 1995), les techniques juridiques sont réversibles... attention à l'effet boomerang !

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Droit financier

[Textes] Aspects boursiers du décret du 10 février 2005 relatif aux valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales

Réf. : Décret n° 2005-112, 10 février 2005, modifiant le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales et relatif aux valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales (N° Lexbase : L5238G77)

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N2482AIR

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Le 07 Octobre 2010

La parution du décret relatif aux valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales, le 10 février dernier, semble devoir sceller la réforme entreprise l'année précédente, dans laquelle d'aucuns avaient vu une révolution en droit des sociétés. On se souvient, plus particulièrement, que, par l'ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale N° Lexbase : L5052DZ7), une nouvelle notion avait été introduite : celle "d'action de préférence", expression attrayante pour désigner un mode de financement, notamment, si on en réfère aux abréviations attachées aux anciens titres assortis de droit de priorité, tels les ADPSV, les OBSA, entre autres sigles rébarbatifs.
A terme, l'unité va succéder à l'hétérogénéité en matière de valeurs mobilières, du moins quant au régime légal, sachant qu'il n'y aura plus que deux solutions : émettre des actions ordinaires et/ou de préférence. Le choix de ce dernier terme ne traduit pas, cependant, la volonté du législateur d'agrémenter le langage juridique mais, plus prosaïquement, de renvoyer à la notion de preferred share qui a cours aux Etats-Unis d'Amérique ainsi qu'Outre Manche. C'est ainsi un signal particulièrement net qui est adressé aux investisseurs internationaux, en même temps que la réalisation d'un assouplissement considérable de l'encadrement normatif des valeurs mobilières.

Il demeure que, pour être finalisée, cette réforme était suspendue à l'édiction d'un texte d'application qui, par ailleurs, devait préciser de nombreux points relatifs aux augmentations de capital. C'est chose faite par le décret du 10 février 2005. Ce dernier emporte des dispositions sur le fonctionnement interne des sociétés qui ont déjà été commentées par la plupart des spécialistes (1), mais surtout des aspects purement boursiers qui sont, à la fois, relatifs au calcul du prix, à l'information (I), et aux délais applicables aux différentes opérations (II).

I. Prix et information en cas d'émission des valeurs mobilières

Les aspects relatifs au prix concernent, plus particulièrement, les émissions, conversions et rachat d'actions de préférence (A) et de valeurs mobilières donnant accès au capital (B).

A. Les émissions, conversions et rachat d'actions de préférence

Emission

Le problème relatif aux émissions d'actions de préférences s'avère, essentiellement, être celui de la détermination de leur prix, sachant que la nature et l'étendue des préférences susceptibles d'être consenties ont été laissées à la discrétion des praticiens, ce qui compliquera certainement, du moins pendant un certain temps, la communication financière. C'est pourquoi le législateur a entouré ces émissions de nombreuses garanties. Certaines sont relatives à l'information (article 16 du nouveau texte qui insère des articles 206-1 à 206-7 dans l'ancien décret du 23 mars 1967, n° 67-236, sur les sociétés commerciales N° Lexbase : L0729AYN) et prévoient, notamment, les conditions de réunion et de communication du projet aux assemblées, y compris à l'assemblée spéciale des titulaires d'actions de préférence. Quant au contenu de ces informations, elles portent essentiellement sur le prix.

L'article 206-2 du nouveau décret établit, en outre, que le rapport du conseil d'administration et/ou du directoire indique les caractéristiques des actions de préférence et précise l'incidence de l'opération sur la situation des titulaires de titres de capital. Le commissaire aux comptes, lui, "donne son avis" sur l'opération envisagée.

Conversion

C'est le même type de disposition que prévoit l'article 206-3 nouveau du décret, qui porte sur les modalités du calcul d'une éventuelle conversion prévue aux nouveaux articles L. 228-12 (N° Lexbase : L8369GQZ) et L. 228-14 (N° Lexbase : L8371GQ4) du Code de commerce (2), ainsi que les modalités de réalisation de l'opération.

Le décret renvoie, notamment, comme en matière d'émission, au rapport fait par le conseil d'administration ou le directoire à l'assemblée générale extraordinaire (incidence sur la situation des titulaires des titres de capital et de valeurs mobilières). Cette information se double, également, de celle du commissaire aux comptes qui "donne son avis", comme en matière d'émission, à la différence notable qu'au surplus, ce dernier "indique si les modalités de calcul du rapport de conversion sont exactes et sincères". On peut ainsi augurer d'un degré satisfaisant de sécurité pour les actionnaires, d'autant que le législateur a, également, par symétrie, réglé la délicate question de la conversion d'actions de préférence en actions aboutissant à une réduction de capital non motivée par des pertes.

En effet, le décret du 23 mars 1967, applicable jusqu'alors, prévoyait que, dans l'hypothèse d'une telle réduction, les créanciers disposaient d'un délai de 20 jours pour faire opposition, et ce, à compter du procès verbal de délibération de l'assemblée générale qui avait décidé ou autorisé la réduction. Le nouveau décret, dans son article 15, compte tenu de la spécificité des actions de préférence, "rétablit un article 206" dans l'ancien texte. Il dispose, désormais, qu'à la suite de la demande des créanciers, une décision de justice rejette l'opposition -auquel cas l'opération peut immédiatement commencer- ou ordonne, au choix, soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties. Si le juge de première instance accueille l'opposition, la procédure de conversion est interrompue jusqu'à la constitution de garanties suffisantes ou jusqu'au remboursement des créances.

Le rachat

Reste, enfin, la question du rachat réglée par le même article 16 du décret du 10 février 2005. Ce dernier régit, toutefois, une situation plus complexe en matière de prix, puisqu'il vise conjointement les nouveaux articles L. 228-12 (émission, conversion et rachat des actions de préférence) et L. 228-20 (rachat des actions de préférence sur un marché réglementé N° Lexbase : L8377GQC). Comme pour la conversion, le décret prévoit une double information ; celle des organes internes (Conseil d'administration et directoire) et des organes externes (commissaires aux comptes), ces derniers étant, par un mécanisme similaire à celui de la conversion, contraints, au surplus, d'indiquer si les modalités de calcul sont exactes et sincères.

Il est, toutefois, une hypothèse dans laquelle la certification de la sincérité des modes de calcul devrait, à notre sens, être inutile : lorsque, faute de liquidité, le marché des actions de préférence présente des caractéristiques qui rendent l'établissement du prix pratiquement impossible. En effet, l'article L. 228-20 du Code de commerce dispose que, lorsque les actions de préférence "sont inscrites aux négociations sur un marché réglementé, elles peuvent être rachetées ou remboursées, sur l'initiative de la société ou du porteur, si le marché n'est pas liquide, dans les conditions prévues par les statuts". Il semble, qu'en l'espèce, l'intervention du commissaire aux comptes ne sera que de pure forme, sauf si la détermination du prix de marché du rachat des actions de préférence s'avérait impossible en raison de l'absence de liquidité et du silence des statuts.

B. Valeurs mobilières donnant accès au capital

L'unification du régime

Le régime des valeurs mobilières donnant accès au capital a été simplifié, aux termes de l'ordonnance du 24 juin 2004 qui a unifié un ensemble de règles, auparavant marquées par l'hétérogénéité, sinon par l'illogisme. En effet, le Code de commerce définissait à l'origine un régime spécifique pour chaque type de valeur mobilière donnant droit à l'attribution de titres représentant une quotité du capital. Ainsi, les obligations avec bons de souscription d'actions, les obligations convertibles en actions, les obligations échangeables contre des actions, les bons de souscriptions d'actions, par exemple, faisaient l'objet d'un traitement juridique différent, le tout sous couvert d'une codification confuse qui, selon les termes de certains auteurs, réservait au lecteur avisé "quelques surprises" (3). La formule laisse augurer du degré de complexité atteint par les textes.

Tranchant, désormais, avec cette complexité, l'ordonnance a considérablement simplifié les anciennes distinctions en créant une catégorie unique. Cette catégorie des "valeurs mobilières donnant accès au capital" est destinée à accueillir l'ensemble des titres préexistants et va permettre, de surcroît, la création de nouveaux mécanismes de financement dont l'émission sera facilitée (C. com., art. L. 228-91 [LXB=L8336GQS ]). Pour ce faire, nombre d'assouplissements ont été consentis par les textes, qui emportent suppression de certains délais, ainsi que l'autorisation pour une mère d'émettre des valeurs mobilières pouvant donner accès à des titres de capital de sa filiale (C. com., art. L. 228-93 N° Lexbase : L8338GQU).

La détermination du prix en cas de rachat d'actions

Il revenait, toutefois, au pouvoir réglementaire de prendre les mesures d'application de ces dispositions, et plus particulièrement, de déterminer les modalités du calcul du prix lorsque la société procède au rachat de ses actions admises aux négociations sur un marché réglementé.

C'est ainsi que le chapitre V du titre Ier du décret du 23 mars 1967 est maintenant complété par une nouvelle section IV qui dispose, aux articles 242-11 et 12, que, lorsque le prix d'acquisition, lors du rachat, est supérieur au cours de bourse, la société doit procéder à un ajustement du nombre d'actions que ces titres permettent d'obtenir. Cet ajustement doit garantir, au centième d'action près, que la valeur des actions qui seront obtenues en cas d'exercice des droits après l'opération sera identique à celle qui aurait été obtenue avant le rachat par la société.

La détermination du prix en cas d'émission d'action, de création d'actions de préférence et de distribution des réserves.

Le nouvel article L. 228-99 du Code de commerce (N° Lexbase : L8342GQZ) établit, par ailleurs, qu'une société qui est appelée à attribuer les valeurs mobilières donnant accès aux titres de capital, voire à attribuer les titres eux-mêmes, doit, lorsqu'elle émet de nouveaux titres de capital avec droit préférentiel de souscription réservé à ses actionnaires, distribuer des réserves, attribuer des primes d'émission ou modifier la répartition des bénéfices à la suite de l'émission d'actions de préférence, "prendre les mesures nécessaires à la protection des intérêts des titulaires" des valeurs mobilières donnant accès aux titres de capital.

Il est ainsi prévu, aux termes de l'ordonnance, que la société placée dans cette situation dispose de trois solutions :

  • soit mettre les titulaires en mesure d'exercer immédiatement leurs droits pour qu'ils bénéficient de l'opération projetée ;
  • soit prévoir, s'ils ne leur a pas été permis de les exercer immédiatement, la possibilité de souscrire ultérieurement les nouvelles valeurs mobilières émises ou en obtenir l'attribution à titre gratuit ou, enfin, de recevoir des espèces ou des biens "semblables" -y compris en quotité- à ceux qui ont été distribués ;
  • soit, et le texte dispose expressément que cette option est ouverte "dans tous les cas", procéder à un ajustement des conditions de souscription, des bases de conversion, des modalités d'échange ou d'attribution initialement prévues de façon à tenir compte de l'incidence de(s) l'opération(s).

C'est, plus précisément, sur ce point que le décret du 10 février a apporté des précisions substantielles quant au mode de calcul à retenir. Toutefois, et c'est à ce titre que le décret intéresse directement le droit boursier, le législateur a laissé libre cours aux mécanismes conventionnels pour la majeure partie des sociétés, puisqu'il prévoit, qu'en principe, l'ajustement est réalisé selon les modalités du contrat d'émission, sauf lorsque les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé.

Le décret vise de la sorte exclusivement les opérations boursières réalisées sur les marchés majeurs, encore qu'on peut se demander si, s'agissant des autres marchés, les contrats d'émission susmentionnés n'en réfèreront pas aux mécanismes prévus par le décret pour rendre les opérations incontestables, car les praticiens auront sans doute à coeur de choisir les solutions les plus sécurisantes.

Matériellement, en effet, les solutions apportées sont particulièrement précises, et bien qu'il soit impossible d'en détailler les modalités de calcul en quelques lignes, on soulignera simplement que le décret évoque, nous semble-t-il, l'ensemble des hypothèses envisageables.

- S'agissant, en premier lieu, du principe applicable "dans tous les cas", le texte précise que l'ajustement doit égaliser, au centième d'action près, la valeur des titres à celle qui aurait été obtenue en cas d'exercice des droits avant la réalisation de l'opération. En toute hypothèse, les résultats de l'opération ne peuvent donc être que neutres ou positifs pour les porteurs, mais jamais négatifs, du moins à un centième d'action près.

- S'agissant, en second lieu, des bases de calcul applicables selon la nature des opérations, le décret établit cinq modalités différentes selon que ces dernières : comportent un droit préférentiel de souscription, emportent attribution d'actions gratuites, prévoient des distributions de réserves ou le versement de primes d'émission. Enfin, les calculs se feront également sur des fondements propres en cas de modification de la répartition des bénéfices et d'amortissement du capital.

Il reste, qu'en dehors de ces mécanismes, le décret prévoit un nouveau mode de calcul pour les augmentations de capital sans droit préférentiel de souscription, et pour les seules sociétés dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Le prix d'émission, selon le nouvel article 155-5, doit être au moins égal à la moyenne pondérée des cours des trois dernières séances de bourse précédant le jour de la fixation de ce prix, avec une décote maximale de 5 %. On relèvera que cet assouplissement notoire de l'ancienne règle des "10 parmi les 20", rapproche la France des standards internationaux et répond au souci d'unification exprimé il y a peu de temps par l'autorité boursière, ainsi qu'en atteste la teneur du rapport de juin 2002 (4) de la Commission des Opérations de Bourse.

II. Les délais

Les modifications des délais visent principalement une autre catégorie d'opérations : les augmentations de capital (A), même si les opérations relatives aux actions de préférence et aux valeurs mobilières donnant accès à des titres de capital (B) ont, également, été visées par le décret, le législateur ayant souhaité accorder davantage de souplesse aux sociétés.

A. La modification des délais en matière d'augmentation de capital

Un choix de simplification : la reconduction de certains délais

Dans d'autres domaines, que l'on peut croire plus sensibles, puisqu'ils touchent les augmentations de capital en faveur des salariés qui détiennent moins de 3 % du capital, les délais n'ont pas été modifiés. Il en est ainsi de celui qui est imparti pour organiser une assemblée générale extraordinaire suivant la précédente assemblée générale ayant statué sur un projet d'augmentation de capital, qui demeure fixé à trois ans.

Il en va de même pour les augmentations de capital par incorporation de réserves, bénéfices ou primes qui donnent éventuellement lieu à rompus, l'assemblée générale pouvant décider que les droits formant rompus ne sont ni négociables, ni cessibles et que les titres de capital correspondants devront être vendus. Le délai visé, en l'espèce, est celui de l'allocation des sommes ainsi dégagées, dont le Code de commerce prévoit qu'il est fixé par décret. Or, ce dernier maintient le délai de trente jours prévu par "l'ancien article L. 225-129, mais que le législateur, selon les termes d'un auteur, avait 'sorti' de la loi pour des raisons constitutionnelles" (5).

Enfin, s'agissant de la suspension de l'exercice des droits donnant accès au capital, le régime applicable aux anciennes obligations à bons de souscription d'actions (ancien article L. 225-152) ainsi qu'aux obligations convertibles en actions (ancien article L. 225-163) est, lui aussi, marqué par la continuité. Il est toujours de trois mois, c'est-à-dire tel qu'il figurait auparavant dans la loi.

La simplification par voie de modification des délais

L'originalité la plus importante en matière de délai tient à l'introduction, par la loi du 24 juillet 2004, d'un nouveau mécanisme en matière d'augmentation de capital dénommé "clause d'extension".Cette clause a été introduite par l'article L. 225 -136-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8393GQW) qui légalise, par-là même, une pratique de marché. L'article précité légitime, en effet, au plan légal, la faculté pour l'assemblée, en cas d'augmentation de capital, de prévoir que le nombre de titres pouvait être augmenté pendant un "certain délai", que le décret du 10 février avait pour objet de fixer. Selon ce dernier, la décision d'émettre des titres supplémentaires pourra intervenir après le règlement livraison, mais dans un délai de trente jours à compter de la clôture de la souscription.

Par ailleurs, et ce point peut paraître paradoxal dans ce contexte d'assouplissement généralisé, le décret impose le respect d'un délai nouveau, du moins au plan normatif, puisqu'il était auparavant librement fixé par l'assemblée générale des actionnaires pour les obligations convertibles en actions, ainsi que pour les obligations à bon de souscription d'actions.

L'article L. 225-49 du Code de commerce, qui régit les augmentations de capital résultant de l'exercice de droits attachés aux valeurs mobilières donnant accès aux titres de capital prévoit, désormais, l'unification des délais pour l'ensemble de ces opérations, fixé par le décret (article 165 IV nouveau) à un mois après la clôture de l'exercice. L'introduction de ce nouveau délai légal se justifie par la nécessité de conférer un régime homogène à la nouvelle catégorie de valeurs mobilières créées par l'ordonnance. En ce sens, rien n'altère l'esprit des nouveaux textes qui ont pour objet de garantir la sécurité juridique et de donner aux praticiens un encadrement réglementaire stable, plus incitatif, et propre à susciter toutes formes de créativité en matière de financement.

On peut voir la même volonté d'homogénéisation en matière d'augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription. S'agissant des sociétés dont les titres de capital sont admis sur un marché réglementé, l'article L. 225-135 nouveau du Code de commerce prévoit, en effet, que l'augmentation de capital décidée par l'assemblée peut aménager un délai de souscription en faveur des actionnaires. Le décret, (article 165-III) fixe ce délai à trois jours de bourse alors qu'il variait auparavant, allant, en pratique, parfois jusqu'à cinq jours (6).

B. Un assouplissement des délais pour les opérations de l'article L. 228-99 du Code de commerce

L'assouplissement des délais concerne, également, les opérations d'émission (y compris l'attribution de primes), de distribution des réserves, celles qui sont relatives aux actions de préférence et aux autres opérations concernant les valeurs mobilières donnant accès aux titres de capital. L'ensemble des opérations mentionnées à l'article L. 228-99 précité du Code de commerce (N° Lexbase : L8342GQZ) est donc concerné.

On a vu que, dans ces matières, le décret appliquait de façon particulièrement rigoureuse la règle édictée par le législateur dans le nouvel article L. 228-99 du Code de commerce qui dispose que la société "doit prendre les mesures nécessaires à la protection des intérêts des titulaires des droits". Cette rigueur se confirme par la teneur du décret du 10 février 2005 qui établit, de surcroît, un certain nombre de principes en matière d'information. Il prévoit, en effet, dans son nouvel article 242-13, que dans les cas des opérations précitées, la société doit adresser un avis aux titulaires des droits attachés aux valeurs mobilières. Cet avis spécifie - entre autres mentions - la nature de l'opération, ses modalités, ainsi que les éléments de prix, cet avis devant être adressé par lettre recommandée avec accusé de réception 14 jours avant la clôture en cas d'émission, et 15 jours après la décision relative à l'opération envisagée dans les autres cas.

D'autre part, l'article 242-8 nouveau du décret dispose que, lorsqu'il existe des valeurs mobilières donnant accès au capital, la société qui émet de nouveaux titres de capital avec droit préférentiel de souscription doit ouvrir une période exceptionnelle de souscription si les droits attachés aux valeurs mobilières précitées ne peuvent être exercés qu'à certaines dates. Cette période exceptionnelle a pour objet de permettre aux porteurs de droits susmentionnés de souscrire des titres nouveaux.

Ces dispositions étant prises, la réforme de valeurs mobilières peut, désormais, être mise en oeuvre sans restriction. Les dispositions du nouveau décret traduisent, à ce titre, la volonté -au-delà des objectifs de simplification du droit- de conférer un encadrement normatif plus clair pour l'ensemble des valeurs mobilières, et surtout de rendre cet encadrement plus lisible pour les investisseurs étrangers, car ce facteur est un des déterminants des choix boursiers dans un contexte d'internationalisation des marchés.

Jean-Baptiste Lehnof
Maître de conférences à l'ENS-Cachan antenne de Bretagne


(1) A. Lienhard, "Réforme des valeurs mobilières : présentation du décret d'application du 10 février 2005", Dalloz affaires, 2005, p. 482 ;
(2) Article L. 228-12 du Code de commerce : "L'assemblée générale extraordinaire des actionnaires est seule compétente pour décider l'émission, le rachat et la conversion des actions de préférence au vu d'un rapport spécial des commissaires aux comptes Elle peut déléguer ce pouvoir dans les conditions fixées par les articles L. 225-129 à L. 225-129-6 (N° Lexbase : L8263GQ4). Les modalités de conversion des actions de préférence peuvent également être fixées dans les statuts" ;
(3) Ph. Reigné, Th. Delorme, JCP, Traité, Sociétés, fasc. 1506, n° 10 ;
(4) D. Caramalli, E. Cafritz, "Le mythe du capital social. Le bien fondé d'une réforme", Banque et Droit, n° 94, mars-avril 2004, p. 10 ;
(5) et (6) A. Lienhard, "Réforme des valeurs mobilières : présentation du décret d'application du 10 février 2005", Dalloz affaires, 2005, p. 483.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'exclusion du Medef du pouvoir de négocier

Réf. : Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-16.616, Syndicat CGT Michelin c/ Société Manufacture des pneumatiques Michelin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2743DH3)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Entre représentativité télévisée et représentativité juridique, le Medef balance... La notion de représentativité fait généralement penser au salariat puisqu'elle vient qualifier les organisations syndicales représentatives de ces derniers. La notion de représentativité des organisations patronales est, quant à elle, moins connue. C'est pourtant ce défaut de représentativité du Medef qui a justifié l'annulation de la désignation d'un délégué syndical au CHSCT, fondée sur un accord collectif de branche dans laquelle il n'était pas représentatif. L'importance médiatique que connaît le Medef n'est, en effet, pas suffisante pour laisser présumer de sa représentativité. La présomption légale de représentativité posée par le législateur ne vaut que pour les organisations syndicales de salariés (C. trav., art. L. 412-4 N° Lexbase : L6329ACE ; C. trav., art. L. 423-2 N° Lexbase : L6360ACK ; C. trav., art. L. 433-2 N° Lexbase : L6419ACQ). Les employeurs, en l'absence de disposition légale expresse sont donc tenus, dans toutes les hypothèses, de la prouver.
Décision

Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-16.616, Syndicat CGT Michelin c/ Société Manufacture des pneumatiques Michelin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2743DH3)

Rejet (CA Rennes, 8e chambre civile, section A, 27 mars 2003).

Mots-clefs : représentativité ; organisations syndicales employeurs ; extension ; modification du champ d'application professionnel

Texte concerné : C. trav., art. L. 133-8 (N° Lexbase : L5702AC8)

Lien bases :


Faits

Un salarié avait été désigné comme représentant syndical au CHSCT en application d'un accord collectif étendu par arrêté du 12 janvier 1996. L'employeur, qui contestait cette désignation et, singulièrement, l'application de l'accord étendu, avait saisi le juge d'une demande d'annulation de cette désignation.

La cour d'appel avait annulé la désignation.


Problème juridique

Le défaut de signature d'un accord collectif de travail étendu par une organisation représentative des employeurs fait-elle obstacle à son extension dans la branche ?


Solution

1. Rejet

2. "Attendu que l'arrêté d'extension du ministre du travail prévu par l'article L. 133-8 du Code du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application territorial et professionnel, dont les organisations patronales signataires sont représentatives au sens de l'article L. 133-2 du Code du travail" ;

3. "Attendu que la cour d'appel, qui retient que la Fédération du caoutchouc et des polymères, seule représentative de cette branche, n'était ni signataire, ni adhérente à l'organisation interprofessionnelle signataire de l'accord objet de l'arrêté d'extension, en a exactement déduit que la branche du caoutchouc et des polymères n'entrait pas dans le champ d'application de l'accord du 17 mars 1975 que l'arrêté d'extension ne pouvait à lui seul modifier ; que le moyen n'est pas fondé".


Commentaire

Comme l'affirme justement la Cour de cassation, dans la mesure où le Medef constitue la seule organisation signataire de l'accord étendu mettant en place un délégué syndical au sein du CHSCT et que celle-ci n'était pas représentative au sein de la branche, l'extension est inopposable aux autres entreprises de la branche et la désignation doit être annulée. L'extension n'a aucunement vocation à étendre le champ d'application professionnel de l'accord étendu et à pallier la carence en organisation patronale représentative lors de la signature de l'accord.

La large publicité à laquelle est destinée cette décision ne vient pas tant du principe qu'elle pose que de la mise à l'écart du Medef de la négociation lorsqu'il n'est pas représentatif.

1. Une conséquence de l'absence de présomption de représentativité des syndicats patronaux

  • Objet de l'extension

L'article L. 133-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5702AC8) dispose qu'"à la demande d'une des organisations visées à l'article L. 133-1 du Code du travail ou à l'initiative du ministre chargé du Travail, les dispositions d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la section précédente, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de ladite convention ou dudit accord, par arrêté du ministre du Travail, après avis de la commission nationale de la négociation collective".

Une fois l'extension réalisée, tous les employeurs exerçant une activité dans le champ d'application professionnel et géographique défini par la convention doivent respecter les dispositions qu'elle contient, qu'ils soient membres ou non des organisations patronales signataires (C. trav., art. L. 133-8 N° Lexbase : L5702AC8). Il faut et il suffit que la convention étendue ait été conclue dans les conditions prescrites par le législateur.

  • Particularité de la convention candidate à l'extension

La convention susceptible d'extension doit impérativement avoir été signée par des représentants des organisations syndicales d'employeurs et de salariés, représentatives dans le champ d'application considéré (C. trav., art. L. 133-1 N° Lexbase : L5694ACU).

Le particularisme réside, ici, dans le fait que non seulement les organisations syndicales représentant les salariés doivent être représentatives, mais encore -et là se trouve la particularité- il faut que les organisations syndicales ou associations représentant les employeurs le soient également. La représentativité s'apprécie au niveau où la convention est conclue et selon les critères prescrits par le législateur.

  • Etablissement de la représentativité des organisations syndicales

Le législateur pose cinq critères permettant d'établir la représentativité. L'article L. 133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW) dispose ainsi que "la représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères suivants, les effectifs, l'indépendance, les cotisations, l'expérience et l'ancienneté, et l'attitude patriotique pendant l'occupation".

Aucune présomption n'ayant été instituée au profit des organisations patronales leur permettant de bénéficier du pouvoir d'engager la profession sans avoir à établir leur représentativité, ces derniers devront, dans toute hypothèse et préalablement à la négociation, prouver qu'ils sont représentatifs (pour les salariés voir : C. trav., art. L. 412-4 N° Lexbase : L6329ACE ; C. trav., art. L. 423-2 N° Lexbase : L6360ACK ; C. trav., art. L. 433-2 N° Lexbase : L6419ACQ).

Cette représentativité sera établie lorsque le syndicat lato sensu pourra justifier d'un nombre d'organisations syndicales affiliées ou d'un effectif regroupé suffisant permettant de le regarder comme satisfaisant aux critères de représentativité (CE, 1° et 2° s.s., 31 mai 2002, Chambre nationale des professions libérales c/ Avenir des barreaux de France N° Lexbase : A8685AYC).

Le cas échéant, s'il ne l'établit pas ou s'il n'est pas représentatif, le syndicat ne pourra pas engager, par exemple, la branche dans laquelle la convention a vocation à s'appliquer, cette dernière lui sera inopposable.

Par voie de conséquence, l'extension n'ayant que pour effet de généraliser l'application d'une convention collective à l'ensemble des entreprises d'un secteur d'activité ou d'une profession, même lorsqu'elles n'ont pas été représentées à la négociation de l'accord, sans en modifier le champ (C. trav., art. L. 133-8 N° Lexbase : L5702AC8), l'extension ne pourra pas avoir pour effet de rendre applicable cette convention dans une branche dans laquelle le seul syndicat signataire n'est pas représentatif. C'est ce principe qu'est venue rappeler la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Au syndicat qui contestait la décision de la cour d'appel ayant prononcé l'annulation de la désignation, la Cour de cassation vient affirmer que "l'arrêté d'extension du ministre du Travail prévu par l'article L. 133-8 du code du travail a pour effet de rendre obligatoires les dispositions d'un accord professionnel ou interprofessionnel pour tous les employeurs compris dans son champ d'application territorial et professionnel, dont les organisations patronales signataires sont représentatives au sens de l'article L. 133-2 du Code du travail".

L'ajout de l'article L. 133-2 du Code du travail ne doit pas surprendre ; il impose que soit établie, selon les critères prescrits par le législateur, la représentativité du syndicat patronal signataire.

Lorsque aucun syndicat patronal représentatif de la branche n'est signataire de l'accord, la branche, faute de représentant doté du pouvoir de l'engager, ne pourra se voir imposer son application, et ce même si cet accord a fait l'objet d'un arrêté d'extension. L'extension n'ayant pas vocation à modifier le champ d'application défini par la convention étendue, l'accord étendu reste inopposable aux entreprises de la branche.

Cette solution est totalement fondée.

2. Une simple conséquence de l'objet de l'extension

  • L'exigence normale de la représentativité patronale

Dans l'espèce en cause, la contestation portait sur la désignation d'un représentant syndical au CHSCT. Cette représentation n'est pas expressément prévue par le législateur (C. trav., art. L. 236-5 N° Lexbase : L6014ACQ). Cependant, rien n'empêche les partenaires sociaux d'imposer, par la voie conventionnelle, la présence d'un délégué syndical. Une telle disposition, plus favorable aux salariés qui voient leurs intérêts mieux représentés, est parfaitement licite (C. trav., art. L. 132-4 N° Lexbase : L5683ACH ; C. trav., art. L. 236-13 N° Lexbase : L6027AC9).

Toutefois, elle constitue une contrainte pour les employeurs puisqu'elle tend à leur imposer une obligation supplémentaire qui n'a pas été prévue par le législateur. On comprend aisément pourquoi les juges se montrent si exigeants quant au pouvoir dont doivent disposer les partenaires sociaux et, singulièrement, les employeurs pour engager la communauté de travail.

  • L'objet de la représentativité patronale

La représentativité patronale est destinée à rendre crédible l'extension car, dans cette hypothèse, l'organisation peut raisonnablement prétendre négocier au mieux les intérêts des entreprises de la branche qu'elle représente.

La représentativité se définit comme l'aptitude reconnue à un syndicat d'être le porte-parole des salariés dont il prétend défendre et promouvoir les intérêts. Si l'on transpose cette définition du côté des employeurs cette fois, le syndicat représentatif doit être celui qui dispose de la capacité d'être le porte-parole des employeurs dont il prétend défendre et promouvoir les intérêts. Pour disposer de ces pouvoirs, le syndicat employeur doit impérativement établir sa représentativité. Le cas échéant, il ne sera pas fondé à parler en leur nom et a fortiori à les engager.

  • Absence de présomption de représentativité

Contrairement aux règles relatives à la représentativité syndicale érigée au profit organisations salariées, le législateur n'a prévu aucune présomption légale de représentativité au profit des organisations patronales. Ces dernières, si elles souhaitent pouvoir engager la profession, devront préalablement établir qu'elles disposent du pouvoir de le faire. Ainsi, l'autorité pratique du Medef n'est, à elle seule, pas suffisante à lui conférer une quelconque autorité juridique. Dès lors qu'il n'est pas représentatif et qu'aucun autre syndicat d'employeurs représentatif dans la branche n'est présent à la négociation, il ne peut l'engager.

Le défaut de pouvoir du Medef est, dans cette hypothèse, d'autant plus patent que le législateur vient expressément exiger comme condition de l'extension que le syndicat soit représentatif.

  • Une représentativité expresse

Le législateur impose expressément en matière d'extension que l'accord, "candidat à l'extension", ait été signé par des organisations syndicales représentatives de salariés et des organisations syndicales représentatives d'employeurs.

Or, dans la mesure où il n'existe aucune présomption de représentativité, le Medef ne peut, malgré son aura, prétendre représenter les intérêts des entreprises de la branche. Cette inopposabilité de la convention et son inapplicabilité dans la branche considérée sont totalement logiques, eu égard aux règles relatives à l'extension.

  • Délimitation de l'effet de l'extension

L'extension a pour effet d'étendre le champ d'une convention collective à l'ensemble des entreprises situées dans son champ d'application professionnel et géographique. L'extension agit ainsi de manière verticale et non horizontale. Elle n'a en aucun cas pour objet de modifier le champ d'application professionnel de l'accord, qui est du ressort de l'élargissement (C. trav., art. L. 133-12 N° Lexbase : L5706ACC).

La référence au champ d'application professionnel n'est donc ici d'aucun secours, puisque le fait que le Medef ait été représentatif dans d'autres branches ne pouvait être retenu puisqu'il était question, dans l'espèce commentée, d'étendre l'accord et non de l'élargir.

L'extension suit le champ défini par l'accord, lequel est subordonné au champ déterminé par la convention collective étendue qui est lui-même défini par les parties signataires du côté patronal. Lorsque aucun syndicat signataire du côté des employeurs n'est représentatif dans la branche considérée, il ne peut engager la branche. C'est d'ailleurs ce que prévoit expressément le législateur, en imposant que la négociation ait lieu entre syndicats représentatifs "dans le champ d'application considéré" (C. trav., art. L. 133-1 N° Lexbase : L5694ACU).

Dans cette hypothèse, le juge judiciaire saisi du contentieux de la désignation du représentant syndical au CHSCT n'a donc pas d'autre solution que d'annuler l'élection fondée sur un accord qui n'est pas applicable à la branche, et donc à l'entreprise.

Le juge administratif aurait, quant à lui, été compétent pour annuler l'arrêté...

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