La lettre juridique n°872 du 8 juillet 2021 : Avocats/Déontologie

[Focus] L'avocat dessaisi peut-il attendre d'être réglé du montant de ses honoraires pour transmettre le dossier à son successeur ?

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par Guillaume Royer, Avocat au Barreau de Nancy, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy)

le 07 Juillet 2021


Mots-clés : focus • avocat • honoraires • succession d’avocats • transmission du dossier • rétention


 

La succession d’avocats dans un dossier peut être délicate. Ayant reçu la lettre officielle de son successeur, l’avocat en charge du dossier va généralement établir son compte afin d’adresser ses honoraires finaux au client. D’ailleurs, le reliquat des honoraires restant dus est une question centrale dans le rapport naissant entre le client et le nouvel avocat désigné puisque l’article 9.1 du Règlement Intérieur National prévoit que le nouvel avocat a l’obligation de « s’enquérir des sommes pouvant lui rester dues ». Mais ses devoirs à l'égard de son prédécesseur ne vont pas plus loin : les règles de la Profession n’interdisent pas au nouvel avocat d’accomplir des diligences avant que son prédécesseur soit intégralement désintéressé et celui-ci n’est pas davantage garant des honoraires impayés. Et si l’on ajoute à cela que le client, insatisfait (à tort ou à raison), de son ancien conseil, peut être tenté de ne pas régler le solde des honoraires restant dû pour marquer son mécontentement, il faut bien reconnaître que la situation de l’avocat « débarqué » est souvent bien inconfortable… Dans ce cas, l’avocat « débarqué » pourrait être enclin, à son tour, de retarder la transmission du dossier jusqu’à règlement des honoraires… Stratégiquement, la rétention du dossier aurait forcément du bon, notamment à hauteur d’appel, où le non-respect du moindre délai de procédure peut avoir des conséquences fatales sur la conduite du procès…

Cela revient à aborder un éventuel droit de rétention au civiliste du terme, dont disposerait l’avocat sur le dossier dans l’attente du règlement de ses honoraires. D’emblée, il faut bien reconnaître que la brutalité du droit de rétention coïncide mal avec les principes essentiels, inhérents à la profession d’avocat. L’article 3 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat (N° Lexbase : L6025IGA) prévoit que l’avocat doit respecter, notamment les principes de délicatesse, de modération et de courtoisie à l’égard du justiciable.

Cela explique l’histoire, assez mouvementée, du droit de rétention. Dans un passé ancien, un arrêt rendu par la chambre civile de la Cour de cassation en date du 10 août 1870 avait admis que le droit de rétention des professionnels du droit pouvait porter sur les pièces qui avaient été confiées à ces professionnels pour l'accomplissement de la mission dont ils avaient été chargés [1].

Cependant, la rétention du dossier s’intègre mal dans le droit positif contemporain. D’une part, et au regard du droit commun des obligations, l’article 2286 du Code civil (N° Lexbase : L2439IBX) prévoit que « peut se prévaloir d'un droit de rétention sur la chose : 1° Celui à qui la chose a été remise jusqu'au paiement de sa créance ; 2° Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l'oblige à la livrer ; 3° Celui dont la créance impayée est née à l'occasion de la détention de la chose ; 4° Celui qui bénéficie d'un gage sans dépossession ». La situation de l’avocat dessaisi ne correspond à aucun de ces cas de figure. D’autre part, le droit de rétention ne pourrait trouver son fondement dans les règles propres à la Profession. Bien au contraire, le Règlement Intérieur National de la Profession consacre son article 9 à la « succession d’avocats dans un même dossier » et précise en son 2, que « l’avocat dessaisi, ne disposant d’aucun droit de rétention, doit transmettre sans délai tous les éléments nécessaires à l’entière connaissance du dossier ». D’initiative, l’avocat dessaisi ne peut donc exercer un droit de rétention sur le dossier. Une fois dessaisi, il lui appartient de transmettre son dossier « sans délai » et de manière exhaustive. Ainsi que l’écrivent Messieurs Ader et Damien, « tant les pièces de fond, y compris les pièces adverses, que les actes de procédure constituent les éléments d'un même dossier qui est la propriété du client et non celle de l'avocat, tous les originaux des pièces devant être restitués. En cas de remise du dossier au client, il est recommandé à l'avocat dessaisi dans la mesure du possible de remettre le dossier en établissant un bordereau portant décharge » [2].

Et d’ailleurs, ce droit de rétention pourrait davantage être institué par le règlement intérieur d’un Barreau. Par le passé, la première chambre civile de la Cour de cassation a déjà eu à connaître d’une hypothèse assez proche. Dans un arrêt en date du 16 décembre 2003 [3], elle a été saisie du pourvoi formé par un avocat inscrit au Barreau de Nice qui contestait l’existence d’une disposition du règlement intérieur de son Barreau prévoyant explicitement que « si des sommes restent dues à un avocat précédemment saisi du dossier, le nouvel avocat ne peut, sauf autorisation du Bâtonnier, accomplir de diligences tant que ces sommes ne seront pas réglées ». Il fallait y voir un droit de rétention à peine déguisé puisque, même en possession du dossier, le nouvel avocat ne pouvait accomplir de diligences avant le désintéressement de son prédécesseur, sauf le visa de son Bâtonnier. L’arrêt est cassé sur ce point au visa de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L0860AHC) et de l’article 17 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), d’où découle le principe selon lequel « il n’entre pas dans les pouvoirs réglementaires du conseil de l’Ordre des avocats d’investir le Bâtonnier d’un pouvoir de décision de nature à paralyser, même sous certaines conditions, l’usage par une partie de voies de droit qui lui sont légalement ouvertes ». Par analogie, et dès lors que l’article 9.2 du Règlement intérieur national exclut explicitement le droit de rétention de l’avocat, aucun règlement local ne pourrait consacrer ce droit sans s’exposer à la censure de la Cour de cassation.

Reste que l’avocat dessaisi qui déciderait de retenir le dossier de son ancien client dans l’attente du règlement de ses honoraires s’exposerait à la procédure des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat (N° Lexbase : L8168AID). En effet, l’article 14 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) précise que : « lorsque l'affaire est terminée ou qu'il en est déchargé, l'avocat restitue sans délai les pièces dont il est dépositaire. Les contestations concernant la restitution des pièces sont réglées suivant la procédure prévue en matière de montant et de recouvrement des honoraires ». Bien évidemment, l’avocat dessaisi, invité à présenter ses observations dans le cadre d’un défaut de restitution de pièces à son ancien client pourrait, à titre reconventionnel, soumettre la taxation de ses honoraires impayés… Cependant, cette situation contentieuse n’est satisfaisante pour personne.

Faute de pouvoir légalement se prévaloir d’un droit de rétention du dossier du client, il appartient à tout avocat de suivre rigoureusement le suivi de sa facturation et d’appeler régulièrement des provisions sur l’affaire en cours. Car une fois dessaisi, l’avocat devra composer la récalcitrance du client mécontent et introduire une procédure de taxation qui pourrait déboucher, in fine, sur l’insolvabilité de l’ancien client. Ne dit-on pas : « mieux vaut prévenir que guérir » ?

 

[1] V., la jurisprudence citée par J.-M. Marmayou, in Juris-Cl.Code civil, art. 2286, Fasc. 10 : Privilèges : Droit de rétention-Notion et domaine d’application, n° 65.

[2] H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocats, Dalloz, Coll. Action, 16ème éd. 2018, n° 484, 122.

[3] Cass. civ. 1, 16 décembre 2003, n° 01-10.210, FS-P (N° Lexbase : A4741DAT).

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