Lexbase Fiscal n°872 du 8 juillet 2021 : Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Plus-value immobilière et manquement à l’obligation de conseil du notaire

Réf. : CA Pau, 4 mai 2021, n° 19/03429 (N° Lexbase : A84064QE)

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N8106BYU

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par Franck Laffaille, Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 28 Juin 2021


Mots-clés : plus-value • terrain à bâtir • obligation de conseil • notaire 

« (C)e n’est pas la formulation contenue dans l’acte authentique qui a conditionné le redressement, mais bien le fait qu’il s’agissait d’un terrain à bâtir, mention qui existait dans les deux projets ».

Par une intéressante décision en date du 4 mai 2021, la cour d’appel de Pau rappelle ce principe : qu’importent les termes utilisés dans un acte authentique de vente ; un terrain à bâtir ne peut pas jouir d’une exonération de plus-value au titre de « dépendance immédiate et nécessaire ».

L’arrêt présente un intérêt second dans la mesure où il est question de la responsabilité du notaire - auteur de l’acte authentique – au regard de l’obligation de conseil qui lui échoit.


 

Une SCI consent au profit de la SA Bouygues Immobilier une promesse de vente – formalisée par maître Bousquet, notaire associé de la SELARL Bousquet – pour un montant de 1 800000 euros portant sur une propriété. En vertu d’un avenant (janvier 2012), l’une des parcelles fait l’objet d’une division pour extraire de la vente une parcelle demeurant propriété de la SCI ; le prix est ramené à 1 790000 euros. Via un courriel (janvier 2013), un projet d’acte authentique est adressé aux gérantes de la SCI : la vente porte sur « un terrain à bâtir sur lequel figure une maison d’habitation », le prix de cession est fixé désormais à 1 415000, la SCI est exonérée de l’impôt sur la plus-value puisqu’il s’agit de la résidence principale des deux associées. En février 2013, l’acte authentique est signé – en l’étude de maître Bousquet – entre la SCI et la SA Bouygues Immobilier. La vente porte sur « un terrain à bâtir sur lequel figure une maison d’habitation », « un terrain à bâtir ». Dans l’acte authentique, le représentant de la SCI « déclare sous sa responsabilité » que l’immeuble n’est pas soumis à l’impôt sur la plus-value dans la mesure où il s’agit de la résidence principe des associées. En 2016, un redressement fiscal survient pour un montant de 271087 euros ; chacune des associées est redevables de l’impôt à hauteur de 50 %. Aux dires de l’administration, si le terrain à bâtir où figure la maison peut effectivement bénéficier de l’exonération de plus-value, tel n’est pas le cas du « terrain à bâtir ». La SCI et les associées en leur nom personnel assignent devant le TGI de Bayonne la SELARL Bousquet en recherche de responsabilité afin d’obtenir sa condamnation et le versement de dommages et intérêts. Par un jugement du 30 septembre 2019, le TGI condamne la SELARL Bousquet – sur le fondement de l’article 2131 du Code civil ([LXB=]) – pour manquement à l’obligation de conseil vis-à-vis de ses clients lors de la rédaction de l’acte authentique de février 2013. La SELARL Bousquet est condamnée à différentes sommes : au titre du préjudice de perte de chance subi par les requérantes, au titre des intérêts de retard par elles payées, au titre du préjudice moral, au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Appel est interjeté par la SELARL Bousquet.

Quid de l’obligation de conseil du notaire ? Elle doit être recherchée sur un autre fondement que celui retenu par le TGI ; selon la cour d’appel, la responsabilité du notaire rédacteur d’acte authentique doit être recherchée sur le fondement de la responsabilité délictuelle. S’agissant plus précisément de l’obligation de conseil en matière fiscale, il revient au notaire « d’informer les parties sur la portée, les effets et les risques de l’acte qu’il rédige » ; cette information – « complète et circonstanciée » – implique qu’il se prononce sur « les incidences fiscales de l’acte auquel il prête son concours ». Si le TGI retient la responsabilité de la SELARL Bousquet, c’est pour ne pas avoir informé la SCI des conséquences des modifications survenues entre le projet de janvier 2013 et l’acte authentique de février 2013. Le contrôle fiscal est motivé par la rédaction de l’acte qui porte sur des biens différents et non un seul. Selon le TGI, le notaire n’aurait pas « vérifié le caractère nécessaire et indispensable du terrain à bâtir suivant la doctrine administrative établie de longue date ». Telle n’est pas naturellement la position du notaire : au regard de l’article 150 U 1° et 1° bis du CGI (N° Lexbase : L6951LZH) et à la formulation de la désignation des biens dans l’acte authentique, il pouvait à bon droit estimer que la SCI n’était pas soumise à l’impôt sur la plus-value. De plus, ajoute-t-il, le redressement fiscal ne trouverait pas sa source dans la formulation retenue dans l’acte mais dans « un changement de pratique critiquable de l’administration » : cette dernière prendrait en compte, depuis fin 2012, l’usage que fera le vendeur du bien acheté et non plus le seul usage qu’en faisait le vendeur.

La cour d’appel fait lecture de l’article 150 U du CGI : « les plus-values réalisées par les personnes physiques ou les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter, lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l’impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V (N° Lexbase : L1883HN3) à 150 VH (N° Lexbase : L0458IHG) » […] « Les dispositions du I ne s’appliquent pas aux immeubles, aux parties d’immeubles ou aux droits relatifs à ces biens : 1° Qui constituent la résidence principale du cédant au jour de la cession ; […] 3° Qui constituent les dépendances immédiates et nécessaires des biens mentionnés aux 1° et 2°, à la condition que leur cession intervienne simultanément avec celle desdits immeubles ». Outre le CGI, il doit être fait mention de la doctrine administrative (BOI-RFPI-PVI-10-40-10-20150812 § 340 N° Lexbase : X4376ALN) : en matière de terrain à bâtir, sont regardées comme dépendances immédiates et nécessaires : les locaux et aires de stationnement utilisés par le propriétaire comme annexes à son habitation … les cours, passages et tout terrain faisant office de voies d’accès à l’habitation et à ses annexes. L’argument de la SELARL Bousquet quant au changement intempestif de doctrine n’est pas réceptionné par le juge : la doctrine visée ne peut être qualifiée de nouvelle puisqu’elle apparaît identique à la doctrine précédente (BOI-8M-1-04 fiche n° 1 § 30). Le notaire ne peut donc invoquer une « position inopinée de l’administration fiscale » pour prétendre s’affranchir de son éventuelle responsabilité. À l’aune de ce constat, il appert que la SELARL Bousquet a manqué à son devoir de conseil « en ne procédant pas à une recherche suffisamment fouillée des incidences fiscales au titre de la plus-value de la vente qu’elle instrumentait ».

Quid du préjudice subi par la SCI ? Voyons le paiement de l’impôt puis les intérêts de retard et enfin le préjudice moral.

Quant au paiement de l’impôt, il constitue un préjudice réparable seulement s’il s’avère « certain qu’il aurait pu être évité en l’absence de faute du notaire ». Dans le cas contraire, le préjudice s’analyse en une perte de chance (soit de ne pas contracter, soit de contracter à de meilleures conditions). Pour les requérantes, si redressement il y a, il est motivé par la formulation de la désignation des biens vendus en deux entités ; si la désignation retenue de prime abord avait été conservée (cf. la partie « à bâtir » constitutive du parc attenant à la maison), aucune imposition ne serait advenue. La cour d’appel n’abonde pas. Après avoir rappelé les termes usités dans l’acte authentique (« un terrain à bâtir sur lequel figure une maison d’habitation » ; « un terrain à bâtir ») et dans le projet (« un terrain à bâtir sur lequel figure une maison d’habitation »), elle opère le constat suivant : dans les deux cas, le terrain à vendre est un terrain à bâtir. Or, il ressort de la motivation même du redressement que le critère d’appréciation retenu – quand il s’agit de penser la notion de dépendance immédiate et nécessaire (qui ouvre droit à l’exonération aux aires de stationnement, cours, passages et voies d’accès) – est le suivant : le critère de la qualification de « terrain à bâtir ». L’élément à la source du redressement est l’existence d’un « terrain à bâtir » – mention qui se retrouve dans les deux documents – et non point la formulation utilisée dans l’acte authentique. La cour d’appel ajoute – l’assertion est quelque peu facile – qu’il est impossible de connaître la position finale de l’administration fiscale, le juge administratif n’ayant pas été saisi par la SCI et ses gérantes. Ces dernières ne démontrent pas qu’elles auraient pu bénéficier d’une exonération de l’impôt sur la plus-value si elles avaient été « dument informées des incidences fiscales de l’acte tel qu’il a été rédigé », et si elles avaient exigé le maintien de la formulation antérieure. Dès lors, si préjudice il y a, il ne peut être constitué que par la perte de chance soit de ne pas passer la vente soit de la négocier à un meilleur prix. La première hypothèse – perte de chance pour défaut de vente – ne vaut pas dans la mesure où il est avéré que les cogérantes entendaient manifestement vendre (cf. le prix de 1 415000). De surcroît, quand bien même elles auraient renoncé à la vente en l’attente d’un autre acheteur, cette démarche n’aurait pas permis une exonération de l’impôt sur la plus-value ; on ne saurait donc parler ici de perte de chance à raison d’une renonciation au projet de vente. La seconde hypothèse – vendre à un prix plus élevé – n’apparaît pas crédible également au juge : l’offre de la SA Bouygues Immobilier (projet de janvier 2013) a été acceptée sans aucune discussion alors même que le prix est passé de 1 790000 euros à 1 415000 euros (soit une baisse de 375000 euros). Il s’ensuit qu’aucune perte de change n’est constituée.

Quant aux intérêts de retard, le propos du juge tient en quelques lignes, classiques et concises. Que représentent les intérêts de retard réclamés par l’administration ? Ils représentent « la compensation d’un différé dans le paiement, sur une somme dont les intimées ont profité pendant ce délai ». Il ne saurait y avoir, par conséquent, de préjudice.

Quant au préjudice moral, il n’est pas démontré. Il y a certes une perte de confiance dans la SELARL Bousquet (leur conseil depuis 1957) à la suite de cet épisode navrant. Mais point de préjudice moral : le notaire n’est pas considéré comme une relation de proximité familiale ou affective. En outre, l’obligation de payer les dettes fiscales suivant un échéancier ne constitue pas un préjudice moral en lien avec la faute du notaire. Enfin, aucune démonstration pertinente n’est réalisée s’agissant de l’existence de problèmes de santé liés aux manquements de la SELARL Bousquet.

La cour d’appel infirme la décision du TGI. La SCI et les cogérantes sont déboutées de leurs demandes. La SELARL Bousquet supporte les dépens de 1ère instance et d’appel et se voit condamnée – au regard de « l’équité » (mot magnifique) – à payer à chaque associée la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du CPC (N° Lexbase : L1253IZG).

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