La lettre juridique n°840 du 15 octobre 2020 : Covid-19

[Le point sur...] La garantie pertes d’exploitation des restaurateurs en temps de Covid-19 : tour de table des premières décisions !

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par Valérie Morales, Avocat au barreau de Paris, Marvell Avocats

le 15 Octobre 2020

 


Mots clés : assurance • pertes d'exploitation • confinement • restaurant • fermeture administrative • clause d'exclusion de garantie


 

Les années 2019 et 2020 resteront dans les annales comme deux années noires pour tous les commerçants français. Après la crise des gilets jaunes et les grèves liées à la réforme des retraites, la crise sanitaire liée au Covid-19 est venue s’abattre de plein fouet sur tous les secteurs économiques.

Au premier rang des victimes, figurent les restaurateurs et cafetiers qui ont été contraints de fermer leurs établissements au public dès le 15 mars 2020 à minuit en vertu d’un arrêté du ministère de la Santé du 14 mars 2020. La perte soudaine de chiffre d’affaires qui a perduré jusqu’au déconfinement, voire jusqu’au milieu du mois de juin 2020 avec une réouverture partielle dans certaines régions, a entraîné de graves difficultés financières pour les commerçants. C’est dans ce contexte qu’un certain nombre de restaurateurs s’est tourné vers les assureurs et a fait jouer les garanties pertes d’exploitation figurant dans leur contrat d’assurance.

Certains assureurs ayant opposé un refus de couverture au motif que le risque pandémique était inassurable ou que certaines clauses excluaient le risque, les commerçants ont dû se résoudre à aller en justice. Avec plus ou moins de bonheur selon les clauses des contrats, leur choix procédural et l’interprétation faite par les juges saisis.

L’occasion pour nous de décrypter les décisions rendues.

L’affaire « Maison Rostang ». La première affaire a été amplement médiatisée. Elle concernait un contrat souscrit auprès d’AXA (Conditions particulières et Intercalaire SATEC « Conventions Spéciales Restaurant »). Le propriétaire de « Maison Rostang » a obtenu du juge des référés du tribunal de commerce de Paris une provision de deux mois et demi de pertes calculées sur la marge brute et la désignation d’un expert financier (T. com. Paris, 22 mai 2020, référé, n° 2020017022 N° Lexbase : A02603ML). Le juge des référés a considéré qu’aucune disposition légale d’ordre public ou du contrat ne prévoyait le caractère inassurable du risque pandémique. Il a retenu que, selon les termes de ce contrat, la garantie « fermeture administrative » pouvait bien être activée sans nécessiter la preuve d’un autre sinistre préalable (incendie, intoxication…). Enfin, l’interdiction d’accueillir du public édictée par l’arrêté ministériel correspondait bien à une fermeture administrative pour un restaurant traditionnel.

Epilogue : la négociation de masse. AXA ayant interjeté appel, les parties se sont finalement rapprochées. Mais il aura fallu cette victoire judiciaire fortement médiatisée par ce restaurateur et sa pugnacité face à un géant de l’assurance pour ouvrir la voie à une négociation d’envergure proposée par AXA à l’été 2020 à tous ses assurés signataires d’un contrat identique. Une invitation à la transaction qui a permis à AXA d’éviter un raz-de-marée de condamnations et surtout de maîtriser les coûts liés à ce risque. Car pour pouvoir bénéficier immédiatement d’une indemnisation forfaitisée à quelques mois de chiffre d’affaires, les assurés qui ont accepté de transiger avec AXA, ont dû aussi prendre, au titre des concessions réciproques, l’engagement de ne plus mobiliser leur garantie sur l’année 2020 en cas de deuxième vague de l’épidémie.

Les clauses d’exclusion au cœur des débats. En suite de cette affaire, AXA a encore défrayé longuement la chronique judiciaire pour son refus d’indemniser les assurés. Dans ces affaires, il s’agissait cette fois d’un contrat d’assurance multirisque professionnel, prévoyant la garantie des pertes d’exploitation liées à une fermeture administrative à deux conditions : d’abord, la fermeture devait être prise par une autorité administrative compétente et extérieure à l’assuré, et ensuite, la décision de fermeture devait être « la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication ».

A première vue, les restaurateurs pensaient remplir ces deux conditions et avoir droit à la garantie sauf qu’AXA faisait valoir une clause d’exclusion figurant au contrat, selon laquelle : sont exclues les pertes d’exploitation lorsque, « à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative pour une cause identique ».

La question qui se posait alors était celle de savoir si cette exclusion était valide au sens du droit des assurances, et en particulier, de l’article L.113-1 du Code des assurances selon lequel « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Toute clause d’exclusion d’une police d’assurance doit être formelle, ce qui signifie qu’elle doit être rédigée en caractères très apparents. Elle doit se référer à des faits, circonstances ou obligations définis avec précision (Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 99-15.808 N° Lexbase : A7272A3Q). Si la clause d’exclusion doit être interprétée, la Cour de cassation juge habituellement que la clause ne peut alors être qualifiée de formelle et limitée (Cass. civ.1, 22 mai 2001, n° 99-10.849, publié au bulletin N° Lexbase : A5004ATI ; Cass. civ. 2, 8 octobre 2009, n° 08-19.646, F-P+B N° Lexbase : A8810ELU ; Cass. civ. 2, 12 avril 2012, n° 10-20.831, FS-D N° Lexbase : A5864IIZ).

La position des restaurateurs. Or en l’espèce, les restaurateurs soutenaient d’une part, que les critères énoncés étaient imprécis et non limitatifs, la notion « d’établissement » n’étant pas définie au contrat. D’autre part, que la clause était sujette à interprétation vidant la garantie de toute sa substance. Or dans de telles situations, la Cour de cassation considère ces clauses d’exclusion comme invalides (Cass. civ. 2, 20 mars 2008, n° 06-11.763, F-D N° Lexbase : A5824EAX ; Cass. civ. 2, 9 février 2012, n° 10-31.057, FS-P+B N° Lexbase : A3500ICM).

Ils faisaient ainsi valoir qu’une épidémie est, par définition, « l’apparition et la propagation d’une maladie contagieuse qui atteint en même temps, dans une région donnée, un grand nombre d’individus ». Aussi, le risque d’épidémie concernant, par nature, une région donnée et un grand nombre d’individus, l’assureur ne pouvait d’un côté, s’engager à garantir les pertes d’exploitation résultant d’une décision de fermeture à la suite d’une épidémie et de l’autre, exclure les cas où l’épidémie toucherait un autre établissement dans le même département, quelle que soit son activité. Cette exclusion aboutissait finalement, selon eux, à priver la garantie de toute substance.

La position des juges des référés. Face à l’opposition d’Axa, certains restaurateurs ont alors saisi le juge des référés sur le fondement de l’article 873, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A) : ils ont sollicité une provision et fait valoir le caractère non contestable de l’obligation de l’assureur, au motif que cette exclusion devait être réputée non écrite au sens de l’article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH). Le juge des référés du tribunal de commerce de Marseille a accueilli ces moyens et a écarté la clause au visa de l’article L.113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), estimant qu’elle n’était ni formelle ni limitée et qu’elle vidait la garantie de sa substance. Il a dans le même temps octroyé au demandeur une provision (T. com. Marseille, 23 juillet 2020, n° 2020R00131 N° Lexbase : A16313S9).  

Mais la plupart des juges des référés qui ont été saisis de cette clause d’exclusion ont renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond, seul compétent pour interpréter un contrat. Certains juges n’ont pas fait usage de la « passerelle » vers le juge du fond, considérant que les conditions de l’article 873-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0852H4C) n’étaient pas réunies. Le demandeur s’est alors vu contraint de saisir à nouveau le juge du fond par une nouvelle assignation tout en voyant sa demande d’expertise acceptée, mais à ses frais avancés (T. com. Bordeaux, référé, 23 juin 2020, n° 2020R00408 N° Lexbase : A95143P3).

Dans les autres affaires, les juges des référés ont fait usage de cette passerelle vers le juge du fond et renvoyé les parties à une audience devant le juge du fond pour lui soumettre la validité de cette clause d’exclusion (T. com. Annecy, référé, 28 juillet 2020, n° 2020R00033 N° Lexbase : A57713SK ; T. com. Besançon, référé, 16 septembre 2020, trois ordonnances, n° 2020002329 N° Lexbase : A93963T8, n° 2020002330 N° Lexbase : A94093TN et n° 2020002331 N° Lexbase : A93843TQ).

Les jugements rendus au fond. Dans un tel contexte, d’autres justiciables ont décidé de saisir directement le juge du fond, dans le cadre de procédures à bref délai pour leur soumettre la fameuse clause d’exclusion. Les deux premiers jugements rendus sur le sujet l’ont été en faveur d’AXA. Le tribunal de commerce de Toulouse a ainsi rappelé qu’une épidémie pouvait ne concerner qu’un seul établissement, fermé pour cause de gastro-entérite, de légionellose ou de listériose. Il a jugé que la garantie pertes d’exploitation en raison de la fermeture administrative du seul établissement de l’assuré pour épidémie est un évènement probable qui rentre bien dans la couverture d’un risque aléatoire et permet à l’assuré de mobiliser sa garantie. La clause d’exclusion ne prive donc pas la garantie de sa substance mais la limite seulement. Pour les juges toulousains, la formulation est claire et ne prête pas à confusion ou ambiguïté, et le juge a donc écarté l’application de l’article 1190 du Code civil (N° Lexbase : L0903KZH) (T. com. Toulouse, 18 août 2020, n° 2020J00294 N° Lexbase : A15843SH).

Le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a jugé, quant à lui, que l’utilisation de caractères majuscules dans le texte du contrat rendait la clause parfaitement visible et que les termes employés étaient compréhensibles pour l’assuré. Il a écarté la nullité de la clause d’exclusion estimant, lui aussi, qu’elle venait simplement limiter et non pas supprimer la garantie du risque en rappelant qu’un « contrat d’assurance n’a pas vocation à garantir tous les risques ». La garantie d’AXA s’appliquait donc à une épidémie interne au restaurant et non pas à une épidémie nationale ou départementale comme le Covid-19 (T. com. Bourg-en-Bresse, 24 août 2020, n° 2020003659 N° Lexbase : A44663S9).

Le même jour, le tribunal de commerce de Tarascon rendait une décision contraire. Il jugeait que le contrat ne définissant pas le terme « épidémie », il doit donc être soumis à interprétation, ce qui exclut donc le caractère formel de l’exclusion. Ce tribunal a retenu que le cas d’épidémie prévu au contrat établi par Axa elle-même et auquel l’assuré n’a eu que le choix d’adhérer, impliquait un nombre significatif de cas d’une maladie infectieuse en un lieu donné et pendant une période donnée et un risque de propagation. Il a considéré que cette clause devait être réputée non écrite au visa de l’article 1170 du Code civil (N° Lexbase : L0876KZH) (T. com. Tarascon, 24 août 2020, n° 2020001786 N° Lexbase : A16273S3).

Dans ce contexte, la position du tribunal de commerce de Paris était évidemment très attendue. Elle ne s’est pas fait attendre longtemps et le tribunal a statué en faveur des restaurateurs dans cinq jugements rendus le 17 septembre 2020 (T. com. Paris, 17 septembre 2020, cinq jugements, n° 2020022823 N° Lexbase : A20793UK, n° 2020022825 N° Lexbase : A20803UL, n° 2020022816 N° Lexbase : A20813UM, n° 2020022819 N° Lexbase : A20823UN, n° 2020022826 N° Lexbase : A20833UP). Il a d’abord retenu que la clause était bien apparente au sens de l’article L.112-4 du Code des assurances (N° Lexbase : L0055AAB). Néanmoins, il a rappelé que la police d’assurance était un contrat d’adhésion, rédigé par l’assureur, seul responsable de la formulation et des garanties offertes. Dans ces circonstances, l’assureur avait clairement choisi d’indemniser la perte d’exploitation liée à la fermeture administrative en cas d’épidémie « dont il très improbable par définition qu’elle ne puisse concerner qu’un seul établissement sur un même territoire ». Ainsi, la clause d’exclusion qui ne distingue pas l’épidémie des autres cas sanitaires pour lesquels la garantie est offerte (maladie contagieuse, intoxication) rend la garantie inopérante dans ce cas. La clause vide donc la garantie de sa substance et ne remplit pas la condition de limitation prévue à l’article L.113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH).

Dans ces conditions, le tribunal de commerce de Paris a écarté la clause d’exclusion et ordonné une expertise pour chiffrer les pertes d’exploitation, en mettant au surplus les frais de l’expert à la charge d’Axa.

Ces cinq jugements sont sans doute les premiers d’une longue série à venir, le tribunal de commerce de Paris étant actuellement saisi de multiples demandes de restaurateurs au sujet de cette clause. Reste à savoir si Axa interjettera appel pour contester la position des juges parisiens ou si elle décidera comme elle l’a fait pour la première affaire médiatisée sur la place publique en mai 2020, de négocier avec ses assurés pour maîtriser son coût financier global.

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