Le Quotidien du 28 avril 2020 : Procédure pénale

[Brèves] Blanchiment d’un détournement de biens publics commis en Russie : compétence du parquet national financier et validité de la saisie pénale

Réf. : Cass. crim., 1er avril 2020, n° 19-80.875, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A90403KZ)

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par June Perot

le 27 Mai 2020

► Le procureur de la République financier est compétent, en application du 6° de l’article 705 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0541LT9), pour la poursuite du délit de blanchiment des infractions citées, notamment, aux 1° à 5° du même article, parmi lesquelles figure celle de détournement de biens publics prévue par l’article 432-15 du Code pénal (N° Lexbase : L4114LS8), lorsque les faits revêtent un caractère de complexité ;

Cette complexité peut notamment être caractérisée par :

  • la dimension internationale des faits,
  • la présence de multiples sociétés écrans dans plusieurs pays considérés comme des paradis fiscaux,
  • des circuits de blanchiment complexes.

C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 1er avril 2020 (Cass. crim., 1er avril 2020, n° 19-80.875, F-P+B+R+I N° Lexbase : A90403KZ).

Résumé des faits. Les faits de l’espèce concernaient des opérations de rachats d’hôtels de luxe dans toute la France, et notamment à Courchevel, par une société de holding (SHA) détenue par un couple russe, dont l’époux était l’ancien ministre des Finances de la région de Moscou. Les fonds investis dans l’acquisition de l’hôtel Pralong étaient susceptibles de constituer le produit direct ou indirect de détournements qui auraient été commis par les époux au préjudice des municipalités de la région moscovite.

Tracfin avait effectué un signalement auprès du procureur de la République de Paris. Une enquête diligentée en Russie du chef de détournement de fonds publics laissait penser à des opérations financières liées à un processus de blanchiment de crime ou de délit. L’époux était en effet soupçonné d’avoir constitué une organisation délictuelle avec son épouse et plusieurs autres personnes, et obtenu, grâce à l’établissement de faux contrats conclus entre des sociétés gérées par eux et des structures publiques municipales, la cession, au bénéfice des premières, de droits de créance détenus par les secondes pour un montant total de 3,8 milliards de roubles.

A la suite de ce signalement, le procureur de la République de Paris a diligenté une enquête préliminaire sur les faits de blanchiment commis en France, tandis que le procureur de la République d’Albertville, saisi par les autorités judiciaires russes d’une demande d’entraide, a également ouvert une enquête préliminaire du chef de blanchiment en bande organisée aux fins de vérifier si les personnes visées dans cette demande n’avaient pas effectué d’autres investissements mobiliers ou immobiliers sur le territoire français, financés par le produit des infractions commises en Russie. Il s’est finalement dessaisi en faveur du parquet JIRS de Lyon, qui s’est dessaisi à son tour au profit du procureur de la République financier.

Les investigations réalisées dans le cadre de l’enquête préliminaire ont permis d’établir que la société de holding présidée par l’épouse avait pour objet principal l’acquisition de la société des Hôtels Pralong et Crystal 2000 (SHPC 2000) pour le compte de la RI Group LLC, société de droit américain, dirigée par elle.

En réponse à une demande d’entraide judiciaire adressée par le procureur de la République financier, le Comité d’instruction de la fédération de Russie a confirmé que l’enquête russe avait établi que le couple avait participé à une bande organisée qui s’était livrée à des infractions « classées comme graves selon le Code pénal de la Fédération de Russie » et que les intéressés avaient été renvoyés devant le tribunal russe.

Le JLD, statuant sur une requête du procureur de la République financier, a autorisé la saisie de l’hôtel Pralong. La société Pralong a interjeté appel de cette ordonnance.

En cause d’appel. Pour confirmer l’ordonnance de saisie, la chambre de l’instruction énonce qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, issus de la note Tracfin et de la requête du procureur de la République financier aux fins de saisie, que des faits, impliquant le couple, pouvant être qualifiés en droit pénal français de « détournement de fonds publics », ont été commis sur le territoire russe pour un montant de 3,6 milliards de roubles, soit environ 97 millions d’euros au cours de change moyen en vigueur à l'époque des faits et que l'acquisition de biens en France, notamment l'hôtel Pralong 2000 à Courchevel, constitue une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits commis en Russie. Les informations transmises par les autorités russes, exposées dans la requête aux fins de saisie, caractérisent suffisamment le lien existant entre les détournements commis en Russie et l'acquisition des deux hôtels puisqu'une partie du prix versé au vendeur de ces biens provenait d'un compte de la société Alderly Limited sise à Chypre, lui-même alimenté par des fonds provenant de la société RI Group, lui-même encore alimenté par un compte de la société Confael crédité par le montant des prêts, environ 3,8 milliards de roubles, obtenus en apportant en garantie les droits de créance détournés.

Elle énonce également que le lien existant entre cet investissement, l'achat de l'hôtel Pralong 2000, et les infractions commises en Russie est conforté par les constatations de Tracfin, qui mettent, notamment, en évidence l'opacité du circuit de financement de cette acquisition et la qualité de bénéficiaire réel de l'opération de l’épouse et que les pièces du dossier, dont la requérante a eu connaissance, sont ainsi suffisantes pour considérer que l'hôtel Pralong 2000 constitue l'objet de l'infraction de blanchiment du produit direct ou indirect du délit de détournement de fonds publics commis en Russie, pour laquelle l’épouse est susceptible d'être poursuivie et condamnée, la confiscation de ce bien étant, en cas de condamnation, encourue en application de l'article 131-21, alinéa 3, du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ).

Elle conclut que les pièces dont l'appelant a eu connaissance sont suffisantes pour justifier la saisie et que celle-ci portant sur un bien objet, dans sa totalité, du blanchiment du produit direct ou indirect de l'infraction de détournement de fonds publics commise en Russie, le principe de proportionnalité n'a pas lieu de s'appliquer.

Un pourvoi a été formé par la société Pralong, laquelle soulevait notamment l’incompétence matérielle du PNF dans cette affaire. Elle considère en effet que le PNF n’a été institué que pour veiller à la moralisation de la vie publique française et ne peut connaître du blanchiment d’infractions commises à l’étranger susceptibles de correspondre aux délits visés dans le livre IV du Code pénal, consacré aux « crimes et délits contre la Nation, l’État et la paix publique ».

Pour contester la saisie, la société demanderesse faisait valoir qu’aucune des pièces de la procédure, postérieures à la note de Tracfin communiquée, n’avait été mise à sa disposition.

Décision. Au terme d’une motivation très précise, la Haute juridiction approuve la position des juges du fond et rejette le pourvoi de la société Pralong.

S’agissant de la compétence du PNF

La Haute juridiction énonce que le procureur de la République financier est compétent, en application du 6° de l’article 705 du Code de procédure pénale, pour la poursuite du délit de blanchiment des infractions citées, notamment, aux 1° à 5° du même article, parmi lesquelles figure celle de détournement de biens publics prévue par l’article 432-15 du Code pénal, lorsque les faits revêtent un caractère de complexité qui peut être caractérisé, notamment, par la dimension internationale des faits, la présence de multiples sociétés écrans dans plusieurs pays considérés comme des paradis fiscaux et des circuits de blanchiment complexes.

La Cour de cassation considère que les textes qui définissent le délit de blanchiment, qui est une infraction générale, distincte et autonome, n'imposent ni que l'infraction ayant permis d'obtenir les sommes blanchies ait eu lieu sur le territoire national ni que les juridictions françaises soient compétentes pour la poursuivre. Selon la Cour, l’interprétation stricte de l’article 705 opérée par la demanderesse au pourvoi, qui aboutirait à interdire à ce magistrat de connaître du délit de blanchiment de sommes provenant d’infractions commises à l’étranger et susceptibles de correspondre à celles constituant la catégorie des atteintes à la probité, va à l’encontre de la volonté du législateur qui, en votant la loi n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 (N° Lexbase : L6139IYZ), a souhaité doter l’organisation judiciaire d’un parquet hautement spécialisé dont l’objet, à la faveur d’une centralisation des moyens et des compétences, est de lutter contre les formes les plus complexes de la délinquance économique et financière à dimension, notamment, internationale.

Cette interprétation est également en contradiction avec la volonté des instances européennes et internationales qui tendent à favoriser la dimension internationale des poursuites en matière de blanchiment.

Les faits de l’espèce, qui font intervenir des sociétés écrans situées dans plusieurs États étrangers, sont complexes au sens de l’article 705 susvisé. Par ailleurs, les investigations effectuées sur le territoire français permettent de soupçonner que l’acquisition du bien saisi par la société Pralong, gérée par l’épouse, a été financée par des fonds constituant le produit des détournements susvisés.

En conséquence, la Cour de cassation étant en mesure de s’assurer que les faits constituant l’infraction d’origine du délit de blanchiment, commis en Russie et consistant dans le détournement de fonds au préjudice de personnes publiques, peuvent recevoir, en France, la qualification de détournements de biens publics, faits prévus et réprimés par l’article 432-15 du Code pénal, déjà en vigueur à la date de commission des faits par les mis en cause, c’est à bon droit que le procureur de la République financier a diligenté, en France, une enquête préliminaire sur le blanchiment de fonds qui en constituent le produit.

S’agissant de la saisie pénale immobilière

La Chambre criminelle considère qu’en prononçant ainsi, et dès lors qu’il a été communiqué à la société requérante les pièces sur la base desquelles la chambre de l’instruction s’est prononcée, et, notamment, la requête du procureur de la République financier faisant état tant du témoignage du commissaire aux comptes de la société SHA que du contenu de la demande d’entraide pénale internationale, cette juridiction a justifié sa décision.

Pour aller plus loin :

Sur la compétence du PNF, v. Eric Maurel, ETUDE : Les règles de compétences pénales, La compétence du Parquet national financier (PNF) et du tribunal judiciaire de Paris, in Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E19393BG)

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