Le Quotidien du 17 avril 2020 : Droit pénal spécial

[Brèves] Blessures involontaires résultant de la mise sur le marché de viande hachée contaminée par l’E-coli : caractérisation de la faute délibérée du gérant de la société fournisseur

Réf. : Cass. crim., 31 mars 2020, n° 19-82.171, FS-P+B+I (N° Lexbase : A76253KM)

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par June Perot

le 16 Avril 2020

► Commet une faute délibérée constitutive du délit de blessures involontaires le gérant d’une société qui met sciemment sur le marché de la viande hachée potentiellement dangereuse sans faire réaliser les analyses qui s’imposaient ;

En effet, constituent des obligations particulières de prudence ou de sécurité les prescriptions des articles 14, 17 et 19 du Règlement CE n° 178/2002 du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2002 (N° Lexbase : L3661A3Y) aux termes desquels notamment, d’une part, lorsqu'une denrée alimentaire dangereuse fait partie d'un lot ou d'un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou chargement sont également dangereuses, sauf si une évaluation détaillée montre qu'il n'y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux, d’autre part, dans une telle situation l’exploitant doit retirer les denrées du marché, enfin, les exploitants du secteur alimentaire veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions.

C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 31 mars 2020 relatif à la caractérisation du délit de blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité (Cass. crim., 31 mars 2020, n° 19-82.171 FS-P+B+I N° Lexbase : A76253KM).

Résumé des faits. Au mois de juin 2011, seize enfants du département du Nord ont présenté les symptômes d’un syndrome hémolytique et urémique (SHU), dûs à la bactérie E-coli O157H7, susceptibles d’engendrer une insuffisance rénale aigüe. Les investigations ont établi qu’ils avaient consommé de la viande hachée élaborée le 11 mai 2011 par la Société économique bragarde (société SEB) dont l’intéressé était le gérant depuis sa fondation en 1966 et vendue à la société LIDL. Elles ont également révélé que, sur les 13 unités de production dénommées « mêlées » fabriquées ce jour-là, seules 3 avaient fait l’objet d’une recherche en E-coli dont l’une avait donné un résultat non satisfaisant de 770 E-coli par gramme, dépassant le seuil de déclenchement de la recherche d’E-coli O157H7, fixé à 150 par gramme en application du plan de maîtrise sanitaire validé par l’administration (PMS 2).

L’enquête a encore mis en évidence qu’aucune recherche de cette nature n’avait été effectuée, seules de nouvelles analyses en E-Coli ayant été réalisées, en application d’un PMS 3 jamais approuvé par l’administration. A l’issue de l’information judiciaire ouverte sur ces faits, le gérant a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, causé une incapacité totale de travail supérieure à trois mois au préjudice d’un enfant et une incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois au préjudice de quinze autres enfants.

Il a également été poursuivi notamment pour tromperie sur les qualités substantielles de steaks hachés dont la consommation est dangereuse pour la santé de l’homme, pour mise sur le marché de produits d’origine animale dangereux et détention de denrées servant à l’alimentation de l’homme falsifiées, corrompues ou toxiques nuisibles à la santé de l’homme.

Les juges du premier degré l’ont déclaré coupable. Le prévenu, le ministère public et plusieurs parties civiles ont relevé appel de cette décision.

En cause d’appel. Pour confirmer le jugement des chefs des délits de blessures involontaires ayant causé une incapacité totale de travail de plus de trois mois et des incapacités totales de travail de moins de trois mois, l’arrêt énonce notamment qu’il convient de rechercher si le prévenu a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, c'est à dire un acte administratif à caractère général et impersonnel, ce qui ne peut être le cas d'un plan de maîtrise sanitaire (PMS) ou d'une autorisation individuelle.

A cette fin, les juges relèvent qu’en matière de viandes hachées, le Règlement (CE) 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 prévoit que les matières premières ne peuvent provenir que d'ateliers de découpe agréés. Ils précisent que l’agrément délivré par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations suppose que le professionnel a mis en place des contrôles de conformité des produits qu'il réceptionne et qu'il fabrique en établissant un plan de maîtrise sanitaire (PMS) qui doit obligatoirement prendre en compte le risque lié à la contamination par la bactérie E-Coli et par la bactérie E-Coli 0157H7 et être approuvé par l'administration.

Après avoir également rappelé les principales dispositions du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002, ils ajoutent que le PMS est un élément essentiel d'une entreprise alimentaire, en particulier de fabrication de viande hachée surgelée, et que, le 11 mai 2011, le PMS 2 validé par l’administration n’a pas été respecté, aucune analyse des matières premières n'ayant eu lieu et aucune analyse en E-Coli 0157H7 des produits finis n'ayant été pratiquée, alors qu’elle s’imposait à la suite de la découverte, sur une partie de ces produits, d’un taux préoccupant de 770/g d'E-Coli « classique ».

La cour d’appel en conclut qu’en mettant sciemment sur le marché un produit alimentaire potentiellement dangereux sans faire réaliser les analyses qui s'imposaient, le prévenu a violé de façon manifestement délibérée les obligations de prudence et de sécurité prévues par le Règlement (CE) n° 178/2002.

Un pourvoi a été formé par le gérant mis en cause. Il faisait valoir que le Règlement (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002, qui établit les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, notamment en matière de sécurité des denrées alimentaires, constitue une norme générale et n’institue dès lors pas une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Décision. La Haute juridiction considère que la cour d’appel a justifié sa décision et rejette le pourvoi. En effet, constituent des obligations particulières de prudence ou de sécurité les prescriptions des articles 14, 17 et 19 du Règlement CE n° 178/2002 du Parlement et du Conseil du 28 janvier 2002 aux termes desquels notamment, d’une part, lorsqu'une denrée alimentaire dangereuse fait partie d'un lot ou d'un chargement de denrées alimentaires de la même catégorie ou correspondant à la même description, il est présumé que la totalité des denrées alimentaires de ce lot ou chargement sont également dangereuses, sauf si une évaluation détaillée montre qu'il n'y a pas de preuve que le reste du lot ou du chargement soit dangereux, d’autre part, dans une telle situation l’exploitant doit retirer les denrées du marché, enfin, les exploitants du secteur alimentaire veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions.

La Cour considère donc que la source de l’obligation violée ici était non pas le PMS comme l’a relevé la cour d’appel mais bien le Règlement CE n° 178/2002.

Le prévenu demandait en outre la mise hors de cause de l’assureur de la société qu’il dirige et, par voie de conséquence, du mandataire liquidateur de ladite personne morale. Cette demande est également rejetée.

Pour aller plus loin :

cf. l’Ouvrage « Droit pénal général » (dir. J.-B. Perrier), ETUDE : L'élément moral de l'infraction, La faute délibérée, N. Catelan (N° Lexbase : E2909GAY)

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