La lettre juridique n°759 du 25 octobre 2018 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Assujettissement à TVA immobilière… et manquement fautif du notaire

Réf. : CA de Douai, 20 septembre 2018, n° 17/02071 (N° Lexbase : A4063X7M)

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N6070BX4

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 24 Octobre 2018

Par cette décision en date du 20 septembre 2018, la cour d’appel de Douai estime qu’une SCI ne mérite pas de recevoir la qualité d’assujettie à TVA dans la mesure où elle n’a fait qu’exercer son droit de propriété en procédant aux mutations à la source du litige.

 

Ce non assujettissement à la TVA s’explique par le fait que la SCP a agi à titre privé, dans le cadre de la gestion de son patrimoine. Les ventes par elle réalisées résultent ainsi de la simple propriété du bien et ne constituent pas la contrepartie d’une activité économique ; s’ensuit une absence de soumission au régime de TVA. Si la SCP a bien donné à une SCP de notaires un mandat de vente (sans exclusivité), cela ne s’est pas traduit par une «démarche active de commercialisation foncière».

 

L’immeuble litigieux a été acquis dans une «pure démarche patrimoniale» avec la finalité de valoriser la propriété immobilière ; de plus, n’ont aucunement été  mobilisés des moyens  permettant de se placer en concurrence avec les professionnels du secteur immobilier. Telle est la première idée qu’il est loisible de faire émerger de la décision de la cour d’appel de Douai. La question du non assujettissement à TVA doit être reliée à l’autre enjeu de ce contentieux, à savoir le (non) manquement fautif de la SCP de notaires ayant œuvré lors des ventes concernées.

 

Les requérants estimaient que la SCP avait manqué à son devoir de conseil et commis des fautes de nature à engager sa responsabilité. Plus précisément, il revenait à la SCP de notaires d’attirer l’attention de leur client quant aux conditions d’application de l’article 257 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9308LH9) et sur le risque d’application du régime de la TVA immobilière sur l’opération de rénovation immobilière entreprise. La cour d’appel écarte les griefs tirés d’un prétendu défaut d’information et de conseil de la part de la SCP de notaires, y compris en ce qui concerne le risque de voir les mutations assujetties à TVA. Le devoir d’information et de conseil «ne s’étend pas à un régime fiscal qui n’avait pas vocation à s’appliquer». Par cette décision, la cour d’appel de Douai infirme le jugement du tribunal de grande instance de Lille du 30 novembre 2016, en ce qui concerne et  l’assujettissement à TVA et la responsabilité de la SCP de notaires.

 

Retour aux faits. Un immeuble à usage d'habitation -sinistré à cause d'un incendie passé- est  acquis en 2012 par acte sous seing privé, le compromis prévoyant qu'une SCI, la SCI BBAK, se substitue aux deux acquéreurs initiaux. Cette vente a été réitérée en la forme authentique suivant acte reçu par un notaire, associé de son état. Après rénovation, l'immeuble acquis est vendu en 2013 par la SCI, et ce en deux temps ; les deux ventes voient l'intervention du même officier public, toujours notaire de son état. L'administration estime -sur le fondement de l'article 257 du Code général des impôts- que les ventes méritent soumission à la TVA immobilière, et non aux droits d'enregistrement. Pour l'administration, la vente porte sur un immeuble neuf (ou considéré comme tel) ; le prix de vente pratiqué par la SCI devait alors s'entendre toutes charges comprises, à charge pour la cédante de reverser à l'Etat la TVA collectée. Il convient de noter -et la remarque n'est pas négligeable au regard de ce qui suit- que la SCI règle la TVA collectée au titre des deux ventes (sans parler des rappels d'impôts, majorations, pénalités de recouvrement). Puis, la SCI assigne la SCP de notaires devant le tribunal de grande instance de Lille. Selon la SCI, la SCP -alors même qu'elle disposait des informations nécessaires pour envisager un risque d'application du régime de TVA immobilière en vertu de l'article 257 du Code général des impôts- n'aurait pas conseillé de manière idoine son client. En soumettant les deux mutations au régime de droit commun, la SCP aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Cette faute aurait généré un préjudice pour la SCI, préjudice constitué par la perte de chance de conserver l'immeuble pendant 5 ans ; cela lui aurait permis d'échapper -lors de la revente- à l'application du régime de la TVA immobilière.

 

Le tribunal de grande instance de Lille fait droit à la demande des requérants : la SCP de notaire a commis des manquements fautifs par omission d'information sur le régime fiscal applicable à l'opération immobilière conduite par la SCI. La perte de chance subie correspond -selon le juge de 1ère instance- à un taux de 50 % ; la SCP est condamnée à verser à la SCI la somme de 1000 euros (dommages et intérêts) et de 1500 euros (indemnité de procédure). La SCI interjette appel, estimant que le préjudice par elle subie mérite plus ample réparation. Eu égard à l'ampleur de la rénovation entreprise puis la revente du bien dans un délai de 5 ans, l'opération avait vocation à être soumise de plein droit à la TVA immobilière ; la faute du notaire instrumentaire pour défaut de conseil et d'information serait patente tant il n'a pas éclairé correctement son client. Pour la SCI, un tel manquement est la source -directe- du redressement fiscal : si la SCI avait été informée de manière satisfaisante, jamais -soutiennent les requérants- ils n'auraient procédé si rapidement à la revente de l'immeuble. La seule comparaison des gains prévisibles découlant de la conservation du bien et de sa revente immédiate aurait conduit à prendre une autre décision que celle retenue in fine.

 

La SCP de notaires rétorque n'avoir point commis de faute. La SCI n'étant pas soumise à TVA -cf. ses statuts- les ventes réalisées et reçues par le notaire n'avaient pas vocation à l'être, en l'absence d'une quelconque activité économique de marchands de biens. Selon la SCP, le raisonnement de l'administration fiscale était erroné et il incombait à la SCI de contester l'assujettissement à TVA. C'est à mauvais droit que l'administration fiscale a invoqué l'article 257 du Code général des impôts, la SCI n'étant qu'un investisseur agissant à titre privé et procédant -de manière occasionnelle- à la vente. Cette opération occasionnelle s'inscrirait dans le cadre d'une démarche uniquement patrimoniale ; quant à la dimension temporelle de l'opération -la rapidité de la revente- la SCP rappelle que cet élément ne saurait -à lui seul- caractériser une opération de marchand de biens. N'ayant pas contesté la position de l'administration fiscale, la SCI serait à l'origine du préjudice qu'elle dénonce, a fortiori précisé qu'elle n'a aucunement donné mandat à la SCP pour engager une telle contestation.

 

La cour d’appel de Douai infirme, on l'a vu, le jugement du tribunal de grande instance de Lille.

Elle rappelle tout d'abord que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer ses clients (cf. C. civ., art. 1240 du code civil N° Lexbase : L0950KZ9), «notamment quant aux incidences fiscales de l'acte par lequel il prête son concours».  Cela emporte la conséquence suivante : le notaire engage sa responsabilité en cas de défaut d'information, qu'il s'agisse du régime fiscal que connaît l'opération ou du choix d'une qualification fiscale non appropriée. Dans l'hypothèse d'une cession d'immeuble, le notaire doit vérifier si le vendeur est -ou non- assujetti à la TVA et s'enquérir des options qu'il a exercées. A la SCI qui recherche la responsabilité délictuelle des notaires -en ce que ces derniers ont instrumenté un acte de vente sous une qualification fiscale donnant lieu à une proposition de rectification- la SCP rétorque par l'invocation de l'article 256 du Code général des impôts.

 

Par la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, de finances rectificatives pour 2010 (N° Lexbase : L6232IGW), le régime de TVA applicable aux opérations immobilières a été réformé. Des textes applicables, il appert (la cour d’appel utilise joliment une antique formule, «il s'évince») qu'un immeuble est regardé neuf pour l'application de la TVA lorsqu'il n'est pas achevé depuis plus de 5 ans et qu'il résulte de travaux synonymes de remise à neuf d'un immeuble existant. A lire les statuts de la SCI, son objet social consiste : en l'acquisition, l'administration et l'exploitation par bail, sous-location ou autrement de tous immeubles bâtis ou non bâtis dont la société pourrait avoir la propriété ou la jouissance... la réfection, la rénovation, la réhabilitation d'immeubles anciens, ainsi que la réalisation de tous travaux de transformation, amélioration, installations nouvelles conformément à leur disposition... et plus généralement, toutes opérations financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à cet objet et susceptibles d'en favoriser la réalisation, à condition toutefois d'en respecter le caractère civil.

 

Au-delà de la lecture statique des statuts, la cour d’appel se montre attentive au projet de la SCI tel que développé par l'un des associés dans une attestation de mars 2017, à l'existence d'un imprimé MO de déclaration d'immatriculation, à la souscription d'un prêt hypothécaire sur 20 ans (objet : amélioration à usage d'habitation principale du ou des emprunteurs).

 

Puis, le juge analyse le comportement même de la SCI : si celle-ci a bien donné mandat de mise en vente à la SCP de notaires, aucune démarche active de commercialisation foncière n'a été entreprise. La SCI a acquis l'immeuble dans une pure démarche patrimoniale, avec volonté de valoriser sa propriété immobilière. De plus, la SCI n'a aucunement mobilisé des moyens afin de se mettre en situation de concurrence avec des professionnels de l'immobilier. Nous sommes en présence d'une SCI exerçant son droit de propriété ; nous ne sommes pas en présence d'une SCI animée par un objectif d'entreprise (ce qui aurait impliqué le développement de certaines diligences pour en tirer un résultat économique). Il s'ensuit que les ventes litigieuses résultent de la simple propriété du bien, que la SCI a agi à titre privé dans le cadre de la gestion de son patrimoine. Conséquence : la SCI n'avait pas la qualité d'assujettie à la TVA agissant en tant que telle au moment des mutations sources du contentieux. En d'autres termes, ces ventes ne constituant pas la contrepartie d'une activité économique, elles n'étaient pas soumises au régime de la TVA. De tout cela, il ressort que le grief tiré d'un défaut d'information de la part de la SCP ne peut être constitué : on ne saurait reprocher aux notaires une erreur d'analyse sur la fiscalité applicable aux deux mutations concernées. Et le raisonnement vaut «y compris en termes de risque», formule qui permet à la cour d’appel de rejeter définitivement les prétentions des requérants. La cour d’appel rappelle les limites du devoir de conseil et d'information des notaires, devoir qui ne s'étend pas à un régime fiscal «qui n'avait pas vocation à s'appliquer».

 

 

 

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