La lettre juridique n°442 du 2 juin 2011 : Fiscalité du patrimoine

[Evénement] La réforme de la fiscalité du patrimoine : premières analyses du projet de loi de finances rectificative pour 2011

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N3016BSI

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 17 Novembre 2011

Le Master 2 Ingénierie juridique et fiscale du patrimoine de l'Université Paris I, en collaboration avec la Fédération nationale droit du patrimoine et l'Institut de recherche juridique de la Sorbonne, a organisé, le vendredi 20 mai 2011, au tribunal de commerce de Paris, plusieurs tables rondes autour du thème de la réforme de la fiscalité du patrimoine. Le contenu de cette réforme est inscrit dans le projet de loi de finances rectificative pour 2011, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 12 mai 2011. Des praticiens du droit du patrimoine, avocats, notaires, professionnels de la banque privée et de l'assurance, mais aussi des professeurs, se sont réunis pour disséquer ce projet de loi, qui ne manque pas de susciter des réactions. Le 6 juin 2011, le projet de loi de finances rectificative devrait être en discussion. Thierry Revet, Directeur du master organisateur, nous rappelle l'origine du débat sur la fiscalité du patrimoine : l'affaire "Woerth/Bettencourt". Cette genèse teinte la réforme fiscale de politique. Selon lui, cet avis étant partagé par une majorité, le projet aurait pu être plus simple, et plus édulcoré. La surprise frappe à la lecture du retour sur la loi "TEPA" concernant les droits de succession. L'"exit tax" amène le volet "lutte contre l'évasion fiscale", souvent présent dans les textes fiscaux de ces dernières années. L'assurance vie est la grande absente du texte présenté, alors que l'on en avait beaucoup parlé, il y a quelques mois, et que le Gouvernement avait calmé le débat, le décalant à cette fameuse réforme. Voici un résumé des discussions qui ont eu lieu sur la réforme fiscale de grande envergure de cette année, animées par Philippe Neau-Leduc, Professeur à l'Université Paris I.
  • Première table ronde : suppression du bouclier fiscal et modifications de l'ISF

La réforme de base porte sur l'ISF, impôt circonstanciel, qui, aujourd'hui, n'est plus de circonstance. En effet, cet impôt frappe le capital, qui a été, un temps, générateur de revenus importants, ceux-ci ayant considérablement baissé depuis, faisant naître un sentiment d'injustice profond chez ses redevables. Les contestations avaient été provoquées par le scandale de la valeur de l'immobilier à l'Île-de-ré, les retraités ayant dû vendre leurs biens pour payer l'ISF, alors qu'ils y avaient placé les économies d'une vie.

Pascal Julien Saint-Amand, notaire à Paris, explique avec humour que l'ISF n'a plus qu'un intérêt aujourd'hui : donner du travail aux conseils. Cet impôt injuste, "stupide" même, aurait dû être abrogé, purement et simplement, mais la teinte politique de la réforme l'a interdit, et l'interdira encore longtemps. Pourtant, tous les Etats qui avaient, à l'exemple de la France, institué l'ISF, l'ont, depuis, abrogé.

Le système de seuil est critiqué. En effet, l'injustice de l'ISF se renforce avec un relèvement de la première tranche qui profite aux 300 000 "heureux mais pauvres" futurs ex-redevables, mais qui alourdit la charge fiscale pour les patrimoines plus importants. A partir de 2012, les patrimoines de plus de 1 300 000 euros verront l'assiette de l'ISF élargie, celle-ci comprenant la totalité du patrimoine, dès le premier euro. La conservation du système de tranche aurait permis le maintien d'une grande lisibilité. Le dispositif consistant à lutter contre l'effet de seuil est compliqué. L'ISF ne baissera que pour les contribuables qui ne bénéficiaient ni du plafonnement spécifique à l'ISF, ni du bouclier fiscal.

Christine Valence, représentant la banque privée de BNP Paribas, soulève le problème de la déclaration de l'ISF. Celle-ci, en 2012, sera allégée, puisque le contribuable n'aura plus à faire apparaître un état détaillé des biens de son patrimoine. L'effet pervers de cette simplification est le doute soulevé quant au délai de reprise de l'administration fiscale. Celui-ci passe de trois à six ans si l'administration est contrainte de rechercher la composition de l'assiette d'un impôt. Or, c'est précisément ce qui va se passer avec le nouveau mode de déclaration. Le conseil de l'intervenante est de continuer à dresser un état détaillé de ses biens, pour éviter que l'administration fiscale ne puisse étendre son action. Ce qui était une mesure de simplification complique, en réalité, les choses.

Le bouclier fiscal est abrogé, mais les "réductions ISF pour investissement dans les PME" et les "actions philanthropiques" (ainsi que la résidence principale) sont conservées. Elles seront d'autant plus encouragées, et conduiront à des constructions compliquées du patrimoine.

Jean-François Desbuquois, Avocat associé au sein du cabinet Fidal, revient sur le problème auquel vont être confrontés les actionnaires familiaux, qui, souvent, possèdent des parts de grande valeur, mais récoltent peu de dividendes. L'ISF qui, à l'origine, devait être payé par les revenus du capital taxé, prend un aspect confiscatoire, en particulier dans ce cas de figure.

Le projet a pour ambition de régler certaines difficultés nées de la pratique des mécanismes mis en place pour favoriser les biens professionnels. Tout d'abord, lorsqu'un dirigeant possédait plusieurs sociétés, l'administration acceptait qu'il y ait cumul des avantages liés au régime des biens professionnels à la condition que lesdites sociétés aient une activité similaire, connexe ou complémentaire. Ces éléments, qui ont nourri d'abondants contentieux, sont supprimés. Le cumul est autorisé sous de nouvelles conditions. Notamment, l'appréciation de la rémunération se fait sur l'ensemble des sommes perçues par le dirigeant du fait de son activité dans toutes les sociétés. Ensuite, concernant le problème de la dilution des participations, fréquente en cas de PME en phase de croissance, qui, pour financer cette croissance, opère une augmentation de capital, le texte prévoit que s'il y a eu exonération pendant cinq ans et que la participation tombe en-dessous des 25 %, mais reste au-dessus des 12,5 %, l'exonération continue si un pacte d'actionnaires réunit plus de 25 % des parts. Enfin, concernant le pacte "Dutreil" (CGI, art. 885 I bis N° Lexbase : L3472IAT), la condition d'engagement des associés détenant une certaine participation va perdre de sa rigidité. Il sera possible, pour un actionnaire, de sortir de cet engagement, mais d'y faire entrer le cessionnaire de ses parts. Toutefois, et c'est le point négatif, vidant de son intérêt cette mesure, le délai de conservation des titres pendant deux ans repart de zéro. De plus, tous les actionnaires doivent signer à nouveau l'engagement.

Christine Valence revient sur les trusts. Enfin, une définition fiscale est apportée par le projet de loi : il s'agit de "l'ensemble des relations juridiques créées dans le droit d'un Etat autre que la France, par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs bénéficiaires, ou pour la réalisation d'un objectif déterminé".

Il n'est pas question de la propriété apparente, qui est pourtant l'apanage du "trustee", devenu "administrateur" après traduction. En effet, le "trustee", en droit britannique, gère le patrimoine avant sa transmission complète du donateur ou de cujus au bénéficiaire de la donation ou héritier. Pendant le laps de temps prévu avant transmission complète, il est réputé avoir la propriété apparente des biens mis en trust. Cette notion de Common law n'est pas introduite en droit français par le projet de loi. Il n'existe pas non plus de distinction entre le trust révocable ou irrévocable.

Si la part des biens transmis lors d'une succession peut être déterminée, alors on applique le droit commun des successions. Dans le cas inverse, la taxation s'opère au taux le plus élevé pour les lignes directes (45 %) lorsque le bénéficiaire de la transmission est un descendant, et au taux de 60 % dans les autres cas. L'évasion fiscale est visée dans cette mesure, puisque si elle a motivé la constitution du trust, la taxation est complétée d'une pénalité de 60 %. Il en va de même en cas de constitution du trust dans un territoire non coopératif, ou si le constituant est domicilié en France au moment de la constitution.

Concernant l'ISF, il est dû du fait de la seule détention du patrimoine apporté au trust. Le constituant ou le bénéficiaire sont taxés, selon les cas. Le taux appliqué est le plus élevé et l'ISF est collecté auprès de l'administrateur, du constituant et des bénéficiaires, selon les cas. Toutefois, s'ils sont soumis à l'ISF par ailleurs, ils ne sont pas taxés, même s'ils n'ont pas, en réalité, supporté l'impôt.

  • Deuxième table ronde : droits de succession et de donation

Jean-François Desbuquois nous rappelle le "leitmotiv" de la réforme : éviter toute perte budgétaire. La suppression du bouclier fiscal et la taxation au premier euro des patrimoines dont la valeur excède 1 300 000 euros ne suffisant pas, le projet de loi de finances rectificative multiplie les mesures. Les deux dernières tranches d'imposition des successions et des donations sont augmentées de 5 points, passant de 35 à 40 %, et de 40 à 45 %. Les personnes concernées par ces augmentations seront, selon les estimations, 1 600 chez les héritiers et 700 chez les bénéficiaires d'une donation. Les recettes attendues n'étant pas suffisantes, d'autres mesures sont prises.

La durée du rappel fiscal est augmentée et passe de six à dix ans. Le rappel consiste à prendre en compte toutes les transmissions faites à une personne, pour l'évaluation des impositions. Outre le fait que cette mesure, ainsi que la précédente et que la suivante, ne vont pas inciter à transmettre à titre gratuit, du vivant ou à cause de mort, les contribuables peuvent craindre pour leurs transmissions actuelles puisque l'administration a demandé à pouvoir bénéficier de cet allongement sur des périodes qui sont prescrites. Les rappels en cours sur les six années précédentes pourraient se faire sur quatre années antérieures de plus. Cela pose un vrai problème de sécurité juridique pour les contribuables, et il reste à attendre la réaction des députés, et la défense qu'ils feront des intérêts des personnes privées.

La dernière mesure concerne les réductions de droits de donation liées à l'âge du donateur, qui sont purement et simplement supprimées. L'effet sur les "successions anticipées" sera négatif, notamment sur les transmissions des petites entreprises, qui bénéficiaient et usaient de ces réductions.

Les trois intervenants de cette table ronde conseillent trois options :
- abandonner les donations et successions "classiques" pour se tourner vers l'assurance-vie qui, alors que cela était annoncé, n'est pas touchée par la réforme (Christine Valence) ;
- attendre que les choses se mettent en place, que des décrets d'application soient pris, surtout bien réfléchir avant de donner, et prendre en compte le coût fiscal (Marc Iwanesko) ;
- soit transmettre tout de suite, avant l'entrée en vigueur de la loi, soit transmettre progressivement, sur la durée (Jean-François Desbuquois).

Ces questions de temps sont l'occasion, pour les intervenants, de revenir sur les dates d'entrée en vigueur des différentes mesures :
- l'"exit tax" devrait être appliquée à compter du 3 mars 2012 ;
- les mesures relatives aux donations et aux successions sont prévues pour juillet, le Gouvernement voulant les appliquer le plus vite possible ;
- la taxe sur les résidences secondaires détenues par les non-résidents en France devrait être appliquée à compter du 1er janvier 2012 ;
- les nouvelles déclarations d'ISF sont prévues pour septembre, décalées pour pouvoir prendre en compte la réforme. En effet, en temps normal, la déclaration ISF se fait avant le 15 juin.

Les discussions du projet de loi de finances sont prévues pour le 6 juin 2011. La volonté affichée du Gouvernement est d'aller vite.

  • Troisième table ronde : résidence secondaire des propriétaires non domiciliés en France

Pascal Julien Saint-Amand soulève l'incohérence de faire participer les non-résidents au financement des services publics français alors qu'ils n'en profitent que deux mois par an. C'est pourtant ce que prévoit la mesure consistant à taxer les résidences secondaires que ces personnes ont en France.

La nouvelle taxe prend des allures de taxe d'habitation, puisqu'elle est assise sur la valeur locative cadastrale du bien. En moyenne, cette nouvelle disposition devrait faire peser sur les non-résidents une contribution de 500 euros. Ce montant pourrait, toutefois, être augmenté, en cas de révision des valeurs cadastrales. Dans l'exposé des motifs du projet de loi, le Gouvernement explique que, comme il ne bénéficie pas du produit de la taxe d'habitation, réservé aux collectivités territoriales, il est normal qu'il devienne le bénéficiaire d'une taxe similaire. Le point positif de cette nouvelle taxe est la suppression de l'article 164 C du CGI (N° Lexbase : L2839HLQ), qui prévoit une imposition assise sur trois fois la valeur locative des immeubles détenus par les non-résidents provenant d'Etats qui n'ont pas signé de convention sur l'IR avec la France. Le nouveau système conduira donc, pour eux, à une réduction d'assiette.

Franck Le Mentec, Avocat associé au sein du cabinet Cotty, Vivant, Marchisio & Lauzeral, s'intéresse au caractère potentiellement discriminatoire de la taxe. Outre le fait qu'elle soit anecdotique, le législateur a pris soin de la rendre "eurocompatible". En effet, les résidents et les non-résidents ne sont pas dans une situation comparable, dit la CJUE. La situation du non-résident est comparable à celle du résident s'il tire la majorité de ses revenus de l'Etat en cause. C'est pourquoi, lorsque la résidence éligible à la taxe produit plus de 75 % des revenus globaux du non-résident, celui-ci est exonéré du paiement de la taxe.

En cas de question prioritaire de constitutionnalité, le dispositif devrait résister aussi. En Argentine, pays qui partage avec la France une Constitution et une jurisprudence constitutionnelle très proches, une taxe similaire a été validée.

  • Quatrième table ronde : l'"exit tax" (expatriés)

Gauthier Blanluet, Professeur à l'Université Paris II, nous explique le mécanisme d'"exit tax" antérieur à celui institué par le projet de loi de finances, et pourquoi il a été sanctionné par la CJUE. L'"exit tax" de l'article 167 bis du CGI (N° Lexbase : L2850HL7) prévoyait une taxation des plus-values latentes sur participations supérieures à 25 % dans le capital d'une société, due par les contribuables français qui s'expatriaient, au moment du transfert de leur résidence. Ce dispositif était assoupli par un sursis d'imposition, applicable seulement si le contribuable en cause avait constitué des garanties. Celles-ci consistaient en la désignation d'un représentant en France et en un dépôt de sommes sur le compte du Trésor. L'arrêt de la CJUE du 11 mars 2004 (CJUE, 11mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT) a porté un coup d'arrêt à cette mesure, jugée contraire à la liberté d'établissement (TFUE, art. 49 N° Lexbase : L2697IPL).

L'article 167 ter du CGI, que le projet de loi de finances propose d'insérer, fait renaître de ses cendres ce mécanisme. Quelques différences sont notables, puisqu'elles devraient permettre son "euroconformité". Les redevables de cette taxe sont les contribuables qui s'expatrient après avoir résidé plus de 6 ans en France. Toutefois, si le transfert de résidence s'opère dans un Etat membre de l'UE, un sursis de paiement inconditionnel est applicable. Si, au contraire, le transfert de résidence s'opère dans un Etat tiers à l'Union européenne (UE), le sursis de paiement est conditionné à la constitution de garanties, sauf si l'expatriation est motivée par des raisons professionnelles. C'est cette distinction qui devrait faire passer le texte dans les mailles du filet communautaire.

Par ailleurs, le dispositif antérieur est élargi. En effet, il s'applique aux plus-values latentes sur les participations supérieures à 1 %, et non plus à 25 %. Ces participations s'entendent des parts détenues dans des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés en France ou à un impôt équivalent. Ainsi, les parts détenues dans des sociétés étrangères sont concernées. Si le taux de participation est inférieur à 1 %, la plus-value latente est tout de même taxée si la valeur des titres est supérieure à 1 300 000 euros.

Si le contribuable cède ou donne ses titres, cette opération devient imposable, par expiration du sursis. Un dégrèvement est toutefois appliqué si la cession intervient plus de 8 ans après le transfert de résidence (au lieu de 5 ans dans le dispositif antérieur), ou si, n'ayant pas cédé ses parts, le contribuable revient en France. Ce dégrèvement ne concerne que l'impôt sur le revenu, pas les prélèvements sociaux. En ce qui concerne les donations, si le contribuable démontre que le transfert de résidence n'a pas eu pour but d'éluder l'impôt, le sursis de paiement n'expire pas à l'occasion de la transmission. L'imposition de la plus-value de donation n'existe pas en droit français. Ce dispositif est donc applicable exclusivement aux résidents français qui s'expatrient. Il semble que cette taxation vienne s'ajouter aux droits de donation, normalement dus sur ce type de transmission. Il en résulte une double imposition interne. Cela va à l'encontre de la règle exposée par le projet de loi de finances, selon laquelle l'impôt dû sur une donation à l'étranger viendrait en diminution de l'impôt dû en France à raison de l'"exit tax". Pourquoi lutter contre la double imposition transnationale et pas contre celle qui aura lieu à l'intérieur des frontières nationales ?

Cécile Louis-Lucas, Directrice des expertises au sein de la Banque privée 1818, rappelle les conditions dans lesquelles a été rendu l'arrêt de la CJUE : le contribuable frappé par l'"exit tax" avait attaqué le décret n° 99-590 du 6 juillet 1999 (N° Lexbase : L5391G9K), portant application de l'article 24 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998, de finances pour 1999 (N° Lexbase : L1137ATB), instituant la taxe litigieuse. Le Conseil d'Etat avait posé une question préjudicielle à la CJUE (CE 9° s-s., 14 décembre 2001, n° 211341, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7339AX4). A la suite de la réponse de la CJUE (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT), selon laquelle cette taxe était contraire à la liberté d'établissement, le Gouvernement avait plusieurs options :
- modifier le champ d'application de l'article 167 bis du CGI, afin de ne l'appliquer qu'aux expatriations vers des Etats tiers à l'UE ;
- modifier le champ d'application de l'article 167 bis du CGI, afin de ne l'appliquer qu'aux expatriations non motivées par un objectif professionnel, afin de sortir du champ de la liberté d'établissement ;
- alléger les contraintes de garanties obligatoires pour bénéficier du sursis de paiement.
A la surprise générale, l'article 167 bis du CGI a été supprimé.

En 2006, la CJUE a rendu une décision sur un même type de taxe, applicable cette fois aux Pays-Bas (CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-470/04 N° Lexbase : A9487DQG). A la suite de l'arrêt de 2004, les Pays-Bas ont modifié leur législation, similaire à la législation française, et ont, notamment, supprimé les garanties. Mais un résident expatrié a provoqué l'examen du texte antérieur à 2004 par la Cour de Luxembourg, par le biais d'une question préjudicielle. L'Etat néerlandais invoquait les raisons impérieuses d'intérêt général que sont la lutte contre l'évasion fiscale et la maintien d'une cohérence fiscale pour justifier l'atteinte à la liberté d'établissement portée par la taxe. L'argument de la cohérence fiscale n'aurait pu être utilisé en France. En effet, la plus-value latente était taxée sur la somme résultant de la différence entre la valeur d'origine des titres et leur valeur à la sortie du territoire. Or, la plus-value imposable lors de la cession était égale à la différence entre la valeur d'origine et la valeur au moment de la cession. L'imposition de la plus-value latente n'avait aucun impact, alors qu'aux Pays-Bas, la plus-value latente, une fois imposée, va devenir le point de comparaison, la "valeur d'origine", retenue pour l'imposition de la plus-value de cession ultérieure.

Franck Le Mentec examine les éventuelles contrariétés de cette mesure avec les conventions internationales. Il distingue deux groupes de conventions internationales :
- les conventions rédigées selon le modèle OCDE, dans lesquelles les plus-values de cession de titres sont imposables dans l'Etat du cédant ;
- les conventions dans lesquelles est incluse une clause de participation substantielle, qui prévoit que, lorsque la participation dans une société dépasse les 25 % de son capital, la plus-value de cession de titres est taxable dans l'Etat du cessionnaire.

L'articulation de la nouvelle "exit tax" avec les conventions fiscales signées par la France se fait par une pirouette, une fiction légale, introduite dans le but de faire échec aux stipulations conventionnelles : le transfert de résidence est réputé avoir eu lieu la veille du départ effectif. Le départ géographique est donc dissocié de l'évènement fiscal. La plus-value latente est celle évaluée à J-1. Dès lors, l'opération est domestique, et non transfrontalière. Les conventions fiscales sont contournées.

Quant à la cession réelle, qui emporte imposition de la plus-value, par expiration du sursis de paiement ou du fait même de la cession, la France a prévu un dispositif d'imputation de l'impôt étranger sur l'assiette française. Ainsi, par une disposition de droit interne, elle contourne à nouveau les conventions.

Cette situation devrait poser des difficultés. La Cour suprême néerlandaise a déjà eu à traiter de ce type de disposition. Elle a décidé que "si par une fiction légale est opéré un transfert du droit d'imposer d'un pays à un autre, ceci est contraire aux règles de droit fiscal international et à l'article 31 de la Convention de Vienne, relatif à la bonne foi". L'"exit tax" serait donc en contrariété avec les textes de droit international.

En conclusion, on peut dire que le projet de loi de finances rectificative pour 2011 va à l'encontre d'une loi toute récente, la loi de simplification du droit (loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit N° Lexbase : L2893IQ9). En effet, mise à part pour les trusts, avec une définition incomplète, et pour le pacte "Dutreil", mais sans intérêt, le projet complique tout. La suppression du bouclier fiscal, qui est une simplification nette, crée d'autres difficultés, plus grandes encore que ne l'aurait été son maintien. Au nom de l'équilibre des finances publiques, principe qui n'est pas critiqué ici, des taux sont relevés, des assiettes élargies, des taxes créées. Le nouvel horizon de la fiscalité du patrimoine n'est pas bouleversé outre mesure, mais les modifications apportées par ce texte vont avoir un vrai impact sur les comportements. Les débats à l'Assemblée nationale et au Sénat ne devraient pas être houleux, mais les recours pour excès de pouvoir contre les décrets d'application, les questions prioritaires de constitutionnalité et les questions préjudicielles devraient se multiplier. Pour reprendre la formule de Pascal Julien Saint-Amand, ce projet a le mérite d'apporter du travail aux conseils.

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