La lettre juridique n°408 du 16 septembre 2010 : Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Pierre-François Giudicelli, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Avignon

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[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Pierre-François Giudicelli, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Avignon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211147-questions-a-le-point-de-vue-d-un-batonnier-aujourd-hui-bpierre-francois-giudicelli-batonnier-de-l-o
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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

le 07 Octobre 2010

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Pierre-François Giudicelli, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau d'Avignon. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau d'Avignon ?

Pierre-François Giudicelli : Le barreau d'Avignon regroupe environ 260 avocats, avec une bonne répartition homogène hommes/femmes. Concernant plus spécifiquement les structures d'exercices, elles sont plutôt individuelles, ce que je trouve être un gros problème puisque selon moi l'avocat exerçant seul est voué à disparaître. Le barreau d'Avignon est un barreau de province classique qui fait beaucoup de conseil juridique, et c'est ce qui nous sauve. Si les conseils juridiques n'avaient pas rejoint la profession juridique, il n'y aurait peut être plus eu d'Ordre, les Carpa n'ayant plus de fonds. Concernant les domaines traités, le barreau d'Avignon est un barreau extrêmement complet et diversifié. Nombreux sont les cabinets très pointus en droit des affaires, en droit fiscal, ou en droit immobilier.

Lexbase : Bâtonnier depuis janvier 2010, quelles sont vos motivations et les ambitions que vous nourrissez pour vos avocats et pour la vie même du barreau ?

Pierre-François Giudicelli : J'ai voulu rendre à mon Ordre ce que mon Ordre m'a donné. C'est un métier que j'aime et je ne me voyais pas en faire un autre. Si je peux rendre service à mes confrères et aux gens un peu plus pendant deux ans cela me va !

Et je veux, et je le dis depuis le début, que l'avocat soit au centre et au coeur de la cité. On est la profession du droit le plus accessible au public.

Or, pour le public, l'avocat n'est là qu'en cas de problème. Il faut que les mentalités changent et que les gens n'hésitent pas à prendre un conseil chez un avocat avant même qu'il y ait un problème. Le calcul est simple. Dans la vie d'une famille, il y a plus de chance d'avoir besoin d'un notaire (achat d'un bien) ou d'un expert comptable (création d'une société), que d'un avocat, or cela devrait être équivalent. L'avocat, ce n'est pas que le procès ; c'est aussi le conseil et, souvent, le conseil peut éviter le procès. Et, c'est cela qu'il faut faire passer comme message. Les mentalités doivent changer. Cela ne va pas se faire en deux ans, mais il faut amorcer la chose.

Ce que je constate c'est que, lorsque l'on prend un dossier depuis le début, cela se passe mieux et même s'il doit y avoir procès -parce que cela reste parfois inévitable- cela se passe mieux.

Il faut aussi faire passer le message que les solutions ne sont pas toutes dans les tribunaux ; l'avocat peut arranger un problème sans avoir recours au juge. Et l'un des moyens pourrait être l'acte contresigné d'avocat. Sans qu'il soit révolutionnaire, c'est un outil intéressant et il faudra voir ce que cela va donner en pratique.

De toutes les façons, les avocats sont là depuis toujours. On a surmonté toutes les réformes. On a été supprimé, on nous a remis. D'ailleurs cette année on fête le bicentenaire du rétablissement des Ordres. Le monde ne peut pas avancer sans nous. C'est rare les professions supprimées qui réapparaissent et cela est assez significatif de l'importance de la profession !

Lexbase : Quel regard portez-vous sur les différentes réformes en cours ?

Pierre-François Giudicelli : Il faudrait plutôt me parler des réformes qui ne sont pas en cours ! Parce que tout change. J'ai 43 ans, depuis que 15 ans que j'exerce rien ne nous a été épargné et souvent plusieurs fois : le divorce, deux fois ; la procédure pénale, je ne compte plus ; la procédure civile, on a des décrets qui sont rendus chaque fois fin décembre ou fin juillet et qui modifient tout. Donc il faudrait plutôt me poser des questions sur ce qui ne change pas !

Ce que je trouve insupportable, c'est que l'on fasse de l'évènementiel avec la loi. Les révolutionnaires disaient que la loi ne peut mal faire. Aujourd'hui, on fait faire n'importe quoi à la loi. Ce n'est pas l'inflation législative le problème, elle a toujours existé. C'est qu'aujourd'hui les gens pensent que tout peut se régler immédiatement par la loi et ce n'est pas possible. Il n'y a aucune lisibilité. On n'est pas là pour commenter la loi, on l'applique, on l'interprète lorsque cela est nécessaire, mais le problème est profond.

L'aide juridictionnelle, c'est un serpent de mer ; ça pollue toutes les réunions des instances professionnelles. On en parle depuis des années et depuis des années c'est dévalorisé, et au final rien ne se passe...

Il faut savoir quelle justice on souhaite avoir.

Une justice de qualité impose que des moyens soient mis en oeuvre pour qu'elle soit rendue efficacement. Et il faut mettre en parallèle la rémunération des avocats qui peuvent intervenir pour les gens qui sont dans le besoin. Et, tant que ces deux objectifs seront séparés, on n'avancera pas. On ne peut pas continuer à avoir en France un budget qui soit l'un des plus faibles d'Europe. Je parle du budget de la justice en général. On ne peut pas avoir ce budget ridicule, ce manque de moyens, alors que, dès qu'on allume la télé ou la radio, plus de la moitié des sujets traités a trait à la justice.

Sur Avignon, la situation est très tendue : manque de personnels, manque de moyens, délais insupportables (6 mois pour être divorcé par consentement mutuel, par ex.) ; ce n'est plus possible.

Alors, si le moyen c'est, comme on le pense à la Chancellerie, de déjudiciariser, ce n'est pas une bonne solution, et pourtant c'est ce qui ressort des projets en cours.

Si on veut avoir des relations apaisées et que les choses se passent bien, il faudrait, par exemple, que les divorces par consentement mutuel soient prononcés en 15 jours ou 3 semaines.

A l'époque, quand on parlait de transférer les procédures de consentement mutuel du juge aux affaires familiales au notaire, tout le monde a hurlé ; si cela avait permis de réduire les délais, tant mieux ; mais cela a été conçu comme une mesure de rétorsion à l'égard des avocats.

Allez discuter de l'homologation d'un acte que j'ai rédigé devant le juge ou devant un officier ministériel , intellectuellement on peut trouver cela choquant ; mais si l'objectif est le même, s'il authentifie ou homologue ce que j'ai fait, alors...

A l'étranger pour les divorces par consentement mutuel, le juge homologue et ne convoque même pas l'avocat.

La question est donc de savoir si nos juges sont prêts à admettre de ne devenir que des chambres d'enregistrement et d'authentification. Ce n'est culturellement pas pensable.

C'est comme pour la garde à vue, vous n'allez pas me dire qu'en France on est par principe contre l'avocat et culturellement contre l'avocat en garde à vue. Non ! On a juste calculé que cela devrait coûter beaucoup au budget de l'Etat pour l'aide judiciaire. On retarde une échéance et on veut régler les problèmes d'une manière complètement inadaptée.

Quand vous voyez qu'en Allemagne un dossier criminel est jugé en 6 mois alors qu'il faut 2 ans en France. Pourquoi ? Parce que, au Parquet de Cologne, il y a plusieurs dizaines de substituts, les dossiers tournent et cela va vite.

Rendre la justice, de façons sereine et dans les délais les meilleurs cela a été le plus gros sujet d'inquiétude des rois.

La première chose à laquelle se sont attaqués les rois, c'est de faire en sorte que la justice soit rendue convenablement. C'est la première fonction régalienne de l'Etat.

Concernant l'avocat en entreprise, c'est plus compliqué. Partout où cela a été fait sans garde fou cela a été catastrophique (Espagne, Amérique du Sud, par exemple).

Et le problème c'est qu'en France, on prend ce qui se fait ailleurs et on essaye de l'accommoder à la sauce française et ça ne peut pas marcher. Il faut savoir ce que l'on veut : soit être une profession libérale, soit être salarié. Aujourd'hui, un avocat diplômé qui veut être, demain, juriste en entreprise, qu'il se mette alors en omission du barreau.

Personnellement je n'y suis pas hostile c'est dans l'Ordre des choses, mais il faut en parler, l'expliquer, l'organiser et voir quel est l'intérêt pour la profession.

Sur l'interprofessionnalité, pour moi le combat contre les notaires n'a pas lieu d'être ; on ne fait pas le même travail. Il y a eu un litige mais ce ne sont pas les avocats qui ont commencé.

L'objet des avocats ce n'est pas de faire des actes authentiques.

Personnellement, je suis pour une grande profession du chiffre et du droit unique organisée et puissante avec les experts-comptables. Economiquement cela serait bon. Cela éviterait que les comptables fassent des choses sur lesquelles ils ne sont pas formés.

Enfin sur la gouvernance, le barreau d'Avignon s'est déjà exprimé pour le maintien des Ordres, tout en étant favorable à une mutualisation pour certaines choses.

Si le regroupement des Carpa par département semble possible, le Bâtonnier se doit d'être proche des gens, proche de ses confrères, proche du tribunal. Nous maintenir en exercice pour aller inaugurer les chrysanthèmes ce n'est pas possible !

On a une légitimité ; être bâtonnier veut encore dire quelque chose et cela est irremplaçable.

Et s'il y a une structure régionale cela ne sera plus possible

Je le redis, le rôle du Bâtonnier est irremplaçable et s'il est maintenu sans prérogatives cela ne marchera pas.

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