La lettre juridique n°402 du 8 juillet 2010 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Juillet 2010

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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique, on retrouvera un arrêt rendu le 17 mars 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation et qui revient sur un sujet suffisamment rare pour justifier son intérêt, à savoir la convention obsèques. A l'honneur également, un arrêt émanant de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 27 mai 2010, qui s'arrête sur le régime de prescription (biennale ou de droit commun) s'appliquant à la répétition de l'indu en matière d'assurance.
  • La convention obsèques : affectation automatique ou non des capitaux par l'assureur (Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 08-20.426, FS-P+B N° Lexbase : A8057ETL)

Depuis le temps qu'on l'attendait... : un arrêt de la Cour de cassation sur les conventions obsèques dont la télévision, comme la publicité par voie de presse écrite, ne cessent de nous vanter les mérites. Il est vrai que le marché potentiel n'est pas négligeable. Pour qui ne connaîtrait pas encore bien le principe, ce que visent ces contrats ce sont les frais relatifs aux obsèques d'une personne. Au lieu que la famille choisisse, dans la précipitation, le type d'enterrement pour le de cujus, c'est celui-ci qui y procède, à l'avance, selon ses souhaits et surtout ses moyens. L'argument commercial consiste à mettre en avant le soulagement pour les proches du défunt que représentent ces opérations toujours douloureuses, ainsi que les hésitations quant aux choix à effectuer ; ce dernier appartient donc au principal intéressé.

D'aucuns feront observer qu'il s'avère plus aisé de convaincre une personne bien vivante d'opter pour des dispositions plutôt onéreuses, que la famille désarçonnée par l'affreuse nouvelle et éventuellement démunie. Encore que l'on puisse objecter qu'il est peut-être également simple de profiter du désarroi des individus pour leur vendre des formules coûteuses. Quoiqu'il en soit, les assureurs se sont emparés de ce marché potentiel, en arguant du souci de prévoyance que recèle cette démarche effectuée par les personnes d'un certain âge, désireuses de "savoir comment ce moment délicat" se déroulera. Ils ont donc proposé, depuis une bonne vingtaine d'années, ce qui a été dénommé "conventions obsèques", dont l'exacte nature, le contenu et la portée juridique restaient à établir de manière officielle, ne serait-ce qu'eu égard à l'existence d'une pluralité de formules pratiques.

C'est l'ambition de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 mars 2010, tout au moins en ce qui concerne l'un des aspects de ce type de contrat d'assurance. Et l'on ne s'étonnera pas que la Cour de cassation ne se soit pas fondée sur un article du Code des assurances, lequel n'existe pas, mais sur le droit commun des obligations et plus spécifiquement le roi des articles en matière contractuelle, fut-ce dans le cadre du droit des assurances, l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), selon lequel le contrat tient lieu de loi entre les parties. Toutefois, pour comprendre le raisonnement adopté par la Cour de cassation, l'exposé rapide des faits est indispensable, même si ceux-ci ne sont pas complexes.

Un homme souscrit une police d'assurance appelée convention obsèques prévoyant le règlement d'un capital de trois mille euros en cas de décès. Dans la clause bénéficiaire prévue au contrat, il désigne une femme, Mme P.. L'arrêt n'indique pas le lien qui existait entre eux, sans que ce silence constitue une gêne pour la présente analyse juridique. L'assuré prévoit même qu'à défaut de cette personne, l'une de ses filles, Mme C. S. vienne en second. Enfin, toujours à défaut de cette dernière, il institue sa deuxième fille, Mme S. S. en troisième ligne. Lors de son décès, un litige survient entre ces trois femmes : les deux filles reprochent à Mme P. de ne pas avoir participé aux frais funéraires.

Le tribunal d'instance saisi condamne cette femme peu scrupuleuse en constatant que l'objectif du contrat d'assurance souscrit apparaissait de manière claire, suivant une formule simple mais précise et sans ambiguïté : "la garantie d'un capital à la ou les personnes de votre choix pour régler les frais de vos obsèques". Un lien était ainsi établi entre la volonté du cocontractant de l'assureur et l'emploi des sommes réglées par ce dernier au tiers bénéficiaire. La Cour de cassation casse et annule cette décision d'un juge de proximité. En effet, elle considère que le contrat ne prévoyant pas de clause d'affectation du capital garanti à la couverture des frais funéraires, le juge de proximité a violé l'article 1134 du Code civil.

Ce court arrêt présente un vif intérêt sur deux aspects : d'une part, la nature juridique de ces conventions obsèques, et, d'autre part l'affectation des capitaux ou indemnités dans les contrats d'assurance quels qu'ils soient. En raisonnant de la sorte, la Cour de cassation règle, indirectement, la question de la nature juridique de ces contrats. Une hésitation se révélait, en effet, possible. Ou bien ces contrats étaient considérés eu égard à leur finalité : le paiement de frais à l'occasion d'un événement donné, certain, même si sa date de survenance est inconnue des parties lors de sa formation. Dans cette hypothèse, la somme réglée servait à indemniser l'assuré ou plutôt les tiers bénéficiaires des dépenses effectuées. Il s'agissait d'un contrat d'indemnités, relevant du principe indemnitaire. Ou bien, ils étaient conçus en fonction du siège du risque, c'est-à-dire la personne. Dans ce cas, le contrat prévoyant que la prestation de l'assureur est due lors du décès de celle-ci s'analyse en un contrat d'assurance en cas de décès.

C'est pour cette dernière option que la Cour de cassation a opté, ce qui n'est pas neutre. Sur le fond de cette préférence, un débat pourrait naître : autant d'arguments militaient pour y voir une assurance de dommages qu'une assurance de personnes. Il est donc permis de se demander si la Cour de cassation ne tranche pas en raison des avantages indubitables qu'offre le régime juridique des assurances de personnes : outre le cumul d'indemnités possible -encore qu'il ne soit guère utile dans ce type de contrats-, on songe à l'absence de recours subrogatoire, ou encore et surtout à l'ensemble des règles des articles L. 132-13 (N° Lexbase : L0142AAI) et suivants du Code des assurances permettant aux assurances vie d'échapper aux dispositions du Code civil relatives aux successions et à la fiscalité correspondante.

Et souvenons-nous de l'une des leçons que la Cour de cassation nous a donnée en matière de qualification juridique des assurances vie, dans les quatre arrêts en date du 23 novembre 2004 : peu d'exigences sont posées à la reconnaissance d'un contrat d'assurance vie dans des hypothèses de faits comme de droit où le doute était pourtant permis (Cass. mixte, 23 novembre 2004, quatre arrêts, n° 03-13.673 N° Lexbase : A0919DER ; n° 01-13.592 N° Lexbase : A0225DE3 ; n° 02-11.352 N° Lexbase : A0235DEG ; et n° 02-17.507 N° Lexbase : A0265DEK). Quoi que l'on pense de cette jurisprudence, au fondement juridique rapide pour ne pas dire sacrifié, le message qui avait voulu être passé était clair : il faut faciliter le développement de ces contrats là, d'où l'intitulé d'un article de l'un de nos collègues : "longue vie à l'assurance vie". Pourtant, ce n'est pas le choix que la Cour de cassation  effectue.

Il est permis de demeurer dubitatif. En effet, notre Haute juridiction s'attache au constat que ce type de contrat d'assurance vise à anticiper une dépense, une perte financière pour la famille proche ; en d'autres termes, il semble destiné à indemniser la famille du dommage consistant dans les frais à engager pour offrir des obsèques dignes à l'un d'eux. Néanmoins, il convient de ne pas se fier aux seules apparences. Il ne faut pas qualifier cette convention de contrat d'assurance de personnes ou d'assurance décès sous le seul prétexte qu'il s'agit d'un contrat concernant une personne et sa disparition. Il convient aussi de se garder de conclure à la qualification d'assurance indemnitaire par élimination de cette première catégorie. Car, en l'espèce, la démarche relève d'une forme de prévoyance. A bien des égards, le contrat ressemble -à s'y méprendre- au contrat d'assurance maternité d'autrefois, lequel était répertorié parmi les assurances de personnes.

Voilà donc un nouveau sujet théorique de discussions possibles à l'infini comme seule l'assurance, depuis quelques années, sait nous l'offrir. Que les (rares) purs praticiens veuillent bien nous pardonner, les théoriciens s'en lècheraient volontiers les babines.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Répétition de l'indu en matière d'assurance et prescription (biennale ou de droit commun) : la troisième chambre civile reste fidèle à la distinction selon la source du paiement indu (Cass. civ. 3, 27 mai 2010, n° 09-15.412, Etablissement public de coopération intercommunale Communauté d'agglomération porte de l'Isère (CAPI), venant aux droits du syndicat d'agglomération nouvelle de l'Isle d'Abeau, FS-P+B N° Lexbase : A7331EXS)

La prescription en matière d'assurance est une question qui ne cesse de poser des difficultés.

La faute première en revient peut-être au législateur qui n'a pas, à l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP), rédigé un modèle de clarté en posant que "toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance". Le verbe "dériver de" expose aux interprétations et à la casuistique. Dans nombre d'espèces, il est donc nécessaire de déterminer si l'action relève de la prescription de droit commun (trentenaire hier et quinquennale depuis la réforme du 17 juin 2008 par la loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I) ou de la prescription biennale du droit des assurances.

La question vaut s'agissant de la prescription applicable à l'action en répétition de l'indemnité d'assurance indûment versée par l'assureur, où la disharmonie entre chambres de la Cour de cassation, semble patente.

Comme l'a déjà relevé en choeur la doctrine (1), cette question a été le siège d'une véritable "valse" (un menuet si l'on préfère) :

- dans un premier temps (jusqu'en 2002), la simplicité a régné, qui consistait à soumettre l'action en répétition de l'assureur à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances, en considérant que cette répétition procédait ("dérivait") du contrat d'assurance ;

- dans un deuxième temps, la complexité s'est installée, sous forme de distinction selon la source du paiement indu. Comme l'a souligné Jérôme Kullmann (2), la prescription biennale a été restreinte à l'hypothèse où "le caractère indu du paiement provient d'une clause librement stipulée par les parties (exclusion, etc.)", tandis que c'est la prescription de droit commun qui s'impose "quand il résulte d'une disposition impérative de la loi (faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH, principe indemnitaire de l'article L. 121-1 N° Lexbase : L0077AA4, etc.)". Cette distinction selon la source contractuelle ou légale a été consacrée par plusieurs arrêts (3) ;

- dans un troisième temps, la deuxième chambre a donné des gages de simplification en soumettant la répétition du paiement indu des indemnités au droit commun, "en ce qu'elle trouve sa justification dans l'inexistence de la dette aux termes des articles 1376 (N° Lexbase : L1482ABI) et 1377 (N° Lexbase : L1483ABK) du Code civil" et "ne dérive pas du contrat d'assurance" pour écarter la prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances (4). Il s'agissait, pourtant, d'un contrat d'assurance (invalidité, donc non soumise au principe indemnitaire) ayant prévu des indemnités journalières jusqu'à la date de consolidation. L'action de l'assureur ayant versé des sommes au-delà de cette date aurait dû, si le "deuxième temps" avait toujours eu cours, être soumise à la prescription biennale. C'était donc le signe que "la cause de la répétition semble indifférente, seule l'inexistence 'objective' de la dette étant prise en considération" (5).

La troisième chambre civile a semblé ne pas vouloir rejoindre cette doctrine, préférant continuer à pratiquer le "deuxième mouvement", en "soliste". Dans un arrêt du 11 mars 2008 (Cass. civ. 3, 11 mars 2008, n° 06-21.284 N° Lexbase : A3969D77), elle a, à propos d'une action en répétition de l'indu exercée par un assureur dommages-ouvrage, énoncé que, "en application de l'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP), modifié, l'assureur dommages-ouvrage ne pouvait être tenu au-delà des strictes dépenses nécessaires à la réparation des dommages et qu'ainsi ne dérivait pas du contrat d'assurance, mais de la loi, l'action de l'assureur tendant à la répétition de ce qui avait été payé au-delà du coût des travaux nécessaires à la réparation des dommages".

L'analyse portait clairement la distinction selon la source légale (l'article L. 242-1 du Code des assurances) ou contractuelle (les stipulations) du paiement indu par l'assureur.

Avec l'arrêt rapporté du 27 mai 2010 et destiné à la publication au Bulletin, la troisième chambre civile "enfonce le clou" et montre qu'il ne s'agissait pas d'une erreur de plume (6). La motivation de l'arrêt est d'une grande clarté. S'agissant de l'action de l'assureur dommages-ouvrage condamné en référé à indemniser son assuré alors que, a posteriori, sera démontré le caractère non décennal des désordres, l'arrêt précise :

"Mais attendu que l'assureur dommages-ouvrage n'étant, en l'absence de dispositions contractuelles particulières, tenu que du préfinancement du coût des seuls travaux nécessaires à la réparation des désordres portant atteinte à la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, la cour d'appel, qui a [...] relevé que la société Albingia avait été condamnée à payer une provision en vertu des obligations légales mises à la charge de l'assureur dommages-ouvrage et qu'une décision irrévocable avait constaté l'inexistence de désordres entrant dans le cadre de cette garantie [...], a exactement retenu [...] que ne dérive pas du contrat d'assurance, mais de la loi, l'action de l'assureur tendant à la répétition de ce qui avait été payé en vertu de l'ordonnance de référé et que seule la prescription de droit commun était applicable à cette action" (c'est nous qui soulignons).

La disharmonie au sein de la Cour de cassation est consommée... Faudra-t-il un arrêt en Chambre mixte pour éteindre ce conflit ? Il faudrait alors souhaiter que la simplicité l'emporte sur la complexité...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Cf., notamment, Axelle Astegiano-La Rizza in Code des Assurances, Litec 2010, commentaires sous L. 114-1 ; adde, J. Kullmann, RGDA, 2008-2, p. 329, obs. sous Cass. civ. 3, 11 mars 2008, n° 06-21.284 (N° Lexbase : A3969D77).
(2) J. Kullmann, obs. préc..
(3) Cf., notamment, Cass. civ. 1, 27 février 1996, n° 94-12.645 (N° Lexbase : A9692ABL), Bull. civ. I, n° 173 ; Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 99-11.777 (N° Lexbase : A9924AXT), Bull. civ. I, n° 47 ; Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 02-16.219 (N° Lexbase : A6354C99), Bull. civ. I, n° 45 ; Cass. civ. 3, 3 mars 2004, n° 02-15.411 (N° Lexbase : A4063DB4), Bull. civ. III, n° 45.
(4) Cass. civ. 2, 18 mars 2004, n° 03-10.620 (N° Lexbase : A6085DBY), RGDA, 2004, p.390, note J. Kullmann ; Cass. civ. 2, 14 juin 2006, n° 05-15.248 (N° Lexbase : A9523DPE).
(5) Axelle Astegiano-La Rizza, op. et loc. cit..
(6) Comme avait pu le penser H. Groutel in RCA, 2008, comm. n° 209.

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