AVIS DE Mme LAULOM, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 1097 du 23 octobre 2024 (B) –
Chambre sociale Pourvoi n° 23-11.087⚖️ Décision attaquée : 17 octobre 2022 du conseil de prud'hommes de Nanterre Mme [SH] [V] C/ La société Manpower France _________________
Avis commun aux pourvois n° 23-11.087 à 23-11.301 L'action de substitution est ancienne et elle est reconnue dans des domaines où les travailleurs sont dans des situations de particulière vulnérabilité et/ou précarité. Permettant aux organisations syndicales d'agir au lieu et place des salariés, elle reste peu utilisée, en dépit de son intérêt très bien illustré par les pourvois dont la chambre sociale est saisie. Ainsi, dans les 215 pourvois ici soumis à la chambre sociale, le syndicat CFTC intérim a agi pour le compte de 215 travailleurs temporaires en demandant le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat mise en place dans les entreprises utilisatrices en application de l'article 1 de la loi n° 2018-2013 du 24 septembre 2018. Sur cette question au fond, dans un arrêt du 25 octobre 2023, la Cour de cassation, qui a été saisie, par le même syndicat dans le cadre également d'une action de substitution, a admis que les salariés temporaires peuvent
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effectivement prétendre au paiement de cette prime en application de l'article L. 1251-18 du code du travail1. Mais l'action de substitution est soumise à des conditions de forme qui conditionnent la recevabilité de l'action syndicale et les pourvois vous donnent l'occasion de donner quelques précisions sur ces conditions et notamment sur le moment où le syndicat doit informer les salariés de son action. Le conseil de prud'hommes a, suivant la même motivation, dans tous les jugements, déclaré l'action irrecevable aux motifs suivants : “Les documents produits démontrent que le syndicat, par requête individuelle signée par le représentant syndical, a introduit lui-même la requête et en a informé le salarié, a posteriori. Le courrier envoyé au salarié n'est pas personnalisé et est sans information sur la possibilité de refus ou d'acceptation tacite. La procédure n'a pas été respectée”. Pour information, je signale que deux décisions de la cour d'appel de Nancy du 18 octobre 2022, dans un contentieux similaire et avec le même syndicat, ont elles admis la recevabilité de l'action de substitution et elles font actuellement l'objet de deux pourvois2. Je renvoie au rapport pour le détail de la procédure et des spécificités de chaque groupe de pourvois. La motivation du conseil de prud'hommes étant identique, mon avis est commun à l'ensemble des pourvois et portera sur la première branche du moyen unique qui soulève une question relative à l'action de substitution : jusqu'à quel moment l'avertissement du salarié, par le syndicat, de l'exercice d'une action de substitution, peut-il intervenir ?
1. L'action de substitution Au-delà de l'enjeu de la décision à venir, pour les 215 salariés intérimaires concernés par le paiement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, c'est à un double titre que la réponse à cette question présente un intérêt. D'une part, les actions de substitution restent peu fréquentes ou, en tous cas, le contentieux qu'elles suscitent est rare. A ce titre, le pourvoi donne à la chambre sociale la possibilité de clarifier certaines des conditions posées à l'exercice, par les organisations syndicales, d'une action de substitution. D'autre part, ce pourvoi s'inscrit dans un contexte où la chambre sociale a également eu récemment l'occasion de préciser sa jurisprudence relative à la définition du contour de l'action en défense de l'intérêt collectif. Les deux arrêts du 22 novembre 20233 ont été l'occasion “pour la
Chambre sociale de la Cour de 1
Soc., 25 octobre 2023, pourvoi n° 21-24.161, FS-B⚖️.
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CA de Nancy, 29 janvier 2024, n° RG 22/02593 et n° RG 22/02594 (respectivement pourvois S 24-13.658 et C 24-13.576). 3
Soc., 22 novembre 2023, pourvoi n° 22-11.238, FS-B⚖️ et
Soc., 22 novembre 2023, pourvoi n° 22-14.807, FS-B⚖️.
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cassation, à l'aune de l'évolution de sa jurisprudence depuis 2013, de séparer les demandes relevant effectivement de l'intérêt collectif de la profession de celles qui relèvent de la sphère individuelle des salariés et ne peuvent donc pas être présentées par un syndicat. Cette distinction entre les demandes relevant de l'action des syndicats de celles ne relevant que de la liberté individuelle des salariés permet également de prévenir de nombreuses difficultés, tant pour l'application des règles de prescription que pour l'exécution des décisions de justice. Dans la ligne d'arrêts récents (Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n 16-11.495, Bull. 2017, V, n 131 ; Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-18.226, publié ;
Soc., 30 mars 2022, pourvois n° 20-15.022 et 20-17.230⚖️, publié ;
Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-15.189⚖️, publié), la Chambre sociale écarte la possibilité pour le syndicat de demander au juge d'enjoindre à l'employeur de procéder à des régularisations de situations individuelles, en précisant que cela empiéterait sur la liberté personnelle des salariés, à laquelle la Chambre sociale a déjà fait expressément référence dans une décision de non-lieu à renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (
Soc., 20 avril 2023, QPC n° 23-40.003⚖️, publié). La Chambre sociale admet toutefois que la demande du syndicat puisse, dans son principe même, viser le passé, à condition qu'elle ne porte que sur la réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession. Elle admet également que le syndicat puisse demander pour l'avenir qu'il soit enjoint à l'employeur de mettre fin de façon générale à l'irrégularité constatée, le cas échéant sous astreinte”4. Si les actions qui relèvent de la sphère individuelle des salariés n'entrent pas dans le champ de l'intérêt collectif de la profession, elles peuvent, dans les domaines où elles sont autorisées par le législateur, faire l'objet d'une action de substitution. Dans la mesure où l'action en défense de l'intérêt collectif et l'action en substitution sont deux prérogatives des organisations syndicales, destinées à suppléer l'asymétrie des pouvoirs entre employeur et salariés et à favoriser l'application effective des règles de droit du travail, alors même que le domaine de l'action de groupe reste cantonnée aux discriminations, l'interprétation des dispositions qui encadrent l'action de substitution doit tenir compte de l'interprétation parallèle de la notion d'intérêt collectif de la profession. L'action de substitution est une action ancienne. Son origine remonte à la première loi sur les conventions collectives, la loi du 25 mars 19195. Elle est destinée à faciliter l'action en exécution des conventions collectives et pallier les réticences que les salariés peuvent avoir à engager un recours. Il faudra ensuite attendre la fin des années cinquante pour qu'une autre action de substitution soit introduite avec la loi du 26 juillet 1957, au profit des travailleurs à domicile6. C'est à partir de 1981 que ces actions de substitution se sont multipliées sans n'être plus liées à l'appartenance des salariés à l'organisation syndicale et en exigeant du syndicat qui l'exerce d'être représentatif.
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Commentaire des décisions publié à la Lettre de la chambre sociale, novembre 2023.
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Actuellement
article L. 2262-9 du code du travail🏛.
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Actuellement
article L. 7423-2 du code du travail🏛.
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Aujourd'hui, les syndicats peuvent exercer ce type d'action dans des domaines très variés : emploi des étrangers (L. 8225-5 et D. 8255-1), prêt de main d'oeuvre illicite (L. 8242-1, R. 8242-1 et R. 8242-2), salariés détachés (L. 1265-1 et D. 1265-1), travail dissimulé (L. 8223-4 et D. 8223-4), marchandage (L. 8233-1, D. 8233-2 et D. 8233-2), groupement d'employeurs (L. 1253-16), travailleurs temporaires (L. 125132 et D. 1251-33), travailleurs en contrats à durée déterminée (L. 1247-1 et D. 12471 et D. 1247-2), licenciements pour motif économique (L. 1235-8, D. 1235-18 à D. 1235-20), égalité de rémunération entre les femmes et les hommes (L. 1144-2), discriminations (L. 1134-2), harcèlement (L. 1154-2). L'objectif de l'action de substitution n'a pas changé depuis le début du XX e siècle. L'action de substitution contribue à l'application effective des règles de droit du travail. Elle est admise lorsque les salariés sont dans une situation particulière de précarité et de vulnérabilité qui peut faire, d'une part, qu'ils aient une connaissance très insuffisante de leurs droits et, d'autre part, qu'ils hésitent ou évitent d'agir en justice de crainte de mesures de rétorsion. Ainsi l'action de substitution procède de la volonté du législateur d'assurer l'effectivité du droit d'agir en justice des salariés7. Si l'action de substitution permet de suppléer aux carences d'actions individuelles et d'améliorer la protection effective des droits de certaines catégories de travailleurs, elle peut également avoir une dimension collective. C'est le cas lorsque sont en cause l'application d'une convention collective, la réalisation d'une opération de licenciement pour motif économique ou lorsque l'inexécution par l'employeur de certaines de ses obligations concerne un nombre plus ou moins important de salariés. Cette dimension collective a d'ailleurs été reconnue par le Conseil constitutionnel pour qui l'action de substitution permet aux organisations syndicales représentatives “d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective”8. Par certains aspects, elle se rapproche d'une action de groupe9. L'action de substitution permet à l'organisation syndicale d'engager une action en justice au lieu et place des personnes titulaires de ces actions, sans avoir besoin d'un mandat exprès de leur part. L'arrêt Servair de la chambre sociale a mis fin aux débats doctrinaux sur la nature de cette action10. En affirmant que “la procédure engagée par le syndicat est une action qui lui est personnelle et non une action par représentation des salariés”, la Cour de cassation a exclu que l'action de substitution soit assimilée à une technique de représentation. Pour E. Jeuland, cela exclut que l'action de substitution puisse être vue comme une exception, d'interprétation nécessairement
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A. Supiot, “La protection du droit d'agir en justice”, Droit Social, 1985, p. 774.
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Cons. Cons. § 24 de la décision.
Voir O. Levannier-Goüel, “Fallait-il consacrer l'action de groupe en droit du travail?”, SSL n° 1741, 2016. 9
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Soc., 1 février 2000, pourvoi n° 98-46.201⚖️, Bull. 2000, V, n° 53.
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stricte, au principe selon lequel “nul ne plaide par procureur”11 qui ne concerne précisément que la technique de représentation12. C'est à l'occasion d'une réforme du licenciement économique et de l'introduction de l'action de substitution reconnue aux salariés licenciés pour un motif économique13, que le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de se prononcer sur la constitutionnalité d'une action de substitution. Mettant en balance, la liberté syndicale et la liberté personnelle du salarié, “qui comme la première a valeur constitutionnelle”, le Conseil constitutionnel a posé une réserve d'interprétation : “S'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié, mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action”14. “Les dispositions de la loi en cause, pour respecter la liberté du salarié vis-à-vis des organisations syndicales, impliquent que soient contenues dans la lettre adressée à l'intéressé toutes précisions utiles sur la nature et l'objet de l'action exercée, sur la portée de son acceptation et sur le droit à lui reconnu de mettre un terme à tout moment à cette action : que l'acceptation tacite du salarié ne peut être considérée comme acquise qu'autant que le syndicat justifie, lors de l'introduction de l'action, que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant les mentions susindiquées ; que c'est seulement sous ces réserves que l'article 29 de la loi n'est pas contraire à la liberté personnelle du salarié”15. Parce que les actions de substitution ont été instituées à différents moments, au fil d'interventions législatives dédiées aux domaines en cause, les articles qui les reconnaissent et les encadrent présentent des variations dans leur formulation. Nul doute à cet égard, qu'une harmonisation de la rédaction et un regroupement de ces différents articles éparpillés dans le code du travail participeraient d'une meilleure compréhension et lisibilité de ce dispositif. Toutes exigent une information du salarié, E. Jeuland, “L'action de substitution des syndicats à la place des salariés”, JCP 2001 II 10451. 11
Voir également F. Petit, “Le syndicat exerce une action personnelle lui permettant d'obtenir la réalisation des droits du salarié; il existe même deux actions: celle du salarié, qu'il lui est loisible d'exercer et celle du syndicat, qui vient, non pas en renfort ou en complément, mais en remplacement de celle du salarié, lorsque ce dernier néglige - pour des raisons qui tiennent essentiellement à sa qualité de travailleur subordonné - d'exercer son droit”, in “L'action de substitution, un cadeau promis à un avenir meilleur, Droit Social 20O4, p. 262. 12
13
Loi n° 89-549 du 2 août 1989🏛, modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion. Aujourd'hui
article L. 1235-8 du code du travail🏛. 14
Cons. Const., décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989 § 24.
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Ibid § 26.
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qui ne doit pas s'être opposé à l'action du syndicat et qui peut toujours intervenir à l'instance, mais le formalisme exigé peut varier. L'action de substitution demeure néanmoins peu utilisée. Dans le rapport sur les discriminations collectives en entreprise16, au sujet de l'action en substitution de l'article L. 1134-2, action spécialement dédiée à la résolution des litiges relatifs à la discrimination au travail, L. Pécaut-Rivolier souligne que “l'action en substitution n'est quasiment jamais mise en oeuvre”. Les raisons semblent multiples : un certain désintérêt des organisations syndicales pour le thème de la discrimination, la difficulté à établir l'existence d'une discrimination, mais également, comme le souligne le rapport, les effets “insuffisants - voire négatifs - de ce texte”. “Les syndicats expliquent en effet qu'en matière de discrimination, leur principale difficulté est que si les salariés acceptent mal de se trouver nommément dans une action en justice, alors que leur contrat de travail est en cours, ils soient exposés aux représailles de l'employeur”..., “Le risque est dès lors que les syndicats, après avoir constitué un dossier long et difficile pour établir la discrimination collective, se heurtent à la résistance et à la crainte des salariés individuels de voir leur nom figurer dans la procédure”. Cette crainte des représailles est soulignée, car l'un des inconvénients de cette action est de devoir identifier nommément les bénéficiaires, ce qui peut les exposer à des risques de rétorsion 17. Les salariés sont aujourd'hui mieux protégés contre des mesures de rétorsion. Depuis la loi de n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, “le licenciement d'un salarié faisant suite à une action en justice engagé par ce salarié ou en sa faveur” en raison de cette action est nul (
article L. 1134-4 du code du travail🏛). La cour de cassation a, par ailleurs, énoncé avec la plus grande fermeté, dans un arrêt du 16 mars 2016, au visa des
articles L. 1221-1 du code du travail🏛 et 6, § 1 de la CEDH, “qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite par le salarié”18. On peut néanmoins craindre que la peur de représailles reste pour les salariés présente.
2. Les conditions d'exercice de l'action de substitution De manière générale, à l'exception du harcèlement, le salarié n'a pas besoin de donner son consentement express au syndicat pour que celui-ci exerce l'action en sa faveur. En revanche, il doit avoir été personnellement informé par le syndicat de 16
L. Pécaut-Rivolier, Lutter contre les discriminations au travail: un défi collectif, déc. 2013, en particulier pp. 81-82. Voir également M.-L. Dufresne-Castets, “Actualité des actions de substitution et des actions collectives”, Droit ouvrier, 2004, p. 122. Voir par exemple F. Giuomard, “L'action en justice des syndicats dans l'entreprise: “vieille lune” toujours actuelle”, Droit social 2020, p. 130. 17
18
Soc., 16 mars 2016, pourvoi n° 14-23.589⚖️, Bull. 2016, V, n° 50. Cette protection a ensuite été rattachée à l'alinéa premier du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789: “attendu qu'il résulte de ces textes qu'est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, le licenciement intervenu en raison d'une action en justice introduite ou susceptible d'être introduite par le salarié à l'encontre de son employeur” (
Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, FS-P+B⚖️).
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l'action envisagée, ce dont ce dernier doit justifier. Cette obligation, précisée par les dispositions légales aux termes desquelles le salarié doit avoir été averti par le syndicat et, dans certains cas, par des dispositions réglementaires listant les informations qui doivent être portées à la connaissance du salarié, a été rapportée par le Conseil constitutionnel à l'exigence d'un consentement éclairé du salarié, lequel suppose que soient mentionnés la nature et l'objet de l'action, la portée de l'acceptation et le droit d'y mettre un terme à tout moment. Concernant les travailleurs intérimaires ici en cause, selon l'
article L. 1251-59 du code du travail🏛, “les organisations syndicales représentatives peuvent exercer en justice toutes les actions résultant de l'application du présent chapitre en faveur d'un salarié sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé. Le salarié est averti dans des conditions déterminées par voie réglementaire et ne doit pas s'y être opposé dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'organisation syndicale lui a notifié son intention. Le salarié peut toujours intervenir à l'instance engagée par le syndicat et y mettre un terme à tout moment”. L'article D. 1251-32 précise que “l'organisation syndicale qui exerce une action en justice en faveur d'un salarié, en application du deuxième alinéa de l'article L. 125159, avertit ce dernier par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre indique la nature et l'objet de l'action envisagée par l'organisation syndicale représentative. Elle mentionne en outre : 1° Que l'action est conduite par l'organisation syndicale qui peut exercer elle-même les voies de recours contre le jugement ; 2° Que le salarié peut, à tout moment, intervenir dans l'instance engagée par l'organisation syndicale ou mettre un terme à cette action ; 3° Que le salarié peut faire connaître à l'organisation syndicale son opposition à l'action envisagée dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception”. Les arrêts de la chambre sociale sur l'action de substitution sont rares et c'est, par deux arrêts de 2000, les arrêts Servair, que la chambre sociale, a précisé, dans la continuité de la décision du Conseil constitutionnel de 1989, la portée de ces obligations formelles19. Les actions de substitution menées par l'organisation syndicale dans ces arrêts concernent des salariés en contrat à durée déterminée et les dispositions en cause, les articles L. 1247-1 et D. 1247-2 sont identiques aux articles parallèles relatifs aux travailleurs temporaires. L'apport de ces arrêts est triple. Tout d'abord, la Cour de cassation prend parti sur la nature de l'action de substitution qui faisait l'objet de débats : il s'agit d'une action personnelle du syndicat et non d'une action par représentation des salariés, ce qui emporte notamment des conséquences sur la forme du pourvoi, le syndicat n'étant pas tenu dans la déclaration de pourvoi d'indiquer les nom, prénom, profession et domicile des salariés en faveur desquels il s'agit20. 19
Soc., 1 février 2000, pourvoi n° 98-46.201, Bull. 2000, V, n° 53 et
Soc., 1 février 2000, pourvoi n° 98-41.624⚖️, Bull. 2000, V, n° 52. 20
Soc., 1 février 2000, pourvoi n° 98-46.201, Bull. 2000, V, n° 53.
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Ensuite, la Cour de cassation précise, en suivant les réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 juillet 1989, le formalisme de la lettre d'intention du syndicat. Parce qu'elle est protectrice de la liberté du salarié, le syndicat ne peut présenter de demandes autres que celles mentionnées dans cette lettre. Ainsi selon le commentaire à la RJS21, “la Cour de cassation a donné une grande portée à l'obligation d'information du salarié au regard de l'objet du litige. Affirmant en effet « que cette formalité substantielle est protectrice de la liberté du salarié », elle en a déduit « que le syndicat ne peut présenter de demandes autres que celles mentionnées dans cette lettre ». En l'espèce, ayant « constaté que la lettre d'intention envoyée par le syndicat aux salariés n'indiquait comme demandes que la requalification du contrat de travail, l'indemnité de requalification, l'indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et la fourniture sous astreinte du registre d'entrées et de sorties du personnel », c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé « que les autres demandes du syndicat qui n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle lettre adressée aux salariés dans les conditions des
articles L. 122-3-16 et R. 122-1 du code du travail🏛 n'étaient pas recevables »22. Enfin, la Cour de cassation précise le moment où cette information doit intervenir. Dans une des décisions de cour d'appel, celle-ci avait déclaré irrecevable la demande du syndicat concernant un des salariés au motif que le conseil de prud'hommes avait été saisi à la même date que l'envoi à l'intéressé de la lettre d'intention, c'est-à-dire sans que le délai de quinze jours à la date de la saisine ait été écoulé. La Cour de cassation casse au visa des articles L. 122-3-16 et R. 122-1 du code du travail et de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile : “Ayant constaté que le syndicat avait adressé au salarié, le 21 novembre 1996, la lettre d'intention prévue à l'article L. 122-3-16 du Code du travail, et que le conseil de prud'hommes ne s'était prononcé que le 16 mai 1997, ce dont il résultait que la cause de l'irrecevabilité de la demande avait disparu au moment où il a statué, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés”23. Dans le deuxième arrêt, la Cour de cassation rejette au contraire le pourvoi au motif que “la cour d'appel a constaté que les salariés pour lesquels le syndicat maintenait son action de substitution avaient été avisés, le jour de l'introduction de l'instance, dans les formes prévues aux articles précités, que l'employeur avait pu consulter toutes les lettres adressées aux salariés et qu'un délai de plus de quinze jours s'était écoulé depuis la notification aux salariés lorsque le conseil de prud'hommes s'est prononcé ; que la situation ayant donné lieu à fin de non-recevoir ayant ainsi été régularisée avant que le juge ne statue, la cour d'appel a déclaré, à bon droit, recevable, par ces seuls motifs l'action du syndicat”24.
21
Observations à la RJS, 2000, avril, n° 381.
22
Soc., 1 février 2000, pourvoi n° 98-46.201, Bull. 2000, V, n° 53.
23 24
Soc., 1 février 2000, pourvoi n° 98-46.201, Bull. 2000, V, n° 53. Soc., 1 février 2000, pourvoi n° 98-41.624, Bull. 2000, V, n° 52.
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Certains commentateurs ont mis en doute la conformité de l'interprétation de la Cour de cassation à la décision du Conseil Constitutionnel. Ainsi, “cette lecture compréhensive des textes, favorable à l'action syndicale, appelle à notre avis d'importantes réserves. Elle nous semble injustifiée en droit, en ce qu'elle porte atteinte à la liberté personnelle du salarié qui, comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle (...) ; elle nous semble contraire à la réserve d'interprétation contenue dans la décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1989 en matière de licenciement économique, (...). L'acceptation tacite du salarié ne peut être considérée comme acquise qu'autant que le syndicat justifie lors de l'introduction de l'action que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant les mentions sus-indiquées”25. Néanmoins, cette opinion semble plutôt refléter d'une incompréhension de la portée de cette décision. Il ressort, en effet, de ces deux décisions, que l'information des salariés peut être concomitante à l'introduction de l'instance et surtout qu'une régularisation de la situation, ayant donné lieu à fin de non-recevoir, est admise sur le fondement de l'
article 126 du code de procédure civile🏛, article selon lequel “dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue”. Ainsi, selon le commentaire à la RJS, “dès lors que la fin de non-recevoir tenant au droit d'opposition du salarié a disparu lorsque le juge statue, l'action du syndicat devient recevable : il n'y a là que l'application en ce domaine de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile sur la régularisation des fins de non-recevoir. Ce texte dispose en effet que, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de nonrecevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue”26. Pour E. Jeuland, “l'absence de représentation conduit la Cour de cassation à raisonner en termes de recevabilité à propos des conditions de l'action de substitution et non en terme de régularité de la demande. Autrement dit la Cour ne se demande pas si le syndicat a le pouvoir d'agir ce qui relèverait de l'article 117 du NCPC mais s'il a un droit personnel d'agir”. Si la lettre n'est pas envoyée dans les conditions prévues par la loi, il existe une possibilité de régularisation conformément à l'article 126 du NCPC”27. L'article 126 du Code de procédure civile indique que la régularisation peut intervenir jusqu'au moment où le juge statue. En réalité, dans la pratique, la régularisation doit intervenir avant : “l'affaire est, en effet, en délibéré et il n'est plus possible de conclure ou de communiquer de nouvelles pièces. Aussi, la régularisation doit intervenir avant la clôture des débats dans les procédures orales, et avant
C. Roy-Loustaunau, “L'action de substitution des syndicats en matière de requalification de contrat à durée déterminée: l'information du salarié substitué”, Droit social 2000, p. 516. 25
26
Observations à la RJS, 2000, avril, n° 381.
27
E. Jeuland, "L'action de substitution des syndicats à la place des salariés", JCP 2001 II 10451.
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l'ordonnance de clôture dans les autres procédures (Cass. 2 e civ., 3 juin 1998, n° 9621.173 : JurisData n° 1998-002433 ; RTD civ. 1998, p. 740, obs. R. Perrot)”28. Il faut donc admettre qu'en application de l'article 126 du CPC, la régularisation doit pouvoir intervenir avant la clôture des débats. C'est cette même solution qui est reprise dans un arrêt du 8 janvier 2020 29, relatif à une action de substitution sur le fondement de l'article L. 2262-9 du code du travail, où le pourvoi est rejeté car la cour d'appel a constaté “qu'au jour où elle statuait”, le syndicat avait informé les salariés qui ne s'étaient pas opposés à cette action. Dans les arrêts, l'information des salariés avait bien eu lieu avant ou concomitamment à l'introduction de l'instance de sorte que c'est la fin du délai au cours duquel le salarié peut exprimer son opposition qui régularisait l'action syndicale. Reste que jusqu'à présent si la régularisation est intervenue après l'introduction de l'instance, l'information, par les syndicats, des salariés était intervenue, au plus tard concomitamment à l'introduction de l'instance. S'il est indéniable que les organisations syndicales ont tout intérêt à prévenir les salariés avant d'engager l'action, il n'en demeure pas moins que la régularisation peut intervenir après et donc que ce qui importera c'est que le délai au cours duquel le salarié peut faire part de son opposition soit écoulé au jour où le juge statue, c'est-à-dire en pratique, avant la clôture des débats.
3. Les pourvois Selon la première branche du moyen du pourvoi, le conseil des prud'hommes en retenant que l'avertissement des salariés avait été donné a posteriori, c'est-à-dire après l'introduction des actions de substitution, a violé l'article L. 1251-59 du code du travail. Comme nous l'avons dit, l'article 126 du code de procédure civile autorise une régularisation de sorte que la fin du délai, pendant lequel les salariés peuvent s'opposer à l'action, peut intervenir après l'introduction de l'instance jusqu'au moment où le juge statue, c'est-à-dire en pratique jusqu'à la clôture des débats. On pourrait donc considérer que le moyen doit être accueilli. Sauf que, comme le souligne le mémoire en défense (p.18), cette branche est inopérante car c'est de manière surabondante que ce motif justifie la décision du conseil de prud'homme. Il est vrai qu'il ne ressort pas avec évidence de la lecture de la décision et des productions que l'information des salariés (qui serait intervenue par des lettres 28
JurisClasseur Procédure civile - Encyclopédies - Fasc. 600-30 : MOYENS DE DÉFENSE. – Généralités. 29
Soc., 8 janvier 2020, pourvoi n° 18-21.699⚖️, note V. Orif, Gazette du Palais, n° 27, p. 57 “Et attendu qu'ayant, au jour où elle statuait, constaté, d'une part, que le syndicat avait produit les cent huit courriers datés du 23 avril 2013 informant ses cent huit adhérents de l'objet de la procédure prud'homale engagée en leur faveur à défaut d'une réponse de leur part avant le 30 avril refusant l'exercice d'une telle procédure et, d'autre part, que ces courriers contenaient les formulaires, accompagnés d'une copie de la carte d'identité de chacun, remplis et signés par ces cent huit adhérents certifiant avoir reçu le courrier d'information et ne pas s'être opposé à cette action, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision”.
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datées respectivement des 16 avril 2019, 16 mai 2019 et 29 mai 2019) soit effectivement intervenue après la date de saisine du CPH (qui comme l'indique le rapport serait intervenu le 27 juin 2019, selon les indications figurant en p. 14 du mémoire déposé par le groupement d'intérêt économique Les assurances du crédit mutuel). Mais ainsi que le relève le rapport p. 22, il résulte des productions que ce qui était en débat était la justification de l'envoi à l'ensemble des salariés visés dans la procédure, de l'avertissement relatif à l'action intentée initialement en référé et, ensuite, que seize accusés de réception seulement étaient produits. Or, si l'envoi d'une lettre à un salarié en recommandé, quand bien même la lettre elle-même n'est pas individualisée, peut permettre de démontrer que le salarié a bien reçu l'information, la production de 16 lettres pour 215 salariés est tout à fait insuffisante et seule la production de l'ensemble des lettres et des accusés de réception peut permettre au syndicat de démontrer que l'information des salariés a bien été faite. Ainsi donc je rejoins le rapport lorsqu'il est indiqué que le “grief, qui se réfère à la date d'introduction de l'instance au fond en date du 5 octobre 2020 et qui argue d'une dénaturation des accusés de réception pour l'intégralité des salariés concernés, paraît donc, sous couvert de dénaturation remettre en cause l'appréciation souveraine des éléments de fait produits au débat devant les juges du fond et réinstaurer devant la Cour, sur le fondement d'éléments de fait non produits devant le CPH, une discussion de pur fait. En conclusion, en dépit d'une motivation peu développée de la décision du conseil de prud'hommes, il en ressort que le débat portait sur la justification de l'envoi à l'ensemble des salariés d'un courrier, que c'est cet élément qui a justifié la décision du conseil de prud'hommes et que c'est par son appréciation souveraine de ces éléments de fait que le conseil de prud'hommes a pu admettre l'irrecevabilité de l'action de substitution de l'organisation syndicale. La première branche est inopérante et je rejoins les propositions de rejet non spécialement motivé des autres. Je conclus donc au rejet du pourvoi
Avis de rejet.
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