Jurisprudence : Cass. civ. 3, Conclusions, 11-07-2024, n° 22-22.058

Cass. civ. 3, Conclusions, 11-07-2024, n° 22-22.058

A98996BA

Référence

Cass. civ. 3, Conclusions, 11-07-2024, n° 22-22.058. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300759-cass-civ-3-conclusions-11072024-n-2222058
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AVIS DE Mme VASSALLO, PREMIÈRE AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 419 du 11 juillet 2024 (B) – Troisième chambre civile Pourvoi n° 22-22.058⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 30 septembre 2022 M. [O] [N] C/ Mme [L] [X] _________________

1 - Il est renvoyé pour l'exposé des faits et de la procédure aux écritures du conseiller

rapporteur, il sera seulement précisé que les consorts [X] ont consenti, le 8 septembre 2015, une promesse unilatérale de vente sous condition suspensive d'obtention de prêt à M. [N] qui a versé une indemnité d'immobilisation d'un montant de 10% du prix de vente soit 99 500 euros. N'ayant pas obtenu son prêt, l'acheteur a mis en demeure les vendeurs, les 12 juillet 2017 et 6 janvier 2020, de lui restituer la somme consignée et les a assignés de ce chef. Le juge de la mise en état a déclaré l'action prescrite en considérant que le point de départ du délai de prescription de l'article 2224 du code civil🏛 devant être fixé le jour du terme du délai de réalisation de la condition suspensive, soit le 8 novembre 2015, l'assignation intervenue les 16 et 17 novembre 2020 était donc tardive, le délai expirant le 8 novembre 2020. Considérant que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où l'acheteur a eu connaissance du refus des vendeurs de lui restituer l'indemnité d'immobilisation, soit le 27 janvier 2020, date du refus de restitution de la somme consignée opposé par le notaire séquestre, l'acheteur a interjeté appel de l'ordonnance. 1

La cour d'appel de Paris, par arrêt du 30 septembre 2022, a confirmé l'ordonnance et retenu, l'article L.313-41 du code de la consommation🏛 prévoyant, en l'absence de réalisation de la condition suspensive, le remboursement immédiat de l'indemnité, que le point de départ de la prescription devait être fixé à l'expiration de la date prévue pour la condition suspensive. C'est l'arrêt attaqué.

2 - Le moyen, en ses quatre branches, est pris, d'une part, d'une violation de l'article

2224 du code civil, le point de départ du délai de cinq ans ne pouvant, selon le moyen, débuter qu'à la date à laquelle l'acheteur a eu connaissance du refus de restitution de l'indemnité d'immobilisation, soit le 27 janvier 2020, date à laquelle le notaire séquestre lui a notifié le refus de restitution ; d'autre part, d'un manque de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil🏛, la promesse unilatérale prévoyant que l'indemnité d'immobilisation ne pouvait être libérée qu'avec l'accord des parties et qu'à défaut d'accord, une saisine de la juridiction par la partie plus diligente était contractuellement prévue.

3 - L'exigibilité de la créance peut-elle constituer le point de départ de la prescription ? La justification de l'indemnité d'immobilisation réside dans l'avantage que procure le promettant au bénéficiaire en s'interdisant de céder le bien dans un délai déterminé, c'est en quelque sorte le prix de l'exclusivité. L'avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux de juillet 2022 prévoit, dans son article 1590 : « une somme peut être convenue dans la promesse unilatérale de vente, en contrepartie de l'exclusivité consentie au bénéficiaire ». La nature de l'indemnité d'immobilisation reste incertaine, elle pourrait être qualifiée de pénalité, de compensation d'un préjudice ou, dans le cas de la levée de l'option, d'acompte. L'article L.313-41 du code de la consommation, en vigueur depuis le 1er juillet 2016, dispose dans son dernier alinéa : “Lorsque la condition suspensive prévue au premier alinéa n'est pas réalisée, toute somme versée d'avance par l'acquéreur à l'autre partie ou pour le compte de cette dernière est immédiatement et intégralement remboursable sans retenue ni indemnité à quelque titre que ce soit." Dans sa version antérieure, applicable au litige, l'ancien article L.312-16 alinéa 2, adoptait la même formulation. L'objectif de cette disposition est que le consommateur qui n'a pas obtenu son prêt ne soit pas financièrement pénalisé. Le non respect de l'obligation de restitution est en outre sanctionnée. L'article L. 341-43 du code de la consommation🏛 prévoit que le vendeur sera puni d'une amende de 300 000 €. L'article L. 341-35 du code de la consommation🏛 dispose que « lorsque la somme versée d'avance par l'acquéreur n'a pas été remboursée dans les conditions prévues au second alinéa de l'article L. 313-41, la somme due est productive d'intérêts au taux 2

légal majoré de moitié à compter du quinzième jour suivant la demande de remboursement ». Le point de départ de l'action en restitution peut-il être fixé au jour de l'exigibilité de l'indemnité ? La cour d'appel a retenu que le point de départ de la prescription quinquennale courait dès l'expiration de la date prévue pour la réalisation de la condition suspensive de sorte que l'action, engagée 6 jours après l'expiration du délai de 5 ans, était prescrite. La Cour de cassation qui a eu l'occasion de statuer de manière circonstanciée selon les contentieux soumis, a retenu comme point de départ la date d'exigibilité de la créance notamment dans les arrêts visés dans le mémoire en défense et dans des hypothèses où le professionnel était en mesure de recouvrer sa créance. La 1ère chambre a ainsi jugé, dans un arrêt diffusé du 6 janvier 2021 n° 19-22.675⚖️, que : “La cour d'appel, qui n'était pas tenue de fixer le point de départ de la prescription à la date de reddition des comptes et a procédé à la recherche prétendument omise, en a souverainement déduit que les mandants étaient informés dès le 1er juillet 2009, à l'expiration du délai fixé au contrat, des faits leur permettant d'agir, de sorte que la prescription avait commencé à courir à cette date et que leur action, engagée le 4 mai 2016, était prescrite.” En matière de prêt, cette même chambre a jugé que le point de départ du délai de prescription se situait au prononcé de la déchéance du terme pour le capital restant dû (Ccass 1ère 20 octobre 2021 n° 20-13.661⚖️). La 3ème chambre civile, dans un arrêt cité dans le mémoire en défense et publié, du 2 mars 2022 n° 20-23.602⚖️, a jugé que: “Le point de départ du délai à l'expiration duquel une action ne peut plus être exercée se situe à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance (Ass. plén., 6 juin 2003, pourvoi n° 01-12.453⚖️, Bull. 2003, Ass. plén., n° 6 ; 3e Civ., 14 juin 2006, pourvoi n° 05-14.181⚖️, Bull. 2006, III, n° 151).” Vous avez par ailleurs jugé, dans un ancien arrêt publié du 14 juin 2006, n° 05-14.181, que le point de départ du délai à l'expiration duquel une action ne peut plus être exercée se situe à la date d'exigibilité de l'action qui lui a donné naissance (voir aussi Ccass 3ème 6 octobre 2016 n° 15-14.417⚖️). Vous vous êtes donc fondés sur la date d'exigibilité de l'action, c'est à dire sur le moment où le titulaire de l'action du droit prescriptible pouvait commencer à agir. La chambre commerciale (Cass com 8 décembre 2021 n° 20-10.407⚖️) fait également partir le point de départ de la prescription quinquennale du moment où l'action peut être exercée et non à la date d'échéance figurant sur la facture. Dans le même sens, la 1ère chambre civile, au visa de l'article 2224 du code civil et du code de la consommation (19 mai 2021 n° 20-12.520⚖️), dans le cadre d'une action en paiement de travaux engagée contre un consommateur a retenu, dans un arrêt de revirement avec application différée, comme point de départ la connaissance des faits qui permet au professionnel d'exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations et a écarté la date de la facturation.

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Vous avez également, s'agissant de l'action en paiement de travaux engagée par un professionnel contre un consommateur, fixé le point de départ de la prescription au jour de l'achèvement des travaux ou de l'exécution de la prestation et non à celui de l'émission de la facture (Ccass 3ème 1er mars 2023 n° 21-23.176⚖️). Au cas présent, si vous reteniez la date d'exigibilité de la créance, il convient de relever qu'elle serait plus défavorable au consommateur que les dispositions précitées tendent pourtant à protéger. Il est vrai par ailleurs que l'article 2224 du code civil a drastiquement réduit la durée des délais qui sont passés de 30 et 10 ans à 5 ans. Mais si l'on retenait, par une appréciation in concreto et subjective, comme point de départ la date de la connaissance effective, en tout cas officielle, du refus de restitution notifié par le notaire plus de 4 ans après la défaillance de la condition, bien que ce refus ne fasse manifestement pas de doute, nous reviendrions quasiment aux délais antérieurs. C'est pourquoi, retenir un point de départ objectif (celui de l'exigibilité de la créance) nous semble préférable au point de départ glissant et subjectif qui ressort de la formulation de l'article 2224 du code civil qui dispose que les actions personnelles et mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Si nous prenons en considération “les faits” lui permettant d'exercer son droit, soit le fait résulte de la notification faite par le notaire du refus des vendeurs de restituer l'indemnité d'immobilisation, soit le fait résulte de la réalisation de la condition suspensive à l'expiration de la date prévue dans la promesse. Or, il apparaît que le vendeur connaissait à cette dernière date son droit à obtenir restitution de l'indemnité d'immobilisation. Dans la suite des décisions précitées, vous pourriez donc retenir que la date d'exigibilité de la créance est, en application de l'article L.312-16 alinéa 2 ancien du code de la consommation🏛, celle de la réalisation de la condition suspensive, soit le 8 novembre 2015, le jour de la notification formelle du refus de restitution étant indifférent puisque l'acheteur était titulaire d'un droit de restitution immédiat dès la non réalisation de la condition suspensive. Il nous semble que, dès lors qu'un point de départ objectif de prescription peut être déterminé de façon certaine, ce n'est que par exception et dans des hypothèses marginales et justifiées, que le point de départ peut être fixé en fonction de la connaissance subjective du titulaire de son droit, ce dernier ayant tout intérêt à le retarder. En outre, si le titulaire de l'action peut agir et n'est pas paralysé par le principe contra non valentem agere non currit praescriptio, il n'y a pas lieu de retarder le point de départ de la prescription. Le dommage était constitué dès l'absence de réalisation de la condition suspensive, à ce jour, la créance en restitution était exigible de sorte que le point de départ de la prescription pouvait commencer à courir à compter de cette exigibilité. L'arrêt cité dans le mémoire en demande (Ccass 3ème 1er octobre 2020, n° 19-16.561⚖️) relatif à une promesse synallagmatique de vente sanctionne, sur un manque de base légale, un arrêt dont les motifs ne suffisent pas à caractériser la connaissance effective 4

d'une partie de l'impossibilité de réaliser la vente, sans se prononcer au delà sur le point de départ de la prescription. Nous vous proposons donc de rejeter les deux premières branches du moyen.

4 - Le point de départ de la prescription peut-il être repoussé au regard de dispositions contractuelles relatives aux modalités de restitution des sommes ? Lorsque le notaire est séquestre de l'indemnité d'immobilisation, il est fréquent, ce qui est le cas en l'espèce, qu'une clause de l'avant-contrat prévoie que la remise des fonds ne sera effective qu'en cas d'accord des parties ou en vertu d'une décision judiciaire. Dès lors qu'une indemnité d'immobilisation est prévue dans la promesse, le bénéficiaire est tenu d'en libérer le montant selon les termes du contrat. Au cas présent, l'avant contrat énonce que la somme séquestrée sera restituée en cas de défaillance de la condition suspensive, mais ajoute que la restitution interviendra “avec l'accord des parties” et à défaut après décision de justice. Si la promesse est résolue, ce qui est le cas si une condition suspensive ne s'est pas réalisée, l'indemnité n'est pas due et si elle a été versée, elle doit être restituée. La restitution ne dépend pas de l'accord des parties, mais de l'absence de réalisation de la condition suspensive. Les dispositions du code de la consommation précitées sont d'ordre public et il n'est pas possible d'imposer au bénéficiaire d'y renoncer. Dès lors que la non réalisation de la promesse n'est pas imputable au bénéficiaire, la somme immobilisée doit lui être immédiatement restituée. Les modalités contractuelles de la restitution sont sans incidence sur le point de départ de la prescription. Le jurisclasseur notarial relève (prescription fasc 12) : “Lorsque l'exigibilité est fixée à une échéance déterminée mais que la demande d'exécution est subordonnée à une mise en demeure du débiteur par le créancier, le point de départ n'en demeure pas moins fixé au jour de l'échéance et non au jour de la mise en demeure”. Nous vous proposons de rejeter les deux dernières branches du moyen.

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