Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-14.806

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-14.806

A98966B7

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:SO00980

Identifiant Legifrance : JURITEXT000050316324

Référence

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 23-14.806. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300756-cass-soc-conclusions-02102024-n-2314806
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Abstract

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d'une durée ininterrompue d'un an, ou dont le contrat de travail est suspendu pour une cause de maladie ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l'Union. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. Il convient, d'une part, d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, d'autre part, d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024, en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congé payé au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail

AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 980 du 2 octobre 2024 (B+R) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-14.806⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Bourges du 18 novembre 2022 Mme [N] [Z] [J] C/ La société Mazagran service _________________

Mme [Z] [J] a été engagée en qualité d'employée commerciale par la société Mazagran services, le 13 octobre 2009. Elle a été placée en arrêt de travail pour maladie non professionnelle du 10 novembre 2014 au 30 décembre 2014, puis pour accident du travail du 31 décembre 2014 au 13 novembre 2016 et à nouveau pour cause de maladie non professionnelle du 19 novembre 2016 au 17 novembre 2019. Le 16 janvier 2020, la salariée a été licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement. Le 16 décembre 2020, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Bourges de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail. Par jugement du 27 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a notamment fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires à une certaine somme ; condamné l'employeur à verser à la salariée différentes sommes à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, d'indemnité compensatrice de préavis, au titre des congés payés afférents, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

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Sur appel de l'employeur, la cour d'appel de Bourges, dans un arrêt prononcé le 18 novembre 2022 a notamment confirmé la décision déférée en ce qu'elle a dit que l'inaptitude de la salariée n'a pas une origine professionnelle ; a débouté celle-ci de ses demandes en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement et de dommages et intérêts pour non respect du délai de prévenance ; l'a infirmé pour le surplus ; statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, condamné l'employeur à payer à la salariée une somme au titre des congés payés acquis ; débouté la salariée de sa demande en paiement d'une somme à titre d'indemnité de congés payés de 4 semaines pendant la durée de suspension de son contrat de travail ; dit que le licenciement de la salariée est fondé; débouté la salariée de ses demandes en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La salariée s'est pourvue en cassation. Dans un mémoire spécial, la salariée a présenté deux questions prioritaires de constitutionnalité sur l'éventuelle atteinte portée par les articles L. 3141-3 et L. 3141-5 5° du code du travail🏛🏛 au droit à la santé et au repos garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; et par l'éventuelle atteinte portée par l'article L. 3141-5, 5° du code du travail🏛 au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958. Par arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel les deux questions prioritaires de constitutionnalité. Par décision du 8 février 2024 (n°2023-1079 QPC⚖️), le Conseil constitutionnel a décidé que les dispositions contestées par les questions prioritaires de constitutionnalité étaient conformes à la Constitution. Le pourvoi soumet à la Cour une question relative au droit à congé payé d'une salariée malade au regard de l'article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Si la Cour de cassation avait, à travers certains de ses rapports annuels1, alerté à plusieurs reprises le législateur sur la nécessité de mettre en conformité les dispositions du code du travail concernant les congés payés des salariés en arrêt maladie avec le droit de l'Union, ce n'est qu'à la suite d'arrêts prononcés au mois de septembre 2023 que le Parlement a modifié le régime des congés payés avec la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024🏛, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal et en matière agricole. Cette nouvelle loi prévoit désormais un droit à congés payés pendant un arrêt pour maladie non professionnelle, la suppression de la limite d'un an pour acquérir des droits à congés en cas d'arrêt de travail professionnel, la fixation d'une période de report pour les congés non pris du fait d'un arrêt de travail, l'obligation d'information du salarié de la part de l'employeur en cas de report.

Rapport annuel de la Cour de cassation 2013 pages 65 et 66 et Rapport annuel de la Cour de cassation 2017 pages 38 et 39

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Ces dispositions sont entrées en vigueur le 24 avril 2024, le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel du 23 avril. Pour les arrêts de travail antérieurs au 24 avril 2024, la loi fixe un délai de forclusion. Au regard du principe de sécurité juridique, la Cour ne peut reprocher à une juridiction de ne pas avoir appliqué une loi qui n'existait pas au moment où elle s'est prononcée. Dès lors, le présent pourvoi doit être examiné au regard de la loi antérieure à celle du 22 avril 2024. En l'espèce, la salariée a été placée en arrêt de travail tant pour maladie, du 10 novembre au 30 décembre 2014 puis du 19 novembre 2016 au 17 novembre 2019, que pour accident du travail du 31 décembre 2014 au 13 novembre 2016. Au soutien de trois moyens, le pourvoi reproche à l'arrêt d'avoir débouté la salariée de sa demande en paiement d'une somme à titre d'indemnité de congés payés de quatre semaines pendant la durée de suspension de son contrat de travail. Le pourvoi argue que la cour d'appel ne pouvait pas faire application des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° du code du travail, déclarés non conformes à la Constitution à la suite des questions prioritaires de constitutionnalité. Toutefois, dès lors que ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 février 2024 (n°2023-1079 QPC), le moyen est inopérant. ➤ Je conclus au rejet sur la première branche du moyen. Le pourvoi soutient également que la législation d'un Etat membre devant, dans toute la mesure du possible, être interprétée de manière conforme au droit de l'Union européenne, la cour d'appel aurait dû interpréter les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° du code du travail à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. Selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Dès lors, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé consacré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20). La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité 3

poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10). L'article L. 3141-3 2 du code du travail soumet l'ouverture de droits à congés payés du salarié à l'accomplissement d'un travail effectif pour son employeur, seules certaines situations, limitativement prévues, étant assimilées à des périodes de travail effectif. Cette condition du travail effectif n'existe pas dans le droit de l'Union, ni à l'article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne 3, ni à l'article 7 de la directive 2003/88/CE 4. L'article L. 3141-5, 5° du code du travail, dans sa version antérieure à la loi n°2024-364 du 22 avril 2024 dispose : « Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : 5° Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ; [...] ». Ainsi, cette disposition ne prend pas en compte pour le calcul des congés payés les périodes d'absence pour maladie non professionnelles, et n'intègre la durée d'un accident du travail pour l'acquisition et le calcul du droit à congés payés qu'à concurrence d'un plafond d'une année. La CJCE a dit pour droit que « L'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé s'éteint à l'expiration de la période de référence et/ou d'une période de report fixée par le droit national même lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et que son incapacité de travail a perduré jusqu'à la fin de sa relation de travail, raison pour laquelle il n'a pas pu exercer son droit au congé annuel payé. L'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que, lors de la fin de la relation de travail, aucune indemnité financière de congé annuel payé non pris n'est payée au travailleur qui a été en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et/ou d'une période de report, raison pour laquelle il n'a pas pu exercer son droit au congé annuel payé. Pour le calcul de ladite indemnité financière, la 2 Article L. 3141-3 du code du travail : « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.

Article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : « Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés. ».

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Article 7 de la directive 2003/88/CE : « 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

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rémunération ordinaire du travailleur, qui est celle qui doit être maintenue pendant la période de repos correspondant au congé annuel payé, est également déterminante. » (arrêts Schultz-Hoff et Stringer e.a, C-350/06 et C-520/06, EU:C:2009:18 du 20 janvier 2009). Les dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° du code du travail sont claires et précises : elles soumettent pour les unes le droit à congés payés à l'exécution d'un travail effectif et excluent pour les autres tout droit à congé payés pour un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour une période dépassant une année. Or, en l'absence d'effet direct d'une directive sur les litiges entre personnes privées, même dans le cas d'une disposition claire, précise et inconditionnelle, si le juge national peut interpréter un texte à la lumière d'une directive européenne, il ne peut en faire une application contra legem. En outre, la Cour de cassation a déjà jugé : - qu'« Une directive ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition du droit national contraire, une cour d'appel retient à bon droit, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, qu'un salarié ne peut prétendre, sur le fondement de la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie, alors que cette période ne relève pas de l'article L. 3141-5 de ce code » (Soc., 13 mars 2013, no 11-22.285⚖️, Bull. V, no 73) ; - et que « S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union européenne. » (Soc., 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.340, 22-17.341, 22-17.342⚖️). Dès lors, la cour d'appel ne pouvait interpréter les articles L. 3141-3 et L. 3141-5, 5° du code du travail de manière conforme au droit de l'Union européenne, à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003. ➤ Je conclus au rejet sur la deuxième branche du moyen. Le pourvoi soutient enfin que selon l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ; que cette disposition, d'effet direct en droit interne et invocable dans les litiges opposant les particuliers, s'oppose à ce que la législation d'un Etat membre fasse obstacle à ce qu'un travailleur dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie ne puisse acquérir des droits à congés payés à défaut pour lui d'avoir accompli un travail effectif, que ce soit dès l'origine pour celui placé en congé maladie ordinaire ou au-delà d'une période d'un an pour celui dont la maladie est d'origine professionnelle. Le mémoire en défense argue que la critique est irrecevable comme nouvelle, en ce qu'elle invoque à hauteur de cassation l'article 31, paragraphe 2 de la Charte des 5

droits fondamentaux de l'Union européenne alors que devant la cour d'appel n'était invoqué que l'article 21 de la Charte, relatif au principe de non discrimination. En application de l'article 619 du code de procédure civile🏛, les moyens nouveaux ne sont pas recevables devant la Cour de cassation. Seuls peuvent être invoqués pour la première fois, sauf disposition contraire, les moyens de pur droit et ceux nés de la décision attaquée. Un moyen est de pur droit dès lors qu'il ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond. Je considère que c'est le cas en l'espèce dans la mesure où le moyen n'implique pas une appréciation des faits à hauteur de cassation. Il n'y a effectivement pas lieu à distinguer selon que l'arrêt de travail ait pour origine ou non une maladie professionnelle ou un accident du travail, le moyen soutenant qu'en application de l'article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux, tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés. Je conclus donc à la recevabilité du moyen. La cour d'appel a examiné la demande de la salariée concernant d'éventuels droits à congés payés au-delà de la période visée à l'article L. 3145-5, 5° du code du travail, pour l'en débouter, considérant notamment qu'elle ne pouvait faire, à la lumière du droit européen, une application contra legem du droit national et que si la loi était modifiée pour envisager que les arrêts pour maladie non professionnelle ouvre droit à congés payés, il n'était pas certain que ce droit serait reporté à l'issue d'une période de congé maladie de plus de 15 mois, ce qui était le cas de la salariée en l'espèce. La cour d'appel devait-elle écarter l'application de l'article L. 3145-5,5° du code du travail au profit de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux ? La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a été adoptée le 7 décembre 2000 au Conseil européen de Nice. Le Traité de l'Union européenne y fait référence depuis le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, en indiquant que le contenu de la Charte a la même valeur que les traités. Or, la Cour de cassation a déjà rappelé que le Traité de Lisbonne a donné force juridique contraignante à cette Charte 5et qu'au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, il incombe au juge national de laisser inappliquée, en vertu de l'effet direct de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la disposition de droit national contraire au droit de l'Union (CJUE, gde ch., arrêt du 6 novembre 2018, Bauer, C-569/16 et C-570/16). La chambre sociale a donc déjà jugé « Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont 5

Notice au rapport relative aux arrêts du 13 septembre 2023 Pourvois n° 22-17.340 & 22-17.638 - Chambre sociale, page 3

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effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause d'accident de travail ou de maladie professionnelle, au-delà d'une durée ininterrompue d'un an, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l'Union. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-5 du code du travail en ce qu'elles limitent à une durée ininterrompue d'un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congé payé et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail🏛. » (Soc., 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.638⚖️). Ainsi, en l'espèce, il est possible d'écarter partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne pour envisager que la salariée ait acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle. Au-delà du principe de l'acquisition des droits à congés annuels en cas de maladie non professionnelle, il reste néanmoins la question de l'éventuelle perte des congés payés accumulés pendant une période d'arrêt de travail et non exercés. En effet, si le droit européen ne fixe pas de limite de durée de l'arrêt de travail, peu important la nature de l'absence, au-delà de laquelle cette dernière n'ouvre plus droit à congé, est-ce à dire que le cumul des congés payés sur plusieurs périodes d'acquisition consécutives, lorsque l'arrêt de travail est prolongé sur plusieurs années, est possible ? La durée du report de ces congés est-elle illimitée ? La Cour de justice de l'Union européenne s'est déjà prononcée sur la question du cumul de congés payés acquis pendant une longue période d'arrêt maladie, retenant que, lorsque le salarié est en arrêt de travail pendant une longue période, l'accumulation des droits à congé payé acquis pendant la période de maladie peut faire perdre au congé annuel une partie de sa pertinence. Ainsi, elle a jugé (CJUE 22 nov. 2011, KHS Schulte, aff. C-214/10⚖️) :

« [...] 26 Ainsi, la Cour a constaté que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 ne s'oppose pas, en principe, à une réglementation nationale qui prévoit des modalités d'exercice du droit au congé annuel payé expressément accordé par cette directive, comprenant même la perte dudit droit à la fin d'une période de référence ou d'une période de report. Toutefois, la Cour a assorti cette constatation de principe de la

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condition que le travailleur dont le droit au congé annuel payé est perdu ait effectivement eu la possibilité d'exercer le droit que ladite directive lui confère (voir arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, point 43). 27 Or, il y a lieu de constater qu'un travailleur qui, comme le requérant au principal en ce qui concerne l'année 2006, est en congé de maladie durant toute la période de référence et au-delà de la période de report fixée par le droit national, se voit privé de toute période ouvrant la possibilité de bénéficier de son congé annuel payé. 28 S'il ressort, certes, de la jurisprudence susmentionnée qu'une disposition nationale fixant une période de report ne peut pas prévoir l'extinction du droit du travailleur au congé annuel payé sans que ce dernier ‘ait eu effectivement la possibilité d'exercer ce droit, une telle conclusion doit cependant être nuancée dans des circonstances spécifiques telles que celles de l'affaire au principal. 29 En effet, à défaut, un travailleur, tel que le requérant au principal, en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives, serait en droit d'accumuler, de manière illimitée, tous les droits à congé annuel payé acquis durant la période de son absence du travail. 30 Or, un droit à un tel cumul illimité de droits au congé annuel payé, acquis durant une telle période d'incapacité de travail, ne répondrait plus à la finalité même du droit au congé annuel payé. 31 En effet, il y a lieu de rappeler que le droit au congé annuel, consacré à l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à l'article 7 de la directive 2003/88, a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l'exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d'une part, et disposer d'une période de détente et de loisirs, d'autre part (voir arrêt Schultz-Hoff e.a., précité, point 25). 32 À cet égard, la Cour a, certes, souligné que, si l'effet positif du congé annuel payé pour la sécurité et la santé du travailleur se déploie pleinement lorsque ce congé est pris dans l'année prévue à cet effet, à savoir l'année en cours, ce temps de repos ne perd pas son intérêt à cet égard s'il est pris au cours d'une période ultérieure (arrêts du 6 avril 2006, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C-124/05, Rec. p. I-3423, point 30, ainsi que Schultz-Hoff e.a., précité, point 30). 33 Néanmoins, force est de constater que le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives ne saurait répondre aux deux volets de sa finalité, énoncés au point 31 du présent arrêt, que dans la mesure où le report ne dépasse pas une certaine limite temporelle. En effet, au-delà d'une telle limite, le congé annuel est dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos, ne gardant que sa qualité de période de détente et de loisirs. 34 Par conséquent, au regard de la finalité même du droit au congé annuel payé, directement conféré par le droit de l'Union à chaque travailleur, un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, empêché par le droit national de prendre son congé annuel payé durant ladite période, ne saurait avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période.

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35 S'agissant de la période de report au-delà de laquelle le droit au congé annuel payé peut s'éteindre en cas de cumul de droits au congé annuel payé durant une période d'incapacité de travail, il y a lieu d'apprécier, au regard de l'article 7 de la directive 2003/88 et compte tenu des considérations qui précèdent, si une période de report du droit au congé annuel payé, fixée à quinze mois par les dispositions ou les pratiques nationales, telles que des conventions collectives, peut raisonnablement être qualifiée de période au-delà de laquelle le congé annuel payé est dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos. [...] 44 Par conséquent, il convient de répondre à la première question posée que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à des dispositions ou à des pratiques nationales, telles que des conventions collectives, limitant, par une période de report de quinze mois à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, le cumul des droits à un tel congé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives. » Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne s'est également déjà prononcée sur son incompétence quant à définir la durée du report des congés payés pour juger que la définition de la durée de report du droit au congé annuel payé relève exclusivement de la compétence des États membres qui doivent déterminer les conditions spécifiques d'obtention et d'exercice de ce droit. La Cour a donc décidé que son rôle se limite à s'assurer que la durée fixée par chaque État membre ne porte pas atteinte au droit fondamental au congé annuel payé. Ainsi, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour que les travailleurs bénéficient d'au moins quatre semaines de congés payés. Les conditions d'obtention et d'exercice de ce droit, y compris la durée de report, relèvent de la compétence des législations et/ou des pratiques nationales. La Cour de justice de l'Union européenne, pour sa part, veille à ce que les mesures nationales respectent les droits fondamentaux énoncés dans la législation de l'Union européenne, sans intervenir dans les modalités spécifiques de mise en oeuvre par les États membres. Elle a en outre apporté des précisions s'agissant de la question de la durée du report concernant les arrêts maladie de longue durée et notamment lorsque la durée de l'arrêt dépasse la période de référence pour utiliser les droits à congés, s'efforçant de trouver un équilibre entre les droits des salariés en arrêt maladie de longue durée et les problématiques de gestion des entreprises. La Cour a ainsi jugé que le droit de l'Union n'empêche pas un report limité des droits à congé annuel payé en cas d'arrêt maladie de longue durée, précisant qu'un report de quinze mois après la période de référence, limité à deux périodes consécutives, est considéré comme raisonnable, mais non automatique, et ne porte pas atteinte à la finalité du droit au congé annuel (CJUE 9 nov. 2023, Keolis Agen, aff. C.271/22 a C.275/22). Enfin, il ne doit pas être fait d'amalgame entre la question de l'acquisition des droits à congé payé et celle de l'éventuelle perte du congé acquis pendant la période

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d'arrêt de travail et non exercé du fait de l'état de santé du salarié ou des règles de prise au sein de l'entreprise. En l'espèce, la cour d'appel a retenu « Il n'est donc pas acquis dans l'hypothèse où la loi nationale serait modifiée selon les recommandations de la Directive précitée, que le droit à congé payé annuel de 4 semaines ne serait pas exclu à l'issue d'une période de congé maladie de plus de 15 mois. » (page 6 de l'arrêt). Ce faisant, en mentionnant l'éventuelle exclusion du « droit à congé payé annuel » à l'issue d'une période de congé maladie de plus de 15 mois, la cour d'appel a envisagé une limitation de l'acquisition des droits à congés. Or, le droit de l'Union n'évoque pas une telle restriction. En revanche, il s'agissait, dans le cas d'une période d'arrêt de travail prolongée, comme dans la situation de la salariée, rendant impossible la prise du congé, d'envisager une éventuelle limitation de la période de report pour la prise des congés et donc la perte des congés accumulés. ➤ Je conclus à la cassation sur la troisième branche du moyen. Enfin, le mémoire en défense demande à la Cour de cassation, à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : « L'article 7 de la directive 2003/88 et l'article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à des dispositions nationales qui limitent l'obtention et le bénéfice des droits à congés payés à une période d'un an lorsqu'un travailleur est placé en arrêt de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutive ? » Outre la jurisprudence précédemment citée, la Cour de justice de l'Union européenne a déjà jugé que : - les Etats membres peuvent définir des périodes de report pour les conges annuels non pris (CJUE 22 nov.2011, KHS, aff. C-214/10) ; - les limitations au droit au congé annuel payé peuvent être admises, à condition qu'elles respectent le contenu essentiel de ce droit et soient nécessaires pour atteindre des objectifs d'intérêt général : « 33 En troisième lieu, il convient de rappeler que des limitations ne peuvent être apportées au droit fondamental au congé annuel payé consacré à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte que dans le respect des conditions strictes prévues à l'article 52, paragraphe 1, de celle-ci, et notamment du contenu essentiel dudit droit. 34 Ainsi, dans le contexte particulier où les travailleurs concernés avaient été empêchés d'exercer leur droit au congé annuel payé en raison de leur absence du travail pour cause de maladie, la Cour a jugé que, bien qu'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives serait en droit d'accumuler, de manière illimitée, tous les droits à congé annuel payé acquis durant la période de son absence du travail, un tel cumul illimité ne répondrait plus à la finalité même du droit au congé annuel payé (arrêt du 29 novembre 2017, King, C 214/16, EU:C:2017:914, points 53 et 54 ainsi que jurisprudence citée). 35 La Cour a déjà reconnu l'existence de « circonstances spécifiques » justifiant, afin d'éviter les conséquences négatives d'un cumul illimité des droits au congé annuel payé acquis durant une période d'absence pour cause de maladie de longue durée, qu'il soit dérogé à la règle selon laquelle des droits au congé annuel payé ne peuvent pas s'éteindre. Une telle dérogation repose sur la finalité même du droit au congé 10

annuel payé ainsi que sur la nécessité de protéger l'employeur d'un risque de cumul trop important de périodes d'absence du travailleur et des difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l'organisation du travail (arrêt du 22 novembre 2011, KHS, C 214/10, EU:C:2011:761, points 34 et 39). 36 Partant, dans des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives, la Cour a jugé que, au regard non seulement de la protection du travailleur à laquelle tend la directive 2003/88, mais aussi de celle de l'employeur, confronté au risque d'un cumul trop important de périodes d'absence du travailleur et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l'organisation du travail, l'article 7 de cette directive doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à des dispositions ou à des pratiques nationales limitant, par une période de report de quinze mois à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, le cumul des droits à un tel congé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives (arrêts du 22 novembre 2011, KHS, C 214/10, EU:C:2011:761, points 29 et 30, ainsi que du 29 novembre 2017, King, C 214/16, EU:C:2017:914, point 55) » (CJUE 22 sept. 2022, Fraport, aff. C-518/20 et C-727/20⚖️) ; - s'agissant du droit allemand des congés payés, qu'un délai de report de quinze mois est raisonnable (CJUE 22 nov.2011, KHS, aff. C-214/10), alors qu'une durée de neuf mois n'est pas conforme au droit de l'Union (CJUE 3 mai 2012, Neidel, aff.C.337/10). ➤ Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, je conclus qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question préjudicielle présentée.

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