AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 836 du 4 septembre 2024 (FS-B) –
Chambre sociale Pourvoi n° 22-20.976⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen du 9 juin 2022 Mme [S] [L], divorcée [C], C/ La société V & V associés _________________
Audience de FS 4 du 19 juin 2024
La SELARL V&V Associés est une étude d'administrateurs judiciaires adhérente du groupement d'intérêt économique Réajir, qui a pour objet une mise en commun de moyens afin de permettre à ses membres de développer la composante civile de leur activité. Le 27 octobre 2011, Mme [S] [L] divorcée [C] a été engagée par le GIE en qualité de collaboratrice, par contrat à durée indéterminée qui prévoit expressément qu'elle exercera ses fonctions quatre jours par semaine au sein de l'étude précitée située à [Localité 3] et un jour par semaine au sein d'une autre étude située à [Localité 2], avec possibilité de se rendre ponctuellement sur d'autres sites des membres du groupement. Le 7 septembre 2016, la salariée a été placée en arrêt maladie puis le 2 décembre 2016, le médecin du travail a conclu à son inaptitude à son poste, précisant qu'il ne demandait pas de reclassement, l'état de santé de la salariée faisant obstacle à tout reclassement au sein de l'entreprise.
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Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié à la salariée le 20 février 2017. Le 27 décembre 2017, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Louviers en contestation de son licenciement ainsi qu'en paiement de rappels de salaires et indemnités. Par jugement du 3 juillet 2019, le conseil de prud'hommes a notamment, in limine litis, dit qu'il est compétent territorialement pour examiner l'affaire au fond ; dit que la salariée bénéficiait de la qualité de salariée protégée au moment de son licenciement, qu'il y a eu violation de son statut protecteur ; que le licenciement illicite de la salariée produit les effets d'un licenciement nul ; fixé le salaire moyen de cette dernière à une certaine somme ; et en conséquence condamné l'employeur à lui payer différentes sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre au titre des congés payés sur préavis, au titre du 13e mois sur préavis, à titre de dommagesintérêts pour violation du statut protecteur, à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite, pour violation de la durée maximum du travail, à titre de rappel de prévoyance ; condamné solidairement l'employeur et l'étude de [Localité 3] à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour défaut de mise en oeuvre des délégués du personnel, ordonné à l'employeur de transmettre sous quinze jours à compter de la décision l'ensemble des factures des missions civiles accomplies pour le compte de l'employeur au sein de l'étude de [Localité 2], et sursis à statuer sur les sommes à percevoir par la salariée, ordonné la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, débouté les parties de l'ensemble de leurs autres prétentions. Sur appel de l'étude de [Localité 3] puis de l'employeur, le conseiller de la mise en état ayant ordonné la jonction des deux instances, la cour d'appel de Rouen, dans un arrêt prononcé le 9 juin 2022 a notamment, complétant le jugement déféré, déclaré irrecevables les demandes présentées par la salariée au titre des repos compensateurs de remplacement sur la période antérieure au mois de décembre 2014 ; déclaré irrecevable la demande indemnitaire présentée par la salariée pour non-respect du repos quotidien obligatoire ; confirmé le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande au titre des repos compensateurs de remplacement ; dit que la salariée bénéficiait de la qualité de salariée protégée au moment de son licenciement, qu'il y a eu violation de son statut protecteur, que le licenciement illicite de la salariée produit les effets d'un licenciement nul, et en conséquence condamné l'employeur à lui payer une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre une somme au titre des congés payés sur préavis, une somme au titre du 13 e mois sur préavis et une somme à titre de rappel de prévoyance ; l'a infirmé en ses autres dispositions ; statuant à nouveau et y ajoutant, débouté la salariée de sa demande d'indemnité d'éviction pour violation du statut protecteur ; condamné l'étude à payer à la salariée une somme à titre de dommages et intérêts pour violation du droit à la participation dans l'entreprise ; condamné l'employeur à payer à la salariée une somme à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ; débouté la salariée de toutes ses demandes au titre de la prime d'intéressement. La salariée s'est pourvue en cassation. Je m'associe aux propositions de rejet non spécialement motivé présentées par Madame la conseillère-rapporteure sur les premier, deuxième et sixième moyens pour les motifs développés au rapport.
travail,
Les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire légale de ou de la durée considérée comme équivalente, sont des heures 2
supplémentaires. Elles ouvrent droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent1. Le contingent est un volume d'heures supplémentaires déterminé par an et par salarié qui déclenche l'obligation d'accorder une contrepartie obligatoire en repos lorsqu'il est atteint 2. Fixé prioritairement par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement, il peut résulter, à défaut, d'une convention ou d'un accord de branche. En l'absence de fixation conventionnelle, le contingent réglementaire de deux-cents-vingt heures s'applique3. Le repos peut être pris par journée ou demi-journée à la convenance du salarié4 ; le droit est réputé ouvert dès que la durée du repos atteint sept heures ; la journée ou demi-journée de repos correspond au nombre d'heures de travail que le salarié aurait effectué pendant cette période ; dès que l'ouverture du droit est effective, le repos est pris dans un délai de deux mois sous réserve de contraintes de nature conventionnelle et, à défaut, de nature réglementaire5. La demande du bénéfice du repos compensateur doit être exprimée au moins une semaine à l'avance, et préciser sa date et sa durée. L'employeur doit faire connaître, dans les sept jours suivant la réception de la demande, son accord ou, après consultation du comité social et économique les raisons relevant d'impératifs liés au fonctionnement de l'entreprise ou de l'exploitation qui motivent le report. S'il refuse celle suggérée par le salarié, l'employeur doit proposer une autre date à l'intérieur d'un délai de deux mois6. L'absence de demande de prise du repos par le salarié ne peut entraîner la perte de son droit au repos. L'employeur doit lui demander de prendre effectivement ses repos dans un délai maximum d'un an7. La Cour juge que, si du fait de son employeur, le salarié n'a pas été en mesure de bénéficier de la contrepartie en repos à laquelle il avait droit, il obtiendra une indemnité en réparation du préjudice subi (
Soc., 4 février 2009, pourvoi n° 06-46.303⚖️ ;
Soc., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-12.068⚖️). Celle-ci comporte le montant d'une indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos, auquel s'ajoute le montant de l'indemnité de congés payés afférents. L'
article D. 3171-11 du code du travail🏛 dispose « Les salariés employés dans des entreprises qui ne relèvent pas d'un accord collectif de travail conclu en matière de 1
Article L. 3121-28 du code du travail🏛2
Article L. 3121-30 du code du travail🏛 : « Des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos. Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au-delà de la durée légale. Les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent mentionné à l'article L. 3121-28 et celles accomplies dans les cas de travaux urgents énumérés à l'article L. 3132-4 ne s'imputent pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires. » 3
Article D. 3121-24 du code du travail🏛4
Article D. 3121-19 du code du travail🏛5
Article D. 3121-18 du code du travail🏛6
Article D. 3121-20 du code du travail🏛7
Article D. 3121-17 du code du travail🏛3
repos compensateur entre des organisations syndicales et des organisations professionnelles représentatives au plan national sont informés du nombre d'heures de repos portées à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie. Dès que ce nombre atteint sept heures, ce document comporte une mention notifiant l'ouverture du droit au repos compensateur et rappelant le délai maximum prévu à l'article L. 3121-29. » En cas de rupture du contrat de travail, quel qu'en soit l'auteur et quelle qu'en soit la cause ou en cas de décès du salarié, avant qu'il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu'il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos (c'est à dire pour les heures inférieures à sept heures qui ne permettent pas de bénéficier encore d'un repos), le salarié reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis. Elle a le caractère de salaire8. En l'espèce, la question soumise à la Cour porte sur le point de départ du délai de prescription applicable à l'action en paiement de dommages et intérêts pour défaut d'information et d'octroi de repos compensateur. Si la cour d'appel a jugé que la salariée a pu constater à la réception mensuelle de ses bulletins de salaire le défaut d'information sur le nombre de repos compensateur de remplacement auxquels elle pouvait prétendre, le pourvoi soutient que l'absence d'information par un document annexé au bulletin de salaire sur le nombre de repos compensateurs de remplacement portés au crédit de la salariée avait empêché le délai de prescription de courir. Toutefois, avant de déterminer le point de départ du délai de prescription, il est nécessaire de fixer la prescription applicable. En dépit de réformes législatives mises en place ces quinze dernières années dans un objectif de sécurisation des relations employeurs/salariés, la question de la prescription reste sensible en droit du travail. La multiplication des dispositions relatives à cette matière, ainsi que celle du quantum de ses délais, ont conduit à la complexité des règles de prescription en droit du travail, lesquelles interviennent dans des domaines très divers. La Cour juge de façon constante que la détermination de la prescription dépend de la nature de la créance objet de la demande (Ass. plén., 10 juin 2005, pourvoi n° 0318.922 ; Ch. mixte., 26 mai 2006, pourvoi n°
03-16.800⚖️ ;
Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 18-23.932⚖️ ;
Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-10.161⚖️). En l'espèce, la cour d'appel a appliqué la prescription triennale de l'
article L. 3245-1 du code de travail🏛 relative aux salaires, sans être contestée par les parties. Toutefois, il me semble nécessaire de distinguer deux sortes de demandes : celle en paiement de l'indemnité à titre de contrepartie obligatoire en repos, telle que rappelée ci-dessus et celle en paiement de dommages et intérêts à titre de repos compensateur non pris, notamment à défaut d'information délivrée par l'employeur sur ces derniers ou parce que l'employeur ne reconnaît pas l'existence d'heures supplémentaires.
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Article D. 3121-23 du code du travail🏛4
Le pourvoi examiné correspond à la seconde situation, la salariée ayant sollicité le paiement de dommages et intérêts pour défaut d'information et d'octroi des repos compensateurs. Si l'action porte sur une demande en paiement de dommages et intérêts, je considère néanmoins que la contrepartie obligatoire en repos, pour être acquise en contrepartie d'un travail effectué au-delà de la durée légale du travail, revêt une nature salariale. Il me semble que ne pas retenir cette nature reviendrait à accepter une absence de rémunération, quelle soit d'ordre numéraire ou en repos, pour les heures supplémentaires accomplies par le salarié au-delà du contingent. Le salarié reproche certes à l'employeur un défaut d'information, mais le fondement de la demande en paiement est le défaut d'octroi des repos compensateurs, lesquels sont dûs pour rémunérer un temps de travail légal ou conventionnel dépassé. Dans la demande du salarié, le défaut d'information n'est que le manquement de l'employeur qui explique, dans ce cas, le défaut d'octroi des repos. Dès lors, je considère que la cour d'appel a valablement appliqué la prescription de l'article L. 3245-1 du code du travail. Qu'en est-il du point de départ du délai de cette prescription ? Aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa version issue de la
loi n° 2013-504 du 14 juin 2013🏛 relative à la sécurisation de l'emploi, « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. ». Cet article, dans sa version antérieure à la loi précitée disposait “L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'
article 2224 du code civil🏛.”, tandis qu'aux termes de l'article 2224 du code civil, “Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.” La loi du 14 juin 2013 a : - réduit le délai pour agir (délai de l'action) de cinq à trois ans9 ; - créé une option en faveur du salarié qui peut faire porter sa demande en paiement, soit à compter des trois ans précédant son action en justice qui doit être introduite dans ce délai à partir du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, soit à compter des trois ans précédant la rupture du contrat de travail. Concernant son application dans le temps, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, prévoit des dispositions transitoires en son article 21-V, lequel dispose : “Les dispositions du code du travail prévues aux III et IV du présent article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. 9
Article L. 3245-1 du code du travail “L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.”
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Lorsqu'une instance a été introduite avant la promulgation de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation.” Cette loi ayant été promulguée le 16 juin 2013, elle s'applique aux prescriptions en cours à compter de cette date. La chambre juge donc qu'“Il résulte de la combinaison de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et de l'article 21 V de cette loi, qu'à défaut de saisine de la juridiction prud'homale dans les trois années suivant le 16 juin 2013, les dispositions transitoires ne sont pas applicables, en sorte que l'action en paiement de créances de salaire nées sous l'empire de la loi ancienne se trouve prescrite.” (Soc., 9 décembre 2020, pourvoi n° 1912.788 ;
Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-22.975⚖️). En l'espèce, les demandes de la salariée portaient sur une période courant des années 2012 à 2015. Ainsi, la prescription a été de cinq ans puis de trois ans. Toutefois, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 27 décembre 2017, soit postérieurement au délai de trois ans suivant le 16 juin 2013. Dès lors, seule la prescription triennale reste applicable, la question de son point de départ restant entière. Toute la problématique réside dans la question de la connaissance et la formulation retenue contraint le juge à analyser les circonstances particulières de chaque espèce pour déterminer à quel moment le demandeur a eu connaissance des faits à l'origine de son action, c'est à dire à quel moment il est devenu blâmable pour lui de les ignorer. La chambre juge que la prescription de l'action en paiement du salaire court à compter de la date à laquelle ce dernier devient exigible (
Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-17.409⚖️ ;
Soc., 9 juin 2022, pourvoi n° 20-16.992⚖️). Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré (
Soc.,20 juin 2018, n° 16-20.794⚖️). Cette règle connaît cependant des exceptions lorsque la détermination du montant de la créance dépend d'éléments extérieurs au salarié. Si la créance, même périodique, dépend d'éléments qui ne sont pas connus du salarié et qui doivent résulter de déclarations que l'employeur est tenu de faire, la prescription n'est alors pas opposable au salarié (
Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-12.605⚖️). Ainsi, le salarié doit pouvoir appréhender les éléments lui permettant d'agir. Si la prescription ne peut courir qu'à compter du jour où le salarié a eu connaissance de ses droits, en l'espèce, l'employeur n'ayant pas respecté l'obligation d'informer la salariée du nombre d'heures de repos compensateur portées à son crédit par un document annexé au bulletin de salaire, la remise de ce dernier ne pouvait pas caractériser le point de départ du délai de prescription, ainsi que l'a retenu la cour d'appel, puisque, par définition, aucune information n'avait été délivrée à la salariée. ➤ Je conclus à la cassation sur le troisième moyen. Par ailleurs, le pourvoi soutient que dès lors que la cour d'appel n'a pas constaté que l'employeur produisait le document de suivi de la durée de travail de la salariée,
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des repos compensateurs acquis par elle et des dates de prises effectives de ceux-ci, elle ne pouvait pas retenir que les heures supplémentaires revendiquées par la salariée auraient été compensées par vingt-et-un jours de repos compensateurs de remplacement pris au cours de cette période. Aux termes de l'
article L. 3171-4 du code du travail🏛, “En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.” En application de ce texte, la chambre a, dans un premier temps, jugé que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que lorsque le salarié fournit au juge des éléments de nature à étayer sa demande, il appartient à l'employeur d'apporter des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés, étant précisé que l'examen des éléments produits par les parties relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond. Les dispositions précitées instituant un régime de preuve partagée entre le salarié et l'employeur, il n'était pas question de faire peser la preuve sur le seul salarié et si ce dernier devait préalablement produire des éléments, à l'instar de tout demandeur en justice, ceux-ci devaient être d'ordre factuel, certes suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement, mais pouvant éventuellement avoir été établis par ses soins (
Soc., 30 septembre 2015, pourvoi n° 14-17.748⚖️, Bull. 2015, V, n° 185). Les juges du fond doivent cependant vérifier si dans les faits, le décompte produit permet effectivement une réponse de l'employeur. Par la suite, aux fins de clarifier la mise en oeuvre de la règle probatoire, vous avez supprimé la référence à la notion d'étaiement qui pouvait renvoyer à une nécessité de prouver et pas seulement à celle de produire des éléments. Vous jugez désormais qu'“en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.” (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919 et
Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 17-31.046⚖️).En effet, la preuve étant partagée, il revient au salarié d'apporter des éléments factuels et non des éléments de preuve. Aux termes de l'
article L. 3171-2 du code du travail🏛, « Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Les délégués du personnel peuvent consulter ces documents. »
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En l'espèce, il n'est pas contesté que l'employeur n'a pas établi, au profit de la salariée, de document nécessaire au décompte des repos compensateurs acquis et de leur prise effective. La défaillance de l'employeur dans la mise en place d'un outil de contrôle du temps de travail de la salariée lui interdit-elle toute offre de preuve de la compensation des heures supplémentaires effectuées par la prise effective d'un repos compensateur de remplacement ? Le document de décompte des repos compensateurs est un outil de contrôle du temps de travail du salarié, source d'information pour ce dernier et l'employeur, leur permettant notamment de s'assurer du respect des obligations de santé et de sécurité incombant à l'employeur et des droits des salariés découlant du temps de travail réalisé.
Outre qu'en matière prud'homale la preuve est libre, aucun texte n'érige l'existence d'un document de décompte en instrument probatoire unique à la disposition de l'employeur, ni ne l'exige comme condition préalable à l'offre de preuve par ce dernier. Si le défaut d'établissement du document de décompte permet de caractériser un comportement fautif de l'employeur qui n'a pas satisfait à son obligation, je considère qu'il ne saurait, en revanche, l'empêcher de faire offre de preuve du temps de travail du salarié en produisant d'autres éléments devant les juridictions prud'homales lorsqu'un salarié revendique le paiement d'heures supplémentaires qu'il soutient avoir effectuées sans contrepartie. ➤ Je conclus au rejet sur le quatrième moyen. Le pourvoi soumet également une question relative à l'office du juge dans le domaine de la prescription. En effet, alors que la cour d'appel a relevé que l'employeur « ne soulève pas la prescription pour la période comprise entre le 27 décembre 2014 au 27 décembre 2015 », le pourvoi argue que les juges ne peuvent suppléer d'office le moyen résultant de la prescription et, en outre, que la cour d'appel n'a pas invité les parties à présenter leurs observations sur ce point. En application de l'
article 2247 du code civil🏛, les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription. En l'espèce, l'employeur, dans ses conclusions devant la cour d'appel (production MA 04b), s'agissant des demandes de la salariée relatives au non-respect des règles impératives au temps de travail, soulevait une fin de non-recevoir au titre de la prescription en application de l'article L. 3245-1 du code du travail et soutenait que la salariée ne pouvait réclamer quoi que ce soit au-delà du 27 décembre 2014. Je considère donc que la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action était dans le débat pour avoir été invoquée par l'employeur.
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La cour d'appel, faisant application du délai plus court de l'
article L. 1471-1 du code du travail🏛, a retenu que l'employeur ayant appliqué la prescription de l'article L. 3245-1 du code du travail, il ne soulevait pas la prescription pour la période comprise entre le 27 décembre 2014 et le 27 décembre 2015, soit deux ans avant la saisine du conseil de prud'hommes par la salariée et a jugé qu'elle devait rectifier l'erreur sur le délai de prescription applicable. Le juge devant qualifier juridiquement les faits et rechercher le texte de loi applicable en application de l'
article 12 du code de procédure civile🏛, la cour d'appel pouvait, s'agissant du délai de prescription applicable, substituer l'article L. 1471-1 du code du travail à l'article L. 3245-1 de ce même code, sur lequel s'était fondé l'employeur. Cependant, dès lors qu'aux termes de l'
article 16 du code de procédure civile🏛 le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, la cour d'appel ne pouvait le faire sans inviter les parties à s'expliquer préalablement. ➤ Je conclus au rejet sur la première branche du cinquième moyen et à la cassation sur sa deuxième branche.
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RAPPORT DE Mme CHAMLEY-COULET, CONSEILLÈRE RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 836 du 4 septembre 2024 (FS-B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-20.976 Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen du 9 juin 2022 Mme [S] [L], divorcée [C], C/ La société V & V associés _________________
Rapport et proposition de rejet non spécialement motivé des premier, deuxième et sixième moyens
1 - Rappel des faits et de la procédure pourvoi : 2/09/2022 MA : déposé le 30/12/2022 (dde
art 700 CPC🏛 : 3500 euros) MD : déposé le 6/02/2023 (dde art 700 CPC : 3000 euros) La SELARL V&V Associés est une étude d'administrateurs judiciaires adhérente du groupement d'intérêt économique Réajir (ci-après dénommée GIE Réajir) qui a pour objet une mise en commun de moyens afin de permettre à ses membres de développer la composante civile de leur activité. Le 27 octobre 2011, Mme [L] divorcée [C] a été engagée par le GIE Réajir en qualité de collaboratrice, niveau C4B statut cadre, par contrat à durée indéterminée prévoyant qu'elle exercerait ses fonctions quatre jours par semaine au sein de l'étude de la 10
SELARL V&V Associés située à [Localité 3] et un jour par semaine au sein de l'étude de Maître [X] à [Localité 2], avec possibilité de se rendre ponctuellement sur d'autres sites des membres du groupement. Le 7 septembre 2016, la salariée a été placée en arrêt maladie. Le 2 décembre 2016, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude de la salariée à son poste, précisant qu'il ne demandait pas de reclassement, l'état de santé de la salariée faisant obstacle à tout reclassement au sein de l'entreprise. Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifiée à la salariée le 20 février 2017. Par requête du 27 décembre 2017, Mme [C] a saisi la juridiction prud'homale en contestation de son licenciement ainsi qu'en paiement de diverses sommes à titre de rappels de salaires et d'indemnités.
2 - Analyse succincte des premier, deuxième et sixième moyens et motifs des propositions de rejet non spécialement motivé PREMIER MOYEN DE CASSATION
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