Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 22-16.519

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 22-16.519

A98756BD

Référence

Cass. soc., Conclusions, 02-10-2024, n° 22-16.519. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300735-cass-soc-conclusions-02102024-n-2216519
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AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 983 du 2 octobre 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-16.519⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Fort-de-France du 18 mars 2022 Mme [G] [Z] C/ L'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 4] _________________

Audience de FS 4 du 4 septembre 2024 Mme [G] [Z] a été embauchée par contrat à durée indéterminée le 14 septembre 2013 par la société Multigros. Selon une convention tripartite du 4 juillet 2016 signée par les parties précitées et la société Socofi, le contrat de travail de la salariée a été rompu d'un commun accord le 31 juillet 2016. Par contrat de travail à durée indéterminée du 4 juillet 2016, la salariée a été embauchée par la société Socofi. Elle a été licenciée pour faute grave le 4 janvier 2018. Le 24 avril 2018, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Fort-de-France aux fins de contestation de son licenciement ainsi qu'en demande de condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail. Par jugement du 25 septembre 2019, le conseil de prud'hommes a notamment dit le licenciement pour faute grave fondé et débouté la salariée de toutes ses demandes.

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Sur appel de la salariée, la cour d'appel de Fort-de-France, dans un arrêt prononcé le 18 mars 2022, a notamment infirmé le jugement entrepris sur ses dispositions relatives au licenciement pour faute grave de la salariée ; et, statuant à nouveau de ce chef, disqualifié le licenciement pour faute grave en licenciement pourvu d'une cause réelle et sérieuse ; fixé au passif de l'employeur placé en liquidation judiciaire diverses sommes au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés y afférents, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, de l'indemnité légale de licenciement ; confirmé le jugement déféré sur les autres demandes en paiement. Détenteur du pouvoir disciplinaire ainsi que du pouvoir de direction, l'employeur peut rompre le contrat d'un salarié selon une procédure de licenciement pour motif personnel. Si le code du travail ne donne pas de définition de ce licenciement, une lecture a contrario du premier alinéa de l'article L. 1233-3 du code du travail1 laisse entendre qu'il est inhérent à la personne du salarié. Ce licenciement, tenu d'être justifié, doit donc reposer sur une cause réelle et sérieuse2. Il recouvre des situations très diverses, qu'il soit prononcé en raison d'un fait fautif ou non-fautif du salarié et peut donc être fondé sur un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif ou sur un autre motif (inaptitude, insuffisance professionnelle, perturbation de l'entreprise du fait d'absences répétées ...). Dans le cadre d'un licenciement pour motif disciplinaire, la faute commise par le salarié ne revêt pas nécessairement la qualification de faute grave ou lourde. Il peut s'agir d'une faute simple qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. La faute se caractérise par un comportement volontaire imputable au salarié dans le cadre professionnel, correspondant à un manquement à ses obligations envers l'employeur. La cause réelle et sérieuse doit présenter les caractères suffisants de réalité, d'objectivité, d'exactitude et de gravité pour justifier le licenciement. S'agissant d'un licenciement prononcé pour faute, la loi ne définissant pas cette dernière, il est laissé à l'employeur la faculté d'apprécier le caractère fautif des faits commis par le salarié. Ainsi, la lettre énonçant les motifs du licenciement fixe les limites du litige, les juges du fond étant tenus par les faits qui y sont invoqués par l'employeur à l'encontre du salarié. Ils restent cependant libres de retenir ou non l'existence d'une faute et d'en déterminer la gravité. Ils peuvent dès lors requalifier les faits lorsqu'ils considèrent qu'à défaut de caractériser une faute grave, ainsi que le présente l'employeur, ils constituent toutefois une cause réelle et sérieuse de licenciement. Leur appréciation dans ce domaine relève de leur pouvoir souverain qu'ils tiennent de l'article L. 1235-1 du code du travail🏛 mais si la Cour ne contrôle pas l'existence d'une cause réelle et sérieuse, elle vérifie néanmoins que la décision prononcée est motivée.

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Article L. 1233-3 alinéa 1er du code du travail🏛 : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : [...] » 2

Article L. 1232-1 du code du travail🏛 : « Tout licenciement pour motif personnel est motivé dans les conditions définies par le présent chapitre. Il est justifié par une cause réelle et sérieuse. »

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En l'espèce, le pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir disqualifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour faute pourvu d'une cause réelle et sérieuse et les conséquences en découlant. Il soutient que la cour d'appel n'a pas précisé les faits commis par la salariée, ni les instructions auxquelles elle était soumise, ni le degré d'autonomie dont elle disposait concrètement d'où il résulterait un affranchissement du contrôle de sa supérieure hiérarchique, une désinvolture dans l'exécution de ses obligations professionnelles et des actes d'insubordination. Le pourvoi argue également que la cour d'appel a retenu une faute disciplinaire sans toutefois constater une abstention volontaire ou une mauvaise volonté délibérée dans les faits reprochés à la salariée. Il prétend encore que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions de la salariée qui soutenait que les faits qui lui étaient reprochés dans la lettre de licenciement étaient tous prescrits, étant tous connus de sa supérieure hiérarchique plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire. Dans sa motivation, la cour d'appel a clairement relevé qu'il était justifié par l'employeur que la salariée avait commis des erreurs et des approximations dans le traitement des dossiers, qu'elle a rappelées ; qu'elle avait pris un retard inexplicable dans le traitement de dossiers qu'elle a cités et des initiatives sur des dossiers sans en référer à sa supérieure hiérarchique directe, que ces comportements avaient été préjudiciables à l'employeur. Elle a ajouté que les éléments produits par l'employeur démontraient que la salariée s'était délibérément affranchie du contrôle de sa supérieure hiérarchique alors que la cour d'appel avait constaté qu'il avait été imposé à la salariée un degré de hiérarchie supplémentaire à la suite d'un premier entretien disciplinaire. A mon sens, la cour d'appel ayant relevé des faits précis et concrets qui étaient reprochés à la salariée, sa décision est suffisamment motivée pour permettre à la Cour de vérifier leur caractère fautif. Je considère également que la cour d'appel a justifié son choix de maintenir le caractère de faute disciplinaire aux faits reprochés à la salariée en motivant ainsi « les éléments produits par l'employeur et en particulier tous ceux établissant que délibérément, la salariée s'est régulièrement affranchie du contrôle de sa supérieure hiérarchique, prouvent que [la salariée] a effectivement fait preuve de désinvolture dans l'exécution de ses obligations professionnelles et commis des actes d'insubordination engendrant des conséquences dans le traitement des dossiers qui lui ont été confiés. » Ce faisant, elle a caractérisé un comportement volontaire imputable à la salariée dans le cadre professionnel, correspondant à un manquement à ses obligations envers l'employeur.

➤ Je conclus au rejet sur les deux premières branches du premier moyen. L'article L. 1332-4 du code du travail🏛 dispose « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux

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mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. » En l'espèce, dans ses conclusions devant la cour d'appel, la salariée rappelait ce texte relatif à la prescription des faits fautifs (page 22, 23 et 24) et exposait en quoi il s'appliquait à sa situation et aux faits qui lui étaient reprochés. Si dans l'exposé des demandes de la salariée la cour d'appel a énoncé « Elle indique que les faits ayant donné lieu à sanction étaient prescrits à cette date » (page 7) ; dans sa motivation pour retenir un licenciement pour faute pourvu d'une cause réelle et sérieuse (pages 8 à 11), elle n'a, à aucun moment développé la question de la prescription des faits fautifs pourtant clairement soulevée par la salariée. Ce faisant, la cour d'appel n'a pas répondu à un moyen présenté par la salariée et ayant une influence sur la solution du litige. ➤ Je conclus à la cassation sur la troisième branche du premier moyen. Par ailleurs, le pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir débouté la salariée de sa demande de fixation au passif de l'employeur des sommes au titre des bonus annuels 2017 et 2018 des congés payés y afférents. Il soutient que la cour d'appel, en retenant que la salariée ne fournissait aucun élément sur les objectifs qui lui avaient été fixés pour les années 2017 et 2018 et sur la réalisation de ces objectifs, a inversé la charge de la preuve. La rémunération, élément essentiel qui permet de caractériser le contrat de travail, est l'une des obligations principales de l'employeur et donc la principale créance du salarié, car contrepartie du travail qu'il accomplit. Dès lors, le salarié doit pouvoir connaître son montant, sa nature et les modalités de son calcul. Au-delà du salaire, qui est sa composante principale, la rémunération peut comprendre des éléments dont la détermination comporte une part d'incertitude. Il s'agit alors d'une part variable fixée notamment par la performance du salarié en considération des objectifs qui lui ont été attribués. La question soumise s'inscrit dans cette thématique. Ainsi, l'avenant au contrat de travail du 1er mars 2017 de la salariée stipulait que celle-ci percevrait « un bonus individuel dont le montant sera lié à l'atteinte des objectifs qui lui auront été fixés. Pour une réalisation à 100% de ces objectifs, [la salariée] percevra un bonus annuel de 2 600 euros » et « les conditions d'attribution de cette prime lui seront précisées par [...] (Secrétaire général). [L'employeur]. pourra les modifier en fonction des objectifs à atteindre. [Il] pourra également modifier les conditions de versement du bonus. » Aux termes de l'article 1353 du code civil🏛, “Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.”

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En l'espèce il n'est pas contesté que le paiement de la part variable de la rémunération n'a pas été effectué mais en refusant de verser la prime variable qui figure au contrat de travail en soutenant devant la cour d'appel que la salariée avait failli à ses obligations contractuelles et que le bonus ne lui était pas dû, l'employeur a remis en cause l'existence même de la créance de la salariée. La chambre juge que les objectifs dont dépend la partie variable de la rémunération peuvent être définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction dès lors qu'ils sont réalistes (Soc., 22 mai 2001, pourvoi n° 9941.970, 99-41.838 ; Soc., 15 février 2012, pourvoi n° 09-72.283⚖️) et qu' « Une cour d'appel, qui constate que l'employeur ne produit aucun élément de nature à établir que les objectifs qu'il a fixés au salarié à titre de condition de versement d'une rémunération variable étaient réalisables, décide à bon droit, sans inverser la charge de la preuve, que cette rémunération est due. » (Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-20.978⚖️). La chambre rappelle également régulièrement qu'en cas de non-paiement de la part variable de la rémunération, il incombe à l'employeur qui se prétend libéré de ses obligations de paiement de démontrer que le salarié n'a pas atteint ses objectifs (Soc., 9 mars 2011, pourvoi n° 09-70.313⚖️ ; Soc., 13 février 2019, pourvoi n° 17-21.514⚖️). Ainsi, en cas de litige sur la part variable d'une rémunération, il revient à l'employeur de justifier les objectifs fixés au salarié, de leur caractère réalisable et du fait que le salarié ne les a pas atteints. A l'instar du pourvoi, je considère donc qu'en faisant peser ces éléments sur la salariée, la cour d'appel a procédé à une inversion de la charge de la preuve. ➤ Je conclus à la cassation sur le troisième moyen du pourvoi. En considération de la date de sa signature, le contrat de travail était dans un premier temps soumis aux dispositions issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008🏛 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, en vigueur du 22 août 2008 au 10 août 2016. Il prévoyait, dans un article IV « Durée du travail » que la salariée, « compte tenu de la large autonomie dans l'organisation de son emploi du temps dont elle dispose » qu'elle relèverait pour le calcul de son temps de travail du forfait en jours et qu'elle était soumise « aux dispositions de l'article L. 3121-45 du code du travail🏛 et de l'article 5.7.2. de la convention collective nationale de commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire ». Par la suite, un avenant à ce contrat à été signé le 1 er mars 2017. Il ajoutait aux termes précités du contrat de travail que la salariée dépendrait également de l'avenant n° 52 de la convention collective précitée du 17 septembre 2015 relatif au forfait annuel en jours ; que « le nombre de jours de travail prévu par l'avenant n° 52 du 17 septembre 2015, ne peut être supérieur, pour 5 semaines de congés payés, à 216 jours par an (jour de solidarité inclus). Ce nombre est ajusté chaque année en fonction des jours de congés auquel le salarié peut effectivement prétendre et du nombre de jours positionnés sur la période lorsque celle-ci ne coïncide pas avec la période de prise des congés » ; que « les modalités de prise des jours de repos ou jours non travaillés (ou des demi-journées) seront fixées au niveau de l'entreprise. Le forfait jour indiqué ci-dessus suivra les modifications de l'accord de branche. »

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L'article L. 3121-43 du code du travail3 permettait la conclusion de conventions de forfait exprimées en jours de travail pour les cadres disposant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et qui ne suivent pas l'horaire collectif applicable, ainsi que pour les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées. Système dérogatoire au décompte effectif du temps de travail et à certaines dispositions relatives à la durée légale de travail4, le recours au forfait annuel en jours peut laisser craindre des abus. En effet, la flexibilité de leur temps de travail et la large autonomie dont ils bénéficient dans l'organisation de celui-ci, pourraient mener les salariés qui sont soumis au forfait annuel en jours à supporter une surcharge de travail, de nature à porter un risque à leur santé. C'est pourquoi, le recours au forfait annuel en jours doit obéir à des règles strictes. Ainsi, la conclusion d'une convention individuelle de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif d'entreprise (article L. 3121-39 du code du travail5), doit être établie par écrit, avoir recueilli l'accord du salarié (article L. 3121-40 du code du travail6) et un entretien annuel individuel organisé par l'employeur doit porter sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié7. En outre, le législateur ayant conçu l'accord collectif comme la pierre angulaire du dispositif, la Cour, au visa de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que de l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Article L. 3121-43 du code du travail🏛 dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 : “Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 : 1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ; 2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.” 3

Article L. 3121-48 du code du travail🏛 dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 : “Les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne sont pas soumis aux dispositions relatives : 1° A la durée légale hebdomadaire prévue à l'article L. 3121-10 ; 2° A la durée quotidienne maximale de travail prévue à l'article L. 3121-34 ; 3° Aux durées hebdomadaires maximales de travail prévues au premier alinéa de l'article L. 3121-35 et aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 3121-36.” 4

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Article L. 3121-39 du code du travail🏛 dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 : “La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.” Article L. 3121-40 du code du travail🏛 dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 : “La conclusion d'une convention individuelle de forfait requiert l'accord du salarié. La convention est établie par écrit.” 6

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Article L. 3121-46 du code du travail🏛 dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.

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européenne qui se réfère à la Charte sociale européenne révisée ainsi qu'à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, a subordonné sa validité au respect d'exigences non prévues par la loi en lui assignant la mission de garantir “le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos tant journaliers qu'hebdomadaires” (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107⚖️), afin d'assurer “la protection de la sécurité et de la santé du salarié” (Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 11-28.398⚖️). La Cour juge de façon constante que tel n'est pas le cas “d'un accord d'entreprise qui ne prévoit pas un suivi effectif et régulier par la hiérarchie du salarié des états récapitulatifs de son temps travaillé qui lui sont transmis, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.” (Soc., 5 octobre 2017, pourvoi n° 16-23.110, 16-23.111, 16-23.106, 16-23.107, 16-23.108, 16-23.109); (Soc., 17 janvier 2018, pourvoi n° 16-15.124⚖️) et qu'un accord collectif “qui n'institue pas de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé.” (Soc., 15 avril 2016, pourvoi n° 1512.588 ; Soc., 14 d)cembre 2022, pourvoi n_ 21-10.251, 20-20.572Soc., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-10.251, 20-20.572). Par la suite, le législateur a souhaité “sécuriser le dispositif du forfait en jours en intégrant dans le code du travail les recommandations formulées par la Cour de cassation à travers sa jurisprudence”8. Ainsi, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dans sa version en vigueur jusqu'au 22 décembre 2017, a créé un article L. 3121-64 II9 dans le code du travail🏛 qui prévoit l'insertion dans les accords

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Page 38 de l'Etude d'impact de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Page 39 : “Ensuite, le projet de loi précise, afin de sécuriser les employeurs, les clauses obligatoires de l'accord collectif instaurant un forfait en jours. Ces clauses visent à garantir le droit à la santé et au repos des salariés tel que rappelé par la Cour de cassation.” https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/Files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/etudes-d-impactdes-lois/ei_art_39_2016/ei_libertes_protections_entreprises_actifs_cm_24.03.2016.pdf.pdf Article L. 3121-64 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 : “I.-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine : 1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ; 2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ; 3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ; 4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ; 5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait. II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine : 9

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ; 2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ; 3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-8.

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collectifs de stipulations relatives au renforcement du suivi de la charge de travail des salariés soumis aux conventions de forfait en jours. L'article L. 3121-65 du code du travail🏛, également créé par la loi précitée, dispose par ailleurs, “I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes : 1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ; 2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ; 3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. II.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l'article L. 3121-64, les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l'article L. 2242-8.” De plus, l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a prévu deux mécanismes de “sécurisation” des conventions individuelles de forfait adossées à un accord collectif conclu avant l'entrée en vigueur de la loi et donc non conforme à ses nouvelles exigences. Il dispose notamment “I. - Lorsqu'une convention ou un accord de branche ou un accord d'entreprise ou d'établissement conclu avant la publication de la présente loi et autorisant la conclusion de forfaits annuels en heures ou en jours est révisé pour être mis en conformité avec l'article L. 3121-64 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, l'exécution de la convention individuelle de forfait annuel en heures ou en jours se poursuit sans qu'il y ait lieu de requérir l'accord du salarié. II. - Les 2° et 4° du I de l'article L. 3121-64 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, ne prévalent pas sur les conventions ou accords de branche ou accords d'entreprise ou d'établissement autorisant la conclusion de conventions de forfait annuel en heures ou en jours et conclus avant la publication de la présente loi. III. - L'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.” Dès lors, s'ils sont entrés en vigueur avant la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les accords collectifs doivent permettre d'assurer que l'amplitude et la charge de travail L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.”

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du salarié restent raisonnables et de garantir une bonne répartition, dans le temps, du travail ainsi que prévoir un contrôle effectif et régulier de la charge de travail du salarié par sa hiérarchie permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Les garanties devant être contenues dans l'accord collectif, les stipulations de la convention individuelle ne peuvent pallier son éventuelle insuffisance. Postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ces exigences sont maintenues et désormais légales, mais les dispositions de l'article L. 3121-65 du code du travail permettent à l'employeur de suppléer à la carence des partenaires sociaux dans la conclusion d'une convention ou d'un accord conforme, s'agissant des éléments relatifs à la charge de travail notamment (article L. 3121-64 II 1° et 2°). De plus, la convention de forfait se poursuit sans qu'il y ait lieu de requérir l'accord du salarié lorsqu'un accord collectif conclu antérieurement à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 est révisé afin d'être mis en conformité avec les dispositions de l'article L. 3121-64 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi. Dans tous les cas, le contrôle du juge quant à la régularité du dispositif de forfait en jours porte tant sur la validité de la convention collective prévoyant un tel recours que sur celle de la convention individuelle, la Cour jugeant, au regard des enjeux de santé et de sécurité, que ce contrôle doit être effectué, le cas échéant, d'office par les juges du fond (Soc., 21 juin 2023, pourvoi n° 22-11.062⚖️). Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours n'entraîne pas son inopposabilité aux salariés, mais la privation d'effet de la convention individuelle conclue en application de cet accord (Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-11.940⚖️, Bull. 2014, V, n° 172 ; Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-18.226⚖️) à compter de la défaillance de l'employeur et tant que celle-ci dure. En l'espèce, le pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir débouté la salariée de sa demande de fixation au passif de l'employeur de sommes à titre d'heures supplémentaires et de diverses autres sommes. Il soutient que la cour d'appel, alors qu'elle y avait été invitée, n'a pas recherché si la mise en oeuvre de la convention de forfait en jours avait été effectivement accompagnée par un suivi, à travers notamment des entretiens, de la charge et de l'organisation du travail de la salariée. Le pourvoi prétend également que l'absence de fixation, par la convention individuelle de forfait en jours, du nombre de jours compris dans le forfait équivaut à une absence de convention établie par écrit et que, faute d'écrit, celle-ci est privée d'effet ; que la salariée avait fait valoir qu'elle n'avait jamais signé de convention individuelle sur la durée et le temps de travail ; et que les avenants au contrat de travail de la salariée, s'ils renvoyaient aux stipulations de l'article 5.2.7. de la convention collective applicable, ne fixaient pas précisément le nombre de jours compris dans le forfait. Le pourvoi argue enfin que la cour d'appel aurait dû contrôler, même d'office, si les stipulations de l'article 5.7.2. de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, étendue par arrêté du 26 juillet 2002 et modifiée par avenant n° 52 du 17 septembre 2015 relatif au forfait annuel en jours, étaient de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés.

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Dans ses conclusions devant la cour d'appel, la salariée soutenait qu'elle n'avait pas signé de convention individuelle sur la durée et le temps de travail et n'évoquait pas le fait que les avenants à son contrat de travail ne fixaient pas précisément le nombre de jours compris dans le forfait. Je considère à titre principal que pour être nouveau, ce moyen est irrecevable. Toutefois, pour le cas où la Cour retiendrait la recevabilité du moyen, je rappellerai qu'une convention de forfait en jours doit faire l'objet d'un écrit. Cette exigence relève de l'article L. 3121-40 du code du travail avant la loi de 2016 puis, à compter celle-ci, de l'article L. 3121-55 du code du travail🏛. Le fait de savoir si un écrit fixe précisément ou non le nombre de jours compris dans le forfait ne relève pas de la question de l'existence de la convention de forfait en jours mais de sa validité au regard de son contenu, la Cour jugeant qu'à défaut de fixer le nombre de jours travaillés, dans la limite posée par l'accord collectif, une convention individuelle de forfait en jours est nulle (Soc., 12 mars 2014, pourvoi n° 12-29.141⚖️). Toutefois, le moyen soutient le défaut d'existence d'une convention individuelle de forfait en jours. Or, en l'espèce, les articles IV « Durée du travail » tant du contrat de travail que de son avenant daté du 1er mars 2017, tels que précédemment rappelés, prévoyaient tous les deux une organisation du travail en forfait en jours pour la salariée. Dès lors, je considère que le défaut d'écrit n'est pas établi. ➤ Je conclus à titre principal à l'irrecevabilité de la deuxième branche du quatrième moyen et à titre subsidiaire à son rejet. Enfin, la cour d'appel, pour rejeter les demandes au titre des heures supplémentaires, après avoir rappelé le contenu de l'avenant au contrat de travail de la salariée dont elle déduisait que cette dernière avait adhéré à une convention de forfait en jours, elle a affirmé que la salariée échouait à démontrer qu'elle ne disposait d'aucune autonomie dans son emploi du temps et que son temps de travail excédait les prescriptions du forfait en jours applicable. Ce faisant, la cour d'appel, à mon sens, n'a pas contrôlé, alors qu'il lui appartenait de le faire, même d'office, si les stipulations de l'article 5.7.2. de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001, étendue par arrêté du 26 juillet 2002 et modifiée par avenant n° 52 du 17 septembre 2015 relatif au forfait annuel en jours, étaient de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés. Par ailleurs, dans ses conclusions devant la cour d'appel, la salariée soutenait qu'aucun suivi du nombre de jours ou des demi-journées travaillés n'avait été mis en place par l'employeur ; qu'elle n'avait pas bénéficié de l'entretien de suivi du forfait jour et qu'en conséquence il ne pouvait pas être retenu l'existence d'un forfait en jours à son égard. Elle citait l'article L. 3121-46 du code du travail ainsi que l'article 5.7.2 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001 (pages 62 et 63 des conclusions).

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Cet article, modifié par l'avenant n° 52 du 17 septembre 2015 relatif au forfait annuel en jours, stipule notamment « Suivi de l'amplitude et de la charge de travail. Le forfait en jours s'accompagne d'un suivi du nombre de jours ou demi-journées travaillés et du respect du repos quotidien et hebdomadaire prévu par le présent accord, ainsi que de la charge de travail. Ce suivi peut s'effectuer à l'aide d'un document tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur. Ce document fait apparaître la qualification de chacune des journées ou demi-journées du mois, répartie en quatre catégories au minimum : travail, repos, congé payé, autre absence ; afin d'identifier les éventuelles difficultés en matière d'amplitude des journées de travail, le document indique également, lorsqu'un repos quotidien a été inférieur à 12 heures consécutives, quelle en a été la durée. Il doit également comporter la possibilité pour le salarié d'ajouter toute information complémentaire qu'il jugerait utile d'apporter. Signé par le salarié, le document de décompte est remis mensuellement à sa hiérarchie, responsable de son analyse et des suites à donner, ainsi que de sa conservation. Un récapitulatif annuel est remis au salarié, dans les 3 mois suivant la fin de la période. Au moins une fois par an, le salarié en forfait jours bénéficie à l'initiative de sa hiérarchie d'un entretien portant sur sa charge et son amplitude de travail, sur l'organisation du travail dans l'entreprise ou l'établissement, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération. Un entretien doit également être proposé par la hiérarchie du salarié lorsque le document mensuel de décompte visé ci-dessus fait apparaître des anomalies répétées mettant en évidence des difficultés en matière de temps de travail. Cet entretien a pour objet d'examiner les mesures correctives à mettre en œuvre. Un entretien supplémentaire peut en outre avoir lieu à tout moment de l'année à l'initiative du salarié si celui-ci rencontre des difficultés d'organisation de sa charge de travail l'amenant à des durées de travail trop importantes. Cette alerte doit aboutir à des décisions concrètes. Lorsqu'un entretien a été rendu nécessaire en raison de difficultés en matière de temps de travail, un bilan est effectué 3 mois plus tard afin de vérifier que la charge de travail présente bien un caractère raisonnable. L'entreprise peut mettre en place d'autres modalités de suivi que le document cidessus, à condition de présenter les mêmes garanties. » La modification de cet article est intervenue après que la Cour a jugé que l'article 5.7.2., dans sa version antérieure, n'était pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié, et, donc, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé (Soc., 4 février 2015, pourvoi n° 13-20.891⚖️). Dès lors qu'elle retenait l'existence d'une convention individuelle de forfait en jours, la cour d'appel aurait dû s'assurer de sa validité en contrôlant notamment l'existence de garanties effectives dans la convention collective, qui permettait de la mettre en oeuvre, quant au suivi effectif et régulier de l'amplitude et de la charge de travail des salariés. Or, sa motivation ne contient aucun élément sur ce point. ➤ Je conclus à la cassation sur les première et troisième branches du quatrième moyen. ➤ Enfin, je m'associe à la proposition de rejet non spécialement motivé présentée par Madame le conseiller rapporteur pour le deuxième moyen, pour les motifs exposés au rapport.

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