AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 835 du 4 septembre 2024 (FS-B) –
Chambre sociale Pourvoi n° 23-13.931⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles du 26 janvier 2023 M. [D] [P] C/ la société Spie nucléaire _________________
M. [D] [P] a été engagé en qualité d'agent technique par la société parisienne pour l'industrie électrique Trindel à compter du 5 mars 1990 par contrat de travail à durée indéterminée. Le 19 décembre 2016, le salarié a sollicité auprès de son employeur le transfert de 4 jours de RTT vers le dispositif de plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco) existant au niveau de la branche du BTP à laquelle appartient l'employeur. Ce dernier a refusé de faire droit à la demande. Le 25 avril 2019, le salarié et le syndicat CFE-CGC BTP ont saisi le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise de diverses demandes au titre des 4 jours de RTT. Par jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a notamment dit le salarié et le syndicat recevables en leurs demandes ; condamné l'employeur à payer au salarié diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice des 4 jours de RTT perdus, des congés payés y afférents, condamné l'employeur à payer au syndicat une somme à titre de dommages-intérêts pour l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession.
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Sur appel de l'employeur, la cour d'appel de Versailles, dans un arrêt prononcé le 26 janvier 2023 a notamment infirmé partiellement le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le salarié recevable en ses demandes et a condamné l'employeur à lui payer diverses sommes ; statuant à nouveau des chefs infirmés, dit irrecevables comme prescrites les demandes principales et subsidiaires du salarié. Le salarié s'est pourvu en cassation. Quelle prescription appliquer à une demande de versement de jours de Réduction de Temps de Travail (RTT) sur un Plan d'Epargne pour la Retraite Collectif (dit PERCO) ? La cour d'appel a appliqué la prescription biennale de l'
article L.1471-1 1 du code du travail🏛🏛 relative à l'exécution du contrat de travail tandis que le pourvoi soutient que doit être appliquée la prescription triennale qui concerne l'action en paiement ou en répétition du salaire prévue à l'
article L. 3245-1 2 du code du travail🏛. Il considère que l'action du salarié portait sur le souhait exprimé par ce dernier d'utiliser 4 jours de RTT, obtenus en contrepartie de son travail et pouvant par ailleurs être monétisés, en vue d'abonder le compte épargne-retraite collectif de branche, de sorte qu'elle portait sur l'utilisation de droits attachés à une créance de nature salariale. La Cour juge de façon constante que la détermination de la prescription dépend de la nature de la créance objet de la demande (Ass. plén., 10 juin 2005, pourvoi n° 0318.922 ; Ch. mixte., 26 mai 2006, pourvoi n°
03-16.800⚖️ ;
Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 18-23.932⚖️ ;
Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-10.161⚖️). En l'espèce, l'action du salarié tendait, à titre principal à obtenir le transfert de quatre jours de RTT dans le PERCO de la branche BTP. Il est nécessaire de déterminer si l'objet de la demande constitue une créance salariale. Contrepartie du travail accompli, le salaire est donc la principale créance du salarié et l'une des obligations déterminantes de l'employeur dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail, même si ce dernier n'est pas la seule source du salaire, le statut collectif ou le pouvoir de l'employeur pouvant également le causer. Le salaire est caractérisé principalement par son versement en contrepartie d'un travail, par sa fixité, sa constance et par la généralité de son paiement. Créé par la
loi n° 2003-775 du 21 août 2003🏛 portant réforme des retraites, le plan d'épargne pour la retraite collectif est un plan d'épargne d'entreprise. Il donne au
Article L. 1471-1 alinéa 1 du code du travail : “Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.” 1
2 Article L. 3245-1 du code du travail : “L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
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salarié la possibilité de se constituer une épargne en vue de la retraite, les avoirs étant, en principe, bloqués jusqu'à l'âge de celle-ci3. Le PERCO peut recevoir, à l'initiative des participants, les versements de sommes provenant : de l'intéressement, de la participation, d'autres versements volontaires des salariés, des contributions de l'entreprise 4, d'un compte épargne-temps (CET) ou non 5. Ainsi, les droits inscrits sur un compte épargne-temps peuvent être versés sur le PERCO. En l'absence de CET, le salarié peut, dans la limite de dix jours par an, verser sur le PERCO les sommes correspondant à des jours de repos non pris. Après le départ à la retraite, les sommes ou valeurs figurant au compte du salarié lui sont, à sa demande, versées sous la forme d'une rente viagère à titre onéreux, soit, si l'accord le prévoit, sous la forme d'un capital ou d'une rente, selon le choix du participant 6. La réduction du temps de travail (RTT) est un dispositif de flexibilité du temps de travail prévoyant d'attribuer des journées ou des demi-journées de repos à un salarié dont la durée de travail est supérieure à 35 heures par semaine, dans la limite de 39 heures hebdomadaires. Les jours de RTT sont ainsi des jours de récupération liés à la réduction du temps de travail, dont le bénéfice est fixé par une convention ou un accord. Correspondant à un échange d'heures supplémentaires contre du temps libre, les jours de RTT sont bien acquis en contrepartie du travail effectué par le salarié. Dès lors que les jours de RTT permettent d'assurer le maintien du salaire pour les heures accomplies au-delà de la durée légale ou conventionnelle de travail, l'assiette de calcul de l'indemnité due au
titre de la réduction du temps de travail englobe l'ensemble des composantes de la rémunération du salarié, fixe et variable. Si, en application de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008🏛 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, il n'est plus possible de signer de nouveaux accords de RTT depuis le 22 août 2008, les accords signés avant cette date et non dénoncés restent applicables. Lorsque le mécanisme du compte épargne-temps a été mis en place au sein de l'entreprise, le salarié peut y affecter ses jours de RTT. Le compte épargne-temps permet au salarié d'accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non prises. La chambre a déjà jugé que « L'action relative à l'utilisation des droits affectés sur un compte épargne-temps, acquis en contrepartie du travail, a une nature salariale et relève de la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail. » (
Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 19-14.543⚖️).
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articles L. 3334-14 et R. 3334-4 du code du travail🏛🏛 prévoient des déblocages exceptionnels des sommes dans des cas liés à la situation ou au projet du participant 4
Article L. 3334-6 du code du travail🏛5
Article L. 3334-8 du code du travail🏛6
Article R. 3334-3 du code du travail🏛3
Certes, en l'espèce, la monétisation des droits affectés sur un compte épargnetemps n'est pas en question. Toutefois, si en présence d'un compte épargne-temps, le salarié dépose des jours mais peut soit retirer des jours de repos rémunérés, soit retirer de l'argent et que les jours sont donc, dans ce cas, monétisés lorsqu'ils sont repris ; dans le cas d'un PERCO, ce sont les « sommes correspondant à des jours de repos non pris » 7 qui sont directement versées. En effet, dès lors qu'il s'agit d'un produit d'épargne financière, les placements ne peuvent être effectués qu'en argent. Ainsi, les sommes versées sur le PERCO correspondent à la conversion de jours de repos non pris en valeur monétaire. Or, ces jours de réduction du temps de travail compensent du temps de travail effectué au-delà de la durée légale du travail. Lorsqu'un salarié pose un jour de RTT, il perçoit la même rémunération que pour une journée de travail ordinaire. Lorsque les jours de RTT ne peuvent pas être pris et qu'ils sont versés sur un CET ou lorsque le salarié décide de les transférer sur un PERCO en l'absence de CET, ils ne perdent pas leur nature compensatoire d'un salaire pour un travail effectué au-delà de la durée légale ou conventionnelle. Je considère donc que les jours de RTT transférés sur un PERCO constituent une rémunération différée, due en contrepartie d'un travail exécuté au-delà de la durée légale ou conventionnelle de travail et qu'une demande à cette fin porte sur une créance de nature salariale soumise à la prescription triennale. ➤ Je conclus à la cassation sur la première branche du moyen. En revanche, des demandes de dommages et intérêts pour exécution déloyale et de mauvaise foi du contrat et de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi, si elles portent sur une somme d'argent, ne sont toutefois pas de nature salariale mais de nature indemnitaire pour réparer un préjudice subi, et en l'espèce, dans le cadre de l'exécution du contrat. Je ne m'associe pas à la position du mémoire ampliatif qui soutient que ces demandes seraient liées par un lien de dépendance nécessaire à la demande principale du salarié tendant à obtenir le transfert de quatre jours de RTT dans le PERCO de la branche BTP, et portant sur les droits attachés à une créance de nature salariale, non soumise à la prescription biennale. Outre que le délai de prescription applicable s'apprécie au regard de la nature de la créance objet de la demande et non en considération d'un lien de dépendance nécessaire à une autre demande, lorsque les demandes portent sur des créances de nature différente, la prescription applicable doit envisager distinctement, pour chacune d'elles. ➤ Je conclus au rejet sur la deuxième branche du moyen. Dans la mesure où je conclus à la cassation sur la première branche du moyen, je considère la troisième branche du moyen, concernant une demande subsidiaire, sans objet. 7
Article L. 3334-8 du code du travail
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Toutefois, si la Cour prononçait un rejet sur la première branche du moyen, je considère que l'indemnité compensatrice au titre des quatre jours de RTT perdus relève de la prescription triennale, la nature de la créance objet de cette demande étant salariale. En effet, cette indemnité présente le caractère d'une rémunération puisqu'elle a pour objet de compenser la perte de jours de RTT acquis en contrepartie d'un temps de travail supérieur à la durée légale du travail. ➤ Je conclus, à titre subsidiaire, à la cassation sur la troisième branche du moyen. Enfin, je m'associe à la proposition de rejet non spécialement motivé présentée sur la quatrième branche du moyen par Monsieur le conseiller rapporteur pour les motifs exposés au rapport.
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