Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-20.049

Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-20.049

A98506BG

Référence

Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 22-20.049. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300710-cass-soc-conclusions-10072024-n-2220049
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AVIS DE M. GAMBERT, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 785 du 10 juillet 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-20.049⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges du 15 juin 2022 M. [R] [V] C/ la caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou _________________

Audience FS1 du 11juin 2024

Faits et procédure M. [V] qui était agent administratif de la caisse régionale de Crédit agricole de la Touraine et du Poitou, a été promu directeur d'agence à compter du 04 juillet 2006. Le 29 juin 2006, il a signé une convention de forfait prévoyant 206 jours de travail annuel. Il a démissionné le 11 avril 2016. Le 09 décembre 2016, il a saisi le conseil de prud'hommes aux fins d'obtenir la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec toutes conséquences de droit, le paiement d'une somme au titre des congés payés, le prononcé de la nullité de la convention de forfait en jours et la communication par l'employeur de ses relevés de badge.

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Par jugement du 22 décembre 2017, il a été débouté de l'ensemble de ses demandes. Par arrêt du 05 juin 2019, la cour d'appel a confirmé le jugement et débouté les parties du surplus de leurs prétentions. Par une décision rendue le 13 octobre 2021 sur pourvoi du salarié, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt attaqué, « mais seulement en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande de nullité de la convention de forfait en jours, et en ce qu'il condamne M. [V] aux dépens et le déboute de sa demande au titre des frais irrépétibles ». Devant la cour d'appel de renvoi, le salarié a formulé pour la première fois, par des écritures notifiées le 14/12/2021, une demande à titre de rappel de salaire d'heures supplémentaires, de congés payés sur ce rappel et à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé. Par arrêt du 15 juin 2022, la cour d'appel de renvoi a infirmé le jugement déféré en ce qui concerne la convention de forfait en jours et, statuant à nouveau de ce chef elle a annulé la convention de forfait en jours signée le 29 juin 2006. Par ailleurs ajoutant au jugement, elle a déclaré prescrites les actions engagées par M. [V] et en conséquence irrecevables ses demandes à titre de rappel de salaire, de congés payés sur ce rappel et de dommages et intérêts pour travail dissimulé. Le salarié a formé un pourvoi contre cet arrêt auquel il reproche d'avoir déclaré prescrites et en conséquence irrecevables ses demandes à titre de rappel de salaire et de congés payés sur ce rappel (1er moyen) et à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé (2nd moyen). A l'appui de son pourvoi, il soutient que les demandes formulées pour la première fois devant la cour d'appel de renvoi constituaient le prolongement de sa saisine initiale en annulation de la convention de forfait en jours intervenue le 09 décembre 2016 qui avait interrompu le délai de prescription.

Question Les moyens posent la question de l'extension de l'effet interruptif de la prescription attaché à la saisine initiale du juge et son extension à une nouvelle demande.

Discussion Observations préliminaires -1- L'article 625 du code de procédure civile🏛 dispose que « Sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé.». Aux termes de l'article 633 du code de procédure civile🏛 « La recevabilité des prétentions nouvelles est soumise aux règles qui s'appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée.».Les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile🏛🏛🏛 posent le principe de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel. Ils précisent que « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent » et que « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».

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En application de ces textes, la recevabilité des prétentions nouvelles formulées devant la cour d'appel de renvoi est soumise aux règles applicables devant la cour d'appel ( Civ. 2ème 28/03/2024, n° 22-13.419 ). -2- La prescription d'une part, et, la prohibition des demandes nouvelles en appel d'autre part, sont toutes deux des fins de non recevoir. Mais si la prescription civile est d'ordre privé, ce qui interdit au juge de relever d'office la fin de non recevoir tirée du délai de prescription ( Soc.12/12/2012, n°11-20.502⚖️ ), en revanche la prohibition des demandes nouvelles en appel peut être relevée d'office en application de l'article 564 du code de procédure civile. -3- Au regard de ces différentes règles, la question de la recevabilité des demandes en justice présentées pour la première fois en cause d'appel peut être abordée sous deux angles différents : - D'une part, à travers celui de la prescription de l'action et donc de l'extension de l'effet interruptif de la prescription attaché à la demande initiale comme le propose le pourvoi formé dans la présente affaire, - D'autre part, à travers celui de l'effet dévolutif de l'appel et donc de la prohibition des prétentions nouvelles en appel prévue par les articles 564 et suivants du code de procédure civile. - A - L'effet interruptif de la prescription attaché à la demande initiale et son extension à une nouvelle demande. Selon l'article 2241 du code civil🏛 : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. » L'article R.1452-1 du code du travail🏛, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019🏛, énonce « La demande en justice est formée par requête. La saisine du conseil de prud'hommes, même incompétent, interrompt la prescription». -1- Le principe général En principe, la demande en justice interrompt le délai de prescription de l'action concernée. L'effet interruptif de prescription attaché à une demande en justice ne s'étend pas à une nouvelle demande formée au cours de la même instance, si la deuxième est différente de la première par son objet. L'autonomie procédurale de la demande s'accompagne de l'autonomie des prescriptions et, corrélativement, de leur éventuelle interruption. « Lorsque, deux actions sont distinctes par leur objet et qui plus est par leur cause, la mise en oeuvre de l'une ne peut avoir pour effet d'interrompre le cours de la prescription de l'autre » (Grégoire Loiseau, Chronique, La Semaine Juridique Edition Générale n° 42, 18 Octobre 2010, doc1040, § 17. ) En application de ce principe général, la Cour juge que « Les actions en fixation des indemnités d'éviction et d'occupation, étant distinctes par leur objet et par leur cause, la mise en oeuvre de l'une n'a pas pour effet d'interrompre le cours de la prescription de l'autre ; » ( Civ.3ème 19/01/2000, n°98-13.773⚖️ ) ; de même la première chambre décide

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que l'action en rescision pour lésion d'un partage d'ascendant et l'action en réduction de donations ont un objet différent ( Civ.1ère 13/11/2003, n°00-20.075⚖️ ) ; et la chambre commerciale affirme que « l'action tendant à la résiliation du crédit-bail et à la restitution du bien étant distincte, par son objet, de l'action en paiement de sommes dues au titre du contrat résilié, la mise en oeuvre de l'une n'a pas pour effet d'interrompre le cours de la prescription de l'autre » ( Com.04/07/2006, n°04-16.578⚖️ ). En revanche, il y a identité d'objet entre une demande principale en responsabilité décennale sur le fondement de l'article 1792 et une demande subsidiaire en responsabilité de droit commun ( Civ.3ème 26/06/2002, n°00-21.638⚖️ ). -2- Les exceptions au principe 2-a- En droit commun Il est fait exception au principe, selon lequel l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, lorsque les deux actions, quoique ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la deuxième est virtuellement comprise dans la première. Ainsi en est il en cas de litiges indivisibles lorsque les actions procèdent d'une même contestation ou d'actions tendant à la réparation d'un même préjudice comme cela ressort des exemples suivants : « Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; Ainsi, la prescription de l'action en recouvrement peut être interrompue par l'exercice, par le créancier, d'une action paulienne tendant à ce que l'apport d'un bien par le débiteur à un tiers lui soit déclaré inopposable. » ( Civ.2ème 28/06/2012, n°11-20.011 ) ; «⚖️ Attendu que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; Attendu que, pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action de Mme N en annulation du partage amiable, l'arrêt retient qu'elle a été introduite par voie de conclusions déposées le 13 mai 2014, soit plus de cinq ans après qu'elle a eu connaissance, le 13 mars 2008, des dissimulations prêtées à son père ; Qu'en statuant ainsi, alors que la demande en partage judiciaire de la communauté ayant existé entre ses parents et de la succession de sa mère tendait au même but que l'action en rescision du partage amiable de cette communauté et de cette succession, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; » ( Civ.1ère 05/10/2016, n°15-25.459 ) ; «⚖️ Attendu que si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; Attendu que, pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action en garantie des vices cachés exercée par le vendeur contre le fabricant, après avoir retenu que la

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prescription biennale avait commencé à courir le 19 juillet 2011, date de l'assignation délivrée par l'acquéreur, l'arrêt énonce que l'assignation en garantie, signifiée le 20 avril 2012 et fondée sur l'article 1134 du code civil🏛, n'a pas le même objet que l'action en résolution de la vente pour vices cachés formée par conclusions du 7 novembre 2014, et en déduit qu'elle n'a pas eu d'effet interruptif sur cette action ; Qu'en statuant ainsi, alors que l'action engagée par le vendeur contre le fabricant le 20 avril 2012, bien que fondée sur l'article 1134 du code civil, tendait, comme celle formée le 7 novembre 2014, à la garantie du fabricant en conséquence de l'action en résolution de la vente intentée par l'acquéreur contre le vendeur sur le fondement des vices cachés et au paiement par le fabricant du prix de la vente résolue, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; » ( Civ.1ère 09/05/2019, n°18-14.736 ). En revanche, l'action en versement d'un salaire différé, qui ne tend ni à la liquidation de l'indivision successorale ni à l'allotissement de son auteur, n'a pas la même finalité que l'action en partage ( Civ.1ère 07/07/2021, n° 19-11.638⚖️ ). 2-b- En droit du travail 2-b-1- L'incidence du principe d'unicité de l'instance et l'effet interruptif de la prescription. La chambre sociale applique la jurisprudence de droit commun sur l'identité de but, ex : ( Soc.03/11/2005, n°03-47.131⚖️ ). Elle juge également que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à l'autre lorsque les deux actions procèdent de la même contestation (Soc. 14/12/2004, n°0346.836 ). Puis, allant bien au-delà des limites posées par les autres chambres de la Cour de cassation elle a largement étendu le champ des exceptions. Faisant application du principe de l'unicité de l'instance, propre à la matière prud'homale, introduit par le décret du 7 mars 2008🏛 et abrogé par le décret du 20 mai 2016🏛 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, qui considère le contentieux né de la même relation contractuelle comme un tout indivisible ; elle a écarté l'effet relatif de l'interruption de prescription lorsque deux actions, au cours d'une même instance, concernaient l'exécution du même contrat de travail. En conséquence de la règle dite de l'unicité de l'instance, la chambre sociale a décidé que toutes les demandes concernant l'exécution du même contrat de travail (voire de la même relation de travail) formées à l'occasion d'une même instance jusqu'au dénouement définitif de celle-ci, sont recevables, peu important le lien susceptible de les unir ou non aux demandes initiales et ce sans que puisse leur être utilement opposée la prescription dont le cours avait été interrompu par la saisine du conseil de prud'hommes. ( Soc. 26/03/2014, n° 12-10.202 ; Soc.03/05/2016, n° 14-16.633⚖️ ; Soc.02/12/2020, n° 19-21.178⚖️ ; Soc.09/03/2022, 20-18.551 ). Or le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016🏛 a mis fin à la règle de l'unicité de l'instance prud'homale il faut donc en tirer les conséquences procédurales.

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2-b-2- Les conséquences de la suppression du principe d'unicité de l'instance prud'homale. Le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, applicables aux instances introduites devant le conseil de prud'hommes postérieurement au 1er août 2016, ayant supprimé le principe d'unicité de l'instance prud'homale, qui avait introduit des dispositions spéciales dans le traitement judiciaire du contentieux du droit du travail, il convient dorénavant de revenir aux dispositions générales de la procédure civile et d'appliquer de droit commun (comme en ce qui concerne les demandes additionnelles en première instance et les demandes nouvelles en appel). En principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre sauf si elles tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première. Le but commun est une condition nécessaire pour que l'effet interruptif de prescription se propage d'une action à une autre, encore que les deux actions n'aient pas le même objet. Cette condition fait penser à celle qui structure la recevabilité des demandes additionnelles en première instance et qui nécessite qu'elles se rattachent aux demandes originaires par un lien suffisant. Elle fait également écho à la question des demandes nouvelles en appel dont la recevabilité suppose un même objet que la demande initiale ou, à tout le moins, qu'elles tendent aux mêmes fins. L'identité de but, l'identité de fins, le lien suffisant expriment la même idée selon laquelle les actions différentes procèdent de la même contestation ou visent un but commun, une même finalité, la réparation d'un même préjudice. L'interruption de prescription se communique d'une action à l'autre lorsque les deux actions sont fondées sur la même cause ou encore lorsqu'elles tendent au même but. Mais l'existence d'un but commun ou d'une identité de cause entre les actions ne se confond pas avec l'identité de relation contractuelle, les actions nées d'un même contrat ne poursuivent pas nécessairement le même but. A l'instar des solutions adoptées pour la recevabilité des demandes additionnelles, l'appréciation du but commun, dans une conception souple et efficace de l'interruption de prescription, doit relever du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond sous réserve pour la Cour de vérifier le caractère propre et adapté des motifs retenus.

- B - L'irrecevabilité des demandes nouvelles en appel. 1- Le principe du double degré de juridiction et l'effet dévolutif La réforme de la procédure prud'homale, introduite par le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016🏛, a supprimé le principe d'unicité de l'instance prud'hommale, et, avec elle, la possibilité de formuler des demandes nouvelles en cause d'appel, telle que prévue

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auparavant par l'article R. 1452-7 du code du travail🏛. Désormais le régime de droit commun prévu aux articles 564 et suivant du code de procédure civile, relatif à la recevabilité des demandes nouvelles en appel, s'applique aux actions introduites devant le conseil des prud'hommes. Selon le principe de l'effet dévolutif énoncé par l'article 561 du code de procédure civile🏛, l'appel transmet à la juridiction du second degré la connaissance du litige, laquelle doit procéder à un nouvel examen de l'affaire en fait et en droit. L'effet dévolutif de l'appel présente un caractère impératif mais sa portée dépend de la volonté des parties qui peuvent limiter leurs critiques à certains chefs du jugement. Devant les juges d'appel, les parties ont le droit d'invoquer des moyens nouveaux, de produire de nouvelles pièces ou de fournir de nouvelles preuves. En revanche, la règle du double degré de juridiction s'oppose à ce qu'une question non débattue en première instance puisse être posée pour la première fois à la juridiction d'appel, c'est le principe de l'immutabilité du litige. Comme le souligne la doctrine « l'appel étant destiné à vérifier dans quelles conditions les premiers juges ont accompli leur mission, il serait illogique de modifier, dans la seconde instance, les éléments du débat » (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD et arbitrage : Précis-Dalloz, 36e éd., 2022, n° 1369). Le double degré de juridiction implique que la juridiction d'appel ne connaisse que ce qui a déjà été examiné et jugé en première instance. La prohibition des demandes nouvelles en cause d'appel découle de l'addition du principe du double degré de juridiction et du principe de l'effet dévolutif. 2- L'irrecevabilité des prétentions nouvelles, principe et exceptions. Les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile posent le principe de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel, interdiction de principe dont il convient de délimiter le champ, ce qui implique de définir la notion de prétention nouvelle.

Si le terme prétention est assez vague dans la langue usuelle, en droit processuel le terme renvoie à l'article 4 du code de procédure civile🏛 qui énonce : « L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque cellesci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. » Ce sont donc les prétentions des parties qui forment l'objet du litige. En conséquence, la prétention en appel est nouvelle lorsqu'elle diffère de celle qui a été soumise aux premiers juges par son objet (mais aussi par les parties concernées ou les qualités de ces dernières). En revanche la prétention dont seul le fondement juridique est différent

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n'est pas nouvelle, les parties peuvent toujours invoquer des moyens nouveaux à l'appui des prétentions qu'elles avaient soumises aux premiers juges. Intrinsèquement, l'objet d'une prétention est en substance ce qui est demandé par le requérant, c'est le contenu de la demande. D'une manière générale, on doit considérer comme nouvelle la prétention dont l'objet est de substituer en appel un droit différent de celui dont on s'est prévalu en première instance. En revanche lorsque l'objet de la prétention formulée en appel apparaît comme l'expression d'une autre forme de l'exercice d'un même droit, cette prétention n'est pas considérée comme nouvelle. Cependant, la seule référence à l'article 4 du code de procédure civile conduit à une analyse incomplète de la notion de « prétention nouvelle ». Il faut tenir compte de l'article 565 qui contribue lui aussi à la définition du concept en énonçant que « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. » et de l'article 566 du code de procédure civile dont les dispositions prévoient que « les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. ». Commentant cet article et en particulier la notion de «complément », M. N.Gerbay (Jurisclasseur civil, Fasc. 900-95) indique : « 71. – La « complémentarité », à l'inverse de la connexité, n'est pas une notion connue du droit processuel ; une demande simplement complémentaire peut donc ne présenter qu'un rapport assez distendu avec la demande principale à laquelle elle s'ajoute. C'est la raison pour laquelle le critère de la recevabilité d'une telle demande doit être dégagé en partant de la considération, déjà faite, et selon laquelle l'unité du litige ne doit pas être compromise. De la sorte, on peut dire qu'une demande complémentaire est finalement une demande qui tend aux mêmes fins que la demande originaire, qui se trouvait déjà « en germe » dans cette demande et y était donc virtuellement comprise. 72. – On constate donc, en définitive, une remarquable convergence des différentes notions de « complémentarité » et de « fins de la demande » auxquelles se réfèrent les articles 565 et 566 du Code de procédure civile. Il en résulte cette conséquence que ces textes sont, en général, simultanément invoqués dans les conclusions d'appel à l'effet de justifier la recevabilité des prétentions « nouvelles » soumises à la cour, pratique qui entraîne évidemment une altération de chacune des notions ci-dessus évoquées au bénéfice d'une conception que l'on peut qualifier « d''impressionniste » de la notion de prétention nouvelle. ». Cette analyse est partagée par la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour qui décide que la cour d'appel est tenue d'examiner d'office, au regard de chacune des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile🏛, si une demande est nouvelle ( 2ème Civ. 17/09/2020, n°19-17.449⚖️ ). La notion « d'identité de fin », qui introduit la prise en compte d'éléments extrinsèques dans la définition de la « prétention nouvelle », plus délicats à appréhender, est donc essentielle. Elle permet d'introduire plus de flexibilité au stade de ‘appel.

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Une chose est sûre : l'identité de fins suppose une absence de contradiction entre les prétentions de première instance et celles formulées en appel. Autrement dit, si la demande faite devant la cour d'appel contredit celle présentée en première instance, elle est nouvelle. Naturellement, la fin poursuivie par le requérant s'entend du résultat recherché, de l'objectif des demandes présentées en première instance et en appel. La demande qui ne tend pas aux mêmes fins est celle dont l'auteur attend un résultat différent de celui souhaité en première instance. Au-delà des qualifications juridiques, il semble qu'il faille essentiellement se concentrer sur le résultat concret des demandes, le but recherché qui doit rester identique. La chambre sociale s'est prononcée sur les notions de demande nouvelle et de demande tendant aux mêmes fins lors d'un litige relatif à la rupture du contrat de travail. Elle juge que tendent aux mêmes fins les demandes formées par le salarié, au titre d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, puis d'un licenciement nul, puisque dans les deux cas, il s'agit d'indemniser les conséquences d'un licenciement injustifié, si bien que la demande - nouvelle en appel - en nullité de licenciement est recevable ( Soc. 01/12/2021, n° 20-13.339⚖️ ). De même, la Cour juge que tendent aux mêmes fins une demande en indemnisation du coût de travaux de démolition présentée en première instance, et une demande en exécution de travaux de démolition, présentée pour la première fois en appel, car dans les deux cas, la fin recherchée est de faire cesser l'atteinte au droit de propriété (Civ.3ème 10/11/2009, n°08-17.526⚖️ ), ou encore la demande formée en première instance, tendant à voir déclarer un indivisaire redevable envers l'indivision de loyers perçus par celui-ci de locataires occupant des immeubles indivis, et la demande formée en appel et tendant à voir déclarer cet indivisaire redevable envers l'indivision d'une indemnité pour l'occupation par celui-ci de ces immeubles car elles visent l'une et l'autre à accroître l'indivision de fruits et revenus des biens indivis ( Civ 1ère, 01/04 2015, n° 13-25.081⚖️). De façon générale, même si elles sont formulées différemment, des prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles poursuivent une même finalité, par exemple la réparation d'un préjudice. Le changement de fondement juridique ne conduit pas nécessairement à considérer la nouvelle prétention comme irrecevable, ainsi un fondement contractuel de responsabilité peut être invoqué en première instance, remplacé en appel par un fondement délictuel ou inversement (pour de nombreux exemples, cf. le code de procédure civile Dalloz 2023, sous l'article 565 ). En revanche, après avoir considéré à plusieurs reprises qu'une demande en résolution ou en résiliation du contrat tendait aux mêmes fins qu'une demande en exécution ( Civ.3ème 25/03/2009, n°08-11.326⚖️ ), la troisième chambre civile affirme désormais que « l'action en résiliation, qui a pour effet de mettre à néant le contrat de bail, ne tend pas aux mêmes fins que la demande tendant à l'application des clauses de ce contrat, qui le laisse subsister » ( Civ.3ème 20/01/2010, n°09-65.272⚖️ ), de même la deuxième chambre civile juge que la demande de résolution, qui vise à mettre à néant le contrat, ne tend pas aux mêmes fins que la demande d'exécution sous astreinte qui le laisse subsister ( Civ. 2ème, 08/09/2011, n° 09-13.086⚖️ ). Dans des décisions récentes, la chambre sociale juge que la demande formée par la salariée au titre d'un licenciement nul en paiement de dommages-intérêts, et la demande ajoutée pour la première fois en appel, en réintégration, tendaient à la réparation des conséquences du licenciement qu'elle estimait injustifié, en sorte que

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ces demandes tendaient aux mêmes fins et que la demande de réintégration de la salariée dans son poste ou dans un poste similaire et celle, subséquente, en paiement d'un rappel de salaire présentées pour la première fois en appel étaient recevables ( Soc. 27/09/2023, n° 21-22.937 et Soc. 20/03/2024, n° 22-23.095⚖️ ). Ces décisions consacrent une interprétation très accueillante de la notion d'identité de fins car s'il est exact que la nullité du licenciement donne naissance soit à l'indemnisation de la rupture abusive, soit au droit à la réintégration accompagnée d'une indemnité d'éviction ; il s'agit pourtant de demandes qui diffèrent quant à leur objet et quant à leur résultat (poursuite ou rupture de la relation de travail).

- C - Application au cas présent 1- S'agissant de l'extension de l'effet interruptif de prescription attaché à la saisie initiale En l'espèce, il est constant et non discuté que la saisine initiale du conseil de prud'hommes date du 09 décembre 2016 et que cette saisine comportait plusieurs demandes parmi lesquelles figuraient notamment la demande de requalification de la démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et, la demande d'annulation de la convention de forfait en jours. Pour solliciter, sans succès, la requalification de sa démission, le salarié a invoqué la surcharge de travail et le non-respect de la durée maximale de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. De façon distincte, il a sollicité et obtenu l'annulation de la convention de forfait en jours car elle n'avait pas institué de mécanisme prévoyant le « suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ». Par ailleurs, il est établi que la demande en paiement au titre des heures supplémentaires pour les années 2013 à 2016 ainsi que la demande de dommages intérêts pour travail dissimulé ont été présentées, pour la première fois, devant la cour d'appel de renvoi par des écritures notifiées le 14/12/2021. Selon votre jurisprudence, « La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement d'un rappel de salaire fondée sur l'invalidité d'une convention de forfait en jours est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L.3245-1 du code du travail🏛 » (Soc. 30/06/2021, n°18-23.932⚖️). Au jour où elles ont été formées, les demandes de rappel de salaire prises isolément étaient prescrites. Mais comme elles ont été présentées dans une même instance que les demandes initiales parmi lesquelles figure la demande d'annulation de la convention de forfait en jours, la question se pose de savoir si elles peuvent bénéficier de l'extension de l'effet interruptif de la prescription attaché à cette première demande. La convention de forfait en jours, qui peut être prévue dans le contrat de travail d'un salarié disposant d'une certaine autonomie dans l'organisation de son activité, permet de forfaitiser la durée du travail du salarié et la rémunération qui en est la contrepartie.

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Ce dispositif qui déroge au droit commun du temps de travail des salariés et des heures supplémentaires, est encadré par les dispositions des articles L.3121-39 et suivants du code du travail🏛. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, tant journaliers qu'hebdomadaires, telles que définies par le code du travail et selon les Directives communautaires de 1993 et 2003, dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Dès lors que la convention de forfait en jours est annulée, on revient au droit commun de la durée du travail et au calcul du temps en heures dans un cadre hebdomadaire, en conséquence le salarié peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires. Pour le salarié, la demande d'annulation de la convention de forfait n'a d'intérêt que parce qu'elle permet de présenter une demande en paiement au titre des heures supplémentaires. Le même raisonnement s'applique, mutatis mutandis, à la demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé. La demande en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et la demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé sont des demandes en paiement subséquentes à la demande d'annulation de la convention de forfait en jours. Selon l'expression employée par la jurisprudence, la demande initiale et la demande nouvelle, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première. A l'appui de cette analyse, on peut également invoquer votre jurisprudence du 30 juin 2021 (cf. Supra) qui décide que la prescription de l'action en contestation d'une convention de forfait en jours dépend de la prescription de l'action en paiement du rappel de salaire fondée sur l'invalidité de cette convention ; ce qui démontre que les deux actions sont indissolublement liées. Au cas présent, l'effet interruptif de la prescription attaché à la demande d'annulation de la convention de forfait en jours présentée lors de la saisine initiale du conseil de prud'hommes en date du 09 décembre 2016 s'est propagé à la demande en paiement formulée pour la première fois, devant la cour d'appel de renvoi par des écritures notifiées le 14/12/2021. C'est par une fausse application de la règle de droit que la cour d'appel a jugé que l'interruption de prescription dont bénéficie la demande principale ne s'étendait pas à la demande additionnelle formée après l'expiration du délai de prescription. Je conclus à la cassation de la décision de la cour d'appel, en ce qu'elle rejette la demande en paiement d'heures supplémentaires pour la période 2013-2016, ce qui entraîne par voie de dépendance nécessaire la cassation du chef de dispositif rejetant la demande d'indemnité pour travail dissimulé. 2- Sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel Comme le suggère le rapport, dans la mesure où la fin de non recevoir tirée de la prohibition des prétentions nouvelles en appel peut être relevée d'office par le juge du fond, la question de la recevabilité de la demande en justice présentée pour la première fois en cause d'appel peut également être abordée au regard de cette disposition relative au droit d'appel et des exceptions prévues par la loi.

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Sur ce point et à l'aune de votre jurisprudence récente, si on considère que l'action en paiement des heures supplémentaires et la demande de dommages intérêts au titre du travail dissimulé tend à la réparation des conséquences de l'annulation de la convention en jours, alors on peut considérer que les demandes, présentées pour la première fois en cause d'appel, tendent aux mêmes fins que la demande initiale en sorte qu'elles ne sont pas nouvelles et qu'elles ne tombent pas sous le coup du principe de l'interdiction des prétentions nouvelles édicté par l'article 564 du code de procédure civile. Au regard des dispositions relatives à la recevabilité des demandes présentées en cause d'appel, la demande en paiement d'heures supplémentaires et la demande d'indemnité pour travail dissimulé étaient en l'espèce tout à fait recevables. En conséquence il n'y a pas lieu de rejeter le pourvoi par substitution de motifs. Avis de cassation

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