Jurisprudence : Cass. crim., Conclusions, 21-01-2025, n° 22-87.145

Cass. crim., Conclusions, 21-01-2025, n° 22-87.145

A81606RN

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2025:CR00003

Identifiant Legifrance : JURITEXT000051151246

Référence

Cass. crim., Conclusions, 21-01-2025, n° 22-87.145. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/115085289-cass-crim-conclusions-21012025-n-2287145
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Abstract

La caractérisation de l'infraction de harcèlement moral, prévu à l'article 222-33-2 du code pénal, n'exige pas, lorsque les agissements reprochés ont pour objet la dégradation des conditions de travail, qu'ils concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec leur auteur ni que les salariés victimes soient individuellement désignés. En revanche, lorsque de tels agissements ont pour effet une dégradation des conditions de travail, la caractérisation de l'infraction de harcèlement moral suppose que soient précisément identifiées les victimes de tels agissements. Indépendamment de toute considération sur les choix stratégiques qui relèvent des seuls organes décisionnels de la société, constituent des agissements entrant dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal, dans sa version résultant de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en oeuvre, en connaissance de cause, une politique d'entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d'atteindre tout autre objectif, qu'il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel

AVIS DE M. TARABEUX, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 3 du 21 janvier 2025 (B+R) – Chambre criminelle Pourvoi n° 22-87.145⚖️ Décision attaquée : 30 septembre 2022, la cour d'appel de Paris M. [NL] [XG], M. [ZL] [FS], Mme [SI] [CL]-[VE], Mme [OS] [YM], prévenus Mme [HM] [GI], partie civile _____________________

FAITS ET PROCÉDURE Le 14 septembre 2009, la fédération syndicale [13] a déposé une plainte dénonçant des faits de harcèlement moral et de risque causé à autrui commis par la société [8] et ses dirigeants, M. [NL] [XG], président-directeur général, M. [YK] [C], directeur des ressources humaines et M. [ZL] [FS], directeur exécutif délégué. Cette plainte faisait état, notamment, de plusieurs rapports d'inspecteurs du travail et du constat du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CNHSCT). Elle exposait que la mise en place d'une nouvelle politique de gestion des ressources humaines, dans le cadre de deux plans de restructuration nommés NExT

1

(« Nouvelle Expérience des Télécoms»)1 et ACT («Anticipation et Compétences pour la Transformation») 2, annoncée le 20 octobre 2006 3 et devant aboutir au départ sur trois ans de 22 000 agents publics et salariés 4 sur les 110 000 que comptait l'entreprise, avait déstabilisé l'ensemble du personnel, créé un climat anxiogène et provoqué de nombreux arrêts de travail, tentatives de suicide et suicides. Les méthodes de gestion des ressources humaines qualifiées d'harcelantes consistaient en des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, des mobilités géographiques ou fonctionnelles forcées, une surcharge de travail ou, à l'inverse, une absence totale de mission, une pression des résultats, un contrôle excessif et intrusif, des manœuvres d'intimidation voire des menaces, des diminutions de rémunération, l'isolement ou encore l'attribution de missions dévalorisantes. Dans le prolongement d'une enquête préliminaire et suite à deux rapports établis par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de [Localité 3] 5, concernant des tentatives de suicide ainsi que les suicides6 de 30 salariés, une information judiciaire a été ouverte, le 8 avril 2010, auprès du pôle santé publique de l'instruction du tribunal de grande instance de Paris, du chef, notamment, de harcèlement moral. La société [8] 7 et ses trois dirigeants 8 ont été mis en examen de ce chef au mois de juillet 2012. Quatre autres cadres, en l'occurrence Mme [OS] [YM], M. [DS] [AR], M. [OF] [UD] et Mme [SI] [CL]-[VE], ont ensuite été mis en examen du chef de complicité de harcèlement moral, au mois de décembre 2014. * 1

Plan de transformation du groupe par la création de nouveaux chiffres d'affaires (cf. mémoire ampliatif pour M. [XG] p.14). Ce plan « reposait sur l'idée novatrice nécessaire de la convergence des activités fixe mobile et internet » (cf. mémoire pour M. [FS] p.9, étant précisé qu'il n'en a été ni l'initiateur, ni le concepteur ou le rédacteur - mémoire p.10).

2

Dont l'objectif était d'«accompagner les agents afin qu'ils trouvent leur place dans le groupe malgré sa transformation, ou dans une autre entité si les évolutions du groupe ne répondaient plus à leurs attentes et besoins» (Cf. mémoire ampliatif pour M. [XG] p.15).

3

Au cours de la convention de l'Association [7] ([7]).

4

Politique de déflation des effectifs répartie ainsi : 7651 départs en 2003, 7251 en 2004 et 7256 en 2005.

5

Rapports dénonçant des situations caractérisées d'atteintes sérieuses à la santé mentale et posant la question, de façon plus

générale, des impacts de l'organisation du travail et de la politique de management de la société sur la santé des travailleurs. 6

La plupart étaient «adressés» selon l'expression du professeur [OU] [AW].

7

La société [8]SA deviendra la Société [12] SA le 1er juillet 2013. A l'époque des faits l'entreprise employait 120 000 fonctionnaires et salariés.

8

M. [NL] [XG], président directeur général, M. [YK] [C], directeur des ressources humaines, M. [ZL] [FS], directeur exécutif délégué.

2

Mme [YM] a été nommée directrice des actions territoriales en juillet 2006 puis en mars 2028, directrice des opérations de la direction marketing stratégique. 9 Mme [CL]-[VE] appartenait à la direction des ressources humaines groupe du Groupe [8] qui est une fonction support au niveau central, ayant pour objet de définir et de veiller à la cohérence des politiques de ressources humaines du Groupe [8]10. * Par une ordonnance de non lieu partiel et de renvoi du 12 juin 2018, la société [8], ainsi que MM. [XG], [FS] et [C] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de harcèlement moral, commis du 1er janvier 2007 à fin 2010. Mme [YM], M. [UD], M. [AR] et Mme [CL]-[VE], ayant été, quant à eux, renvoyés du chef de complicité de ce délit. Par un jugement en date du 20 décembre 201911, le tribunal correctionnel de Paris a, sur l'action publique, déclaré la société [8], MM. [XG], [FS] et [C] coupables de harcèlement moral sur la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 et les a relaxés pour le surplus de la période de prévention. M. [UD], Mme [CL]-[VE], M. [AR] et Mme [YM] ont été déclarés coupables de complicité de harcèlement moral sur des périodes de prévention différentes. Le tribunal est entré en voie de condamnation et a prononcé sur l'action civile. * A l'exception de la société [8], dont le jugement l'ayant condamné à la peine maximale de 75 000 euros est définitif à son encontre, les prévenus ont interjeté appel de l'entier dispositif du jugement12et le ministère public a relevé appel incident à l'égard de chacun d'eux.

9

Mme [YM] avait intégré [8] en 1985. Elle est devenue directrice régionale Ile-de- France Ouest à partir de 2003 avant d'être nommée chef du projet de réorganisation des activités en France (RAF), sous la responsabilité de M. [FS]. 10

Mme [CL]-[VE] a été directrice du programme ACT, directrice du management, des compétences et de l'emploi, directrice du développement et des opérations Ressources Humaines, directrice des Ressources Humaines France puis directrice adjointe des Ressources Humaines Groupe au sein du groupe [8].

11

TGI Paris, 31ème ch., 2ème sec., n°0935790257.

12

Etant précisé que M. [C] s'est ensuite désisté de son appel.

3

Par arrêt du 30 septembre 2022, la cour d'appel de Paris a relaxé MM. [UD] et [AR] et a partiellement infirmé le jugement sur la culpabilité de M. [XG], M. [FS], Mme [YM] et Mme [CL]-[VE]. La cour d'appel a reconnu constitutif de harcèlement moral au travail la conduite d'une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et agents et à créer un climat professionnel anxiogène en recourant, notamment, à des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ et des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées, à une surcharge de travail, une pression des résultats ou à l'inverse l'absence de travail, un contrôle excessif et intrusif, l'isolement, l'attribution de missions dévalorisantes, l'absence d'accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines, des formations insuffisantes voire inexistantes, l'isolement des personnels et des manoeuvres d'intimidation voire des menaces et des diminutions de rémunération. Sur les peines principales, les seconds juges ont partiellement infirmé le jugement et, statuant à nouveau, ont condamné M. [XG] et M. [FS] à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, confirmé la peine de 15.000 euros d'amende et condamné Mme [CL]-[VE] à la peine de 6 mois d'emprisonnement avec sursis et Mme [YM] à la peine de 3 mois d'emprisonnement avec sursis. Sur l'action civile, la cour d'appel a infirmé partiellement le jugement. C'est l'arrêt attaqué.

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ANALYSE DES MOYENS ET DISCUSSION

PLAN I - LE PRINCIPE DE LÉGALITÉ ET D'INTERPRÉTATION STRICTE DE LA LOI PÉNALE (De l'existence du harcèlement moral institutionnel en application de l'article 222-332 du code pénal). I- 1 L'analyse de l'article 222-33-2 dans sa version en vigueur à l'époque des faits I - 1 a) Le contenu des dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal🏛 I - 1 b) La modification du texte par la loi n°2014-873 du 4 août 2014🏛 I - 2 Le non-lieu à renvoi des deux questions prioritaires de constitutionnalité I - 3 La portée du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale I - 4 La caractérisation de l'infraction de harcèlement moral institutionnel I - 4 a) Les éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement moral prévue à l'article 222-33-2 du code pénal I - 4 b) Le harcèlement moral managérial - La jurisprudence de la chambre sociale - La jurisprudence de la chambre criminelle I - 4 c) La notion de harcèlement moral institutionnel - L'absence de relation directe entre le dirigeant à l'origine de la politique d'entreprise et la victime de cette politique - L'atteinte que la mise en oeuvre de cette politique d'entreprise est susceptible de porter aux salariés - Politique d'entreprise et exercice discrétionnaire du pouvoir de direction I - 4 d) Les éléments caractérisant l'infraction en l'espèce II - LA COMPLICITÉ DU HARCÈLEMENT MORAL AU TRAVAIL II - 1 Les éléments constitutifs de la complicité de harcèlement moral au travail II - 2 L'application, en l'espèce, au titre du harcèlement moral institutionnel

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III - LE PRINCIPE DE PRÉVISIBILITÉ DE LA LOI PÉNALE ET DE NONRÉTROACTIVITÉ DE LA LOI PÉNALE PLUS SÉVÈRE (La question de l'application du texte à un nouveau cas de figure - une application se distinguant d'un revirement de jurisprudence). III - 1 L'interprétation nouvelle d'un texte constituant un revirement de jurisprudence III - 1 a) L'apport de la jurisprudence de la Cour EDH III - 1 b) L'apport de la jurisprudence constitutionnelle III - 1 c) La jurisprudence de la Cour de cassation III - 2 L'application en l'espèce de l'article 222-33-2 du code pénal à un nouveau cas de figure * IV - LA DÉTERMINATION EN L'ESPÈCE DES VICTIMES DE L'INFRACTION DE HARCÈLEMENT MORAL INSTITUTIONNEL IV - 1 La distinction proposée entre victime dans l'infraction et victime de l'infraction IV- 2 Sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel au regard des faits de harcèlement moral et la recevabilité des constitutions de partie civile IV - 3 Sur la déclaration de culpabilité du chef de harcèlement moral ou de complicité de ce délit et la contradiction de motifs s'agissant de certains plaignants en particulier IV - 4 Sur la constitution de partie civile de Mme [HM] [GI]

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I - LE PRINCIPE DE LÉGALITÉ ET D'INTERPRÉTATION STRICTE DE LA LOI PÉNALE I - 1 L'analyse de l'article 222-33-2 dans sa version en vigueur à l'époque des faits I -1 a) Le contenu des dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal L'article 222-33-2 du code pénal a été introduit dans notre droit par la loi de modernisation sociale n°2002-73 du 17 janvier 200213. A l'époque des faits, le texte était rédigé dans les termes suivants : « Le fait de harceler autrui par des agissements14répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.» Il est à observer que la lettre du texte ne définit pas différents types de harcèlement de sorte que le harcèlement moral institutionnel n'est pas mentionné, pas plus que le harcèlement managérial. La simple lecture du texte qui emploie le terme « autrui » n'exclut d'ailleurs ni l'un ni l'autre15. Les travaux parlementaires donnent la mesure de l'importance que revêt à l'époque le harcèlement moral au travail. Le député Georges Hage justifiait en effet la nécessité de légiférer pour lutter efficacement contre le harcèlement moral au travail et mettre fin aux comportements répréhensibles, en indiquant : « L'importance du phénomène dont témoigne une floraison d'ouvrages, d'études et articles de presse récemment consacrés aux pressions subies par les salariés sur leur lieu de travail est telle qu'il est devenu un sujet d'inquiétude majeur pour les français » (Assemblée nationale, 3ème séance, 1ère lecture, 11 janvier 2001 p.330 à 333).

13

Cette loi a également inséré cinq articles dans le code du travail qui concernent le harcèlement moral dans l'entreprise : L.122-49 à L.122-53, devenus L.1152-1 2 à L.1152-4. 14

La loi n°2014-873 du 4 août 2014🏛
a substitué les termes « propos ou comportements » à celui « d'agissements ». L'infraction est depuis 2012 punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende

15

Ce que souligne d'ailleurs l'arrêt attaqué (p.128). Voir également Crim., 28 mars 2017,n°15-86.509⚖️.

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Le député Jean Le Garrec n'a pas manqué de souligner la complexité du phénomène tout en rappelant que le Premier ministre avait saisi le Conseil économique et social (CES), compte tenu de sa représentativité, d'une réflexion sur le harcèlement moral au travail dans le secteur public et le secteur privé. Il y a lieu d'observer que les travaux du CES ont été importants pour l'élaboration du texte (audition du rapporteur du CES par la commission de l'Assemblée nationale référence expresse dans le rapport du Sénat n° 3073, en deuxième lecture). Aussi, on notera que dans son avis adopté le 11 avril 2001, le CES identifiait, dans les typologies qu'il faisait alors du harcèlement moral, le harcèlement moral institutionnel, ainsi que l'a d'ailleurs rappelé le tribunal correctionnel. Il le définissait alors comme participant «d'une stratégie de gestion de l'ensemble du personnel » susceptible de « prendre deux formes de persécution institutionnelle, l'une relevant d'une gestion d'ensemble et l'autre visant à obtenir le départ de certains salariés qui deviennent des cibles en fonction des besoins de l'entreprise : des cadres en doublon à l'occasion de fusion/absorption d'entreprise ou des travailleurs ayant atteint un certain âge. Dans les faits, ces deux cas se recoupent et se confondent parfois (...)». Ce type de harcèlement moral est même décrit comme une sorte « de lutte pour la vie à l'intérieur de l'entreprise en mettant des salariés en concurrence sur les mêmes fonctions et en déstabilisant les collectifs de travail, l'objet étant finalement l'élimination de certains salariés par leurs collègues tout en obtenant des garanties quant à la docilité et au conformisme des ‘'survivants'' […].» « Lorsqu'elles sont révélées, de telles stratégies frappent par leur ampleur : ceux qui les mettent en œuvre parviennent à obtenir la soumission de nombreux salariés, à obtenir le silence autour de ces méthodes et à faire, de manière simultanée, de nombreuses victimes16». Il convient également de rappeler que la Commission nationale consultative des droits de l'homme a distingué, dans son avis du 29 juin 2000 portant sur le harcèlement moral dans les relations de travail, trois formes de harcèlement, dont celui à dimension institutionnelle : - un harcèlement institutionnel qui participe d'une stratégie de gestion de l'ensemble du personnel ; - un harcèlement professionnel organisé à l'encontre d'un ou plusieurs salariés, précisément désignés, destiné à contourner les procédures légales de licenciement ;

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Avis adopté par le Conseil économique et social au cours de sa séance du 11 avril 2001 (p.21).

8

- un harcèlement individuel, pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d'autrui et de valorisation de son propre pouvoir17. On notera également que la Commission des affaires sociales du Sénat, dans son rapport n°275 (1ère lecture, 18 avril 2001, p.294 à 302), relevait à l'époque que plusieurs études et enquêtes avaient été réalisées sur le sujet : enquêtes menées par la Fondation européenne de Dublin pour l'amélioration des conditions de travail en décembre 2000 (...) ; par le Bureau international du travail (...) ; par l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP). Cette dernière enquête, réalisée auprès de 160 directeurs des ressources humaines d'entreprises françaises, révélait que près d'un tiers d'entre eux avaient été confrontés à des cas de harcèlement. Il est par ailleurs important de souligner que l'objectif de la commission du sénat était de « retenir la définition la plus large et la plus consensuelle possible » (p.298 du rapport). * Il s'évince de ces différents travaux que les dispositions introduites dans le code pénal, par la loi précitée de 2002, résultent d'une mobilisation collective au début des années 2000, à l'origine d'un travail de réflexion mis à la disposition du législateur. La notion de harcèlement moral institutionnel, dont l'existence a été illustrée dans le cadre des travaux associés à l'oeuvre législative18, n'a pas été écartée de la définition que le législateur a, dans une perspective protectrice, entendu donner aux faits pénalement répréhensibles19. La doctrine a d'ailleurs pu relever le «caractère formel très poussé » de l'infraction20. * On rappellera que le texte a été soumis au Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle a priori. Il a été déclaré conforme à la Constitution. Les réserves énoncées ont, pour l'essentiel, concerné des dispositions insérées dans le code du travail21. 17

Qualifié par Mme Marie-France Hirigoyen de « harcèlement pervers ».

18

Avis du CES p.21-22.

19

Le CES se réfère au «principe de respect de la dignité des personnes, au principe du respect du droit des personnes et des libertés individuelles dans l'entreprise» et rappelle le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui fait de la dignité humaine la base de tous les droits fondamentaux (avis p.29). 20

«Affaire [8] ou la consécration (hasardeuse) du harcèlement moral institutionnel» ; L. Saenko ; Gazette du Palais, mardi 8 novembre 2022.

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Par la suite, la chambre criminelle refusera de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité fondée sur le changement de circonstances invoquée à la faveur de la décision ayant déclaré contraire à la Constitution, en raison de son imprécision, l'article 222-33 du code pénal🏛 relatif au harcèlement sexuel (Crim., 11 juillet 2012, n°11-88.114). I - 1 b) La modification du texte par la loi n°2014-873 du 4 août 2014 Dans sa version initiale, l'article 222-33-2 du code pénal définissait le harcèlement moral comme le fait de harceler autrui par des « agissements ». La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a modifié cette disposition en substituant les agissements par des « propos ou comportements » (article 40). Cette nouvelle rédaction a t-elle lieu de s'appliquer dans la présente affaire ? La réponse est négative dès lors que ces nouvelles dispositions ne sauraient être interprétées comme étant plus douces. * Les travaux préparatoires de la loi du 4 août 2014 nous indique que l'objectif du législateur était d'«harmoniser les définitions des délits de harcèlement moral au travail et de harcèlement psychologique au sein du couple22» avec la définition du harcèlement sexuel modifiée par la loi du 6 août 2012🏛. En effet, à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel (Cons. const., déc. n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012) des dispositions incriminant le harcèlement sexuel, la loi n°2012-954 du 6 août 2012 a défini celui-ci comme « le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle » (article 222-33 du code pénal). L'objectif poursuivi en 2014 ne saurait cependant se résumer à la seule harmonisation des textes. Cette nouvelle rédaction a permis également d'élargir l'élément matériel du harcèlement moral aux « propos » et non aux seuls « agissements ».

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Cons. const., 12 janvier 2002, décision n°2001-455 DC.

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Voir en ce sens le point 5 du rapport d'information n°1655 fait au nom de la délégation au droits des femmes et à l'égalité des chances entre les homme et les femmes sur le projet de loi n°1380 adopté par le Sénat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, par Catherine Coutelle, Brigitte Bourguignon, Edith Gueugnau, Monique Orphé et Barbara Romagnan, le 17 décembre 2013.

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Le rapport d'information mentionné énonce en ce sens que cette modification devait permettre un élargissement du champ de l'incrimination et notamment de son élément matériel. Il est espéré une meilleure application des dispositions concernant les violences psychologiques au sein du couple. Par conséquent, en élargissant l'élément matériel du harcèlement moral, la loi du 4 août 2014 ne saurait être interprétée comme une loi plus douce mais, au contraire, comme une loi plus sévère. Elle n'a donc pas une portée rétroactive. * Il convient de préciser qu'antérieurement à la modification législative de 2014, la chambre criminelle réprimait déjà les « propos » au titre du harcèlement moral. Il s'agissait d'une interprétation extensive puisque des agissements renvoient plutôt à une manière d'être ou d'agir. C'est d'ailleurs la définition retenue par le dictionnaire le Larousse selon lequel les agissements peuvent être définis comme une « façon d'agir, souvent blâmable, pour arriver à un but ». Dans cette acception, les « propos » ne sont pas a priori et à eux seuls des agissements de nature à qualifier un harcèlement moral. Néanmoins, cette interprétation extensive des « agissements » par la chambre criminelle ne saurait signifier que la loi de 2014 est plus douce puisqu'elle vient, en harmonisant les définitions du harcèlement sexuel, du harcèlement moral au travail et du harcèlement psychologique au sein du couple, consacrer cette interprétation et, in fine, élargir le champ d'application du harcèlement moral. * Les dispositions applicables en l'espèce sont donc celles issues de la loi de 2002.

I - 2 Le non-lieu à renvoi des deux questions prioritaires de constitutionnalité Sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [XG], le premier moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] et le troisième moyen additionnel proposé pour M. [FS]. * En substance, ces trois moyens font griefs à l'arrêt attaqué d'avoir retenu que l'article 222-33-2 du code pénal incrimine toute politique d'entreprise ayant simplement pour effet une dégradation des conditions de travail, quand aucun

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justiciable ne pouvait alors savoir, ni à partir du libellé du texte, ni à l'aide de l'interprétation qui en était donnée par les tribunaux, ni en recourant à des conseils éclairés, que certains de ses actes ou omissions étaient susceptibles d'engager sa responsabilité pénale. Il est ajouté que les deux arrêts prononcées par la chambre criminelle dans la présente affaire, les 4 octobre 2016 et 5 juin 2018, ne peuvent constituer des précédents jurisprudentiels pour avoir été rendus postérieurement à la période de prévention et à celle retenue par la cour d'appel, allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008. Par arrêt du 5 septembre 2023, la chambre a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre les questions prioritaires de constitutionnalité posées par M. [XG] et Mme [CL]-[VE] portant sur l'article 222-33-2 du code pénal au motif que : «4. [il] n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante de ladite disposition législative conduisant à incriminer une politique d'entreprise ayant pour effet une dégradation des conditions de travail d'autrui, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.» Par arrêt du 17 octobre 2023, la chambre a jugé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [FS] et portant sur l'article 222-33-2 du code pénal, au motif que ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution (décision n°2001-455 DC du 12 janvier 2002⚖️) et que : «4. [il] n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante de cette disposition consacrant la notion de harcèlement moral institutionnel qui conduirait à incriminer une politique d'entreprise ayant pour effet une dégradation des conditions de travail d'autrui, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.» * Par ces deux décisions, qui écartent une interprétation jurisprudentielle constante, la chambre a repoussé l'éventuel argument tiré d'un revirement de jurisprudence (voir infra). On notera d'ailleurs qu'à l'époque des faits (du 1erjanvier 2007 au 31 décembre 2008), la jurisprudence de la chambre criminelle en matière de harcèlement moral au travail était limitée (voir infra : Crim., 21 juin 2005, n°04-87.767).

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I - 3 La portée du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et cinquième branches, proposé pour M. [XG], sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [FS], sur le deuxième moyen, pris en sa première branche et le troisième moyen, pris en sa première branche, proposés pour Mme [CL]-[VE] et sur le premier moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [YM]. * En substance, ces moyens font griefs à l'arrêt attaqué d'avoir appliqué extensivement la loi pénale à des agissements qui n'étaient pas directement imputables aux prévenus alors que dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, le texte sanctionnait des agissements répétés à l'encontre d'une ou de plusieurs personnes déterminées (seule la société [8] ayant des relations directes avec chacun des fonctionnaires et salariés concernée) et non pas le «harcèlement moral institutionnel », défini par l'arrêt attaqué comme le résultat d'agissements répétés applicables à l'ensemble du groupe bien que n'ayant pas nécessairement pour objet initial de dégrader les conditions de travail. * Le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, énoncé à l'article 111-4 du code pénal🏛, est la conséquence du principe de légalité des délits et des peines1. Pour le Conseil constitutionnel, « le principe de légalité impose [au juge] d'interpréter strictement la loi pénale.» (décision n°96-377 DC du 16 juillet 1996). Plus précisément, il «appartient au juge, conformément au principe de légalité des délits et des peines, d'interpréter strictement les éléments constitutifs de l'infraction » (décision n°98-399 DC du 05 mai 1998 ; voir aussi la décision 98-408 DC, 22 janvier 1999, cons. 22, Journal officiel du 24 janvier 1999, page 1317, Rec. p. 29).

Encore récemment, le Conseil constitutionnel a rappelé qu'il appartient au juge d'apprécier les éléments constitutifs de l'infraction dans le respect de l'exigence d'interprétation stricte de la loi pénale et de faire application des dispositions générales de l'article 121-3 du code pénal🏛 aux termes desquelles « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » (décision n°2022-846 DC, 19 janvier 2023, § 8 à 10, JORF n°0021 du 25 janvier 2023, texte n°3). 1

« La cassation en matière pénale » J et JL Boré ; Dalloz action, 4ème ed, n°104.11.

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La Cour européenne des droits de l'homme a, pour sa part, jugé que : « Aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire ; il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation.» D'ailleurs, il est solidement établi dans la tradition des Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible.» 2 Dans le même sens, peut également être cité l'arrêt Jorgic c/ Allemagne du 12 juillet 2007 (n°74613/01 §101) qui, en complément de ce qui a été précédemment énoncé, a précisé que la jurisprudence des Etats partis procédait de l'évolution progressive du droit pénal: « Aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris dans le domaine du droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. D'ailleurs, il est solidement établi dans la tradition des Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible.» *

2

CEDH, 22 novembre 1995, req.n°20166/92, SW c/ Royaume-Uni.

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Il résulte de cette convergence jurisprudentielle que l'interprétation de la loi est attachée à l'office du juge pénal3 et ce sous le contrôle de la Cour de cassation dont le rôle est de s'assurer de l'absence de tout risque d'arbitraire (que consacre une jurisprudence abondante de votre chambre sur ce point) 4. Les moyens précités ne sauraient pouvoir prospérer.

I - 4 La caractérisation de l'infraction de harcèlement moral institutionnel Sur les deuxième et troisième moyens proposés pour M. [XG], sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [FS], sur les troisième moyen, pris en sa deuxième branche et quatrième moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposés pour Mme [CL]-[VE] et sur les premier moyen, pris en sa deuxième branche et deuxième moyen, pris en ses première à quatrième branches, proposés pour Mme [YM].

* En substance, ces moyens font griefs à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré les prévenus coupables de harcèlement moral institutionnel en retenant que constituaient des agissements répréhensibles le maintien des objectifs fixés à titre impératif résultant de décisions prises par l'équipe dirigeante, sans caractériser l'existence d'agissements directement imputables à l'égard de chacun des salariés et agents visés dans la prévention, tout en constatant que la dégradation des conditions de travail résultait des comportements managériaux traduisant sur le terrain la mise en oeuvre de cette politique. Il est ajouté que l'arrêt s'est prononcé par des motifs contradictoires en retenant que l'objectif de réduction des effectifs (qui résulte d'un choix relevant par nature de l'exercice du pouvoir de direction) était hors champ d'appréciation, tout en déclarant que «la faute la plus importante a été de

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Et ce dans le sens téléologique de la charge normative d'un texte, c'est-à-dire en prenant en considération la volonté du

législateur pour faire produire à la loi son plein effet. 4

Crim., 23 août 2023, n° 23-80.741⚖️; Crim., 22 avril 2020, n°19-86.987⚖️; Crim., 27 juin 2023, n°23-81.505⚖️; Crim., 10 août 2022, n° 22-81.057⚖️; Crim., 16 février 2022, n°21-82.392⚖️; Crim., 19 octobre 2021, n°21-84.806⚖️; Crim., 22 avril 2020, n°1986.987; Crim., 4 mars 2020, n°19-86.006⚖️; Crim., 28 janvier 2020, n°19-84.400⚖️; Crim., 26 juin 2019, n°18-86.826⚖️.

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maintenir quoiqu'il en soit les objectifs avec le passage d'un objectif indicatif à un objectif impératif » (arrêt p.135, § 7). La première branche du troisième moyen, présenté pour M. [XG], reproche à l'arrêt de l'avoir déclaré coupable de harcèlement moral en retenant tout à la fois que « les syndicats se sont vus évincés de la mise en œuvre du programme ACT, pourtant volet social du plan NExT» (arrêt, p.136, dernier paragraphe, alinéa 1er) et pour relaxer M. [UD], directeur des ressources humaines France, délégataire de M. [XG] (arrêt, p.143, pénultième paragraphe) et président du comité central d'entreprise - «lieu authentique de l'expression de la parole des représentants des personnels, fonctionnaires comme salariés de droit privé» - que celui-ci avait consacré un «nombre de jours considérable […] au dialogue social » (arrêt, p.161, § 4 à 7), ce dont il résultait que, à l'échelle de la direction de l'entreprise, des négociations suivies avaient été menées avec les partenaires sociaux. Cette première branche du moyen invoque une contradiction entre les motifs par lesquels la cour d'appel a retenu la culpabilité de M. [XG]. On observera que les juges ont pu, sans se contredire, constater que la politique de départs qualifiés d'«évolution naturelle», visant à obtenir une déflation des effectifs à hauteur de 22 000 agents, a été très peu discutée devant le conseil d'administration, ladite instance, pourtant appelée à se réunir la veille de l'annonce de ce plan, n'ayant pas été saisie du sujet - une telle méthode ayant été voulue par M. [XG] - tout en relevant que le dialogue social a pu néanmoins s'exprimer au sein des instances auxquelles participait M. [UD], notamment au sein du comité central d'entreprise. Le grief, en ce qu'il manque en fait, n'apparaît donc pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛.

I - 4 a) Les éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement moral prévue à l'article 222-33-2 du code pénal Il sera tout d'abord rappelé que la Cour de cassation a écarté toute application du texte en dehors d'une relation de travail (Crim.,13 décembre 2016, n°16-81.253⚖️). L'incrimination présente ensuite une structure complexe dans la mesure où sa matérialité se conçoit selon un raisonnement à double détente : des actes ayant un objet ou un effet particulier (une dégradation des conditions de travail) ; susceptibles

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de produire les conséquences, par ailleurs énoncées (atteinte à ses droits et à sa dignité...)5. Le texte repose donc sur une probabilité (susceptible de...)6, révélée par des faits (des agissements répétés), reliés par un rapport causal (une dégradation des conditions de travail) 7. Les agissements répétés, au demeurant non spécifiés8, sur lesquels repose le délit, supposent des actes positifs 9 (Crim.,13 mars 2012, n°10-87.338⚖️). En effet, n'est pas considéré comme auteur du délit de harcèlement moral celui qui, par son inaction, a laissé les agissements répréhensibles se commettre (Crim., 16 septembre 2014, n°13-82.468⚖️). L'infraction trouve à s'appliquer, le plus souvent, dans le cadre d'une relation hiérarchique où seront sanctionnés des comportements étrangers au pouvoir de direction et de contrôle ou traduisant des excès ou des abus dans l'exercice de ce pouvoir. Mais le délit peut être caractérisé en l'absence de pouvoir hiérarchique ou de lien d'autorité entre la personne poursuivie et la victime, voire être perpétré par un subordonné. On rappellera, à cet égard, le cas d'un chef de service d'action sociale territoriale ayant fait l'objet de dénigrements systématiques de la part d'un éducateur. Pour prononcer la relaxe, les juges du fond avaient considéré que « le prévenu, subordonné de la victime, n'avait les qualités ni les moyens de compromettre l'avenir professionnel » de celle-ci. L'arrêt a été cassé au motif que les juges du fond avaient ajouté à la loi des conditions qu'elles ne comportait pas «en subordonnant le délit à l'existence d'un pouvoir hiérarchique, alors que le fait que la personne poursuivie soit le subordonné 5 6

Cf. Laurent Saenko ; Gazette du Palais , 8 novembre 2022 n°36.

La simple possibilité de la dégradation des conditions de travail suffit à consommer le délit (Crim., 6 décembre 2011, n°1082.266). 7 Id. Laurent Saenko ; Gazette du Palais, 8 novembre 2022 n°36. 8

Et donc protéiformes : E. Monteiro ; « Le concept de harcèlement moral dans le code pénal🏛
et dans le code du travail », RSC 2003 p.277. 9 Concrètement, il s'agira d'actes tels qu'une surcharge de travail, une pression des résultats, un contrôle excessif et intrusif, des intimidation ou menaces, des diminutions de rémunérations, des réorganisations multiples et désordonnées, des mobilités forcées des incitations répétées au départ ...

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de la victime est indifférent à la caractérisation de l'infraction» (Crim., 6 décembre 2011, n° 10-82.26610). Il a aussi été admis qu'une institution (en l'espèce une mutuelle sociale agricole) pouvait être impliquée dans les faits de harcèlement dans le cas où une chambre de l'instruction avait relevé des «convergences d'éléments» alors que «l'employeur ne pouvait ignorer la dégradation de la situation» de même que des « choix administratifs et organisationnels maintenus en dépit des difficultés relationnelles au sein de l'équipe de direction et de ses rejaillissements dans le climat global » (Crim.,1er décembre 2015, n°14-85.059⚖️). I - 4 b) Le harcèlement moral managérial Le harcèlement moral managérial découle de modes ou pratiques de gestion du personnel provoquant une détresse psychologique. Il est à noter que pour le professeur P. Adam, le harcèlement moral managérial «renvoie moins à un type spécifique d'agissements harcelants qu'à leur élévation au rang d'outil de management»11, lui conférant, à ce titre, une proximité avec le harcèlement moral institutionnel (cf. infra). - La jurisprudence de la chambre sociale : Pour mémoire, l'article L.1152-1 du code du travail🏛 dispose, et ce dans des termes identiques au texte pénal : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».12 En 2009, la chambre sociale a admis pour la première fois que le harcèlement moral au travail pouvait procéder de méthodes de gestion et donc de processus collectifs alors que les textes n'y font pas référence - en jugeant que : 10 11 12

Solution réaffirmée ensuite : Crim., 14 janvier 2014, n°11-81.362⚖️ ; Crim., 23janvier 2018, n°16-87.709⚖️.

« Jugement [8] : retour sur le délit de harcèlement moral institutionnel», Lamyline 19 février 2020.

Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit, en matière sociale, examiner les éléments invoqués par le salarié et les pièces produites pour apprécier si les faits matériellement établis permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

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« Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.» (Soc.,10 novembre 2009, n°07-45.321⚖️). On notera cependant que tout en admettant la dimension collective des agissements d'un directeur d'établissement soumettant les salariés à une pression constante, cet arrêt fait référence, en l'occurrence, à un salarié déterminé. Cette jurisprudence apparaît constante (Soc., 27 octobre 2010, n°09-42.488⚖️ ; Soc., 19 juin 2013, n°12-18.850⚖️ ; Soc. 22 octobre 2014, n°13-18.862⚖️), la chambre sociale ayant pour la première fois employé l'expression «harcèlement moral managérial» en 2017 (Soc.,15 juin 2017, n°16-11.503⚖️)13. Il importe toutefois de souligner, non sans intérêt, l'expression d'une évolution à la lecture d'un arrêt de cassation, en date du 3 mars 2021, duquel il résulte qu'un salarié d'un centre d'appel téléphonique alléguant en l'espèce un management harcelant n'est pas tenu d'établir qu'il était personnellement visé par les agissements collectifs (Soc.,3 mars 2021, n°19-24.232⚖️)14. On ajoutera enfin, pour compléter ce qui précède, que l'employeur n'engage pas sa responsabilité si, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, il a pris les mesures immédiates propre à le faire cesser (Soc., 1er juin 2016, n°14-19.702⚖️), étant indiqué qu'il doit répondre des agissements des personnes qui exercent, de fait ou de droit, une autorité sur les salariés (Soc.,19 octobre 2011, n°09-68.272⚖️). - La jurisprudence de la chambre criminelle : De manière convergente avec la chambre sociale, la chambre criminelle sanctionne à l'aune d'un dol général, les méthodes déconsidérantes ou brutales de gestion des personnels.

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«Le harcèlement moral managérial et le harcèlement moral institutionnel» ; A. Carillon, conseiller référendaire à la Chambre sociale ; Semaine juridique sociale n° 30-34, 2 août 2022, 1208. 14 Au regard de l'article 1154-1 du code du travail🏛 (preuve partagée).

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Les agissements répétés s'analysent au regard de l'exercice normal du pouvoir de direction (Crim., 27 mai 2015, n°14-81.489⚖️). La chambre criminelle a ainsi considéré qu'avait justifié sa décision la cour d'appel ayant énoncé que « s'il n'appartient pas à la juridiction de remettre en cause le pouvoir de direction de l'employeur ni de s'immiscer dans la gestion de l'entreprise, le harcèlement moral peut néanmoins provenir d'un mode d'organisation ou d'un management qui méconnaît l'obligation de sécurité (...) incombant à l'employeur en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise», le prévenu ayant «outrepassé les limites de son pouvoir de direction» (Crim., 8 septembre 2015, n°14-83.869⚖️). Un mode de management qui outrepasse les limites du pouvoir de direction caractérise donc le harcèlement managérial (Crim.,1erseptembre 2020, n°19-82.532⚖️), l'appréciation des éléments de preuve produits et contradictoirement débattus relevant du pouvoir souverain des juges du fond (Crim.,17 octobre 2018, n°18-84.409⚖️ ; Crim.,17 décembre 2019, n°18-86.399⚖️). Il est à noter que la chambre criminelle a expressément employé le terme de harcèlement managérial en 2021, agissement qu'elle a caractérisé comme un «mode de management autoritaire qui excède les limites du pouvoir de direction» et qui s'applique à «l'ensemble des salariés sans distinction, sans viser particulièrement le demandeur» (Crim., 19 octobre 2021, n°20-87.164⚖️), définition qui n'est pas sans entrer en résonnance avec le harcèlement moral organisationnel ou institutionnel. De même, le harcèlement managérial peut se traduire par des restructurations internes qui ont pour conséquence de mettre à l'écart une employée sans que puisse être utilement invoqué le pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur (Crim., 1er décembre 2015, n°14-85.059). On relèvera également que la chambre criminelle a eu récemment l'occasion de rappeler que les d'agissements répétés doivent, en l'occurrence, pour être imputables au prévenu, être caractérisés à l'égard de chaque plaignant dénonçant la pratique managériale (en l'espèce des entretiens jugés déstabilisants) : « (...) qu'en se déterminant ainsi, sans établir ni l'existence d'agissements répétés directement imputables au prévenu à l'égard de chacune des salariées plaignantes» ni le fait que les agissements établis « auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie des victimes se traduisant par une altération de leur santé physique ou mentale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision » (Crim., 12 avril 2023, n° 22-83.661).

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I 4 c) La notion de harcèlement moral institutionnel Le harcèlement moral institutionnel va se distinguer du harcèlement managérial en ce qu'il est susceptible de mettre en cause par son ampleur, au-delà de la personne de l'encadrant, la personne morale et ses dirigeants. En effet, il est communément défini comme le fruit « d'une politique d'entreprise décidée au plus haut niveau de sa hiérarchie » (Le harcèlement managérial et le harcèlement moral institutionnel, JCP Social, n° 3034, 2 août 2022, § 3 ; Alain Carillon, conseiller référendaire). Ce type de harcèlement, que la doctrine qualifie également de «systémique»15, vise par essence une collectivité de personnels et traduit une instrumentalisation du pouvoir de direction16. De ce fait, ce type de harcèlement moral affectera plutôt l'organisation de grandes entreprises. Force est de constater que le libellé de l'article 222-33-2 du code pénal, dont les termes sont généraux, ne désigne pas la victime de l'infraction en employant le terme « autrui »17, de même qu'il n'exclut pas de revêtir cumulativement un caractère individuel et collectif en visant «l'objet» ou «l'effet» des agissements18 (dont votre chambre a reconnu l'autonomie19), dès lors qu'il résulte des agissements une dégradation des conditions de travail. Les «agissements» pourront se matérialiser par des réorganisations multiples et désordonnées, des incitations répétées au départ, des mobilités géographiques ou fonctionnelles forcées, une surcharge de travail ou à l'inverse une situation de bore out, une pression en termes de résultats, des manoeuvres d'intimidation, une mise à l'écart, l'attribution de tâches dévalorisantes, des diminutions de rémunération... La chambre criminelle n'a jusqu'à présent pas eu à définir l'ensemble des caractères du harcèlement institutionnel20 et donc à répondre à la question de savoir si, compte 15 16 17

« Affaire [12] : consécration du harcèlement moral institutionnel systémique» ; D. Viriot-Barrial AJ pénal 2020, p.136. Acculer par exemple un groupe de salariés à démissionner.

«Harcèlement institutionnel : le crépuscule des restructurations ?» ; Arnaud Casado, Droit pénal du travail, Décembre 2022. 18 «Le harcèlement moral «institutionnel» : l'épilogue attendu d'un simple mode opératoire doté d'un mobile économique» ; Marc Segond, Chronique RJS, 2023.

19 20

Crim., 19 juin 2018, n°17-86.737⚖️. La réponse constituera une interprétation jurisprudentielle et non un revirement de jurisprudence (Cf infra.).

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tenu des développements qui précèdent, l'incrimination nécessite l'existence d'une ou plusieurs victimes identifiées (désignées) ou seulement identifiables (déterminées) ? Autrement posée, la question est celle de savoir si, pour être caractérisé, le harcèlement moral institutionnel n'implique t-il pas que la politique a eu pour «objet» une dégradation des conditions de travail en ce qu'il concerne des personnes de l'entreprise indifférenciées et non pas seulement pour «effet» une telle dégradation ? Partant, le harcèlement moral institutionnel conduirait à distinguer l'objet initial de l'organisation - qui n'a pas pour but une dégradation des conditions de travail - de l'objet final résultant de sa mise en oeuvre qui dégrade les conditions de travail au plan individuel comme collectif. La notion de harcèlement institutionnel présente en effet deux singularités résultant des caractères précédemment développés21 :

La première singularité procède de l'absence de relation directe entre le dirigeant responsable de la politique d'entreprise et la victime de cette politique, la seconde tient à l'atteinte que cette politique est susceptible de porter aux salariés. - L'absence de relation directe entre le dirigeant à l'origine de la politique d'entreprise et la victime de cette politique On sait que la chambre criminelle juge qu'il n'appartient pas au juge de remettre en cause le pouvoir de direction de l'employeur ni de s'immiscer dans la gestion de l'entreprise (Crim., 8 septembre 2015, n°14-83.869)22. Autrement dit, la politique d'entreprise ne saurait se confondre avec l'élément intentionnel de l'infraction, au sens de l'article 121-3 du code pénal, le délit ne comportant d'ailleurs pas de dol spécial (cf. supra)23. En d'autres termes, le juge doit caractériser la conscience du dirigeant de contrevenir à la loi (Crim., 22 février 2022, n°21-82.266⚖️), sans juger la politique mise en place par l'employeur, mais en s'attachant à l'impact humain qui en est la conséquence.

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Cf. également : L. Saenko ; « Affaire [8] ou la consécration hasardeuse du harcèlement moral institutionnel» , GPL 8 nov.2022 n°442d3. 22 Il en est de même pour la chambre sociale. 23

Crim., 2 septembre 2020, n°19-82.471.

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Plus précisément, le harcèlement moral institutionnel ne se définit pas tant comme un dépassement de l'exercice du pouvoir de direction (susceptible de caractériser le harcèlement managérial), que comme un abus du lien de subordination juridique liant le salarié à l'entreprise24, au sein d'une communauté de travail. Par sa réalisation en cascade, l'infraction est en quelque sorte analysée à rebours de ses conséquences examinées au niveau du service associant les salariés. Ainsi, dans l'arrêt précité du 5 juin 2018, prononcé dans le cadre de la présente affaire, (Crim.,5 juin 2018, n°17-87.524⚖️), votre chambre a considéré qu'il était sans importance que certains salariés n'eussent pas relever de la direction dont les prévenus avaient la charge. Aussi, la conscience de l'employeur qui a conçu, promu et provoqué une politique dont les leviers sont pathogènes, et sur laquelle s'appuiera l'élément intentionnel de l'infraction, pourra s'étudier, le cas échéant, au regard des alertes collectivement intervenues25 (Crim.,16 septembre 2014 n°13-82.468). - L'atteinte que la mise en oeuvre de cette politique d'entreprise est susceptible de porter aux salariés La doctrine ayant commenté l'arrêt attaqué a majoritairement vu dans cette décision la consécration du harcèlement moral institutionnel en estimant conforme à la lettre du texte une application qui ne se limite pas à des victimes nominativement identifiées mais vise « par essence une collectivité de personnels26.» Toutefois, il doit être rappelé qu'en cas de pluralité de victimes, la jurisprudence caractérise individuellement et séparément les éléments constitutifs du délit (Crim.,17 février 2009, n°08-83.27- Crim., 26 mai 2009, n°08-87.874⚖️ - Crim., 19 janvier 2010, n°09-84.026⚖️ ; Crim., 14 septembre 2010, n°09-87.338⚖️ - Crim., 25 avril 2017, n°1586.849 ; Crim.,12 avril 2023 n°22-83.661⚖️).

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On se référera à cet égard aux propos du député Georges Hage lors des travaux parlementaires d'élaboration du texte qui, au sujet des pressions exercées au travail, précisait : «soit ces dernières ont une finalité professionnelle, c'est-à-dire la mise en oeuvre du contrat de travail, et dans ce cas, même si l'on peut le déplorer, elles n'en sont pas moins légitimes, soit la dégradation des conditions de travail résulte d'un détournement du contrat de travail, dans le but unique de nuire au salarié et dans ce cas, il semble difficilement admissible que de tels comportements ne soient pas sanctionnés». Il ajoutait que «réduire le harcèlement moral aux seuls comportements portant atteinte à la dignité d'un salarié ou créant des conditions de travail humiliantes ou dégradantes, reviendrait à restreindre excessivement le champ d'application de la définition» (Ass.nat. 3ème séance; 1ère lecture, 11 janvier 2001, p.330 à 333. 25 Notamment, de la part du comité social et économique (CSE) qui depuis le 1er janvier 2020 a remplacé le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). 26 Pour reprendre les termes du jugement correctionnel (TC Paris 20 décembre 2019) qui sont au diapason avec l'avis du CES lorsqu'il écrit : « Sont en scène, non pas des individus mais des cadres, des salariés ou des agents, non pas des personnes mais un collectif.» (avis p. 8).

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Commentant cette dernière décision rendue en 2023, soit postérieurement à l'arrêt attaqué, M. Saenko, maître de conférence27, souligne, au vu du principe de responsabilité pénale du fait personnel, que «si rien n'empêche qu'une pluralité de harcèlements moraux puissent être commis à grande échelle à l'encontre de plusieurs salariés en même temps - par le biais d'une politique d'entreprise (...) - il paraît plus délicat «d'admettre qu'un délit de harcèlement moral puisse, de plena, être commis contre tous les salariés d'une entreprise y compris ceux qui ne se seraient pas manifestés auprès du juge pénal pour se plaindre d'une telle pratique» en ajoutant «qu'une collectivité de salariés n'est pas autrui.»28 L'arrêt attaqué conduit ainsi à se demander si une plainte émanant de chaque salarié est nécessaire pour caractériser le harcèlement moral institutionnel ? Autrement formulé, est-ce une condition que la loi n'impose pas ou une condition sans laquelle elle ne peut s'appliquer ? Commentant le jugement correctionnel rendu en l'espèce, le professeur P. Adam reprend, pour y adhérer, la distinction faite par les juges correctionnels entre la victime dans l'incrimination - uniquement une personne physique qui peut être individuelle ou plurielle, nommément désignée ou non, réelle ou potentielle - et la victime de l'incrimination - personne physique ou personne morale sous certaines conditions légales, devant être dénommée et capable de prouver le lien direct entre les faits établis et le dommage allégué (voir également la note du Service de documentation, des étude et du rapport de la Cour de cassation du 20 décembre 2023). En résumé, « sur terrain civil ne peuvent agir et demander réparation que les victimes nommément identifiées des agissement punissables, il n'en va pas de même sur le terrain de l'incrimination pénale ou semblable identification apparaît effectivement superfétatoire»29 De prime abord, cette analyse semble froisser votre jurisprudence qui impose en matière de harcèlement moral au travail de s'assurer que les agissements dénoncés 27

«De la difficulté de caractériser le délit de harcèlement moral institutionnel» ; L. Saenko, La semaine juridique - éd. Sociale n°29-25 juillet 2023. 28 L'arrêt rendu le 12 avril 2023 doit cependant être analyser au regard des moyens auxquels il a été répondu sans qu'il puisse en lui-même contredire le présent arrêt attaqué. Il sera rappelé que la chambre a jugé (certes antérieurement) qu'il importait peu que les décisions prises visent «l'ensemble des salariés sans distinction, sans viser particulièrement le demandeur» pour entrer en voie de condamnation (Crim.,19 octobre 2021, n°20-87.164). Cf. « Harcèlement institutionnel : le crépuscule des restructurations ?» ; Arnaud Casado, Droit pénal du travail, décembre 2022. 29 « Le harcèlement moral a désormais son grand procès pénal (...) » ; Pierre Adam , Semaine Sociale Lamy n°1895, 17 février 2020.

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ont eu pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du plaignant, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel (Crim.,18 janvier 2011, n°10-83.389⚖️ qui casse l'arrêt attaqué faute par la cour d'appel d'avoir notamment caractérisé la répercussion des faits sur les conditions de travail de la personne intéressée ; Crim.,19 juin 2018, n°17- 82.649⚖️). On ajoutera que votre chambre considère qu'il appartient souverainement aux juges du fond de déterminer si la dégradation des conditions de travail et la détérioration de l'état de santé d'une personne s'inscrivent, au delà de son ressenti, dans un processus de harcèlement moral (Crim.,13 novembre 2018, n°17-85.163⚖️) ou encore de rechercher si l'altération de la santé avérée de la partie civile procède d'un ressenti subjectif de l'appréciation de ses conditions de travail (Crim., 13 novembre 2018, n°17-85.005⚖️ ; Crim.,17 juin 2014, n°12-84.918⚖️). En effet, l'infraction ne peut être retenue compte tenu d'éléments uniquement subjectifs. Cela est encore plus patent lorsque les faits revêtent un caractère institutionnel. Dans ce dernier cas, c'est en réalité la situation objective de personnes placées dans une situation identique qui doit être retenue pour déterminer l'étendue préjudiciable de l'infraction, dans une perspective sous-tendue par la relation de travail. L'office du juge consistera à prendre en compte les décisions d'organisation et leur mise en oeuvre délétère sur une collectivité de salariés concernés et, le cas échéant, les différentes alertes de la dégradation des conditions de travail. Ainsi, la politique de ressources humaines va ancrer la commission de l'infraction dans une réalité tangible sans qu'on puisse lui reprocher un caractère indéterminée. Cette analyse fait écho avec la doctrine selon laquelle «C'est le harcèlement érigé en mode de management qui est ici visé (...). Les juges étendent ainsi le cercle des responsables ayant participé non matériellement mais intellectuellement à la commission de l'infraction ainsi que le cercle des victimes potentielles comprises comme l'ensemble des travailleurs composant la collectivité de travail.»30 *

30

«Quels contrôle judiciaire des modes de management ?» ; Lucie Jubert , Revue de droit du travail 2020,

25

p.157.

Le harcèlement moral institutionnel reste ainsi associé à la personne du salarié ou de l'agent, quand bien même il s'agit d'atteindre des buts organisationnels ou servir des intérêts de certaines parties prenantes. Il n'en demeure pas moins que c'est au salarié qu'il appartient de démontrer l'existence d'un lien de causalité certain entre l'infraction et le préjudice qu'il invoque et dont il demande réparation, étant rappelé que les droits de la partie civile appartiennent à la seule personne justifiant d'un préjudice résultant de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction objet des poursuites (Crim.,21 novembre 2018, n°17-81.096⚖️). - Politique d'entreprise et exercice discrétionnaire du pouvoir de direction Il est de jurisprudence constante que le délit n'exige pas la preuve de l'intention de nuire ou d'humilier. Le dol spécial n'est pas requis (cf. supra). Il caractérise de la part du dirigeant un dépassement du pouvoir de direction et d'organisation dans la mise en oeuvre d'une politique d'entreprise31 structurant une collectivité de salariés ou d'agents (s'étant matérialisée en l'espèce par l'exécution de plans de réorganisation). Par ailleurs, l'intention coupable, qui est la connaissance des conséquences possibles des actes répétés ayant été perpétrés doit être distinguée, comme y a procédé la cour, de la raison économique ou des priorités financières qui constituent le mobile. Aussi, les motifs de l'arrêt attaqué invitent à s'interroger sur la frontière entre le délit de harcèlement moral institutionnel et la liberté d'entreprendre du dirigeant d'entreprise. A cet égard, on rappellera que le Conseil constitutionnel admet de longue date que la liberté d'entreprendre peut être limitée par le législateur au regard d'exigences à caractère constitutionnel telles que la sauvegarde de l'ordre public, le droit à la protection de la santé ou encore par un motif d'intérêt général (en ce sens : Cons. const., déc. n°2009-584 DC du 16 juillet 2009 ; Loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, consid. 18 ; Cons. const., déc. n° 2010-605 DC, du 12 mai 2010 ; Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, consid. 24).

31

Qu'on prendra soin de distinguer de son objet initial auquel il ne se confondra pas nécessairement.

26

Son contrôle consiste, précisément, à vérifier que le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre cette liberté et l'exigence constitutionnelle ou le motif d'intérêt général (pour ex : Cons. const., déc. n° 2010-55 QPC du 18 octobre 2010, M. Rachid M. et autres [prohibition des machines à sous], consid. 6 ; Cons. const., déc. n° 2021-824 DC du 5 août 2021, § 60 à 63). * Il va de soi que la santé des salariés constitue un intérêt supérieur d'ailleurs juridiquement protégé par la législation sur le droit du travail32. Le harcèlement moral au travail ne doit cependant pas être confondu avec une organisation stressante du travail appelant des réponses préventives et curatives particulières33. Aussi, pour définir la frontière entre la rationalité intellectuelle des choix stratégiques et les conséquences pathogènes en termes de ressources humaines résultant des modalités mécaniques (en cascade) de mise en oeuvre34, le juge doit se livrer à une analyse circonstanciée des processus attentatoires aux salariés dans la mise en oeuvre de cette politique de ressources humaines35. I - 4 d) Les éléments caractérisant l'infraction en l'espèce En l'espèce, les juge n'avaient pas à apprécier l'opportunité des plans NExT et ACT mais à considérer les moyens mis en oeuvre dans le cadre de leur application au regard des composantes de l'incrimination. En ce sens, la cour d'appel a justement retenu que le maintien quoiqu'il en soit de la politique de déflation des effectifs ne se confondait pas avec la définition de celle-ci. On ajoutera que le harcèlement moral engendré par les plans NexT et ACT s'est avéré inéluctable dès lors que les objectifs de déflation «jusqu'au-boutiste36» des effectifs avaient été poursuivis, «à marche forcée», ce qu'objectivaient différents signaux d'alerte caractérisant l'omniprésence d'une souffrance au travail37. 32

On rappellera ici la directive 89/391/CEE, 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. 33 « Pour une nouvelle définition du harcèlement moral au travail » ; P. Adam, Droit social 2020 p.249. 34

On citera ici la parole à valeur performative de [NL] [XG] lorsqu'il dit lors de la convention de l'[7] le 20 octobre 2006: « En 2007, je ferai les départs par la fenêtre ou par la porte (...)». 35 La politique des ressources humaines constitue la traduction dans le réel des conséquences de la politique d'entreprise. 36 37

Cf. le jugement correctionnel en première instance, TGI Paris, 20 déc. 2019. S'apparentant au mobbing auquel le CES fait référence (p.14 - 18 de l'avis précité).

27

* Pour caractériser l'élément matériel des faits, dont on rappellera qu'ils se sont étalés et répétés dans le temps, la cour d'appel indique qu'il : « suffit (...) que les agissements soient répétés, même s'ils ne sont pas de nature identique38, et qu'analysés dans leur ensemble, ils entraînent une dégradation des conditions de travail potentielle, portant atteinte aux droits et à la dignité de la victime, altérant sa santé physique ou mentale ou compromettant son avenir professionnel ». Elle ajoute que : « L'élément matériel du délit n'exige pour le harcèlement moral institutionnel aucune statistique ni moyenne, quant au nombre de victimes.» (p.139).

La cour a ainsi repris les onze formes de harcèlement moral retenues par le tribunal et constituées par : - des réorganisations multiples et désordonnées ; - des incitations répétées au départ ; - des mobilités géographiques et/ou fonctionnelles forcées ; - Une surcharge de travail, une pression des résultats, ou à l'inverse l'absence de travail ; - un contrôle excessif et intrusif ; - l'attribution de missions dévalorisantes ; - l'absence d'accompagnement et de soutien adaptés des ressources humaines; - des formations insuffisantes voire inexistantes ; - Un isolement des personnels ; - des manoeuvres d'intimidation, voire des menaces ; - des diminutions de rémunération. Les juges d'appel ont également relevé (arrêt p.140-141) que :

38

Souligné dans le présent avis.

28

« La dégradation des conditions de travail des personnels est illustrée de manière importante par différents rapports d'expertise qui ont mis en évidence: - Une montée du stress, des tensions et du mal être au travail ; - Une dislocation/fragmentation des collectifs de travail qui sont en recomposition permanente ; - Des routines organisationnelles qu'il faut sans cesse se rapproprier ; - Des états de détresse pour le personnel ; - Des pertes de repères ; - Une défaillance des systèmes de prévention des risques psychosociaux.» La cour d'appel souligne que «ces formes de harcèlement moral ont été le plus souvent entremêlées voire superposées» (p.139), ajoutant «qu'elles ont perduré en dépit d'alertes multiples (...).» (p.140).

On citera, à titre d'illustration, le cas de Mme [Y] [HW], exposante, dont le mémoire en défense rappelle qu'elle a tenté de se suicider le 18 juin 2009, sur son lieu de travail, par absorption de médicaments. La cour d'appel rappelle qu'affectée sur une plateforme, des objectifs quotidiens, dont dépendait la part variable de sa rémunération, lui étaient assignés. Un quota d'appels devait être atteint et la moyenne des appels ne devait pas excéder le temps imparti. Des animations étaient organisées avec des challenges qui, pour elle, la ridiculisaient. Un système de double écoute la plaçait sous la surveillance du manager. Elle était chronométrée sur ses pauses et écoutée plus souvent que les autres par sa manager. C'était à la suite d'une écoute de sa supérieure lors d'un appel d'un client très mécontent qu'elle avait craqué et absorbé des médicaments le jour même où elle avait appris que sa demande de changement de service était reportée “sine die”. On citera aussi le cas de M. [ZX] [PL] qui s'est suicidé par arme à feu, le 3 mai 2008. En novembre 2007, il avait appris que son poste allait disparaître et qu'il devait se recycler sur les nouvelles technologies, comme l'ADSL, en suivant un parcours de professionnalisation de “Technicien Intervention Client Multi-services” et ce dans un contexte de fermetures de sites et de restructurations où chacun avait peur de perdre son emploi.

29

Il s'était alors inscrit à des stages dont il revenait inquiet et déprimé du fait d'un niveau élevé pour une personne qui n'avait jamais connu l'ordinateur. Malgré toute sa bonne volonté, il s'était trouvé en situation d'échec, ne voulant pas en faire part à son chef, de peur d'être muté sur une plateforme d'appels téléphoniques (...). * Les juges d'appel ont ainsi pu considérer, dans ce contexte particulier précisément décrit, que les charges recueillies à l'encontre des prévenus et dont l'appréciation relève de leur pouvoir souverain, caractérisaient la culpabilité des auteurs des pourvois qui ne pouvaient pas ne pas savoir que leurs décisions dégraderaient, tant par leur objet que par leurs effets, les conditions de travail des salariés placés en situation de souffrance au travail39. Aussi, la mise en oeuvre de deux plans qui avaient vocation à concerner un très grand nombre d'agents et la récurrence de conséquences en cascade, indépendamment du lien hiérarchique, n'imposaient pas d'avoir à désigner toutes les victimes dès lors qu'elles étaient déterminées comme visées par le plan. Il suffisait que «la dégradation [ait] concerné tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés et le climat professionnel anxiogène propice à accélérer la déflation des effectifs et les mobilités.» En l'occurrence, et pour reprendre un commentateur de la décision, «l'objectif de déflation des effectifs était formulé en termes si généraux que c'est l'ensemble des agents et des contractuels qui a été victime de ce harcèlement moral institutionnel.»40 Votre chambre a d'ailleurs relevé en l'espèce, pour rejeter le pourvoi formé notamment par Mme [YM] contre un arrêt de la chambre de l'instruction, que la mise en place du plan ACT avait créé « un climat d'insécurité permanent pour tout le personnel» (Crim., 5 juin 2018, n°17-87.524). Les moyens précités ne sauraient pouvoir prospérer.

II - LA COMPLICITÉ DU HARCÈLEMENT MORAL AU TRAVAIL

39

Cf. Crim., 22 février 2022, n°21-82.266.

30

Sur les deuxième moyen, pris en sa troisième branche, troisième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, quatrième moyen, pris en sa troisième branche, et sixième moyen proposés pour Mme [CL]-[VE] et sur les deuxième moyen, pris en sa cinquième branche, et troisième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, proposés pour Mme [YM]. En substance, ces moyens font griefs à l'arrêt attaqué d'avoir déduit la complicité des prévenues pour les déclarer coupables de complicité de harcèlement moral commis à l'égard de tous les salariés de tous les établissements du groupe, tout en constatant qu'elles avaient servi de relai ayant permis la diffusion de la politique d'entreprise, sans constater que la dégradation de leurs conditions de travail était intervenue au cours de la période à laquelle elles assuraient leurs fonctions. Le deuxième moyen en sa troisième branche reproche à l'arrêt attaqué de s'être appuyé sur un arrêt de la chambre de l'instruction rendu en matière de nullité dans le même dossier par motifs propres (arrêt attaqué, p.128, § 4) et, par motifs adoptés (jugement p.108, § 3), pour en déduire la culpabilité de Mme [CL]-[VE]. L'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme se réfèrent aux arrêts rendus par la chambre criminelle au cours de l'information judiciaire (Crim., 4 octobre 2016, n° 1681.200 et Crim. 5 juin 2018, n°17-87.524). Dans ces deux arrêts la chambre a : - D'une part, considéré que la mise en examen du chef de harcèlement moral ne peut intervenir qu'à l'égard « d'une ou de plusieurs personnes déterminées » et qu'en conséquence la chambre de l'instruction aurait dû « rechercher, pour chacun des salariés en cause, s'il existait à l'encontre des mis en examen des indices graves et concordants d'avoir été complices d'un harcèlement moral à l'égard de ces derniers » (premier arrêt). - D'autre part, approuvé la chambre de l'instruction ayant constaté l'existence d'indices graves et concordants à l'encontre de cadres de la société qui, indépendamment du rôle spécifique de direction d'un service qu'ils exerçaient ont, par leur contribution active à l'efficacité, pour l'ensemble du groupe, du plan ACT qui a créé un climat d'insécurité permanent pour tout le personnel, facilité la préparation et la consommation des délits de harcèlement moral, peu importe que des salariés 40

« [8] ou le procès du harcèlement moral institutionnel » ; J.P. Tessonnière, Semaine sociale Lamy n° 1859 - 1860, 29 avril

31

n'aient pas relevé de leur service ou que le dommage se soit produit après qu'ils eussent quitter leurs fonctions (second arrêt). Dans ce second arrêt, la chambre criminelle s'est attachée à la caractérisation des actes d'aide ou d'assistance, sans rapport de direction avec les victimes. Il sera relevé que la cour d'appel cite d'autres arrêts dans les motifs de sa décision et qu'elle s'est fondée que de façon subsidiaire sur ces deux précédents pour déclarer Mme [CL]-[VE] coupable de complicité de harcèlement moral. Le grief qui apparaît inopérant, n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale. Le troisième moyen en sa quatrième branche, reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré les prévenus coupables de harcèlement moral pour avoir commis des agissements répétés ayant eu pour effet la dégradation des conditions de travail de «tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés » (arrêt, p.167, § 6), sans avoir recherché si la dégradation de leurs conditions de travail était intervenue au cours de la période de prévention. En l'espèce, Mme [CL]-[VE] a été déclarée coupable du chef de complicité de harcèlement moral pour des agissements répétés imputables aux auteurs du délit, entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2008. Pour déclarer les prévenus coupables, la cour d'appel s'est fondée sur la constatation d'agissements harcelants s'étant déroulés au cours de la période de prévention, peu important que la dégradation des conditions de travail soit survenue au cours de la même période voire postérieurement à celle-ci. Aussi, le grief est inopérant dès lors que les juges du fond devaient seulement s'assurer que, pour déclarer les prévenus coupables, les agissements qui leurs étaient reprochés, en l'occurrence pour Mme [CL]-[VE], des actes d'aide et d'assistance effectués en connaissance de cause, étaient intervenus au cours de la période de prévention. le grief n'apparaît pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

2019.

32

Le troisième moyen en sa cinquième branche, reproche à la cour d'appel d'avoir déclaré Mme [CL]-[VE] coupable, comme complice, du chef de harcèlement moral institutionnel, cependant qu'elle constatait que la politique d'entreprise poursuivie procédait d'«une décision arrêtée au plus haut niveau de pilotage de la société » (arrêt, p.136, § 1er), qu'« il n'exist[ait] aucun lien professionnel direct entre les […] prévenus personnes physiques » et les plaignants, qu'« ils ne se connaissaient pas et n'[avaient] jamais travaillé ensemble » et que la responsabilité de Mme [CL]-[VE] « repos[ait] […] sur une décision partagée » (jugement confirmé, p.100, § 3 ; arrêt, p.136, § 1er), ce dont il résultait que seule la société [8] avait des relations directes avec chacun des fonctionnaires et salariés concernés et que, engagée par la délibération collégiale de ses organes, elle pouvait seule être déclarée coupable. Le grief, en ce qu'il soutient que seule la société [8] qui avait des relations directes avec chacun des salariés du groupe, pouvait être déclarée coupable de harcèlement moral résultant d'une politique d'entreprise, à défaut que soient caractérisés à l'égard des prévenus, personnes physiques, des agissements répétés s'inscrivant dans une relation interpersonnelle avec tous les salariés, n'est pas fondé. Il sera en effet rappelé que «la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits » (Crim., 30 janvier 2018, n°17-81.595⚖️). Le grief n'apparaît pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

II - 1 Les éléments constitutifs, en l'occurrence, de la complicité de harcèlement moral au travail La complicité est définie comme un « mode d'imputation appliqué à une personne qui a participé à la réalisation d'une situation infractionnelle sans pour autant accomplir matériellement aucun des actes décrits par le texte d'incrimination.»41 S'agissant de la complicité du délit de harcèlement moral, il convient de rappeler que des faits positifs personnels sont imputables à la personne poursuivie sous la qualification de complicité dès lors qu'ils ont contribué, en connaissance de cause, à la réalisation du fait principal au préjudice de salariés du groupe (rapport relatif au pourvoi n°17-87.524).

41

Cf JurisClasseur ; art.121-6 et 121-7 ; Jacques Henri Robert.

33

On se référera ainsi à la notion classique d'emprunt de criminalité, étant souligné que le lien de subordination entre le complice et l'auteur de l'infraction n'est pas exonératoire. De plus, contrairement au délit principal qui exige des agissements répétés, un seul acte de complicité suffit, l'élément intentionnel procédant d'une participation volontaire et consciente à la commission de l'infraction.

II - 2 L'application en l'espèce au titre du harcèlement institutionnel Il importe de rappeler que la chambre criminelle a, par l‘arrêt précité du 5 juin 201842, rejeté les pourvois de Mme [YM] et de M. [AR] contre l'arrêt de la chambre de l'instruction ayant retenu : « L'existence d'indices graves ou concordants à l'encontre de Mme [YM] et de M. [AR] d'avoir, en leur qualité de cadres de la société [8], indépendamment du rôle spécifique de direction d'un service qu'ils exerçaient, par aide et assistance, en l'occurrence par leur contribution active à l'efficacité, pour l'ensemble du groupe, du plan ACT, qui a créé un climat d'insécurité permanent pour tout le personnel, facilité la préparation et la consommation des délits de harcèlement moral reprochés à la société et trois de ses dirigeants au préjudice de chacun des salariés visés dans leur mise en examen, peu important que certains d'entre eux n'eussent pas relevé de la direction dont ils avaient alors la charge ou, s'agissant de Mme [YM], que le dommage invoqué se fût produit après qu'elle eut quitté ses fonctions »

En l'espèce, les cadres condamnés comme complices, au visa de l'article 121-7 du code pénal🏛, l'ont été en raison de leur contribution, par des actes positifs à trois leviers marquant la politique de l'entreprise : - La primauté donnée dans le suivi des effectifs à celui des départs et des mobilités ; - La rémunération de certains membres de l'encadrement en partie indexée sur le nombre de départs ; - Le conditionnement de la hiérarchie intermédiaire et de proximité à l'impératif de déflation des effectifs.

42

Crim., 5 juin 2018, n° 17-87.524.

34

- Concernant Mme [CL]-[VE] Il a été retenu qu'elle avait participé à encourager les procédés visant à créer une instabilité pour les agents et les salariés, de même qu'à organiser les incitations financières relatives à l'atteinte des objectifs de réduction d'effectifs. Il est relevé ses interventions lors des formations « réussir Act »43, à une époque où l'objectif de déflation sous-tendait toute la politique de ressources humaines et la rédaction dune note en date du 8 octobre 2008 détaillant la mise en oeuvre de la part variable pour les cadres non entrepreneurs de la DRH France. Par des développements circonstanciés, la cour d'appel a été amenée à considérer que les éléments constitutifs de la complicité par aide et assistance étaient réunis, ce qui se traduit dans l'arrêt attaqué par les énonciations suivantes : « La cour confirmera le jugement qui a déclaré [SI] [VE] coupable de complicité de harcèlement moral, pour avoir, en qualité de Directrice du Management des Compétences et de l'Emploi puis de Directrice du Développement et des Performances des RH, entre janvier 2007 et le 31 décembre 2008, contribué à l'animation de la formation Réussir ACT destinée aux managers pour les conditionner à l'impératif de déflation des effectifs, et pour avoir rédigé et envoyé une note détaillant la mise en oeuvre de la part variable pour les cadres non entrepreneurs de la DRH France partiellement fondée sur des critères de départs et mobilités. Y ajoutant, la cour précisera que les faits ont été commis alors que [SI] [VE] avait également la qualité de DRH France, cette qualité ayant été omise par le tribunal correctionnel dans la déclaration de culpabilité.»

- Concernant Mme [YM] Il a été retenu qu'elle avait été associée à la mise en oeuvre de la politique de réorganisation de l'entreprise visant à inciter les salariés au départ par la déstabilisation. Elle a notamment notifié à tous les directeurs territoriaux les objectifs de déflation des 22 000 emplois. Elle était donc parfaitement au fait de l'ampleur de l'opération dont elle en assurait le contrôle, de même que le climat anxiogène ainsi généré44. Pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt attaqué énonce : 43

Vingt-deux tables rondes, dont un document de synthèse de 2007 révélait la réelle pression subie par ceux qui y participaient pour atteindre les objectifs de mobilité internes et externes fixés. 44 On rappellera que le CNSHCT a déposé un droit d'alerte, le 4 juillet 2007.

35

« La cour, au vu des éléments détaillés dans les motifs qui précèdent, considère suffisamment démontré, tout comme les premiers juges, que [OS] [YM] a décidé volontairement de faciliter la commission de l'infraction reprochée, en connaissance de cause, en notifiant des objectifs de départ élevés aux directeurs territoriaux, et en prônant des méthodes de management harcelantes, ce en diverses occasions, y compris à l'occasion de formations. Ces actes ont été accomplis personnellement par elle et sont tous positifs, antérieurs ou concomitants à la consommation de l'infraction principale. Elle s'est ainsi rendue complice entre 2007 et mars 2008, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, en sa qualité de directrice des actions territoriales d'opérations France au sein du groupe [8] du délit de harcèlement moral reproché à la SA [12], à [NL] [XG], à [YK] [C] et à [ZL] [FS] consistant en la mise en place, dans le cadre des plans NExT et ACT, d'une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés et agents, à créer un climat professionnel anxiogène. En conséquence de quoi, les éléments constitutifs de la complicité étant réunis, la cour confirmera le jugement qui a déclaré [OS] [YM] coupable.» * Il s'évince de ces énonciations que la cour d'appel a suffisamment caractérisé le délit de complicité par aide et assistance, sans insuffisance ni contradiction, tant à l'égard de Mme [CL]-[VE] que pour Mme [YM], étant rappelé que les éléments de preuve produits aux débats relèvent de son appréciation souveraine. Les moyens précités ne sauraient pouvoir prospérer.

III - LE PRINCIPE DE PRÉVISIBILITÉ DE LA LOI PÉNALE ET DE NON-RÉTROACTIVITÉ DE LA LOI PÉNALE PLUS SÉVÈRE Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, présenté pour M. [XG], sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, présenté pour M. [FS], sur les deuxième moyen, pris en sa deuxième branche et cinquième moyen présentés pour Mme [CL]-[VE], et sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, présenté pour Mme [YM].

36

En substance, ces moyens font griefs à l'arrêt attaqué d'avoir porté atteinte aux principes de sécurité juridique et de prévisibilité juridique en entrant en voie de condamnation sur le fondement d'un texte objet d'une nouvelle interprétation qui n'était pas prévisible à l'époque des faits et en se fondant, pour écarter « le moyen tiré de l'imprévisibilité au visa de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme🏛 », sur deux arrêts de la Cour de cassation en date des 4 octobre 2016 et 5 juin 2018 (arrêt, p. 128), soit postérieurs aux faits incriminé. Il est ajouté qu'une interprétation jurisprudentielle nouvelle plus sévère ne peut trouver à s'appliquer aux prévenus faute d'avoir été raisonnablement prévisible au moment des faits et que les dispositions de l'article 7 précité englobent le droit d'origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l'accessibilité et de la prévisibilité.

III - 1 L'interprétation nouvelle d'un texte constituant un revirement de jurisprudence La Cour de cassation n'a jamais eu à définir le harcèlement moral institutionnel45 mais il lui incombe d'assumer son rôle normatif en tranchant les questions juridiques de principe (cf. Rapport annuel de la Cour de cassation de 201846). Ainsi que le souligne la doctrine, « le juge pénal s'érige lui-même aujourd'hui en un juge créateur, et place sa jurisprudence sur un pied d'égalité avec la loi. Cette réalité est d'autant plus assumée par le juge qui admet de contrôler sa propre interprétation jurisprudentielle. Le seul fait d'avoir admis le contrôle de constitutionnalité des lois telles qu'interprétées par les juges n'est-il pas la preuve la plus évidente du fait que la jurisprudence est assimilée à la loi ? » (Mme le Professeur Farah Safi, ibidem)47. Il y a aussi lieu de rappeler que l'interprétation nouvelle d'un texte, dans le sens d'un revirement de jurisprudence, concrétise une avancée du droit, quand bien même celle-ci ne conviendrait pas à l'ensemble des parties au procès.

45 46

Voir toutefois Crim., 1er décembre 2015, n°14-85.059 et Crim., 5 février 2013, n°11-89.125⚖️

« Cour régulatrice placée au sommet de la hiérarchie judiciaire, appelée à pourvoir à l'interprétation et à l'application uniformes des règles de droit sur l'ensemble du territoire de la République, la Cour de cassation s'est transformée au fil du temps : de simple sentinelle avancée du Corps législatif appelée à prévenir les écarts des tribunaux, elle est devenue, au sommet de la hiérarchie des juridictions qui composent la justice, la cour régulatrice qui donne par sa jurisprudence son exacte mesure à la loi » (La Cour de cassation et le législateur, X. Prétot, doyen de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, Revue de droit public, 2019, p 373). 47 Autrice citée dans l'avis portant sur la question prioritaire de constitutionnalité.

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III - 1 a) L'apport de la jurisprudence de la Cour EDH La Cour EDH juge que les juridictions nationales sont les premières responsables de la cohérence de leur jurisprudence et que son intervention à cet égard doit demeurer exceptionnelle (CEDH 20 octobre 2011, n°13279/05⚖️, Nejdet sahin et Perihan sahin c/Turquie, § 94). Cette affirmation doit toutefois se concilier avec l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, aux termes duquel : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international.» Aussi, la Cour de Strasbourg a-t-elle jugé qu'une sanction pénale fondée sur un revirement de jurisprudence imprévisible - conduisant à un élargissement d'une incrimination - est contraire à l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibant la rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus sévère (CEDH, 10 octobre 2006, n°40403/02⚖️, Pessino c/ France). Dans cet arrêt, elle relève notamment que, « faute au minimum d'une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 ne sauraient être regardées comme respectées à l'égard d'un accusé. Or le manque de jurisprudence préalable en ce qui concerne l'assimilation entre sursis à exécution du permis et interdiction de construire résulte en l'espèce de l'absence de précédents topiques fournis par le Gouvernement en ce sens.» Comme le développe le guide diffusé par la Cour EDH, concernant ce même article 7: « 28. Le justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef (Cantoni c. France, 1996, § 29 ; Kafkaris c. Chypre [GC], 2008, § 140; Del Río Prada c. Espagne [GC], 2013, § 79). La notion de «conseils éclairés» renvoie à la possibilité de bénéficier des conseils d'un avocat (Chauvy et autres c. France, 2003) ou d'un juriste (Jorgic c. Allemagne, 2007, § 113) (...).

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30. En raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut pas présenter une précision absolue. Beaucoup d'entre elles, en raison de la nécessité d'éviter une rigidité excessive et de s'adapter aux changements de situation, se servent par la force des choses de formules plus ou moins floues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique (Kokkinakis c. Grèce, 1993, § 40, pour ce qui est de la définition du délit de « prosélytisme ; Cantoni c. France,1996, § 31, s'agissant de la définition légale de «médicament»). L'utilisation de la technique législative des « catégories » laisse souvent des zones d'ombre aux frontières de la définition. À eux seuls, ces doutes à propos de cas limites ne suffisent pas à rendre une disposition incompatible avec l'article 7, pour autant que celle-ci se révèle suffisamment claire dans la grande majorité des cas (ibidem, § 32). En revanche, l'utilisation de notions et de critères trop vagues dans l'interprétation d'une disposition législative peut rendre la disposition législative elle-même incompatible avec les exigences de clarté et de prévisibilité quant à ses effets (Liivik c. Estonie, 2009, §§ 96-104). Le fait que le législateur ait ultérieurement reformulé la loi en la rendant plus précise (par exemple suite à la transposition d'une directive de l'Union européenne) ne signifie pas nécessairement que le comportement en cause n'était pas jusqu'alors passible de sanction (Georgouleas et Nestoras c. Grèce, 2020, § 66).» Ainsi, l'article 7 de la Convention ne fait pas obstacle à « la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible » (CEDH, 12 octobre 2023, Total S.A. et Vitol S.A. c/ France, req. n°34634 et 43546/18, § 54 ; CEDH, 23 septembre 2023, Yüksel Yalçinkaya c/ Turquie, req. n°15669/20, § 239). III - 1 b) L'apport de la jurisprudence constitutionnelle Il est de principe de valeur constitutionnelle que les dispositions pénales prévues par une loi ne peuvent s'appliquer qu'aux faits commis après sa date de promulgation (96-387 DC, 21 janvier 1997, §§ 20 et 21). Ne saurait également rétroagir in pejus une loi pénale - telle qu'interprétée - plus sévère.

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III - 1 c) La jurisprudence de la Cour de cassation La Cour de cassation juge qu'il résulte du principe de prévisibilité juridique, découlant de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, que tout justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef. Doit être cité, à cet égard, l'arrêt rendu le 25 novembre 2020 (Crim., 25 novembre 2020, n°18-86.955, §⚖️ 38) aux termes duquel : « Cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne peut s'appliquer aux fusions antérieures à la présente décision sans porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme dont il résulte que tout justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef. Elle ne s'appliquera, en conséquence, qu'aux opérations de fusion conclues postérieurement au prononcé du présent arrêt et sera donc sans effet dans la présente affaire.» Par l'application faite de ce qu'on appelle la « modulation » - au regard du principe de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, s'appliquant à une interprétation jurisprudentielle nouvelle48 - il est à constater que la chambre criminelle se montre soucieuse des effets dans le temps de ses revirements. Il en est de même en matière civile. On citera à titre d'illustration l'arrêt 1er Civ., 8 avril 2016, n° 15-10.552 ; Bull. Civ. I, n°80 (Dalloz actualité, 19 avr. 2016, obs. S. Lavric) par lequel la première chambre civile a jugé, en matière de droit de la presse que «l'application à une instance en cours du revirement de jurisprudence (obligation selon la nouvelle jurisprudence de la première chambre civile de mentionner dans l'assignation le texte édictant la peine encourue) aboutirait à priver les requérants d'un procès équitable au sens de l'article 6, [sect] de la Convention européenne des droits de l"homme en leur interdisant l"accès au juge49.» *

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CEDH, 10 oct. 2006, Pessino c/ France, n° 40403/02, § 36 ; CEDH, 24 mai 2007, Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c/ Roumanie, n° 77193/01 et 77196/01, § 44 ; CEDH, 21 oct. 2013, Del Río Prada c/ Espagne, req. n°42750/09⚖️, §§ 111-117. 49 W. Jeandidier ; « Application de la loi pénale dans le temps », art. 112-1 à 112-4, Fasc. 20, LexisNexis.

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Ce pouvoir de modulation dans le temps de la jurisprudence, lorsque son application rétroactive aurait pour conséquence de priver un requérant de son droit d'accès au juge, soit une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, n'est pas nouveau (Ass. plén., 21 décembre 2006, n°00-20.493⚖️). En dernier lieu, on citera l'arrêt prononcé en assemblée, le 21 avril 2021, ayant admis la recevabilité du moyen critiquant la décision par laquelle la juridiction s'est conformée à la doctrine de l'arrêt de cassation qui l'avait saisie, lorsqu'est invoqué un changement de norme intervenu postérieurement (Ass. plén. 2 avril 2021, n°1918.814). * Cette modulation repose sur les principes de sécurité juridique et de confiance légitime. * Pour autant, toute interprétation jurisprudentielle qui donne à la loi pénale sa pleine application ne saurait être regardée comme une modification de l'état du droit imposant la modulation de son application dans le temps. On rappellera que, selon la jurisprudence de la Cour EDH, une solution peut être regardée comme « raisonnablement prévisible par l'intéressé », lorsqu'elle peut «passer pour poursuivre une tendance perceptible dans l'évolution de la jurisprudence» à l'époque des agissements considérés50 . Même une interprétation nouvelle de la portée d'une infraction existante peut être raisonnablement prévisible, pourvu qu'elle soit raisonnable au regard du droit interne et cohérente avec la substance de l'infraction de sorte que l'intéressé pouvait s'y attendre, “au besoin après avoir recouru à des conseils éclairés51”. On citera, en dernier lieu, l'arrêt du 9 juillet 2024 (Delga c/ France, n°38998/20) dans lequel la Cour EDH rappelle qu'elle recherche si l'interprétation en question correspond à une ligne perceptible de jurisprudence, ou si son application dans des circonstances élargies cadre néanmoins avec la substance de l'infraction (§§ 57 à 62). Force est de constater que l'arrêt attaqué n'est pas contredit par cet énoncé formulé au visa de l'article 7 de la Convention.

50

CEDH, 22 nov. 1995, S.W. c. Royaume-Uni, n°20166/92, § 43, CEDH, 22 nov. 1995, C.R. c. Royaume- Uni, 20190/92, § 41 51 CEDH, 25 juill. 2013, Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie, n° 11082/06 et 13772/05, § 791-821 (en anglais).

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III - 2 L'application de l'article 222-33-2 du code pénal à un nouveau cas de figure La chambre criminelle n'a jusqu'à présent été saisie que de situations de harcèlement individuel ou managérial (cf. supra) à l'égard, le cas échéant, de plusieurs personnes mais dans le cadre de relations de travail directes. En l'espèce, la reconnaissance du harcèlement moral institutionnel ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais l'application de l'article 222-33-2 du code pénal à une situation nouvelle en jurisprudence et résultant, en l'espèce, de la mise en oeuvre de la politique de déflation des effectifs liée au programme NexT et au plan ACT visant plusieurs milliers de personnes. * Or, par un arrêt du 30 janvier 2002 (Crim., 30 janvier 2002, n°01-82.593⚖️), la chambre criminelle a affirmé le principe52 selon lequel « le principe de non rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle.» Plus récemment, vous avez jugé, à propos du délit d'abus de confiance, que le principe de non-rétroactivité ne s'appliquait pas à une simple interprétation jurisprudentielle à la conditions qu'elle ne soit pas imprévisible (Crim., 13 mars 2024, n°22-83.689⚖️). Convient-il de rappeler à nouveau que la Cour EDH a eu l'occasion d'énoncer53 : « Aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris dans le domaine du droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. D'ailleurs il est solidement établi dans la tradition des Etats parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible54. »

52

Proche de celui utilisé par les chambres civiles. La 1ère chambre civile juge classiquement qu'il n'existe pas de droit à une jurisprudence figée (1ère Cv., 19 mai 2021, n°20-17.779⚖️). 53 Voir, également, S.W. c. Royaume-Uni, précité, § 36, C.R. c. Royaume-Uni, précité, § 34, Streletz, Kessler et Krenz, précité, § 50, et K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 45, CEDH 2001-II. 54

Jorgic c. Allemagne, req. n°74613/01 12 juillet 2007 supra, § 101- 113.

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Comme l'indique par ailleurs le rapport déposé dans une affaire plus récente (Crim, 10 août 2022, n°22-81.057), l'article 7, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, n'exclut pas le rôle de la jurisprudence dans la détermination du contenu de la loi pénale, mais impose que cette interprétation soit raisonnablement prévisible, notamment au regard de l'objectif de la loi, et au besoin avec l'aide d'un juriste. * Au regard toutefois des griefs formulées à l'encontre de l'arrêt attaqué, il y a lieu de se demander si l'application de l'article 222-33-2 du code pénal à un nouveau cas de figure, bien qu'échappant aux règles applicables au revirement de jurisprudence, n'était pour autant pas raisonnablement prévisible à la date des faits, à l'aune de l'objectif de la loi ? Il a été souligné plus haut que le législateur a défini le harcèlement moral au travail en des termes très larges55. Ce faisant, la jurisprudence est naturellement appelée à opérer - de par la volonté même du législateur - un rôle déterminant dans la définition de l'incrimination. Cela s'est particulièrement manifesté concernant l'élément moral de l'infraction puisqu'il suffit de démontrer la volonté de l'auteur d'effectuer les actes de harcèlement, ce qui diffère de la volonté de l'atteinte (Crim.,13 décembre 2016, n°1581.853). Il a d'ailleurs pu être écrit que « la faute pénale en matière de harcèlement moral tend [...] à se rapprocher de plus en plus de la faute civile, comme si était consacrée une obligation générale de ne pas causer de préjudice à autrui de quelque façon que ce soit.»56 Compte tenu du libellé de l'article 222-33-2 du code pénal, expression de la volonté du législateur, la jurisprudence ne peut qu'être évolutive dans ses applications, les juridictions étant appelées progressivement à statuer en fonction de l'évolution du contentieux accompagnant lui même la marche de la société. * Dans le champ de la reconnaissance du harcèlement moral institutionnel, il doit être rappelé que par un arrêt rendu en 2005, la chambre criminelle avait déjà reconnu la dimension possiblement organisationnelle du harcèlement moral au travail. En l'espèce, la chambre avait rejeté un pourvoi formé contre l'arrêt qui, pour condamner le prévenu du chef de harcèlement moral, avait retenu que différents agissements avaient conduit à l'instauration d'un climat délétère au sein de 55 56

Cf. à ce propos le professeur P. Mistretta : Rep. pén. et pr. Pén., v° «Harcèlement», Dalloz, 2019, §46. C. Duvert ; « Suicide d'une salariée : une réponse de la chambre criminelle », D. 2020, p. 916.

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l'entreprise ayant revêtu cumulativement un caractère individuel et collectif, les deux se superposant et s'alternant notamment en raison de la petite taille de l'entreprise et de la configuration des locaux, ces agissements pouvant, selon le cas, être perçus collectivement avant d'être individualisés ou au contraire ressentis individuellement avant d'être appréhendé de façon mutualisée dépassant largement le pouvoir de direction. En l'occurrence, la chambre a considéré que l'infraction était caractérisée «en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel» (Crim., 21 juin 2005, n°04-87.767). La notion même de harcèlement moral collectif résultant d'une politique de gestion, d'un management ou de direction n'était donc pas nouvelle à la date des faits reprochés aux prévenus. Doit également être rappelée l'analyse faite en 2002 par le CES soulignant à l'époque que « quelle que soit leur nature, ces agissements [harcelants] se définissent d'abord par ce à quoi ils visent.» «Visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles et matérielles de travail d'une ou de plusieurs victimes, on retrouve là le cœur de la stratégie mise en œuvre, il s'agit bien de dégrader les conditions de travail de la victime ou des victimes, et ce, en jouant de manière variée sur les trois dimensions toujours présentes des relations de travail : - la condition humaine générale qui suppose le respect de la personne ; - la dimension relationnelle qui suppose que le cadre, le salarié ou l'agent soit reconnu, qu'il ait sa place dans le collectif de travail ; - la dimension matérielle, car on peut, en jouant sur la dégradation de ses conditions matérielles de travail, atteindre profondément la victime et l'image qu'elle peut avoir d'elle-même, de son rang dans l'entreprise ou le service. » (Cf avis, p. 60 et s.). * Il s'évince de ce qui précède qu'il ne saurait être reproché à l'arrêt attaqué d'avoir retenu une conception du harcèlement moral au travail ne pouvant être raisonnablement prévisible à la date des faits au regard de l'objectif de la loi. Les faits de harcèlement institutionnel, que les juges ont été amenés à constater, constituent une forme matérielle du harcèlement moral au sens de l'article 222-33-2 du code pénal, qualification qui impose aux juges de fond de contrôler le caractère

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raisonnable des politiques de gestion et de management mises en place au sein des sociétés afin de pouvoir sanctionner « des méthodes managériales inappropriées »57 * S'agissant, rappelons-le, d'une application de l'article 222-33-2 du code pénal à une situation nouvelle, constituant un effet possible de la loi qui avait tout lieu de se produire, il ne peut être fait grief aux juges du fond d'avoir méconnu l'exigence prévisibilité du droit et ce au regard, non seulement de l'avis précitée du CES, mais de l'essence même de cette infraction qui participe de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur à l'encontre de ses salariés, en vertu de l'article L.4121-1 du code du travail🏛. * L'arrêt attaqué illustre comment en adoptant une définition délibérément large du harcèlement moral au travail, le législateur a permis au texte de répondre à sa ratio legis : lutter contre toute forme de harcèlement y compris à une échelle extrapersonnelle. Les moyens précités ne sauraient par conséquent pouvoir prospérer.

IV - LA DÉTERMINATION EN L'ESPÈCE DES VICTIMES DE L'INFRACTION DE HARCÈLEMENT MORAL INSTITUTIONNEL IV - 1 La distinction proposée entre victime dans l'infraction et victime de l'infraction On rappellera que le tribunal correctionnel a distingué les victimes dans l‘infraction des victimes de l'infraction en analysant le lien entre les agissements répétés et les victimes de ces actes. Les premiers juges ont ainsi distingué : « les critères de détermination de la cible du harcèlement moral au travail, individuelle ou collective, prise en considération dans la caractérisation de l'infraction, de ceux qui régissent la recevabilité de l'exercice de l'action civile pour la victime de l'infraction.»

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G. Deharo ; « Harcèlement moral managérial »; Gaz. Pal. 5 sept. 2017, p. 17.

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La cour d'appel qui n'a pas adopté les motifs du jugement n'a toutefois pas écarté cette analyse en distinguant les trente-neuf parties civiles visées dans la prévention et les autres visées par le «notamment» contenu dans la prévention. Reprenant cette distinction, l'un des mémoires en défense développe tout particulièrement58 cette distinction entre victime dans l'infraction et victime de l'infraction, dès lors que, dans ce dernier cas, la personne est désignée comme s'étant constituée partie civile. Il y a deux façons d'aborder la distinction ainsi opérée : La première consiste à retenir que les victimes de harcèlement moral institutionnel dans l'infraction sont celles qui ont porté plainte et que les victimes de l'infraction sont celles qui se sont constituées partie civile. Cette approche est conforme à l'idée que les agissements doivent être individualisés en ce qu'ils s'appliquent à l'encontre du salarié ou de l'agent qui entend s'en prévaloir59. La distinction entre plaignant et non plaignant apparaît cependant artificielle en ce que la personne qui porte plainte entend logiquement, à travers les faits qu'elle dénonce, obtenir réparation d'un préjudice qu'elle invoque. Il est à souligner que la victime du harcèlement moral est désignée par le terme «autrui» de sorte que la victime peut être unique ou multiple à la condition que les faits soient commis, conformément à la jurisprudence de la chambre criminelle, dans le cadre d'une relation de travail (Crim., 28 mars 2017, n°15-86.509). Le harcèlement moral pouvant donc être collectif lorsqu'il est exercé à l'encontre de tout ou partie des salariés, il n'est pas indispensable qu'un salarié soit nommément visé60. C'est en ce sens que la cour d'appel a énoncé qu'« aucune précision sur la victime n'étant contenue dans le texte du code pénal🏛
, le législateur et la jurisprudence n'exigent ni qu'une relation hiérarchique existe entre l'auteur et la victime, ni que l'auteur ou la victime soient des salariés de droit privé, pouvant indifféremment être des fonctionnaires. De même, le terme ‘'autrui'' s'applique à une victime singulière ou plurielle, seules comptant l'appartenance à un cadre de travail et l'articulation de faits précis et perpétrés visant cette collectivité » (arrêt p.128). *

58 59

Déposé pour le syndicat [1] et autres.

M. le professeur Adam considère en ce sens que le harcèlement moral managérial, et a fortiori systémique, n'est pas un « harcèlement de solidarité [car] seuls ceux qui le subissent peuvent en saisir les tribunaux » (ibid.)

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Une comparaison peut être faite avec le harcèlement sexuel (art. L.1153-1,1° du code du travail🏛🏛) qui peut consister « En un harcèlement environnemental ou d'ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables » en constituant notamment « une forme de communication

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Cette approche consiste à se fonder sur la nature de l'infraction de harcèlement moral que le texte érige en infraction obstacle en ce qu'elle n'impose pas le constat d'une dégradation effective des conditions de travail chez les salariés, puisqu'il suffit que les agissements aient pour « objet » une telle dégradation. Il s'en déduit que l'identification précise des salariés n'est pas nécessaire dans le cadre du procès strictement pénal. Il suffit qu'il existe des victimes dans l'infraction de harcèlement moral, peu important qu'elles soient nommément désignées dès lors qu'elles sont identifiables, notamment à travers leur appartenance à la collectivité des salariés visés par la politique harcelante. En revanche, la dénomination de la victime devient nécessaire au titre de la réparation du dommage causé par l'infraction. Dans ce second cas, la victime qui s'est constituée partie civile aux fins d'indemnisation est une victime de l'infraction61. * Autrement dit, sur le terrain pénal, la victime du harcèlement moral au travail découlant d'une politique d'entreprise doit être identifiable (comme appartenant à un service déterminé, le cas échéant). En revanche, seule une victime identifiée pourra se constituer partie civile dès lors que, conformément à l'article 2 du code de procédure pénale🏛, l'action civile en réparation du dommage causé par une infraction appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. Dans ce second cas, il est nécessaire d'identifier précisément la victime de l'infraction dont le préjudice allégué doit être en lien direct avec l'infraction. Les victimes seraient donc avant tout dans l'infraction dès lors que les agissement caractérisent un harcèlement moral institutionnel (cf. supra) et deviendraient ensuite de l'infraction par leur constitution de partie civile. * Ce raisonnement résulte logiquement du fait que l'interaction directe entre l'auteur des agissements harcelants et la victime n'est pas la seule susceptible de tomber sous le coup de l'incrimination du harcèlement moral institutionnel. L'emploi par l'article 222-33-2 du code pénal du terme «autrui» peut en effet être entendu comme visant non seulement un salarié considéré individuellement, qu'une collectivité de salariés identifiables en ce que chacun appartient au groupe ou service violente» (CA Orléans, 7 févr. 2017, n° 15/02566⚖️ ; M. Dreano, « Le harcèlement sexuel d'ambiance », Cah. Soc. Avril 2017, n° 295, p. 179). 61 Cette distinction est d'ailleurs adoptée par M. le professeur Adam pour qui «si, sur le terrain civil, ne peuvent agir et demander réparation que les victimes nommément identifiées des agissements coupables, il n'en va pas de même sur le terrain de l'incrimination pénale où semblable identification apparaît effectivement superfétatoire » (P. Adam, « Sur le délit de harcèlement moral institutionnel» ; Semaine Sociale Lamy, 17 février 2020).

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soumis aux agissements résultant d'une politique d'entreprise et ayant eu pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail.

IV - 2 Sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel au regard des faits de harcèlement moral et la recevabilité des constitutions de partie civile Sur le deuxième moyen proposé pour M. [FS], le troisième moyen, pris en sa troisième branche, proposé par Mme [CL]-[VE] (additionnel) et le troisième moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [YM]. * Le deuxième moyen proposé pour M. [FS], pris de la violation de l'article 388 du code de procédure pénale🏛, reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les exceptions d'irrecevabilité des constitutions de partie civile des personnes physiques et morales mentionnées dans le tableau figurant pages 288 à 341 de l'arrêt attaqué alors que saisie in rem par l'ordonnance de renvoi, la cour d'appel ne pouvait statuer que sur les faits relevés par l'ordonnance, sans pouvoir déclarer recevables les constitutions de parties civiles non visées dans l'ordonnance de renvoi, sans qu'importe la mention « harcelé notamment …» Il s'évince de la jurisprudence développée dans le rapport que le principe de la saisine in rem, qui interdit aux juges de se saisir de faits qui ne sont pas visés dans l'ordonnance de renvoi, n'interdit pas, en revanche, sous la réserve que les faits reprochés soient les mêmes, à une personne qui n'a pas été mentionnée en qualité de victime par l'ordonnance de renvoi de se constituer partie civile devant la juridiction de jugement, dès lors qu'elle a été personnellement victime de l'infraction, la liste des victimes mentionnées dans l'acte de prévention n'étant pas limitative. Le grief n'apparaît donc pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale. Le troisième moyen pris en sa troisième branche proposé par Mme [CL]-[VE], pris de la violation des articles préliminaire, 388 et 512 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, reproche à l'arrêt attaqué d'avoir excédé les limites de sa saisine en déclarant la prévenue coupable de complicité de harcèlement moral commis à l'égard de tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchée ou pratiquée la déstabilisation des salariés, aux motifs que « la qualification de renvoi devant le tribunal a conservé la formulation "harcelé notamment…" », de sorte que « les prévenus mis en examen n'ont pas été renvoyés uniquement pour la liste [des 39

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personnes visées à la prévention]» (arrêt, p. 167,§ 6), quand Mme [CL] [VE] n'a été mise en examen puis renvoyée devant la juridiction de jugement pour complicité de harcèlement moral qu'en ce que ce harcèlement aurait été commis à l'encontre de trente-neuf personnes visées à la prévention ; Le troisième moyen, pris en sa première branche, proposé pour Mme [YM] et pris de la violation des articles préliminaire, 388 et 512 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, reproche à l'arrêt attaqué d'avoir excédé les limites de la saisine en déclarant la prévenue coupable de complicité de harcèlement moral commis à l'égard de tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchée ou pratiquée la déstabilisation des salariés, aux motifs que « la qualification de renvoi devant le tribunal a conservé la formulation " harcelé notamment…", de sorte que « les prévenus mis en examen n'ont pas été renvoyés uniquement pour la liste [des 39 personnes visées à la prévention] » (arrêt, p. 167,§ 6), lorsqu'aux termes de sa mise en examen, il lui était uniquement reproché d'avoir « facilité la préparation ou la consommation des délits de harcèlement moral reprochés à la société et trois de ses dirigeants au préjudice de chacun des salariés visés dans leur mise en examen » (Crim., 5 juin 2018, n°17-87.524), ce dont il résulte que la prévenue n'avait pas été renvoyée devant le tribunal pour d'autres faits de harcèlement que ceux commis à l'égard des trente-neuf personnes visés dans sa mise en examen. * Ainsi que le développe la rapport, la cour d'appel n'avait pas à se prononcer sur ce point puisque les deux prévenues étaient poursuivies du chef de complicité du délit de harcèlement moral. En l'occurrence, les juges n'avaient qu'à caractériser les éléments matériels d'aide et assistance apportées aux auteurs de l'infraction ainsi que l'élément intentionnel, ce qu'ils ont fait. Le grief qui apparaît inopérant n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

IV - 3 Sur la déclaration de culpabilité du chef de harcèlement moral ou de complicité de ce délit et la contradiction de motifs s'agissant de certains plaignants en particulier Sur le troisième moyen pris en ses deuxième et troisième branches proposé pour M. [XG] et le sixième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE]. *

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Le troisième moyen pris en ses deuxième et troisième branches proposé par M. [XG] : En sa deuxième branche, prise de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale🏛, il reproche à l'arrêt attaqué de s'être contredit en renvoyant M. [XG] des fins de la poursuite du chef de harcèlement à l'égard de Mmes [FU] [A], [RO] [KK], [TL] [FZ] et [TW] [EK], au motif que ces salariées et fonctionnaires, présentes dans l'entreprise sur la période de prévention, n'avait pas été victimes d'agissements répétés ayant pour objet la dégradation de leurs conditions de travail, tout en retenant, au contraire, pour déclarer le même prévenu coupable de harcèlement moral institutionnel, qu'il avait commis des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de « tous les agents de [8] » (arrêt, p. 136, § 1er, alinéa 6 ; p. 167, § 3, pénultième alinéa) ; En sa troisième branche, prise de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale, il reproche à l'arrêt attaqué d'avoir entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif en confirmant, sur l'action publique, la déclaration de culpabilité prononcée par les premiers juges du chef de harcèlement moral commis à l'encontre de M. [S], tout en retenant, pour infirmer le jugement sur intérêts civils et débouter cette partie civile de ses demandes, que « le début des faits allégués remonte à 2011, soit postérieurement à la période de prévention retenue par le tribunal correctionnel et la cour […], sans que le lien paraisse suffisant avec les plans NExT et ACT » (arrêt, p. 227, § 1er, alinéa 2), ce dont il résultait pourtant que M. [XG] devait être renvoyé des fins de la poursuite. Le sixième moyen proposé par Mme [CL]-[VE]: En sa première branche, prise de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale, il reproche à l'arrêt attaqué de s'être contredit en déclarant, pour retenir la complicité Mme [CL]-[VE] du chef de harcèlement moral institutionnel, qu'elle avait commis des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de « tous les agents de [8] » (arrêt, p.136, § 1er, alinéa 6; p.167, § 3, pénultième alinéa) en la renvoyant des fins de la poursuite à l'égard de Mmes [FU] [A], [RO] [KK], [TL] [FZ] et [TW] [EK], alors que ces salariées et fonctionnaires étaient présentes dans l'entreprise sur la période de prévention ; En sa seconde branche, prise de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale, il reproche à l'arrêt attaqué d'être entaché de contradiction entre les motifs et le dispositif en confirmant, sur l'action publique, la déclaration de culpabilité prononcée par les premiers juges du chef de harcèlement moral commis à l'encontre de M. [S], tout en retenant, pour infirmer le jugement sur intérêts civils et débouter cette partie civile de ses demandes, que « le début des faits allégués remonte à 2011, soit postérieurement à la période de prévention retenue par le tribunal correctionnel et la cour [... ], sans que le lien paraisse suffisant avec les plans NExT et ACT » (arrêt, p.227, § 1er,3).

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* La deuxième branche du troisième moyen proposé pour M. [XG] et la première branche du sixième moyen proposé pour Mme [CL]-[VE] invoquent une contradiction de motifs en ce que la cour d'appel a retenu, d'une part, pour renvoyer M. [XG] et Mme [CL]-[VE] des fins de la poursuite des chefs de harcèlement et complicité de harcèlement à l'égard de Mmes [FU] [A], [RO] [KK], [TL] [FZ] et [TW] [EK], que ces salariées et fonctionnaires, présentes dans l'entreprise sur la période de prévention, n'avaient pas été victimes d'agissements répétés ayant pour objet la dégradation de leurs conditions de travail, d'autre part, pour déclarer les prévenus coupables de harcèlement moral institutionnel, qu'ils avaient commis des agissements ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de « tous les agents de [8] » (arrêt, p. 136, § 1er, alinéa 6 ; p.167, § 3, pénultième alinéa). * Ainsi que le souligne M. le conseiller rapporteur, pour retenir M. [XG] dans les liens de la prévention, les juges ont relevé que la politique d'entreprise menée a eu pour «objet non initial mais assumé en cours d'exécution du plan NExT et du programme ACT » la « dégradation des conditions de travail de tous les agents de [8]» (arrêt, p.136). Ils ont relevé aussi que « les dégradations ont concerné tous les salariés de tous les établissements du groupe dans lesquels étaient recherchés ou pratiqués la déstabilisation des salariés et le climat professionnel anxiogène propice à accélérer la déflation d'effectifs et les mobilités » (arrêt p.167). Aussi, la culpabilité par aide et assistance a été retenue à l'encontre de Mme [CL][VE]. * Pour certains salariés, les juges ont retenu que les agissements répétés ont été réalisés postérieurement à la période de prévention, ne serait-ce que parce que la politique impulsée par M. [XG] et M. [FS] s'est diffusée au sein du groupe en plusieurs temps, par « ruissellement » (arrêt p.129 et 143 notamment). Pour Mme [TW] [EK], ils retiennent que « ce n'est qu'en 2009, soit postérieurement à la période de prévention, qu'elle a subi une mutation forcée» pour conclure qu' « aucune infraction ne peut donc être reprochée aux prévenus pendant la période de prévention et, infirmant le jugement, une relaxe partielle sera prononcée.» (arrêt, p. 187). Pour Mme [FU] [A], si elle « a dû changer de poste sans bénéficier d'une formation suffisante et avec une pression importante sur les résultats, les faits dont elle se plaint ont été commis à partir de février 2009, donc postérieurement à la période de prévention, sans que des actes préparatoires antérieurs ne soient établis, et les prévenus ne peuvent être condamnés la concernant» (arrêt, p. 188, in limine).

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Concernant Mme [RO] [KK],« il apparaît qu'aucun acte susceptible de constituer des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral n'a été commis pendant la période de prévention » (arrêt, p.189). S'agissant enfin de Mme [TL] [FZ], ils constatent que « les événements qui se sont produits avant son suicide, ont eu lieu postérieurement à la période de prévention» (arrêt, p.192). * Force est de constater, ainsi que le relève M. le conseiller rapporteur, que les juges ne pouvaient, sans se contredire, caractériser à l'égard de M. [XG] l'infraction de harcèlement moral institutionnel en retenant que la politique d'entreprise impulsée par le prévenu avait pour objet final la dégradation des conditions de travail de tous les salariés afin de « mettre en mouvement » (arrêt p.83) les agents du groupe, « briser toutes les structures » ( arrêt p.83) pour favoriser la politique de déflation des effectifs, tout en relaxant M. [XG] des faits de harcèlement moral à l'égard des personnes susmentionnées, en considérant que les agissements reprochés sont postérieurs à la période de prévention. Il en va de même concernant Mme [CL]-[VE], prévenue au titre de la complicité. * Cependant, bien que l'arrêt n'ait en l'occurrence pas tiré les conséquences de ses constatations, il n'est pour autant pas justifié d'un intérêt à agir puisque cette contradiction n'affecte pas les demandeurs (J. et L. Boré, «La technique de cassation en matière pénale», Dalloz Action 2018-2019, n°33.31 et 33.32). Le grief a donc vocation à être écarté comme étant irrecevable. * Le troisième moyen pris en sa troisième branche proposé pour M. [XG] et le sixième moyen pris en sa seconde branche proposé pour Mme [CL]-[VE] invoquent également une contradiction de motifs de l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables, l'un de harcèlement moral, la seconde de complicité de ce délit, à l'encontre de M. [S], tout en retenant, pour infirmer le jugement sur intérêts civils et débouter cette partie civile de ses demandes, que « le début des faits allégués remonte à 2011, soit postérieurement à la période de prévention retenue par le tribunal correctionnel et la cour […], sans que le lien paraisse suffisant avec les plans NExT et ACT » (arrêt, p.227). Sur l'action publique, la cour d'appel a confirmé le jugement reconnaissant que M. [S] avait été victime, comme tous les autres salariés, de la politique d'entreprise ayant eu pour «objet» la dégradation de ses conditions de travail.

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Les premiers juges avaient relevé notamment qu'il « faisait partie des effectifs de la société pendant les années retenues » et que « si les faits dont il se plaint prennent corps à partir de 2011, il n'en demeure pas moins qu'il a été exposé comme les autres personnels en situation de travail dans l'entreprise, à la politique institutionnelle harcelante » (jugement, p. 321). * Statuant sur l'action civile, la cour d'appel a en revanche retenu, s'agissant des dommages subis M. [S], que le «lien» ne paraissait pas « suffisant avec les plans NExT et ACT» (arrêt, p. 226 et 227). *On rappellera que les articles 2 et 3 du code de procédure pénale🏛 ouvrent le droit à réparation à tous ceux que qui ont personnellement souffert du dommage, matériel ou moral découlant des faits objet de la poursuite (Crim., 7 avril 1999, n°98-80.067⚖️ ; Crim., 14 décembre 2010, n°1080.909). En infirmant le jugement sur les intérêts civils, sans plus s'expliquer au regard de la reconnaissance de culpabilité sur la période de prévention, la cour n'a pas justifié sa décision. L'arrêt encourt sur ce point la censure.

IV - 4 - Sur la constitution de partie civile de Mme [HM] [GI] Il y a lieu de rappeler que Mme [GI] a débuté son activité professionnelle au sein de [8] en 2000, à [Localité 2]. A partir de 2005, elle a formulé des demandes de mobilité qui n'ont pas été approuvées par sa hiérarchie. En 2006 et 2007, elle a été mise dans un bureau seule sans aucune tâche. Fin 2007, son service a dû déménager à [Localité 1]. Elle s'est de nouveau trouvée isolée dans un bureau en 2008. En 2009, son badge d'accès a été désactivé. En 2010, Mme [GI] a été placée en arrêt de travail pour « récidive, état dépressif, insomnie et souffrance morale (suite conflit sur les lieux de travail).» En 2011, son médecin traitant a établi un certificat médical de maladie professionnelle qui a été reconnue puis prise en charge par la Caisse primaire d'assurance maladie. Son état de santé s'est consolidé en 2013 avec un taux d'IPP de 35% pour « séquelles indemnisables et [d']un conflit au travail consistant en un état de stress post traumatique chronique, envahissant et handicapant avec épisode dépressif majeur ».

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Le taux précité a été porté à 40% par le tribunal du contentieux de l'incapacité, le 20 décembre 2013. Le 23 mai 2014, Mme [GI] a fait une tentative de suicide. Elle a été consolidée le 2 septembre 2015, son taux d'incapacité étant fixé à 68%. * Le tribunal a déclaré Mme [GI] recevable en sa constitution de partie civile et a condamné solidairement l'ensemble des prévenus à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts (outre 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale🏛), tout en ordonnant l'exécution provisoire des dispositions civiles du jugement. En appel, la cour a notamment confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [GI] mais l'a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts et de frais irrépétibles, de même que celle au titre des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale. Elle a en effet considéré que : « les faits qu'elle dénonce, s'ils revêtent le cas échéant la qualification pénale de harcèlement moral, auraient été commis à la suite notamment de demandes de mobilité. Ils sont sans lien avec la politique de déstabilisation mise en œuvre dans le cadre des plans Next et Act dont la cour est saisie par ordonnance de renvoi (...)» (arrêt p.228). * Le premier moyen de cassation présenté par Mme [GI], pris de la violation de l'article 509 du code de procédure pénale🏛, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris, notamment en ce qu'il avait condamné solidairement M. [C] et la société [8] devenue [12] SA à payer à Mme [GI] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et in solidum les mêmes prévenus à payer à Madame [GI] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors que monsieur [C] s'étant désisté de son appel et la société [8] devenue [12] SA n'ayant pas interjeté appel, les dispositions civiles du jugement concernant ces prévenus étaient devenues définitives. Aux termes de l'article 509 alinéa 1 du code de procédure pénale : « L'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel conformément au deuxième alinéa de l'article 502 et par la qualité de l'appelant ainsi qu'il est dit à l'article 515.» En application de ces dispositions, une partie civile ne peut être déboutée en appel de ses demandes à l'égard d'un prévenu qui n'a pas interjeté appel, les dispositions civiles du jugement l'ayant condamné à payer des dommages et intérêts étant devenues définitives (Crim.,15 octobre 2002, n°02-81.355⚖️).

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* En l'espèce, les premiers juges avaient déclaré Mme [GI] recevable en sa constitution de partie civile et avaient condamné solidairement l'ensemble des prévenus à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et in solidum l'ensemble des prévenus à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale. L'ensemble des prévenus ont interjeté appel de cette décision, à l'exception de la société [8] devenue [12] SA. M. [C] s'est par la suite désisté de son appel, le 24 septembre 2021. En déboutant l'intimée de ses demandes de dommages et intérêts et de frais irrépétibles - infirmation concernant toutes les personnes y compris monsieur [C] et la société [8] devenue [12] SA - la cour a méconnu les dispositions de l'article 509 du code de procédure pénale. L'arrêt encourt sur ce point la censure62. * Sur les deuxième et troisième moyens présentés par Mme [GI] Le deuxième moyen, pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale, reproche à l'arrêt attaqué une contradiction de motifs en l'ayant déboutée de ses demandes de dommages et intérêts, de frais irrépétibles et au titre des dispositions de l'article 475-1 dudit code, en retenant que le préjudice allégué par Mme [GI] serait sans lien avec l'infraction poursuivie tout en déclarant, dans son dispositif, recevable la constitution de partie civile de cette dernière. Le troisième moyen, porté par deux branches et pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale, reproche à l'arrêt attaqué : En sa première branche, d'avoir énoncé « que la seule présence [des salariés] dans l'entreprise durant la période de prévention, bulletins de salaires à l'appui, est suffisante à prouver la réalité de principe du préjudice » tout en retenant que les faits dénoncés par Mme [GI], dont il est relevé la présence dans l'entreprise durant la période de prévention, seraient sans lien avec la politique de déstabilisation mise en œuvre dans le cadre des plans Next/Act ; En sa seconde branche, d'avoir retenu que les faits dénoncés de harcèlement moral auraient été commis à la suite notamment de demandes de mobilités, sans lien avec la politique de déstabilisation mise en œuvre dans le cadre des plans Next/Act dont la cour était saisie par l'ordonnance de renvoi, sans tenir compte, 62

Cassation par voie de retranchement.

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comme l'y invitaient les conclusions d'appel de la partie civile, que le harcèlement moral dont elle avait fait l'objet s'était intensifié à compter de juillet 2008 et correspondait alors précisément aux conséquences du plan Next/Act. * Il y a lieu de rappeler que les juges du fond sont souverains pour constater l'existence du préjudice dont la réparation est sollicitée (Crim., 14 juin 1990, n° 8985.246), et que selon un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, « les juges justifient l'existence du préjudice par l'évaluation qu'ils en font, sans être tenus d'en préciser les divers éléments » (Ass. plén., 26 mars 1999, n°95-20.640⚖️). Ils apprécient donc souverainement les éléments de preuve qui leur sont soumis s'agissant de la causalité, le contrôle de la Cour de cassation portant sur la présence de la constatation du rapport de causalité et sur l'existence du lien de causalité relevé par les juges du fond ou rejeté par eux. En l'espèce, l'arrêt attaqué énonce (arrêt p.108) : « Ainsi que les premiers juges l'ont énoncé à bon droit, même dans le cas d'une dégradation potentielle - différente du préjudice éventuel - doivent être réparés les dommages découlant des faits dont le tribunal est saisi, si les dommages invoqués sont directs, certains et personnels. Néanmoins, toutes les victimes constituées parties civiles doivent prouver par des documents étayés la réalité de leur préjudice qu'elles allèguent. A cet égard, la cour considère que leur seule présence dans l'entreprise durant la période de prévention, bulletin de salaire à l'appui, est suffisante à prouver la réalité de principe du préjudice. ( … ) Ces éléments de droit étant rappelés, il convient d'étudier les demandes formulées par les parties civiles au cas par cas.» Puis, pour rejeter les prétentions de Mme [GI] et infirmer sur ce point le jugement, la cour d'appel relève qu'en l'occurrence, après examen de sa situation personnelle, Mme [GI] n'est pas fondée dans ses demandes, faute d'un lien direct entre son préjudice et les faits objets de la poursuite. La cour d'appel n'a pas estimé que toute partie civile constituée, ayant justifié de sa présence dans l'entreprise pendant la période de prévention, avait droit à une réparation effective. Les juges ont retenu que pouvaient faire l'objet d'une indemnisation les dommages découlant d'un harcèlement moral institutionnel dont ont été déclarés coupables les prévenus, dès lors que de tels dommages sont personnels, directs et certains, les parties civiles devant au préalable en établir la réalité.

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Ainsi, la présence des parties civiles en qualité d'employés au sein du groupe pendant la période de prévention rend vraisemblable le principe d'un préjudice susceptible d'avoir été causé par la politique d'entreprise résultant de la mise en oeuvre des plans NExT et ACT, mais exige que la partie civile soit en mesure de prouver un préjudice en lien direct avec l'infraction reprochée. Les juges ont considéré que Mme [GI] a été en mesure d'établir la possibilité d'un préjudice en lien avec sa présence au sein du groupe [8] pendant la période de prévention. Pour autant, la cour a considéré, dans l'exercice de son appréciation souveraine, que les préjudices allégués n'étaient pas en lien direct avec l'infraction, dès lors que les faits allégués par la plaignante ne résultaient pas de la mise en oeuvre des plans NExT et ACT mais apparaissaient comme étant la conséquence de ses propres demandes de mobilités formulées à partir de 2005 et non approuvées par sa hiérarchie. Le moyen n'apparaît ainsi pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

PROPOSITION Avis de cassation partielle, de rejet et de non-admission.

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