Jurisprudence : CAA Toulouse, 2e, 14-03-2023, n° 21TL00567


Références

Cour administrative d'appel de Toulouse

N° 21TL00567

2ème chambre
lecture du 14 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 20 juin 2019 prononçant sa révocation à titre de sanction disciplinaire, d'annuler l'avis du conseil de discipline de recours notifié le 23 décembre 2019, d'enjoindre à ce qu'il soit rétabli dans ses droits et fonctions à compter du 16 août 2018 concernant les primes, indemnités et droits afférents et de mettre à la charge de la commune de Montredon-des-Corbières une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Par un jugement n° 2000908 du 10 décembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 février 2021 sous le n°21MA00567 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, puis le 11 avril 2022 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse sous le n°21TL00567, M. B A, représenté par la SELARL Olivier Trilles Victor Font, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 décembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 juin 2019 du maire de Montredon-des-Corbières prononçant sa révocation à titre de sanction disciplinaire ;

3°) d'annuler l'avis du 16 décembre 2019 du conseil de discipline de recours ;

4°) d'enjoindre à ce qu'il soit rétabli dans ses droits et fonctions à compter du 16 août 2018 concernant les primes, indemnités et droits afférents ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Montredon-des-Corbières une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête d'appel déposée le 10 février 2021 est recevable ;

- les faits de harcèlement moral qui lui sont reprochés à l'encontre de ses deux collègues ne sont pas établis ;

- il n'a eu aucun geste ou propos déplacés lors de son altercation avec l'adjoint au maire ;

- il n'a pas créé de faux documents ;

- il n'y a aucune disparité injustifiée, ni de méthode de calcul différente en fonction des agents en ce qui concerne les factures d'eau qu'il a établies ; par ailleurs, aucune condition de résidence sur le territoire de la commune n'était requise pour que les agents employés par la commune bénéficient de la gratuité de l'eau ;

- certains des faits qui lui sont reprochés sont prescrits ;

- il n'a pas commis de négligences pour absence de transmission des dossiers d'urbanisme au service de l'Etat et n'a pas entravé le bon traitement des dossiers d'urbanisme ;

- il n'a pas généré l'introduction d'un virus ou d'un bug informatique par la consultation de sites internet ; aucun lien n'est établi entre ses consultations et le courriel d'hameçonnage du 16 juillet 2018 ; la procédure menée pour établir ces faits est déloyale ; son poste informatique n'est pas nominatif et aucun règlement intérieur ou charte informatique ne réglemente l'utilisation des postes informatiques et l'utilisation d'internet ; il n'existe pas de preuve qu'il ait consulté des sites pendant ses heures de travail, certains de ses collègues, dont l'un d'entre eux avec certitude, disposant de ses codes d'accès et étant susceptibles d'être les auteurs des consultations litigieuses ; en tout état de cause, ces rares consultations n'ont pas entravé ou vérolé le fonctionnement du système informatique ;

- à titre subsidiaire, la consultation de sites personnels pendant son temps de travail ne peut faire l'objet d'une sanction supérieure à celle du premier groupe au regard de son ancienneté, de son dossier professionnel et du faible nombre de consultations réalisées ;

- il n'a fait l'objet d'aucune remarque tout au long de sa carrière, ni au cours des sept années où il aurait harcelé sa collègue, ou entre le 16 avril 2018 date à laquelle il a bénéficié d'une promotion et le 16 août 2018 date à laquelle il a été mis à pied ;

- à supposer que certaines fautes qui lui sont reprochées soient établies, alors que sept fautes lui ont été reprochées par la commune, la sanction proposée est disproportionnée et devra être ramenée à de plus justes proportions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2021, la commune de Montredon-des-Corbières, représentée par la SELARL Lysis Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 janvier 2022 à 12h.

Par une ordonnance en date du 11 avril 2022, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Toulouse le jugement de la requête de M. A.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984🏛 ;

- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989🏛 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Girard pour la commune de Montredon-des-Corbières.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, adjoint administratif de 1ère classe affecté au service de la commune de , relève appel du jugement du 10 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande sollicitant l'annulation de l'arrêté du 20 juin 2019 prononçant sa révocation à titre de sanction disciplinaire et l'annulation de l'avis du 16 décembre 2019 du conseil de discipline de recours.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983🏛 applicable à l'espèce : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire () ". Aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984🏛 applicable à l'espèce : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : () Quatrième groupe : () la révocation () ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des déclarations de Mme (C), des attestations concordantes de trois de ses collègues et des captures d'écran de leurs téléphones portables, que M. A a fait preuve d'un comportement irrespectueux et déplacé envers deux de ses collègues féminines, en envoyant sur leur téléphone portable et de manière répétée des messages notamment à connotation sexuelle, et créant à l'encontre de l'une d'elle, qui a d'ailleurs sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, une situation offensante ayant dégradé ses conditions de travail. La circonstance que la plainte de cette collègue ait été classée sans suite aux motifs que les faits n'ont pu être clairement établis par l'enquête est à cet égard sans incidence dès lors que l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique et non aux décisions de classement sans suite prises par le ministère public, quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées. Ces faits, qui sont établis, sont fautifs, peu important qu'il n'y ait pas de lien hiérarchique entre M. A et sa collègue, que la commune n'ait pas tenté de mesure de médiation, ni d'aménagements des emplois du temps pour résorber les difficultés ou encore que la deuxième collègue de M. A n'ait jamais entendu dénoncer un harcèlement ou être citée dans son dossier disciplinaire, et sont de nature à justifier une sanction disciplinaire.

4. En deuxième lieu, il ressort également des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de constat d'huissier dressé le 17 août 2018, des différentes captures d'écran et de l'attestation du 20 août 2018 du gérant de l'entreprise intervenue pour faire face aux difficultés informatiques rencontrées par la commune, que les deux sites les plus consultés sur le poste informatique utilisé par M. A sont à caractère pornographique, viennent ensuite des sites marchands et que très peu de sites consultés sur ce poste de travail sont susceptibles d'avoir un caractère professionnel. La seule circonstance qu'un collègue de M. A ait eu connaissance des codes permettant de déverrouiller l'accès à son ordinateur, n'est pas par elle-même de nature à établir que l'usage de ce poste de travail ne serait pas du seul fait de M. A qui n'apporte aucun élément circonstancié de nature à justifier qu'aux dates et heures de consultation relevées, il n'était pas à son poste de travail. La circonstance que l'opération de vérification des postes de travail intervenue en raison des problèmes informatiques de la commune ait été menée par une autre société que le prestataire habituel de la collectivité ou qu'elle ait été réalisée en l'absence de M. A, ne saurait, eu égard aux circonstances dans lesquelles elle a été diligentée, être regardée comme ayant été obtenue en recourant à des procédés déloyaux. Cette utilisation fréquente et récurrente à des fins personnelles et sur son temps de travail d'un moyen informatique mis à sa disposition par son employeur est établie. Elle de nature à justifier une sanction disciplinaire, alors même que la commune n'était pas dotée d'un règlement intérieur régissant l'usage des outils informatiques.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A, chargé de la mise en œuvre des critères de calcul fixés par la délibération du 20 janvier 2010 pour la prise en charge partielle de la consommation d'eau des agents communaux par la commune, en a fait une application fréquemment erronée, notamment en faisant prendre en charge la contribution à la collecte et au traitement des eaux usées ainsi que les financements des organismes publics alors que la participation de la commune ne portait que sur une partie plafonnée de la consommation d'eau et sur l'abonnement annuel du compteur d'eau, mais aussi en faisant prendre en charge par la collectivité un volume de consommation d'eau plus important que celui prévu pour une partie des agents. Il n'est par ailleurs pas établi que ces distorsions seraient imputables à des instructions que l'intéressé aurait reçues de sa hiérarchie. Par ailleurs, M. A a bénéficié de cette prise en charge pour sa résidence située hors du territoire communal, alors que la commune fait valoir que l'intéressé était parfaitement informé que la prise en charge était réservée aux agents résidant sur le territoire communal. Si, ainsi qu'il le soutient, la délibération du 20 janvier 2010 n'exclut pas formellement la prise en charge partielle de la consommation d'eau des agents communaux dont la résidence principale est située hors du territoire de la commune, M. A ne donne toutefois aucune explication des raisons pour lesquelles il est l'unique agent résidant hors du territoire communal à en avoir bénéficié alors que d'autres agents résidant dans les communes des alentours n'en ont pas été bénéficiaires. Par ailleurs, s'il n'est pas établi que M A ait effectivement bénéficié durant 3 ans de la prise en charge de ses factures d'eau à la fois pour sa résidence principale et sa résidence secondaire, il ne pouvait ignorer les différences de traitement auxquelles il procédait entre les différents agents, ni ne donne aucune indication de nature à expliquer leurs origines. Ces faits ont créé un préjudice financier pour la commune et sont de nature à altérer la confiance de celle-ci en son agent. Ils sont fautifs et de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.

6. Aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983🏛, dans sa rédaction issue de la loi du 20 avril 2016🏛 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. En cas de poursuites pénales exercées à l'encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu'à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d'acquittement, de relaxe ou de condamnation. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire ". Lorsqu'une loi nouvelle institue ainsi, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d'une action disciplinaire dont l'exercice n'était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est applicable aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu'à compter de cette date. Il suit de là que le délai institué par les dispositions précitées a couru, en ce qui concerne les faits antérieurs au 22 avril 2016, date d'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016, à compter de cette date.

7. Si les premiers manquements retenus à l'encontre de M. A ont été commis au cours de l'année 2010, il ressort des pièces du dossier que la commune en a eu une connaissance effective au cours de l'année 2018 et a engagé une procédure disciplinaire le 5 décembre 2018, soit moins de trois ans après la date d'entrée en vigueur, le 22 avril 2016, de la règle de prescription introduite par les dispositions citées au point 6. Par suite, le moyen tiré de ce que les faits commis ne peuvent plus être invoqués dans le cadre de la procédure disciplinaire doit être écarté.

8. Eu égard à la nature de ces faits et de leurs incidences sur le fonctionnement du service, nonobstant les appréciations élogieuses des supérieurs hiérarchiques sur la manière de servir de l'intéressé, ce dernier ayant d'ailleurs bénéficié d'une promotion interne au 1er janvier 2018 et l'absence d'antécédents disciplinaires, la commune de Monredon-des-Corbières n'a pas pris une sanction disproportionnée en prononçant la révocation de M A.

9. Il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Monredon-des-Corbières, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A la somme demandée par la commune au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Monredon-des-Corbières tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B A et à la commune de Montredon-des-Corbières.

Délibéré après l'audience du 21 février 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.

La rapporteure,

C. Arquié

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au préfet de l'Aude en ce qui le concerne ou à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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