Jurisprudence : CE 1/4 ch.-r., 28-04-2023, n° 469305



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 469305⚖️


Séance du 07 avril 2023

Lecture du 28 avril 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 1ère chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Ecologie pour Le Havre, Mme A C, M. E F, M. H G, M. D B et l'association Europe Ecologie - Les Verts Normandie demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-1275 du 29 septembre 2022 relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant dans la circonscription du grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (site du Havre).

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 34 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022🏛 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2022-843 DC du 12 août 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Thalia Breton, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que le décret du 29 septembre 2022🏛 relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant dans la circonscription du grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (site du Havre) a créé un régime contentieux spécifique applicable aux décisions relatives à l'installation, la mise en service et l'exploitation de ce projet. Son article 1er prévoit que le tribunal administratif saisi avant le 1er octobre 2022 des litiges mentionnés à l'article R. 811-1-2 du code de justice administrative🏛 statue en premier et dernier ressort. Son article 2 crée l'article R. 811-1-2 du code de justice administrative, aux termes duquel : " A compter du

1er octobre 2022, le tribunal administratif de Rouen statue en premier et dernier ressort sur les litiges, y compris pécuniaires, relatifs à l'ensemble des décisions, y compris de refus, autres que celles prévues à l'article R. 311-1, nécessaires, même pour partie, à l'installation, la mise en service et l'exploitation du terminal méthanier flottant [sur le site portuaire du Havre] mentionné à l'article 30 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022🏛 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, y compris les décisions portant sur les travaux portuaires associés et sur la construction et l'exploitation de la canalisation de transport et de raccordement au réseau de gaz naturel et ses installations annexes. / Le délai de recours contentieux contre les décisions mentionnées à l'alinéa précédent est d'un mois, courant à compter du jour où la décision leur a été notifiée pour les pétitionnaires et à compter de la publication de la décision pour les tiers intéressés. Ce délai n'est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif. / Le tribunal administratif de Rouen statue dans un délai de dix mois à compter de l'enregistrement de la requête ". L'association Ecologie pour Le Havre, Mme A C, M. E F, M. H G, M. D B et l'association Europe Ecologie - Les Verts Normandie demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

2. En premier lieu, d'une part, le principe du double degré de juridiction et la fixation des règles régissant les délais de recours devant les juridictions administratives, qui ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, relèvent de la compétence réglementaire. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué est entaché d'incompétence pour avoir, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution, prévu que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant sur le site portuaire du Havre mentionnées à l'article R. 811-1-2 du code de justice administrative et que le délai de recours contre ces décisions est d'un mois.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 411-1 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Sous réserve de dispositions législatives et réglementaires spéciales ou contraires, les règles applicables aux recours administratifs sont fixées par les dispositions qui suivent ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code🏛 : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. / Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés ". Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il était loisible au pouvoir réglementaire de prévoir, par exception au principe énoncé à l'article L. 411-2 précité, selon lequel un recours gracieux ou hiérarchique interrompt le délai de recours contentieux, que le délai de recours contentieux contre les décisions mentionnées à l'article L. 811-1-2 du code de justice administrative afférentes au projet de terminal méthanier flottant sur le site portuaire du Havre n'est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif.

4. Enfin, si les dispositions attaquées ne précisent pas les conséquences de l'expiration du délai de jugement de dix mois qu'elles assignent au tribunal administratif de Rouen, il en résulte que ce délai n'est pas prescrit à peine d'irrégularité ou de dessaisissement de la juridiction de première instance. Le moyen tiré de ce qu'elles méconnaissent le principe de sécurité juridique ne peut ainsi et en tout état de cause qu'être écarté. De même, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions attaquées méconnaissent le principe d'égalité dès lors que les justiciables se trouvant dans une même situation bénéficient, pour une même catégorie de litiges, de la même procédure.

5. En deuxième lieu, si par sa décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022, le Conseil constitutionnel⚖️ a jugé que les dispositions contestées devant lui de l'article 29 n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, qui prévoit en son I que " S'il est nécessaire d'augmenter les capacités nationales de traitement de gaz naturel liquéfié afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement, le ministre chargé de l'énergie peut décider de soumettre un terminal méthanier flottant ou un projet d'installation d'un tel terminal, qu'il désigne par arrêté, au régime défini au présent article ", et de l'article 30 de cette même loi, qui prévoit des dérogations procédurales, notamment aux dispositions législatives du code de l'environnement, s'appliquant au projet d'installation d'un terminal méthanier flottant sur le site portuaire du Havre, dans l'objectif d'une mise en service rapide de ce terminal, et notamment, en son I, d'une part, que ces dérogations " sont strictement proportionnées aux besoins de ce projet " et " valables pour la réalisation du projet mentionné au premier alinéa du présent I, jusqu'au 1er janvier 2025, et pour la construction d'une canalisation de transport de gaz naturel d'une longueur de moins de cinq kilomètres ainsi que pour la construction des installations annexes qui lui sont associées " et, d'autre part, que la durée d'exploitation de ce projet " ne peut dépasser cinq ans ", ne sauraient s'appliquer que dans le cas d'une menace grave sur la sécurité d'approvisionnement en gaz de la France, le décret attaqué, qui relève de l'exercice par le Gouvernement de son pouvoir réglementaire autonome pour fixer la procédure applicable devant la juridiction administrative, n'a pas été pris en application de ces articles. Il s'ensuit que les requérants ne peuvent utilement soutenir que les dispositions attaquées méconnaissent l'article 30 de la loi du 16 août 2022🏛 au motif que la nécessité d'augmenter les capacités nationales de traitement de gaz naturel liquéfié et l'existence d'une menace grave sur la sécurité d'approvisionnement en gaz de la France ne seraient pas démontrées, ni qu'elles sont, faute de s'être prononcées sur ce point, entachées d'insuffisance de motivation. De même, le moyen tiré de ce que l'article 30 de la loi du 16 août 2022 aurait également été méconnu dès lors qu'il ne prévoit pas la possibilité pour le pouvoir réglementaire de déroger au régime contentieux de droit commun devant les juridictions administratives, qu'il précise que les dérogations procédurales prises pour son application doivent être strictement proportionnées au besoin du projet et que les dispositions attaquées ne mentionnent pas la durée maximale d'exploitation du terminal méthanier flottant de cinq ans prévue par cet article est inopérant et ne peut qu'être écarté.

6. Il résulte de tout ce qui précède que sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de leur requête, l'association Ecologie pour Le Havre et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association Ecologie pour le Havre et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Ecologie pour le Havre, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, à la Première ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de la transition énergétique et au ministre de la justice, Garde des Sceaux.

Copie en sera adressée au secrétaire général du Conseil d'Etat.

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