N° N 22-84.785 F-D
N° 01446
ODVS
25 OCTOBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
M. [V] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre correctionnelle, en date du 7 juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [V] [M], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du juge d'instruction en date du 20 mai 2020, M. [V] [M] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
3. Par jugement du 15 septembre 2021, le tribunal correctionnel a rejeté l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi soulevée par M. [M] tirée du non-respect du délai qui doit suivre les réquisitions du ministère public et de l'absence de prise en compte de ses observations, l'a condamné, notamment, à six ans d'emprisonnement et a décerné mandat d'arrêt. M. [M] a été interpellé et écroué le 23 septembre 2021.
4. Le prévenu a interjeté appel de cette décision.
5. Par arrêt du 23 mars 2022, la cour d'appel a constaté l'irrégularité de l'ordonnance de renvoi, annulé par conséquent le jugement et ordonné le renvoi de la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d'instruction aux fins de régularisation. La cour d'appel a également indiqué qu'elle restait saisie, a évoqué l'affaire, l'a renvoyée à l'audience du 2 juin 2022 et a ordonné le maintien en détention provisoire de M. [M].
6. M. [M] a formé un pourvoi contre cet arrêt (pourvoi n° 22-82.502). Le président de la chambre criminelle a, par ordonnance du 30 mai 2022, dit qu'il n'y avait pas lieu à examen immédiat de celui-ci.
7. Le 10 juin 2022, M. [M] a formé une demande de mise en liberté, faisant valoir, notamment, que sa détention reposait sur un mandat d'arrêt inexistant, car ayant été annulé en même temps que le jugement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Il fait grief à l'arrêt attaqué de rejeter le moyen soulevé et de rejeter la demande de mise en liberté formulée par M. [M], alors :
« 1°/ que d'une part que si une juridiction de jugement, appelée à statuer sur une demande de mise en liberté formée en application de l'
article 148-1, alinéa 2, du code de procédure pénale🏛, ne peut connaître de questions étrangères à la détention, unique objet de sa saisine, une telle restriction ne peut être opposée au prévenu qui conteste la régularité du titre en vertu duquel il est détenu ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que Monsieur [M] contestait, devant la Cour d'appel, la régularité de sa détention, celle-ci trouvant son fondement dans un mandat d'arrêt ayant été annulé ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de mise en liberté formulée par l'exposant, que « sous couvert de contester la régularité du maintien en détention, alors que le jugement a été annulé, la Cour est invitée à se prononcer sur la légalité de la détention, question excédant la compétence de la Cour saisie d'une demande de mise en liberté », quand la contestation de la régularité et de la légalité de la détention entrait dans l' « unique objet » du contentieux de la détention, la Cour d'appel a violé les articles 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 148-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que d'autre part qu'est irrégulière la détention provisoire reposant sur un mandat d'arrêt qui, ayant été décerné par un tribunal correctionnel irrégulièrement saisi, a été annulé par une cour d'appel ; qu'au cas d'espèce, au soutien de sa demande de remise en liberté, l'exposant faisait valoir qu'il était détenu en vertu d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris ayant « maintenu » sa détention résultant d'un mandat d'arrêt pourtant annulé par le même arrêt ; qu'en retenant, pour rejeter cette demande, que « la Cour n'a pas été dessaisie en faisant application des dispositions de l'
article 385, alinéa 2, du Code de procédure pénale🏛 » et qu' « il lui appartenait, ayant annulé le jugement, d'évoquer en application des dispositions de l'
article 520 du même code🏛, comme elle l'a fait, et de se prononcer sur le maintien en détention du prévenu », quand l'annulation du jugement prononcé par le tribunal correctionnel s'étendait nécessairement au mandat d'arrêt décerné dans ce jugement, de sorte qu'en aucune façon la Cour ne pouvait « maintenir » Monsieur [M] en détention dans son arrêt du 23 mars 2022, la Cour d'appel a violé les
articles 520, 591 et 593 du Code de procédure pénale🏛🏛🏛 ;
3°/ qu'enfin et en tout état de cause que la juridiction de jugement, appelée à statuer sur une demande de mise en liberté formée en application de l'
article 148-1, alinéa 2, du code de procédure pénale🏛, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales de la détention provisoire sont réunies, et notamment de l'existence de charges suffisantes rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés ; que dans l'exercice de ce contrôle, il lui incombe de rechercher par elle-même, à partir des pièces du dossier et des débats, l'existence de charges suffisantes contre l'intéressé, a fortiori lorsque ces charges sont contestées par le mémoire en défense ; qu'au cas d'espèce, l'exposant niait, dans son mémoire, toute participation aux faits pour lesquels il est mis en examen ; qu'en retenant toutefois, pour rejeter la demande de mise en liberté formulée par Monsieur [M], qu' « il ressort des pièces de la procédure des charges suffisantes contre le prévenu pouvant justifier son renvoi devant les juridictions », quand cette affirmation, qui n'est étayée par aucun élément de la procédure, ne saurait suffire à caractériser l'accomplissement par la Cour du contrôle auquel il lui incombait de procéder, la Cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision au regard des articles 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 80-1, 137, 143-1, 148-1, 184, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
9. C'est à tort que les juges ont indiqué que la régularité du titre de détention ne pouvait être examinée à l'occasion d'une demande de mise en liberté dès lors que la règle de l'unique objet ne peut être opposée au prévenu qui conteste la régularité du titre en vertu duquel il est détenu.
10. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure pour le motif qui suit.
11. La décision de la cour d'appel de renvoyer la procédure au ministère public, aux fins de régularisation, dans les cas prévus par l'
article 385, alinéa 2, du code de procédure pénale🏛, ne la dessaisissant pas, l'autorisait, après avoir annulé le jugement et évoqué, à statuer, par des motifs qui lui sont propres, sur la nécessité du maintien en détention, sans avoir à délivrer un nouveau titre de détention.
12. Ainsi, les griefs ne sont pas fondés.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Vu les articles 5, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 148-1, alinéa 2 et 593 du code de procédure pénale
13. Il se déduit des deux premiers de ces textes que la cour d'appel saisie d'une demande de mise en liberté, après avoir, par un précédent arrêt, annulé le jugement, évoqué et renvoyé au fond à une audience ultérieure, doit s'assurer, même d'office, que les conditions légales des mesures de sûreté sont réunies, et notamment qu'il existe des charges suffisantes rendant vraisemblable la participation de la personne mise en examen aux faits reprochés.
14. En application du second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
15. Pour rejeter la demande de mise en liberté, la cour d'appel énonce que, nonobstant le renvoi au ministère public aux fins de régularisation, il ressort de la procédure charges suffisantes contre le prévenu pouvant justifier son renvoi devant les juridictions.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher au regard des éléments précis et circonstanciés du dossier lesquels constituaient des charges suffisantes, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 7 juillet 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux.