Jurisprudence : TA Cergy-Pontoise, du 09-06-2023, n° 1904387


Références

Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise

N° 1904387

6ème Chambre
lecture du 09 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

I. Par une requête et cinq mémoires, enregistrés les 5 avril 2019, 29 juin, 12 septembre 2020, 12 octobre, 7 décembre 2021 et 5 avril 2023, sous le n° 1904387, l'association Hydrauxois, l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais, l'association Les amis des moulins du 61, l'association Valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie, l'association Défense et sauvegarde des moulins normands-picards et M. B A, représentés par Me Bernot, demandent au tribunal dans le dernier état de leurs écritures :

1°) à titre principal, d'annuler la délibération n° 18-35 du 9 octobre 2018 du conseil d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie, en tant qu'elle a approuvé les dispositions de la rubrique E.1 intitulée " Protéger et restaurer les milieux aquatiques ou humides et leurs milieux connectés " du 11ème programme pluriannuel d'intervention du bassin Seine-Normandie pour la période 2019-2024, ensemble la décision implicite rejetant leur recours gracieux ; à titre subsidiaire, d'abroger dans les mêmes conditions, cette délibération ;

2°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau Seine-Normandie la somme de 1 500 euros au bénéfice de chacun des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent que la délibération attaquée :

- est entachée d'un vice de procédure en l'absence d'avis conforme du comité de bassin, préalablement à la séance du conseil d'administration, sur la totalité du 11ème programme ;

- est entachée d'un vice de forme dès lors qu'elle ne comporte pas la mention du résultat du vote obtenu au terme de la séance du 9 octobre 2018, de sorte qu'il n'est pas possible de s'assurer que les dispositions de l'article R. 231-38 du code de l'environnement🏛 ont été respectées ;

- est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et porte atteinte au droit d'eau fondé en titre des propriétaires d'ouvrages hydrauliques en ce qu'elle prévoit d'accorder un taux d'aide plus élevé aux propriétaires qui détruisent leur ouvrage qu'à ceux qui l'aménagent ;

- est illégale dès lors qu'elle privilégie systématiquement la suppression des ouvrages existants au détriment de leur restauration ;

- méconnaît l'article L. 214-17 du code de l'environnement🏛 en incitant à la destruction des ouvrages hydrauliques ;

- est contraire à l'objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau et des milieux aquatiques de l'article L. 211-1 du code de l'environnement🏛, le principe de continuité écologique n'induisant pas la suppression des ouvrages hydrauliques ;

- est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les ouvrages hydrauliques participent à la continuité écologique ;

- méconnaît les dispositions de l'article L. 211-7 du code de l'environnement🏛 ;

- méconnaît l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans sa version telle que modifiée par la loi du 22 août 2021🏛 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ;

- méconnaît la jurisprudence du Conseil d'État du 31 mai 2021, SARL MDC Hydro, n°433043⚖️.

Par cinq mémoires en défense, enregistrés les 18 novembre 2019, 30 juillet 2020, 14 janvier, 15 novembre 2021 et 3 avril 2023, l'agence de l'eau Seine-Normandie, représentée par Me Paillat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que M. A ne justifie d'aucun intérêt pour agir ;

- la requête est irrecevable à défaut pour les associations requérantes de justifier de la qualité pour agir de leur représentant ;

- les conclusions nouvelles tendant à l'annulation totale de la délibération sont irrecevables car présentées tardivement ;

- aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par courriers des 28 et 30 mars 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative🏛, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'abrogation de la délibération du 9 octobre 2018 en tant qu'elles constituent des conclusions nouvelles, présentées après l'expiration du délai de recours contentieux.

Les requérants et l'agence de l'eau Seine-Normandie ont produit des observations, enregistrées les 31 mars et 3 avril 2023.

Par une ordonnance du 6 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée le 11 avril 2023.

Par courrier du 4 mai 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'existence d'une cause de non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'abrogation de la délibération du 9 octobre 2018, dès lors que par délibération du 16 novembre 2021, le 11ème programme d'intervention de l'agence de l'eau a été révisé.

II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 mai 2022, 1er février et 5 mai 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, sous le n° 2207014, l'association Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, l'association Hydrauxois, l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais et l'association Valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie, représentés par Me Bernot, demandent au tribunal :

1°) d'annuler la délibération n° 21-24 du 16 novembre 2021 du conseil d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie en tant qu'elle a approuvé la révision de la rubrique E.1 intitulée " Protéger et restaurer les milieux aquatiques ou humides et leurs milieux connectés " du 11ème programme pluriannuel d'intervention, ensemble la décision du 9 mars 2022 rejetant leur recours gracieux ;

2°) d'enjoindre à l'agence de l'eau Seine-Normandie de mettre en conformité la rubrique E.1 du 11ème programme pluriannuel d'intervention avec les nouvelles dispositions du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement telles qu'issues de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ;

3°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau Seine-Normandie la somme de 1 000 euros au bénéfice de chacune des requérantes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que la délibération attaquée :

- méconnaît les dispositions du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement telles qu'issues de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, en incitant à la destruction des ouvrages hydrauliques ;

- méconnaît les dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 9 novembre 2022 et 4 mai 2023, l'agence de l'eau Seine-Normandie, représentée par Me Paillat, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable à défaut pour l'association Hydrauxois, l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais et l'association Valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie de justifier de la qualité pour agir de leur président ;

- aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Garona, première conseillère,

- les conclusions de M. Charpentier, rapporteur public,

- les observations de Me Bernot, avocat des associations requérantes et de M. A,

- et les observations de Me Paillate, avocat de l'agence de l'eau Seine-Normandie.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 9 octobre 2018, le conseil d'administration de l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) a approuvé son 11ème programme pluriannuel d'intervention du bassin Seine-Normandie pour la période 2019-2024. L'agence de l'eau Seine-Normandie a, par délibération du 16 novembre 2021, révisé ce 11ème programme. L'association Hydrauxois, l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais, l'association Les amis des moulins du 61, l'association Valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie, l'association Défense et sauvegarde des moulins normands-picards et M. B A demandent au tribunal d'annuler la délibération du 9 octobre 2018 en tant qu'elle approuve la rubrique E.1 intitulée " Protéger et restaurer les milieux aquatiques ou humides et leurs milieux connectés " de ce 11ème programme d'intervention, ensemble la décision implicite rejetant leur recours gracieux. L'association Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, l'association Hydrauxois, l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais et l'association Valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie demandent également au tribunal d'annuler la délibération du 16 novembre 2021 en tant qu'elle approuve la révision de la rubrique E.1 intitulée " Protéger et restaurer les milieux aquatiques ou humides et leurs milieux connectés " du 11ème programme d'intervention, ensemble la décision du 9 mars 2022 rejetant leur recours gracieux.

Sur la jonction :

2. Les requêtes n°s 1904387 et 2207014 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement.

Sur la fin de non-recevoir soulevée en défense dans la requête n° 2207014 tirée du défaut de qualité pour agir des associations requérantes :

3. Il ressort des pièces du dossier que, d'une part, les statuts de l'association Fédération française des associations de sauvegarde des moulins prévoient, en son article 9, qu'elle est représentée dans tous les actes de la vie civile par son président, que, d'autre part, l'association Hydrauxois a produit la délibération de son conseil d'administration, compétent au regard de ses statuts, autorisant son président à introduire la présente requête et qu'enfin, l'association Valorisation du patrimoine hydroélectrique de Normandie a produit la délibération de son assemblée générale autorisant son président à introduire la présente requête. Toutefois, l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais ne justifie pas, quant à elle, de l'existence d'une délibération de son assemblée générale autorisant son président à introduire la requête, de sorte que la fin de non-recevoir opposée en défense doit être accueillie, en tant qu'elle concerne l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la délibération du 9 octobre 2018 :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de consultation du comité de bassin :

4. Aux termes de l'article L. 213-9-1 du code de l'environnement🏛 : " Pour l'exercice des missions définies à l'article L. 213-8-1, le programme pluriannuel d'intervention de chaque agence de l'eau détermine les domaines et les conditions de son action et prévoit le montant des dépenses et des recettes nécessaires à sa mise en œuvre. / () / Les délibérations du conseil d'administration de l'agence de l'eau relatives au programme pluriannuel d'intervention et aux taux des redevances sont prises sur avis conforme du comité de bassin, dans le respect des dispositions encadrant le montant pluriannuel global de ses dépenses et leur répartition par grand domaine d'intervention, qui font l'objet d'un arrêté conjoint des ministres chargés de l'environnement et des finances, pris après avis du Comité national de l'eau. / () " . Aux termes de l'article R. 213-39 du même code : " Le conseil d'administration règle, par ses délibérations, les affaires de l'établissement. Il délibère notamment sur : / () / 2° Les programmes généraux d'activité, et notamment les programmes pluriannuels d'intervention prévus à l'article L. 213-9-1 ; / () / 7° Les conditions générales d'attribution des subventions et des concours financiers aux personnes publiques et privées ; / () ".

5. Il résulte des dispositions citées au point 4 que l'obligation de recueillir l'avis conforme du comité de bassin s'applique aux seules délibérations portant sur l'adoption ou la modification du programme pluriannuel d'intervention ou sur le taux des redevances et que les délibérations prises dans le cadre des orientations des programmes pluriannuels d'intervention, qui portent sur les conditions générales d'attribution des subventions et des concours financiers aux personnes publiques et privées, ne sont pas soumises à cette obligation.

6. En l'espèce, par sa délibération du 9 octobre 2018, le comité de bassin Seine-Normandie a émis un avis favorable au 11ème programme, en limitant toutefois cet avis au préambule, aux parties 1 et 2 du 11ème programme, au point 3.1 portant sur les principes généraux d'intervention du programme et aux taux d'aide figurant dans la partie 4, pour les rubriques a) " actions aidées " et b) " modalités ". Ainsi, le comité de bassin a effectivement émis un avis favorable sur l'ensemble des rubriques a) et b) de toutes les catégories A à I du point 4, et non sur les seules catégories A et B de ce point. Ainsi, le comité de bassin s'est positionné sur l'ensemble des éléments qui relevaient effectivement de sa compétence, sans statuer sur ceux qui relevaient exclusivement de la compétence de l'agence de l'eau. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le moyen tiré du vice de forme de la délibération :

7. Aux termes de l'article R. 213-38 du code de l'environnement🏛, " () / Les délibérations sont adoptées à la majorité des membres présents ou représentés ou, le cas échéant, à la majorité des membres ayant participé à l'échange d'écrits mentionné à l'alinéa précédent. En cas de partage égal des voix, celle du président de séance est prépondérante. / () ". Il ne ressort pas de ces dispositions que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la délibération attaquée devait comporter la mention du résultat de son adoption. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un vice de forme doit être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte aux droits d'eau des propriétaires d'ouvrages hydrauliques :

8. L'objectif n° 1 intitulé " Protéger et restaurer les milieux aquatiques ou humides et leurs milieux connectés " de l'intervention E intitulée " Protéger, restaurer et gérer les écosystèmes humides et marins et leur biodiversité " prévoit, au titre des modalités d'aides, des travaux de rétablissement de la continuité écologique longitudinale et latérale et dispose que : " Les travaux de suppression d'obstacles / Les travaux de suppression d'obstacles comprennent la suppression de buses, de buses estuariennes, portes à flot ou clapets et la remise en fond de vallée permettant de contourner un ouvrage. Sont éligibles les acquisitions foncières nécessaires à la restauration de la continuité écologique, y compris le bâti lorsque cela est strictement nécessaire à la réalisation du projet global, dans le respect du plafonnement des aides publiques aux investissements des collectivités. / Les travaux de suppression doivent s'inscrire dans un projet adapté aux enjeux du territoire. / Assiette / Sont éligibles, au titre de la suppression des ouvrages, les travaux de suppression en tant que tels ainsi que les mesures que ces suppressions rendent nécessaires () / Les travaux de dispositifs de franchissement / Le financement de dispositifs de franchissement est limité aux ouvrages entretenus et en bon état, dont une étude préalable justifie qu'il y a un enjeu pour la circulation des espèces piscicoles et que la suppression n'est pas envisageable pour des raisons techniques et/ou économiques et/ou de préservation du patrimoine. () / Les dispositifs mis en œuvre doivent être cohérents avec les enjeux de continuité écologique identifiés : systèmes pour la montaison et la dévalaison des espèces migratrices (passe à poissons, rivière de contournement, système d'ouverture sur les ouvrages à la mer, etc.) et des aménagements pour restaurer le transit suffisant des sédiments ". En outre, le tableau joint relatif au niveau d'aide est fonction de la nature des travaux. Pour la suppression d'obstacles à la libre circulation et l'étude préalable à cette opération, le taux d'aide correspond à une subvention de 80%. Pour les dispositifs assurant la continuité écologique, à savoir la libre circulation des organismes aquatiques et des sédiments, ainsi que l'étude préalable, cette subvention est fixée à 40%.

9. S'il résulte de ces dispositions qu'un taux d'aide plus élevé est accordé aux propriétaires qui effacent leur ouvrage qu'à ceux qui l'aménagent, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces dispositions, qui ne mettent en place une aide que pour des opérations destinées à restaurer la continuité écologique en cas d'entrave ou d'obstacle généré par les ouvrages, ne contraignent pas les propriétaires d'un ouvrage à procéder à son arasement ou à son effacement et, ainsi, n'emportent pas la destruction systématique des ouvrages hydrauliques. En outre, d'autres opérations, tels que des travaux d'aménagement, peuvent être financées par l'AESN. Enfin, ces dispositions ne portent pas atteinte aux droits d'eau fondés en titre des propriétaires d'ouvrages hydrauliques, lesquels demeurent libres de solliciter ou non une aide auprès de l'AESN pour la destruction de l'ouvrage hydraulique entravant la continuité écologique. Par suite, la délibération attaquée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 214-17 du code de l'environnement :

10. Aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans sa rédaction alors applicable : " I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins (), l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : / 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. / Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou d'assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant () ".

11. Compte tenu de la portée des dispositions de la rubrique E.1 relatives à la protection et à la restauration des milieux aquatiques ou humides et leurs milieux connectés, qui visent à inciter la suppression des obstacles des ouvrages hydrauliques entravant la continuité écologique par l'attribution d'une aide financière, la délibération n'a pas pour objet l'inscription de divers cours d'eau sur les listes mentionnées au 1° et au 2° de

l'article L. 214-17 précité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté comme inopérant. En tout état de cause, si les dispositions de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ne prévoient pas, comme modalité de protection de la continuité écologique, la suppression d'ouvrages, une telle opération, qui n'est pas exclue par la loi, est susceptible de répondre à cet objectif. Dès lors, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le 11ème programme pluriannuel d'intervention, qui permet de financer des travaux de suppression d'obstacles à la libre circulation des espèces migratoires, méconnaît ces dispositions.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte à l'objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau défini à l'article L. 211-1 du code de l'environnement :

12. Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : () / 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques ". Contrairement à ce que soutiennent les requérants, et ainsi qu'il a été dit au point 9, il ne résulte pas des dispositions contestées du 11ème programme pluriannuel d'intervention que les ouvrages hydrauliques constitueraient, en tant que tels, des obstacles à la continuité écologique et qu'ils devraient, en conséquence, être systématiquement détruits, le programme prévoyant également la possibilité de financer des travaux de contournement d'ouvrages. En outre, ces dispositions, qui mettent en place l'attribution d'aides financières, ne contraignent pas les propriétaires d'ouvrages hydrauliques à y souscrire. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte à l'objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau et des milieux aquatiques de l'article L. 211-1 du code de l'environnement précité doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la délibération attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que les ouvrages hydrauliques participent à la continuité écologique, doit aussi être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 211-7 du code de l'environnement :

13. Si les requérants se prévalent de la méconnaissance de ces dispositions, le moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant au tribunal d'en apprécier le bien-fondé et doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans sa version issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets :

14. La légalité d'une décision administrative s'apprécie à la date de son édiction. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la délibération attaquée du 9 octobre 2018 serait contraire à l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans sa version issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de la jurisprudence du Conseil d'État du 31 mai 2021, SARL MDC Hydro, n°433043 :

15. Si les requérants se prévalent de cette jurisprudence, le moyen doit être écarté comme inopérant pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 11.

16. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense dans la requête n° 1904387, que les conclusions à fin d'annulation de la délibération du 9 octobre 2018, doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'abrogation de la délibération du 9 octobre 2018 :

17. Il ressort des pièces du dossier que par délibération du 16 novembre 2021, l'agence de l'eau Seine-Normandie a procédé à la révision du 11ème programme d'intervention litigieux, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2022 et qui régit désormais entièrement les aides dont la demande complète est réceptionnée par l'agence de l'eau Seine Normandie après le 31 décembre 2021. Or, s'il appartient au juge administratif de se prononcer sur les conclusions à fin d'abrogation présentées, de manière accessoire, contre un acte réglementaire continuant de produire des effets, il n'en va pas de même lorsque cet acte a cessé de produire de tels effets, comme c'est le cas en l'espèce. Dans ces conditions, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'abrogation de la délibération du 9 octobre 2018.

Sur les conclusions à fin d'annulation partielle de la délibération du 16 novembre 2021 :

18. Aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement tel que modifié par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : " I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : () / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages () ".

19. Les associations requérantes soutiennent que la délibération du 16 novembre 2021 révisant le 11ème programme pluriannuel d'intervention de l'agence de l'eau Seine-Normandie est devenue illégale du fait de la modification par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.

20. Il ressort des pièces du dossier que le 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement oblige désormais, s'agissant uniquement des ouvrages implantés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, figurant sur une liste établie par l'autorité administrative, à les entretenir, les gérer et les équiper, sans remettre en cause leur usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie, de sorte que ces mesures sont les seules modalités autorisées pour l'accomplissement des obligations relatives au transport suffisant des sédiments et à la circulation des poissons migrateurs, à l'exclusion plus particulièrement pour les moulins à eau de la destruction des ouvrages de retenue. Or, il ressort du point E.1 du programme pluriannuel d'intervention en litige qu'il prévoit la possibilité de financer de tels travaux de destruction, lorsqu'ils sont nécessaires à la restauration de la continuité écologique.

21. D'une part, si l'agence de l'eau Seine Normandie fait valoir en défense que les dispositions précitées de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ne régissent pas directement l'attribution des aides encadrées par le 11ème programme révisé et que ce programme prévoit que les travaux financés doivent satisfaire aux obligations règlementaires, ces aides ne sauraient être attribuées en méconnaissance des dispositions législatives en vigueur à la date de l'adoption de la délibération attaquée et la seule réserve relative aux obligations règlementaires ne permet donc pas d'être interprétée comme ayant implicitement mais nécessairement exclu de son dispositif d'aides, les travaux ainsi prohibés par la loi.

22. D'autre part, l'agence de l'eau Seine-Normandie soulève en défense une exception d'inconventionnalité de la nouvelle rédaction de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui serait contraire selon elle, au a) du 1 de l'article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qui fixe un objectif de prévention, de restauration et d'amélioration de l'état des masses d'eau de surface. Elle fait valoir que l'annexe V de cette directive fixe ainsi la continuité des rivières comme l'un des paramètres biologiques de la qualité de leur état écologique qui doit permettre une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport des sédiments. Cette nouvelle rédaction de la loi serait également, selon l'agence de l'eau, contraire, à l'article 2 du règlement (CE) n° 1100/2007⚖️ du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes et imposant notamment la mise en place de mesures structurelles visant à permettre le franchissement des rivières et le transport des anguilles argentées des eaux intérieures vers des eaux d'où elles peuvent migrer librement vers la mer des Sargasses. Il résulte toutefois des dispositions de l'article L. 214-17 que celles-ci limitent l'interdiction qu'elles instituent à la seule destruction des ouvrages ayant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie, comme modalité d'accomplissement des obligations environnementales relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. Dans ces conditions, cette exception d'inconventionnalité, telle qu'elle est soulevée en défense, doit être écartée.

23. Dans ces conditions, le point E.1 du 11ème programme pluriannuel d'intervention, tel qu'approuvé par la délibération en litige, méconnait partiellement les dispositions du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.

24. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que la délibération du 16 novembre 2021 doit être annulée en tant que le 11ème programme pluriannuel d'intervention n'exclut pas des dispositifs d'aides prévus à la rubrique E1, les aides octroyées en cas de suppression des ouvrages présentant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie, et celles octroyées s'agissant des moulins à eau, en cas de destruction des ouvrages de retenue, situés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux visés par le 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement.

Sur les frais liés au litige :

25. Dans les circonstances des espèces, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les conclusions des parties présentées à ce titre sont rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'abrogation de la délibération du 9 octobre 2018 présentées dans la requête n° 1904387.

Article 2 : La délibération du 16 novembre 2021 est partiellement annulée dans les conditions indiquées au point 24 du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 1904387 est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonais dans la requête n° 2207014 sont rejetées comme irrecevables.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties non mentionnées dans les articles précédents du présent dispositif est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié l'association Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, à l'association Hydrauxois, représentantes uniques et à l'agence de l'eau Seine Normandie.

Délibéré après l'audience du 12 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Buisson, président,

Mme Garona, première conseillère,

Mme L'Hermine, conseillère,

Assistés de Mme Galan, greffière.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 9 juin 2023.

La rapporteure,

signé

E. Garona

Le président,

signé

L. Buisson

La greffière,

signé

M. Galan

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 1904387 - 2207014

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