Jurisprudence : Cass. civ. 3, Conclusions, 30-04-2025, n° 23-19.086

Cass. civ. 3, Conclusions, 30-04-2025, n° 23-19.086

A45240QM

Référence

Cass. civ. 3, Conclusions, 30-04-2025, n° 23-19.086. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/118790151-cass-civ-3-conclusions-30042025-n-2319086
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AVIS DE M. PISON, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 231 du 30 avril 2025 (FS-B) – Troisième chambre civile Pourvoi n° 23-19.086⚖️ Décision attaquée : 26 mai 2023 de la cour d'appel de Paris. La société Viater C/ la société Fayat bâtiment _________________

1- Rappel des faits et de la procédure La société Cogedim [Localité 1] Métropole a conclu avec la société Fayat bâtiment un marché tous corps en vue de la construction d'un ensemble immobilier. La société Fayat bâtiment a sous-traité, par un acte signé le 27 octobre 2017, le lot « voies et réseaux divers (VRD) et espaces verts » à la société Viater. Les sociétés Fayat bâtiment et Viater étant en désaccord sur le décompte général définitif, cette dernière a saisi le tribunal de commerce de Créteil aux fins de voir constater la nullité de son contrat de sous-traitance, ordonner une expertise judiciaire confiée à un métreur vérificateur pour évaluer les travaux réalisés par ses soins et condamner la société Fayat bâtiment au paiement d'une provision.

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Par jugement du 17 novembre 2020, le tribunal de commerce a débouté la société Viater de ses demandes. Celle-ci a interjeté appel du jugement qui a été confirmé par la cour d'appel de Paris par arrêt du 26 mai 2023. C'est l'arrêt attaqué par une déclaration de pourvoi de la société Viater du 26 juillet 2023.

2- Seule la première branche du premier moyen retiendra notre attention. Elle fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de nullité du contrat de sous-traitance, alors, selon le moyen : - qu'un « contrat de sous-traitance est formé dès sa signature par l'entrepreneur et le sous-traitant ; que l'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage ne constituent pas des conditions de sa formation dans la mesure où leur absence, lors de sa signature, ne fait pas obstacle à son application tant que le sous-traitant n'a pas mis en œuvre la faculté de résiliation unilatérale que lui offre la loi dans de telle circonstance ; qu'enfin, à peine de nullité du sous-traité, sauf délégation du maître de l'ouvrage au sous-traitant, l'entrepreneur principal doit garantir le paiement de toutes les sommes dues au sous-traitant par une caution personnelle et solidaire, le cautionnement devant être préalable ou concomitant à la conclusion du contrat de sous-traitance ; qu'en considérant, pour débouter la société Viater de sa demande de nullité du contrat, que celui-ci a été formé le 3 avril 2018, date à laquelle le maître de l'ouvrage a accepté la société Viater en qualité de sous-traitant et a agréé ses conditions de paiement et qu'à cette date le maître d'ouvrage a fourni une délégation de paiement, après avoir cependant constaté que le contrat avait été signé le 24 octobre 2017, de sorte qu'à cette date aucune des conditions exigées par la loi n'étaient remplies, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil🏛 ensemble la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975🏛 relative à la sous-traitance »

3- la question de droit posée par ce pourvoi est la suivante: Dans le cadre de l'application de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 et plus particulièrement de son article 14, le sous traitant peut-il soutenir la nullité du contrat au motif que la délégation de paiement ne lui aurait été octroyée qu'au jour ou il a été agrée par le maître de l'ouvrage et non à la date de la signature du contrat, alors que les parties avaient convenu contractuellement que le contrat de sous-traitance ne serait « valable » qu'après acceptation du sous-traitant et agrément des conditions de paiement par le maître de l'ouvrage?

4- Une protection renforcée du sous-traitant L'exposé des motifs et les débats parlementaires relatifs à la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975🏛
montrent que la volonté du législateur était de protéger le sous traitant contre la défaillance financière de l'entrepreneur principal. La loi a crée tout

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particulièrement des garanties de paiement du sous traitant et les moyens d'y parvenir, comme le souligne l'exposé de motifs1. A cet égard, l'article 14, alinéa 1 de la loi du 31 décembre 1975, constituant le dispositif majeur de cette protection, qualifié par certains auteurs de pièce maîtresse de la loi2, prévoit que: « A peine de nullité du sous-traité les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1338 du code civil🏛, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant. » En outre pour s'assurer de l'effectivité de ce dispositif de protection, l'article 153 de la loi rend toutes ses dispositions d'ordre public, frappant de nullité » qu'elle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements, qui auraient pour effet de faire échec à ses dispositions»

5- Temporalité Si le texte prévoit la sanction encourue, il reste muet quant à la date à laquelle ces garanties de paiement doivent intervenir. Face au silence du texte, votre chambre, dans de nombreux arrêts a rappelé que cette garantie devait être préalable ou concomitante au contrat de sous- traitance et qu'à défaut le sous traité était nul4. En revanche, seul le sous-traitant peut invoquer la nullité5, qualifiée de relative par la Cour de cassation, du sous-traité, étant rappelé que les dispositions d'ordre public de la loi du 31 décembre 1975 interdisent la renonciation anticipée du sous-traitant au bénéfice de la délégation de paiement ou du cautionnement. 1

Exposé des motifs assemblée nationale n°1449 et 1817 :« garantir aux sous traitants ( en particulier aux entreprises de travaux publics et du bâtiment) le paiement des créances qui résultent des travaux faits par eux pour le compte d'une entreprise mise en état de règlement judiciaire ou de liquidation de biens, à l'imitation de ce qui a été mis en place par les salariés par la loi n° 73-1194 du 27 décembre 1973🏛 est primordial dans une période de restructuration permanente et de modernisation de l'économie »

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Voir Dalloz action, droit de la construction, Philippe Malinvaud

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Article 15 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975🏛:Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi. 4

Voir notamment 3°Civ, 30 mars 1994, n° 92-16.5351, 3e Civ, 17 juillet 1996, n° 94-15.035⚖️, 3e Civ, 7 février 2001, n° 98-19.937⚖️, Com, 12 juillet 2005, n° 02-16.048⚖️, 3e Civ, 25 mai 2011,n° 09-17.137⚖️, publié ; 3e Civ, 21 janvier 2021, n° 19-22.219⚖️. 5

Com., 19 mai 1980, n° 79-10.716⚖️.

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En outre, votre chambre, par arrêt du 23 novembre 20236, a admis que: « la violation des formalités de l'article 14, alinéa 1 , de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, lesquelles ont pour finalité la protection des intérêts du sous-traitant, étant sanctionnée par une nullité relative, le sous-traité est susceptible de confirmation en application de l'article 1182 du code civil🏛" et "la confirmation de l'acte nul, qui ne peut résulter de la seule exécution des travaux, doit être caractérisée, à défaut d'une confirmation expresse, par leur exécution volontaire en connaissance de la cause du vice l'affectant" Cependant, en l'état actuel de la jurisprudence, il est admis que le cautionnement doit être fourni dès la signature du sous-traité sous peine de nullité. Face à cette exigence clairement rappelée liant dans le temps la signature du contrat de sous-traitance et la fourniture de garanties de paiement, est-il possible de dissocier temporellement ces deux opérations sans encourir la nullité du contrat?

6- La volonté des parties Il convient de rappeler, selon l'article 1103 du code civil🏛, que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. » Ce principe général du droit doit être confronté au caractère d'ordre public de la loi du 31 décembre 1975 et notamment à son article 15 qui stipule « que sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi. » Le contrat de sous-traitance reste un contrat d'entreprise7 dont les parties ont la liberté de fixer les modalités. Aussi prévoir contractuellement, non pas une restriction des garanties dues au sous- traitant, clause qui serait prohibée par l'article 15 de la loi du 31 décembre 1975, mais seulement un effet différé de la composition du contrat sans que cela ne porte atteinte aux droits du sous traitant, poserait-il une difficulté au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1975? Pour répondre à ce questionnement, il faut analyser la volonté des parties ou plus précisément la commune intention de ces dernières au sens de l'article 1188 du code civil🏛.8 6

3e Civ, 23 novembre 2023, n° 22-21.463⚖️; RTD Civ.2024,obs Hugo Barbier

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Le contrat d' entreprise est un contrat par lequel un entrepreneur s'engage contre rémunération à exécuter un travail pour autrui, de façon indépendante et sans le représenter (Cass. 1re civ., 19 févr. 1968, n° 64-14.315⚖️ : Bull. civ. I, n° 69) 8

Article 1188 du code civil: Le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

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7- Au cas présent Dans le dossier qui nous est soumis, s'il est constant que le contrat de soustraitance a bien été signé le 27 octobre 2017, son article 2 prévoit expressément: « Le présent contrat n'est valable, conformément à l'article 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 19759, qu'après acceptation du sous-traitant et agrément de ses conditions de paiement par le maître d'ouvrage » L'adjectif valable signifie d'après les définitions données par le Larousse et le Robert: « ce qui remplit les conditions requises (pour être reçu en justice), accepté par une autorité, ou encore qui a une valeur, un fondement reconnu. » Des lors, cette clause univoque et librement consentie par les parties vise directement la formation du contrat, c'est à dire sa validité, et non pas ses modalités d'exécution différée. Si, en revanche les parties avaient souhaité, par cet article 2 du contrat, différer les garanties de paiement dues au sous-traitant, alors cette clause aurait été en contradiction, semble-il, avec les dispositions de l'article 15 de la loi. Il résulte des éléments de l'espèce que le maître de l'ouvrage a accepté la société Viater en qualité de sous-traitant et agrée ses conditions de paiement le 3 avril 2018, que des lors le contrat de sous-traitance conclu entre les sociétés Fayat bâtiment et Viater n'a été formé qu'à cette date conformément à l'article 2 dudit contrat, les garanties de paiement ayant été octroyées dans le même trait de temps conformément aux conditions textuelles et jurisprudentielles. La volonté des parties fixant contractuellement la date de formation du contrat à la survenance de la condition prévue à son article 2 est alors conforme aux dispositions protectrices de la loi du 31 décembre 1975🏛 et notamment à celles de son article 15. Aussi, la Cour de cassation, après avoir admis que la nullité prévue par la loi n'était que relative, puis, qu'il était en outre possible de renoncer a posteriori à la nullité du contrat résultant du défaut de fourniture d'un cautionnement, notamment en exécutant le sous-traité en connaissance de la cause10, semble vouloir rééquilibrer les rapports entre sous traitant, peut être trop protégé, maître de l'ouvrage et 9

Article 3 de la loi ° 75-1334 du 31 décembre 1975🏛: L'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. Lorsque le sous-traitant n'aura pas été accepté ni les conditions de paiement agréées par le maître de l'ouvrage dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, l'entrepreneur principal sera néanmoins tenu envers le sous-traitant mais ne pourra invoquer le contrat de sous-traitance à l'encontre du soustraitant. 10

3e Civ, 23 novembre 2023, n° 22-21.463, déjà cité

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entrepreneur principal, évolution approuvée par certains auteurs qui considèrent: « lorsque la confirmation procède de l'exécution volontaire du contrat, elle sert surtout à moraliser la vie des affaires en fermant la voie à l'opportunisme judiciaire du contractant qui, préférant après coup les avantages qu'il retire du régime de la nullité à ceux retirés de la validité du contrat, invoquerait à contretemps la nullité du contrat ».11 Dans cette logique , rien ne semble interdire aux parties de convenir contractuellement de la date de la formation du contrat, voire de sa confirmation par la combinaison des articles 1181 et 1182 du code civil🏛 et ce dans le prolongement de l'arrêt du 23 novembre 2023. Cette formation ou cette confirmation interviendrait lors de la survenance de l'événement librement négocié et consenti forcement différente de celle de la signature formelle de l'acte, sans que cette clause ne vicie le contrat de soustraitance, interdisant alors au sous-traitant d'invoquer la nullité du contrat au seul motif de la non fourniture des garanties de paiement au moment de la signature formelle du contrat12.

Avis de rejet

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Voir notamment RTD Civ.2024,obs Hugo Barbier déjà cité Cf. Distinction instrumentum -négocium

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