Jurisprudence : TA Caen, du 26-01-2024, n° 2302945


Références

Tribunal Administratif de Caen

N° 2302945

2ème chambre
lecture du 26 janvier 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 14 novembre 2023, M. AB R, Mme AK AF, M. F AS, M. B D, M. N H, M. W I, M. AJ T, Mme AP AG, Mme AD J, Mme AQ A, Mme Q U, M. X AR, Mme AD V, Mme AA AH, Mme AN E, M. N Y, Mme P AM, Mme Q K, M. AO Z, Mme AE L, Mme AI M, Mme AK G, Mme AA AC, M. AL O, Mme AN C et le comité social et économique de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus, représentés par Me Brand, demandent au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 15 septembre 2023 par laquelle la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus ;

2°) de mettre à la charge de l'État et de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus le versement à chacune d'entre eux d'une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent que la décision attaquée est entachée d'illégalité dès lors que :

- le plan de sauvegarde n'a pas au préalable fait l'objet d'une négociation loyale ;

- le dispositif de reclassement interne prévu par le plan de sauvegarde est insuffisant, faute d'identification de l'ensemble des postes disponibles au sein du groupe et faute de précisions quant à la localisation de trente-cinq d'entre eux ;

- le dispositif d'aide au reclassement interne et externe prévu par le plan de sauvegarde est insuffisant ;

- le plan de sauvegarde de l'emploi est, dans sa globalité, insuffisant, notamment s'agissant de son dispositif de cessation anticipée d'activité, et eu égard aux moyens du groupe auquel appartient l'employeur ;

- le projet de fermeture du site a été mis en œuvre avant que ne soit consulté le comité social et économique de l'entreprise ;

- le comité social et économique n'a pas été consulté de manière régulière et suffisante sur le projet de licenciement collectif ;

- l'employeur n'a pas identifié les risques psychosociaux ni pris de mesures propres à les prévenir ;

- le comité économique et social n'a pas été consulté de manière régulière sur la question de la recherche d'un repreneur de l'établissement ;

- l'employeur n'a pas accompli de démarches tendant à la reprise par un tiers de l'activité du site ;

- la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a insuffisamment motivé sa décision.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2023, la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens exposés dans la requête ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 décembre 2023 et le 5 janvier 2024, la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus, représentée par la SAS Actance, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 500 euros soit mise à la charge de M. R et autres en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 11 décembre 2023, Mme AP AG demande au tribunal de dire nulle et de nul effet la requête, en tant qu'elle émane d'elle.

Elle soutient qu'elle n'a pas mandaté Me Brand pour présenter une requête en son nom.

Par un mémoire, enregistré le 27 décembre 2023, M. AB R, Mme AK AF, M. F AS, M. B D, M. N H, M. W I, M. AJ T, Mme AD J, Mme AQ A, Mme Q U, M. X AR, Mme AD V, Mme AA AH, Mme AN E, M. N Y, Mme P AM, Mme Q K, M. AO Z, Mme AE L, Mme AI M, Mme AK G, Mme AA AC, M. AL O, Mme AN C et le comité social et économique de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus, représentés par Me Brand, concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.

Un mémoire, présenté par Mme AK AF, a été enregistré le 8 janvier 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue en application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marchand ;

- les conclusions de M. S ;

- les observations de Me Fautrat et Me Girard, substituant Me Brand, avocat de M. R et autres ;

- et les observations de la SAS Actance, avocat de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus.

Considérant ce qui suit :

1. La société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus fait partie du groupe Schneider Electric. Elle a pour unique activité l'exploitation à Bourguébus (Calvados) d'un site de production de matériel de commande électrique, au nombre desquels figurent les " Smart Relays ", produits relevant de la gamme des nano-contrôleurs. Afin de réduire les coûts de production de ces matériels, le groupe Schneider Electric a décidé de la relocaliser sur différents autres sites, et, en conséquence, de fermer le site de Bourguébus. Cette fermeture ayant pour conséquence la suppression de l'ensemble des quarante-trois emplois de cet établissement, la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus a engagé une procédure de licenciement collectif et entamé la négociation d'un accord portant sur l'établissement d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Les parties n'étant pas parvenues à un accord, la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus a établi unilatéralement le plan de sauvegarde de l'emploi, que la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie a homologué par une décision du 15 septembre 2023. Le comité social et économique de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus ainsi que plusieurs des salariés de cette société en demandent l'annulation.

Sur la requête, en tant qu'elle émane de Mme AG :

2. Aux termes de l'article R. 635-1 du code de justice administrative🏛 : " Une partie peut désavouer les actes ou procédures faits en son nom par son avocat lorsqu'ils peuvent influer sur le sens du jugement. ".

3. Mme AG soutient qu'elle n'a jamais donné mandat à Me Brand pour présenter en son nom une requête tendant à l'annulation de la décision objet du présent litige. Invitée à présenter ses observations sur l'action en désaveu ainsi formée par Mme AG, Me Brand n'a pas répondu. Au demeurant, le nom de Mme AG n'est plus au nombre des requérants énumérés par le dernier mémoire produit par Me Brand au soutien de la requête. Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir l'action en désaveu de Mme AG et de déclarer la requête nulle et de nul effet, en tant qu'elle a été présentée en son nom.

Sur la décision du 15 septembre 2023 :

4. Aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail🏛 : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / () ". Aux termes de l'article L. 1233-24-4 du même code : " A défaut d'accord (), un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du comité social et économique fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. ". Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code🏛 : " () l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique, le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : / 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; / 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; / 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1. ".

En ce qui concerne la suffisance du plan de sauvegarde de l'emploi :

5. Il résulte des dispositions citées au point 4 qu'il appartient à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'apprécier, au regard de l'importance du projet de licenciement, si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe. Dans ce cadre, il revient notamment à l'autorité administrative de s'assurer que le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. L'employeur doit, à cette fin, avoir identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise. En outre, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, l'employeur doit avoir indiqué dans le plan leur nombre, leur nature et leur localisation.

6. De première part, il ressort des pièces du dossier qu'en l'absence de reclassement possible au sein de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus, le plan de sauvegarde de l'emploi de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus a, sous forme d'une première liste, identifié plus de neuf-cent postes disponibles au sein du groupe Schneider Electric en France et, parmi ceux-ci, sous forme d'une seconde liste, environ cent-cinquante postes spécialement identifiés comme correspondant aux qualifications et compétences des salariés du site de Bourguébus. S'il est vrai que le plan ne précise pas la localisation d'environ trente-cinq postes, il ressort des pièces du dossier que ceux-ci ne sont pas au nombre de ceux figurant sur la seconde liste. En outre, contrairement à ce qu'affirment les requérants, il ressort des termes du plan en cause que les postes figurant sur la seconde liste seront réservés aux salariés du site de Bourguébus et leur seront proposés de manière ferme. Enfin, il ne ressort pas des termes du plan en cause que l'employeur se serait interdit de faire figurer sur cette seconde liste de nouveaux postes devenus disponibles postérieurement à l'homologation du plan.

7. De deuxième part, le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit, au titre du dispositif d'aide au reclassement interne, un maintien intégral de salaire en cas de reclassement sur un poste équivalent et, en cas de reclassement sur un poste de catégorie inférieure, un dispositif dégressif de maintien de salaire sur une période de trois ans. Il prévoit en outre la prise en charge des formations d'adaptation au nouveau poste, le versement d'une indemnité forfaitaire de 8 000 euros, portée à 12 000 euros en cas de déménagement, une majoration du salaire de base de 5 %, des aides pour la recherche d'un logement, pour l'achat et la revente de la résidence principale, une prise en charge des frais de double résidence pendant une durée de neuf mois, une indemnité compensatrice de mobilité de 4 000 euros majorée de 1 500 euros par personne à charge, et majorée selon un coefficient lié aux régions de départ et d'accueil, une allocation, plafonnée à 2 000 euros bruts et d'une durée maximale de six mois, et des aides destinées au conjoint contraint de quitter son emploi, prenant la forme, notamment, d'une allocation compensatrice de perte de salaire d'un montant plafonné de 2 000 euros bruts par mois sur une période maximale de six mois et d'un financement d'une formation de reconversion à hauteur de 7 000 euros. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ressort des pièces du dossier que ce dispositif apparaît globalement plus avantageux que celui prévu par l'accord de mobilité volontaire individuel du groupe Schneider Electric en France qui, en tout état de cause, n'a vocation à s'appliquer, en fait, qu'à des mobilités sur des postes de catégorie équivalente ou supérieure.

8. De troisième part, le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit, au titre du dispositif d'aide au reclassement externe, un accompagnement par un cabinet spécialisé, la prise en charge des frais de recherche d'un nouvel emploi sur présentation de justificatifs, le financement d'une formation d'adaptation au nouveau poste à hauteur de 5 000 euros, un dispositif de maintien de salaire identique à celui prévu par le dispositif d'aide au reclassement interne, une aide financière versée au nouvel employeur, à hauteur de 1 500 euros par salarié en cas d'embauche en contrat à durée déterminée et de 3 000 euros en cas d'embauche à durée indéterminée, majorée en cas d'embauche d'un salarié de plus de cinquante ans ou handicapé, le financement d'une formation de reconversion à hauteur de 10 000 euros, ou de 20 000 euros en cas de formation diplômante ou qualifiante dans un métier en tension, des aides à la création d'entreprise, d'un montant compris entre 7 000 et 36 000 euros, ainsi qu'un congé de reclassement d'une durée de treize mois, portée à seize mois pour les salariés de cinquante ans et plus et ceux reconnus travailleur handicapé, prorogeable pour une durée de six mois en l'absence de concrétisation d'un projet professionnel, et supérieure à celle de douze mois prévue par les dispositions de l'article L. 1233-71 du code du travail🏛.

9. De quatrième part, le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit un dispositif de cessation anticipée d'activité permettant aux salariés volontaires pouvant liquider leur retraite à taux plein dans un délai compris entre vingt-quatre et trente mois, selon leur ancienneté, d'être dispensés d'activité jusqu'à la liquidation de leur retraite tout en percevant une allocation mensuelle de remplacement égale à 70 % de leur salaire brut, ainsi qu'une indemnité fixe de 10 000 euros bruts. Ce dispositif prévoit en outre que les salariés ne pouvant liquider leur retraite à taux plein dans le délai requis peuvent convertir leur indemnité de départ à la retraite et leurs jours de récupération en temps, afin de bénéficier de ce dispositif. En outre, il est constant que le groupe Schneider Electric conservera des implantations en France postérieurement à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi, de sorte qu'il n'est pas établi que le dispositif de cessation anticipée d'activité ne pourrait pas faire l'objet d'un suivi de la part de ce groupe sur toute la durée de son exécution.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que ces mesures sont, prises dans leur ensemble, compte tenu des moyens du groupe Schneider Electric auquel appartient la société, fussent-ils importants, propres à satisfaire aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, et que la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation sur ce point.

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de loyauté de la procédure de négociation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi :

11. Les conditions de négociation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi sont, par elles-mêmes, sans influence sur la légalité d'une décision portant homologation du document unilatéral fixant le contenu de ce plan. Par suite, le moyen tiré de ce que les négociations de l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus auraient été entachées de déloyauté doit être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'information et de consultation :

12. Aux termes de l'article L. 1233-28 du code du travail🏛 : " L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité social et économique dans les conditions prévues par le présent paragraphe. ". Aux termes de son article L. 1233-30 : " I.- Dans les entreprises ou établissements employant habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur réunit et consulte le comité social et économique sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-31 ; / 2° Le projet de licenciement collectif : le nombre de suppressions d'emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d'ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d'accompagnement prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi et, le cas échéant, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. / Les éléments mentionnés au 2° du présent I qui font l'objet de l'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1 ne sont pas soumis à la consultation du comité social et économique prévue au présent article. / Le comité social et économique tient au moins deux réunions espacées d'au moins quinze jours. / II.- Le comité social et économique rend ses deux avis dans un délai qui ne peut être supérieur, à compter de la date de sa première réunion au cours de laquelle il est consulté sur les 1° et 2° du I, à : / 1° Deux mois lorsque le nombre des licenciements est inférieur à cent ; () / Une convention ou un accord collectif de travail peut prévoir des délais différents. / En l'absence d'avis du comité social et économique dans ces délais, celui-ci est réputé avoir été consulté. ".

13. Lorsqu'elle est saisie par un employeur d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'homologation demandée que si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi. Il appartient à ce titre à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, seul compétent, qu'aucune décision de cessation d'activité ou de réorganisation de la société, expresse ou révélée par un acte quelconque, n'a été prise par l'employeur avant l'achèvement de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel et que l'employeur a adressé au comité, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité ou à des observations ou des injonctions formulées par l'administration, tous les éléments utiles, en ce compris les éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale, pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. Toutefois, l'absence de transmission par l'employeur d'un document au comité d'entreprise n'est pas de nature à entraîner nécessairement l'irrégularité de la procédure d'information et de consultation mais doit être prise en compte dans l'appréciation globale que doit porter l'administration sur la régularité de cette procédure.

14. De première part, si les requérants soutiennent que la production de la gamme spécifique de matériel de commande électrique " Smart Relays " a commencé à être délocalisée à compter de fin juin 2023, avant même que le comité social et économique ne soit consulté sur le projet de restructuration, en méconnaissance de l'article L. 2312-14 du code du travail🏛, il ressort des pièces du dossier que cette délocalisation n'est pas la conséquence d'un arrêt de la production du site de Bourguébus, mais a trouvé sa justification dans un doublement temporaire de production. Il ressort en outre de ces mêmes pièces que ce doublement s'est opéré depuis le site des Agriers, qui n'a pas vocation à accueillir de manière définitive la production des " Smart Relays " à l'issue de la mise en œuvre du projet de restructuration mené par le groupe Schneider Electric. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ce projet aurait connu un commencement de mise en œuvre avant l'achèvement de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel.

15. De deuxième part, aux termes de l'article L. 1233-57-6 du code du travail🏛 : " L'administration peut, à tout moment en cours de procédure, faire toute observation ou proposition à l'employeur concernant le déroulement de la procédure ou les mesures sociales prévues à l'article L. 1233-32. Elle envoie simultanément copie de ses observations au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel et, lorsque la négociation de l'accord visé à l'article L. 1233-24-1 est engagée, aux organisations syndicales représentatives dans l'entreprise. / L'employeur répond à ces observations et adresse copie de sa réponse aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales ".

16. S'il est constant que la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus s'est abstenue d'adresser au comité social et économique de la société sa réponse aux observations formulées par l'administration les 30 mai, 27 juin et 28 juin 2023 sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 1233-57-6 du code du travail, qui, pour l'essentiel, comportaient un rappel des règles relatives à la consultation du comité social et économique, invitaient l'employeur à prendre des mesures destinées à l'identification et à la prévention des risques pour la santé des travailleurs et sollicitaient des informations relatives à la structuration du groupe Schneider Electric, sur le bilan des formations suivies par les salariés et sur le nombre d'intérimaires présents sur le site, il est tout aussi constant que ce comité a été rendu destinataire d'une copie de ces observations et a été mis en mesure de prendre connaissance des suites que l'employeur entendait y donner au travers des mesures inscrites dans le plan de sauvegarde de l'emploi alors en cours de discussion.

17. De troisième part, il ressort des pièces du dossier que huit réunions d'information et de consultation du comité social et économique ont été organisées entre le 15 mars 2023 et le 2 août 2023, et qu'étaient joints à la convocation à la première réunion du comité social et économique un document relatif au volet économique du projet de réorganisation, un document relatif à son volet social et une analyse des impacts du projet de restructuration sur la santé et la sécurité des salariés, mentionnant les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale, comprenant l'ensemble des informations mentionnées à l'article L. 1233-30 du code du travail🏛. Contrairement à ce qu'affirment les requérants, le comité social et économique de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus a été rendu destinataire des informations complémentaires qu'il avait sollicitées, portant sur la marge réalisée par la production sur le site de Bourguébus des produits " Smart Relays ", par un courriel adressé le 6 juin 2023 à l'expert qu'il a désigné pour l'assister, et sur la politique marketing de vente de ces produits, par la mise à disposition d'un document en prévision de la réunion de consultation du 13 juin 2023, à laquelle les représentants du personnel ont refusé de se rendre. Enfin, la circonstance que les documents transmis par l'employeur au comité social et économique ne faisaient pas mention de la convention collective applicable aux indemnités de départ à la retraite et de licenciement ni du chiffrage du coût des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi est sans influence sur la régularité de la consultation, alors, au demeurant, que l'employeur n'a été saisi d'aucune demande d'information complémentaire sur ces points.

18. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, dès lors que le comité social et économique de la société Schneider Manufacturing Bourguébus a pu se prononcer en toute connaissance de cause sur les éléments mentionnés au point 13, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'information et de consultation doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence de consultation du comité social et économique sur les conséquences environnementales du projet de restructuration :

19. Il ne résulte d'aucun texte qu'il appartiendrait à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail🏛, dans le cadre de son contrôle mentionné au point 13, de s'assurer que le comité social et économique a été régulièrement informé et consulté en application du III de l'article L. 2312-8 du code du travail🏛. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la décision d'homologation qu'ils attaquent est illégale au motif que l'administration n'aurait pas exercé un tel contrôle.

En ce qui concerne la prise en compte des risques psycho-sociaux par le plan de sauvegarde de l'emploi :

20. Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail🏛 : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ". En vertu de l'article L. 4121-2 du même code🏛, l'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement de principes généraux de prévention, au nombre desquels figurent, entre autres, l'évaluation des risques qui ne peuvent pas être évités, la planification de la prévention en y intégrant, notamment, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et la prise de mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle.

21. Il résulte de ces dispositions et de celles citées au point 4 qu'il appartient à l'administration, dans le cadre du contrôle du contenu du document unilatéral lui étant soumis en vue de son homologation, de vérifier, au vu de ces éléments d'identification et d'évaluation des risques, des débats qui se sont déroulés au sein du comité d'entreprise ou désormais du comité social et économique, des échanges d'informations et des observations et injonctions éventuelles formulées lors de l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, dès lors qu'ils conduisent à retenir que la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs, si l'employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes, au nombre de celles prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs.

22. Si les requérants dénoncent la gestion des risques psycho-sociaux à laquelle s'est livrée l'employeur entre l'annonce du projet de fermeture du site de Bourguébus et la fin de la consultation du comité social et économique, ils ne formulent en revanche aucune critique quant au contenu-même des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi destinées à remédier aux risques pour la santé des travailleurs engendrés par le projet de réorganisation. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'insuffisance sur ce point du plan de sauvegarde de l'emploi ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la recherche d'un repreneur :

23. Aux termes de l'article L. 1233-57-10 du code du travail🏛 : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la réunion prévue à l'article L. 1233-57-9, tous renseignements utiles sur le projet de fermeture de l'établissement. / Il indique notamment : () / 2° Les actions qu'il envisage d'engager pour trouver un repreneur ; () ". Aux termes de son article L. 1233-57-14 : " L'employeur ayant informé le comité social et économique du projet de fermeture d'un établissement recherche un repreneur. Il est tenu : / 1° D'informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels de son intention de céder l'établissement ; () ". Il résulte de ces dispositions et de celles citées au point 4 que lorsqu'elle est saisie par un employeur d'une demande d'homologation d'un document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'administration, lorsque le projet de réorganisation entre dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 1233-57-10 du code du travail, de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise sur les actions que l'employeur envisage d'engager pour trouver un repreneur a été régulière, et que l'employeur s'est conformé aux obligations de recherche telles qu'elles résultent de l'article L. 1233-57-14 du code du travail🏛. En outre, il résulte des dispositions de l'article R. 1233-15 du code du travail🏛 que la fermeture d'un établissement peut résulter de son transfert de la zone d'emploi. Il s'ensuit que dans l'hypothèse d'un tel transfert, l'employeur n'est pas tenu de rechercher un repreneur pour l'activité transférée.

24. De première part, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'employeur n'aurait pas satisfait aux obligations qui résultent des dispositions précitées au seul motif que les actions envisagées et mises en œuvre pour trouver un repreneur se seraient limitées à la reprise du site de Bourguébus et de ses moyens de production et n'auraient pas porté sur la reprise de son activité.

25. De seconde part, il ressort des pièces du dossier qu'à l'occasion de la première réunion de consultation du comité social et économique, la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus a présenté aux représentants du personnel un document de présentation de la démarche qu'elle entendait mettre en œuvre pour rechercher un repreneur pour son site et ses moyens de production. Si les requérants soutiennent que ce document est manifestement insuffisant, ils n'assortissent leurs affirmations d'aucune précision.

26. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le moyen tiré de ce que l'employeur n'aurait pas satisfait aux obligations qui résultent des dispositions citées au point 23 doit être écarté.

En ce qui concerne la motivation de la décision :

27. Aux termes de l'article L. 1233-57-4 du code du travail🏛 : " L'autorité administrative notifie à l'employeur () la décision d'homologation dans un délai de vingt et un jours (). / Elle la notifie, dans les mêmes délais, au comité d'entreprise (). La décision prise par l'autorité administrative est motivée ".

28. Il résulte de ces dispositions et de celles citées au point 4 que la décision expresse par laquelle l'administration homologue un document fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi doit énoncer les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que les personnes auxquelles cette décision est notifiée puissent à sa seule lecture en connaître les motifs. Si le respect de cette règle de motivation n'implique ni que l'administration prenne explicitement parti sur tous les éléments qu'il lui incombe de contrôler, ni qu'elle retrace dans la motivation de sa décision les étapes de la procédure préalable à son édiction, il lui appartient, toutefois, d'y faire apparaître les éléments essentiels de son examen. Doivent ainsi notamment y figurer ceux relatifs à la régularité de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel.

29. En l'espèce, la décision attaquée fait apparaître les éléments essentiels de l'examen auquel s'est livrée la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie et précise, contrairement à ce que soutiennent plus spécifiquement les requérants, le périmètre du groupe au sein duquel devront être menées les recherches de reclassement interne, à savoir le groupe Schneider Electric en France.

30. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision attaquée.

Sur les frais liés à l'instance :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme demandée dans cette instance et au titre des mêmes dispositions par la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. R et autres est déclarée nulle et de nul effet, en tant qu'elle émane de Mme AG.

Article 2 : La requête de M. R et autres est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. AB R, premier dénommé pour les requérants, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la société Schneider Electric Manufacturing Bourguébus.

Copie en sera transmise, pour information, à la directrice régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Normandie.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Marchand, président,

Mme Pillais, première conseillère,

Mme Silvani, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2024.

Le président-rapporteur,

Signé

A. MARCHAND

L'assesseure la plus ancienne,

Signé

M. PILLAIS

L'assesseure la plus ancienne,

M. PILLAIS

Le président-rapporteur,

A. MARCHAND

L'assesseure la plus ancienne,

M. PILLAIS Le greffier,

Signé

J. LOUNIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

le greffier,

J. Lounis

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