Jurisprudence : TA Versailles, du 09-03-2023, n° 2102944

TA Versailles, du 09-03-2023, n° 2102944

A10599I3

Référence

TA Versailles, du 09-03-2023, n° 2102944. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/94208515-ta-versailles-du-09032023-n-2102944
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Références

Tribunal Administratif de VERSAILLES

N° 2102944

1ère chambre
lecture du 09 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête sommaire et deux mémoires, enregistrés le 7 avril 2021, le 2 novembre 2021 et le 16 novembre 2021 sous le n°2102944, l'association la Ligue des droits de l'homme, représentée par Me Lionel Crusoé et Me Marion Ogier, demande au tribunal :

1) d'annuler la délibération n° 14 du conseil municipal de la commune de Poissy du 8 février 2021 modifiant les conditions d'attribution des aides facultatives communales et autorisant le maire ou son représentant à suspendre l'accès aux aides municipales et sociales pour les services non obligatoires aux familles dont un des membres mineurs aura fait l'objet d'un rappel à l'ordre ou aura fait l'objet d'un jugement définitif suite à une infraction troublant l'ordre public et qui auront refusé l'accompagnement parental proposé par les services sociaux de la ville ou du département ;

2) de mettre à la charge de la commune de Poissy une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- le quorum prévu par l'article L. 2121-17 du code général des collectivités territoriales🏛 n'a pas été respecté ;

- la délibération attaquée méconnaît le principe d'égalité des usagers devant le service public ;

- elle méconnaît le principe de légalité des délits et des peines, faute de définition précise des manquements sanctionnés et des peines susceptibles d'être infligées ;

- elle méconnaît le principe du respect des droits de la défense, faute de prévoir les modalités selon lesquelles les intéressés pourront faire valoir ces droits ;

- elle méconnaît le principe de responsabilité personnelle et de personnalité des peines ;

- elle méconnaît le principe " non bis in idem " ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation car : elle pénalise l'ensemble d'une famille en raison du comportement d'un seul de ses membres et elle est inadaptée au regard de l'objectif du service en cause ; en prévoyant que le refus de bénéficier d'un contrat d'accompagnement entraîne la suspension des aides facultatives, elle confère un caractère obligatoire à un dispositif que le législateur a entendu rendre facultatif ; elle ne peut légalement fonder une sanction sur un rappel à l'ordre au sens de l'article L. 132-7 du code de la sécurité intérieure🏛, qui n'est entouré d'aucune garantie.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 16 juin 2021 et le 16 novembre 2021, la commune de Poissy conclut au rejet de la requête.

Elle soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir et, subsidiairement, que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 novembre 2021.

II. Par une requête sommaire et deux mémoires, enregistrés le 10 avril 2021, le 2 novembre 2021 et le 16 novembre 2021 sous le n°2102985, la Ligue des droits de l'homme, représentée par Me Lionel Crusoé et Me Marion Ogier, demande au tribunal :

1) d'annuler la délibération du 9 février 2021 par laquelle le conseil d'administration du centre communal d'action sociale de Poissy a choisi d'appliquer les mesures votées par le conseil municipal de la commune de Poissy le 8 février 2021 et a ainsi prévu la suspension des aides et services non obligatoires aux familles dont un des membres mineurs aura fait l'objet d'un rappel à l'ordre ou aura fait l'objet d'un jugement définitif à la suite d'une infraction troublant l'ordre public et qui auront refusé l'accompagnement parent proposé par les services sociaux de la ville ou du département ;

2) de mettre à la charge du centre communal d'action sociale de Poissy une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le quorum du conseil d'administration n'a pas été respecté ;

- le centre communal d'action sociale ne fait pas partie des autorités compétentes pour mettre en œuvre des pouvoirs de police administrative ou de punir, par l'instauration d'un régime de sanctions administratives, les personnes qui exercent l'autorité parentale sur des mineurs ayant été auteurs d'un comportement délictueux, les articles L. 131-1 à L. 132-16 du code de la sécurité intérieure🏛🏛 ne conférant aucun rôle, en la matière, aux centres communaux d'action sociale ;

- la délibération attaquée méconnaît le principe d'égalité des usagers devant le service public ;

- elle méconnaît le principe de légalité des délits et des peines, faute de définition précise des manquements sanctionnés et des peines susceptibles d'être infligées ;

- elle méconnaît le principe du respect des droits de la défense, faute de prévoir les modalités selon lesquelles les intéressés pourront faire valoir ces droits ;

- elle méconnaît le principe de responsabilité personnelle et de personnalité des peines ;

- elle méconnaît le principe " non bis in idem " ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation car : pénalisant l'ensemble d'une famille en raison du comportement d'un seul de ses membres, elle est inadaptée au regard de l'objectif du service en cause ; elle tire les conséquences d'un simple rappel à l'ordre en se fondant sur celui-ci, qui n'est entouré d'aucune garantie, pour modifier la situation administrative des usagers du service public et en prenant à leur endroit une décision qui constitue une sanction ; en prévoyant que le refus de bénéficier d'un contrat d'accompagnement entraîne la suspension des aides facultatives, elle confère un caractère obligatoire à un dispositif que le législateur a entendu rendre facultatif.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 16 juin 2021 et le 16 novembre 2021, le centre communal d'action sociale de Poissy conclut au rejet de la requête.

Il soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir et, subsidiairement, que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 3 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 novembre 2021.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de Mme Bartnicki, rapporteure publique,

- les observations de Me Ogier, représentant la Ligue des droits de l'homme.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération n° 14 du 8 février 2021, le conseil municipal de la commune de Poissy a décidé de modifier les conditions d'attribution des aides facultatives communales et autorisé le maire ou son représentant à suspendre l'accès aux aides municipales et sociales pour les services non obligatoires aux familles dont un des membres mineurs aura fait l'objet d'un rappel à l'ordre ou aura fait l'objet d'un jugement définitif suite à une infraction troublant l'ordre public et qui auront refusé l'accompagnement parental proposé par les services sociaux de la ville ou du département. Les aides municipales concernées sont le Pass'Sport club, le Pass Culture, les aides financières du programme de réussite éducative pour l'accès aux loisirs et le Pass'loisirs. Par délibération du 9 février 2021, le centre communal d'action sociale de Poissy a décidé de prendre acte et d'appliquer les mesures votées par le conseil municipal de la commune de Poissy le 8 février 2021. La Ligue des droits de l'homme demande l'annulation de ces deux délibérations.

Sur les fins de non-recevoir :

2. Si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

3. Les délibérations attaquées, qui sont de nature à affecter des personnes vulnérables, présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes, une portée excédant son seul objet local. Il en résulte que la Ligue des droits de l'homme justifie d'un intérêt pour agir contre les délibérations en litige. Les fins de non-recevoir opposées par la commune et le centre communal d'action sociale de Poissy doivent, par conséquent, être écartées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Le principe de légalité des délits et des peines, qui s'applique aux sanctions administratives au même titre qu'aux sanctions pénales, implique que les éléments constitutifs des infractions soient définis de façon précise et complète.

5. Les délibérations attaquées, qui permettent au maire de Poissy de suspendre le bénéfice de certaines prestations d'aides sociale facultative pour les familles dont un des membres mineurs aura fait l'objet d'un rappel à l'ordre ou aura fait l'objet d'un jugement définitif suite à une infraction troublant l'ordre public et qui auront refusé l'accompagnement parental proposé par les services sociaux de la ville ou du département, ont ainsi institué une sanction administrative. Les délibérations en cause se bornent à renvoyer à l'existence d'un rappel à l'ordre, lequel peut en vertu de l'article L. 132-7 du code de la sécurité intérieure, être mis en œuvre lorsque des faits sont susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publiques, et à des condamnations pour des infractions troublant l'ordre public, qui recouvrent un champ très large, sans préciser davantage les faits ou infractions concernés, ni la durée de la suspension que le maire est susceptible de prononcer. L'association requérante est par conséquent fondée à soutenir que le principe de légalité des délits et des peines a été méconnu.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que la Ligue des droits de l'homme est fondée à demander l'annulation de la délibération n°14 du conseil municipal de Poissy du 8 février 2021 et de la délibération du conseil d'administration du centre communal d'action sociale de Poissy du 9 février 2021.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Poissy le versement d'une somme de 1 500 euros en application de ces dispositions. Il n'y a pas lieu, en revanche, de mettre à la charge du Centre communal d'action sociale de Poissy la somme demandée par la Ligue des droits de l'homme en application de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La délibération n°14 du conseil municipal de Poissy du 8 février 2021 et la délibération du conseil d'administration du centre communal d'action sociale de Poissy du 9 février 2021 sont annulées.

Article 2 : La commune de Poissy versera à la Ligue des droits de l'homme la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la Ligue des droits de l'homme est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la Ligue des droits de l'homme, à la commune de Poissy et au centre communal d'action sociale de Poissy.

Délibéré après l'audience du 9 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Blanc, président,

M. Jauffret, premier conseiller,

Mme Lutz, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2023.

Le rapporteur,

signé

E. A

Le président,

signé

P. Blanc

La greffière,

signé

C. Delannoy

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 2102944, 2102985

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