TA Cergy-Pontoise, du 22-02-2023, n° 2300435
A11619EQ
Référence
Par une requête enregistrée le 12 janvier 2023, Mme B A, représentée par Me Vrioni, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛 :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 10 août 2022 par laquelle le directeur adjoint des ressources humaines de l'hôpital Beaujon a refusé de la placer en télétravail à 100%, de la décision du 13 septembre 2022 portant retenue sur traitements et de la décision du 21 novembre 2022 rejetant son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre à la direction des ressources humaines de l'hôpital Beaujon de l'autoriser à exercer ses fonctions en télétravail à 100% et de lui rembourser les sommes irrégulièrement retenues sur son salaire ;
3°) de mettre à la charge de l'hôpital Beaujon la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que :
en raison de l'accident de service dont elle a été victime en 2015, elle souffre de douleurs importantes et invalidantes au genou droit qui seront aggravées par l'utilisation de transports en commun pour se rendre sur son lieu de travail ;
les décisions attaquées ont entrainé des retenues sur salaire depuis le 1er octobre 2022 ;
par ailleurs, l'administration hospitalière ne justifie d'aucune urgence à mettre fin à son autorisation de télétravail à 100% et n'établit pas davantage l'existence d'une atteinte à un intérêt public ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées :
la décision du 10 août 2022 et la décision du 21 novembre 2022 sont entachées d'un défaut de motivation ;
elles ont été prises en méconnaissance du délai de prévenance de deux mois prévu à l'article 5 du décret n° 2016-151 du 11 février 2016🏛 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature ;
compte tenu de son handicap, elle remplit les conditions pour être autorisée à exercer ses fonctions en télétravail à 100% en application de l'article 4 du décret du 11 février 2016🏛.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2023, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- les conclusions dirigées contre la décision du 13 septembre 2022 en tant qu'elle refuse de reconnaître l'arrêt de travail de l'intéressée pour la période du 1er au 23 septembre 2022 et celles dirigées contre la décision du 21 novembre 2022 en tant qu'elle rejetterait le recours gracieux formé contre la décision du 13 septembre 2022 sont irrecevables dès lors que, par la décision du 21 novembre 2022, il a été fait droit au recours gracieux de Mme A en ce qui concerne la régularisation de son arrêt de travail ;
- en ce qui concerne les conclusions dirigées contre la décision du 10 août 2022, la condition de l'urgence n'est pas satisfaite dès lors que la régularisation de son arrêt de travail va avoir lieu et qu'en persistant à exercer ses fonctions en télétravail à 100% Mme A méconnaît la réglementation et l'intérêt du service ; aucun des moyens soulevés n'est de nature à créer un doute quant à la légalité de cette décision ; les décisions des 10 août et 21 novembre 2022 sont suffisamment motivées ; l'intéressée n'est pas fondée à se prévaloir de la méconnaissance du délai de prévenance dès lors qu'elle ne bénéficie d'aucune autorisation écrite d'exercice de ses fonctions en télétravail telle que prévue par le décret du 11 février 2016🏛, en tout état de cause, la méconnaissance du délai de prévenance est sans incidence sur la légalité des décisions contestées ; le courrier du 10 août 2022 n'est pas une décision de refus d'autorisation de télétravail à 100% de sorte que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du décret du 11 février 2016 est inopérant.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête n° 2300231, enregistrée le 5 janvier 2023, par laquelle Mme A demande l'annulation des décisions des 10 août, 13 septembre et 21 novembre 2022.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 2016-151 du 11 février 2016🏛 ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Riedinger, premier conseiller, en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 26 janvier 2023, tenue en présence de Mme Soulier, greffière d'audience :
- le rapport de Mme Riedinger, juge des référés,
- les observations de Me Vrioni pour Mme A ; elle conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens qu'elle précise et produit deux nouvelles pièces ; elle ajoute, s'agissant de la condition de l'urgence, que Mme A fait l'objet d'une procédure disciplinaire pour absences irrégulières à compter du 1er septembre 2022 et de retenues sur traitement pour absences durant le mois d'octobre 2022 ;
- les observations de la représentante de l'AP-HP.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Mme A, préparatrice en pharmacie hospitalière titulaire, est employée par l'hôpital Beaujon, qui relève de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, depuis le 1er février 2014 et y exerce les fonctions de technicienne d'information médicale au sein du département de l'information médicale. Du 26 juillet 2021 au 31 août 2022, elle a exercé ses fonctions selon la modalité du télétravail à 100%. Par un courrier 10 août 2022, le directeur-adjoint des ressources humaines, après avoir rappelé qu'elle est " actuellement positionnée en télétravail à 100% ", lui demande de modifier son planning à compter du 1er septembre 2022 afin de respecter la réglementation qui prévoit que le nombre maximum de jour télétravaillés par semaine est fixé à trois. Par ce même courrier, Mme A est informée qu'une retenue sur traitement sera opérée pour toute absence qui n'aura pas " fait l'objet d'une autorisation préalable en télétravail ". Par une décision du 13 septembre 2022, le directeur-adjoint des ressources humaines refuse de prendre en compte les arrêts de travail de Mme A pour la période du 1er au 23 septembre 2022 et l'informe que chaque jour d'absence fera l'objet d'un recouvrement. Par un courrier du 18 octobre 2022, Mme A forme un recours administratif contre cette décision. Par un courrier du 21 novembre suivant, le directeur du groupe hospitalo-universitaire AP-HP Nord- université Paris Cité l'informe que la régularisation de son arrêt de travail aura lieu ; par ailleurs, il confirme à l'intéressée que sa volonté d'exercer ses fonctions en télétravail à 100% n'est conforme ni à la réglementation, ni à l'organisation du service. Mme A demande au juge des référés de suspendre l'exécution des décisions des 10 août, 13 septembre et 21 novembre 2022.
Sur les conclusions aux fins de suspension :
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ".
En ce qui concerne la décision du 13 septembre 2022 et la décision du 21 novembre 2022 en tant qu'elle rejetterait le recours administratif formé contre cette décision :
3. Il résulte des termes du courrier du 21 novembre 2022 que le directeur du groupe hospitalo-universitaire AP-HP Nord- université Paris Cité doit être regardé comme retirant la décision du 13 septembre 2022 par laquelle l'établissement avait refusé de prendre en compte les arrêts de travail de Mme A pour la période du 1er au 23 septembre 2022 et décidé de procéder au recouvrement du traitement servi à l'intéressée au titre de cette même période. La décision du 13 septembre 2022 ayant disparu de l'ordonnancement juridique avant même l'introduction de la présente requête, Mme A n'est pas recevable à en demander la suspension de l'exécution. Elle n'est pas davantage recevable à demander la suspension de l'exécution de la décision du 21 novembre 2022 qui, faisant droit à son recours administratif en ce qui concerne le refus de prendre en compte son arrêt de travail pour la période du 1er au 23 septembre 2022, ne lui fait pas grief à cet égard. Il s'ensuit que les fins de non-recevoir opposées en défense doivent être accueillies et que les conclusions à fin de suspension de l'exécution de la décision du 13 septembre 2022 et de la décision du 21 novembre 2022 en tant qu'elle rejetterait le recours administratif formé contre cette décision doivent être rejetées.
En ce qui concerne la décision du 21 novembre 2022 en tant qu'elle refuse à Mme A l'autorisation d'exercer ses fonctions en télétravail à 100% :
S'agissant de la condition de l'urgence :
4. La condition d'urgence à laquelle le prononcé d'une mesure de suspension est subordonné doit être regardée comme satisfaite lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
5. Mme A fait valoir, certificats médicaux à l'appui et sans être contredite, que le handicap dont elle est atteinte rend très difficile pour elle l'utilisation des transports en commun. Il résulte, en outre, de l'instruction, notamment des pièces versées aux débats à l'audience, qu'elle fait actuellement l'objet d'une procédure disciplinaire en raison de ses absences à compter du 1er septembre 2022 et de retenues sur traitement pour ses jours d'absence du 1er au 31 octobre 2022. Dans ces circonstances, la condition tenant à l'urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
S'agissant d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision :
6. D'une part, il résulte des dispositions combinées des articles 3, 4 et 5 du décret du 11 février 2016🏛🏛 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature qu'un agent, dont l'état de santé ou le handicap le justifient, peut, s'il présente une demande écrite en ce sens, être autorisé à exercer ses fonctions en télétravail pour une quotité qui peut être supérieure à trois jours par semaine. D'autre part, aux termes du dernier alinéa de cet article 5 : " Le refus opposé à une demande d'autorisation de télétravail ainsi que l'interruption du télétravail à l'initiative de l'administration doivent être motivés et précédés d'un entretien ".
7. Il résulte de l'instruction que Mme A, qui bénéficie de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, a sollicité à plusieurs reprises à compter du 31 août 2022 l'autorisation d'exercer ses fonctions en télétravail à 100% en faisant valoir son état de santé. Elle produit à cet égard des certificats médicaux en ce sens, deux établis par son médecin traitant les 16 août et 1er septembre 2022 et un troisième établi par un médecin agréé le 1er octobre 2022. Il résulte de la décision du 21 novembre 2022 que, pour rejeter la demande de Mme A, le directeur du groupe hospitalo-universitaire AP-HP Nord- université Paris Cité s'est borné à indiquer que l'exercice de ses fonctions en télétravail à 100% " n'est pas conforme à la réglementation () ni à l'organisation du service et de l'équipe ". Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.
8. Il résulte de ce qui précède que les deux conditions prévues par l'article L. 521-1 du code de justice administrative sont remplies. Par suite, l'exécution de la décision du 21 novembre 2022 refusant à Mme A l'autorisation d'exercer ses fonctions en télétravail à 100% est suspendue.
En ce qui concerne la " décision " du 10 août 2022 :
9. Il ne résulte pas de l'instruction que, préalablement au courrier du 10 août 2022, Mme A avait sollicité l'autorisation de continuer à exercer ses fonctions en télétravail à 100%. Ce courrier, par lequel il lui est rappelé la réglementation en matière de télétravail et demandé de revoir son planning pour le mois de septembre, ne présente donc pas, comme le fait d'ailleurs valoir l'AP-HP en défense, de caractère décisoire. Les conclusions tendant à la suspension de son exécution ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. La suspension de l'exécution de la décision du 21 novembre 2022 en tant qu'elle porte refus d'autorisation d'exercice des fonctions en télétravail à 100% implique seulement, au regard du motif de la suspension, que l'hôpital Beaujon prenne une nouvelle décision sur la demande présentée par Mme A.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HP le paiement à la requérante d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : L'exécution de la décision du 21 novembre 2022 refusant à Mme A l'autorisation d'exercer ses fonctions en télétravail à 100% est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint à l'hôpital Beaujon de prendre une nouvelle décision sur la demande de Mme A tendant à être autorisée à exercer ses fonctions en télétravail à 100%.
Article 3 : L'AP-HP versera à Mme A une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Fait à Cergy, le 22 février 2023.
La juge des référés,
signé
V. Riedinger
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.