Jurisprudence : CAA Versailles, 14-04-2015, n° 12VE01779

Références

Cour Administrative d'Appel de Versailles

N° 12VE01779
Inédit au recueil Lebon
3ème Chambre
lecture du mardi 14 avril 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu, I, sous le n° 12VE01779, la requête enregistrée le 15 mai 2012, présentée pour la SAS INGRAM MICRO, ayant son siège social Carrefour de l'Europe Centre Région Transport à Lesquin (59810), par Me Le Bon, avocat ; la SAS INGRAM MICRO demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1009892 du 15 mars 2012 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge, à hauteur de 6 918 456 euros, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2005 et 2006 ;

2° de prononcer la décharge sollicitée ;

3° de mettre à la charge de l'Etat, outre les dépens, la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le tribunal administratif a entaché sa décision d'erreur de droit, notamment en opérant un renversement de la charge de la preuve, et de fait ;
- le service, qui ne remet pas en cause la régularité de la distribution des réserves, d'un montant de 65 millions d'euros, décidée par son actionnaire, la société IM Europe Holding, - décision à laquelle elle ne pouvait se soustraire - ni de l'émission des obligations remboursables en actions (ORA) au profit de cette société en vue de financer cette distribution à hauteur de 61,75 millions d'euros, n'établit pas qu'en déduisant les intérêts se rapportant aux ORA, inexactement requalifiés en dividendes, elle aurait recherché, au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, une application littérale des dispositions du 1 de l'article 39 du code général des impôts à l'encontre des objectifs de leurs auteurs ;
- à cet égard, en premier lieu, en remettant en cause des décisions de gestion régulières, l'administration a méconnu tant le principe de non-immixtion dans la gestion de l'entreprise que la liberté de choix des modalités de financement de ses activités en vertu de laquelle il lui est loisible de recourir à l'emprunt plutôt qu'à ses fonds propres ; en outre, l'administration, n'a pas démontré l'existence d'un avantage fiscal retiré en France à l'occasion de l'opération contestée ; par ailleurs, il n'est pas établi que le recours aux ORA, dont les intérêts ont été fixés à des conditions normales, ait présenté un avantage fiscal particulier par rapport à d'autres modes de financement, conformes aux objectifs non fiscaux poursuivis, et ayant présenté les mêmes caractéristiques économiques ;
- en deuxième lieu, l'opération en cause répondait à des motivations autres que fiscales ; en effet, d'une part, ainsi qu'en attestent les procès-verbaux du comité d'entreprise, elle a permis de régler un conflit social en augmentant le montant de la réserve spéciale de participation et donc les sommes versées à ce titre aux salariés, sans entraîner d'augmentation des cotisations sociales ; en outre, la conclusion d'un nouvel accord dérogatoire au droit commun n'aurait pu intervenir à temps pour rétroagir sur l'année 2004 et les salariés eux-mêmes ont préféré la solution retenue, laquelle était la plus à même de mettre fin au conflit en cours ; d'autre part, et conformément aux volontés de l'actionnaire, le recours aux ORA, traités comme du
quasi-capital, en paiement de la distribution, a permis de ne pas dégrader la note de crédit de la société, indispensable à la viabilité de son activité ; enfin, et toujours selon les souhaits de l'actionnaire, l'émission des ORA, qui a limité les mouvements de trésorerie, s'est imposée comme l'instrument de financement le plus pertinent dans le cadre de la réorganisation du groupe au terme de laquelle elle n'est pas redevenue la propriété de la société Ingram Micro Inc, contrairement à ce que soutient le service, mais s'est retrouvée détenue à 99,99 % par la société Ingram Micro Luxembourg SARL conformément à l'objectif de regroupement des sociétés européennes du groupe sous un holding européen commun ;
- l'existence d'un abus de droit n'ayant pas été démontrée, l'administration ne pouvait lui appliquer la pénalité de 80 % prévue en pareil cas ;

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Vu, II, sous le n° 14VE01972, la requête, enregistrée le 4 juillet 2014, présentée pour la SAS INGRAM MICRO, ayant son siège social Carrefour de l'Europe Centre Région Transport à Lesquin (59810), par Me Le Bon, avocat ; la SAS INGRAM MICRO demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1206436 du 5 mai 2014 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la décharge, à hauteur de 6 652 548 euros, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 2007 et 2008 ;

2° de prononcer la décharge sollicitée ;

3° de mettre à la charge de l'Etat, outre les dépens, la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soulève les mêmes moyens que ceux présentés sous la requête enregistrée sous le n° 12VE01779 ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mars 2015 :

- le rapport de M. Huon, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Coudert, rapporteur public ;


1. Considérant que les requêtes n° 12VE01779 et 14VE01972 présentées pour la SAS INGRAM MICRO présentent à juger des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt ;

2. Considérant qu'à la suite de deux vérifications de comptabilité ayant porté sur les exercices 2005 à 2009 de la SAS INGRAM MICRO et aux termes de propositions de rectification des 23 décembre 2008, 16 décembre 2010 et 21 juillet 2011, le service vérificateur a relevé que, le 9 septembre 2004, la société tête de groupe Ingram Micro Inc, sise au Delaware (USA), a cédé sa participation dans la société requérante à la société Ingram Micro Treasury LLC qui l'a elle-même cédée le 13 septembre 2004 à la société Ingram Micro Europe Holding LLC, ces deux sociétés étant également implantées au Delaware ; que, le 30 septembre 2004, la SAS INGRAM MICRO a financé, à hauteur de 61,75 millions d'euros la distribution de son report à nouveau (65 millions d'euros) par l'émission, au profit de son nouvel actionnaire, d'obligations remboursables en actions (ORA) d'une durée de sept ans au taux de 8,58 % ; que, le 1er octobre 2004, ces ORA ont été remises à la société Ingram Micro Treasury LLC en paiement d'une partie de sa dette liée à l'acquisition des titres de la SAS INGRAM MICRO, lesquels ont à nouveau été cédés le 6 septembre 2005 à son actionnaire d'origine, la société Ingram Micro Inc ; que, le 26 septembre 2005, cette société a apporté ces titres à la société Ingram Micro Atlantic Inc (Iles Caïman) qui, à son tour, le 28 septembre suivant, les a apportés à la société Ingram Micro International Inc (Iles Caïman) ; que, les 28 et 29 septembre, cette dernière a transféré les titres en cause sous forme de cession (à hauteur de 91,25 % desdits titres) ou d'apport (8,75 %) à la société IM Luxembourg SARL (Luxembourg) ; qu'enfin, le 1er octobre 2007, une nouvelle émission d'obligations remboursables en actions d'un montant de 16 115 206 euros a été réalisée par la SAS INGRAM MICRO au profit de la société Ingram Micro Treasury en remboursement des intérêts courus depuis 2004 ; que l'administration a considéré que le financement de la distribution de dividendes opéré le 30 septembre 2004 par l'émission d'ORA avait été décidée dans le seul but d'imputer des charges sur les résultats de la SAS INGRAM MICRO et ainsi d'atténuer l'imposition dont elle aurait été normalement redevable ; que, par application des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, elle a refusé la déduction des intérêts générés par cette opération et, par voie de conséquence, de ceux se rattachant à la seconde émission d'ORA, liée directement à la première ; qu'elle a ainsi rapporté aux résultats imposables de la société des sommes s'établissant respectivement à 5 298 150 euros pour chacun des exercices 2005 et 2006, 5 921 352 pour l'exercice 2007 et 6 811 842 pour l'exercice 2008 et a assorti les suppléments d'impôt sur les sociétés résultant de ces rectifications de la majoration prévue en cas d'abus de droit au taux de 80 % pour 2005 et 2006 et 40 % pour 2007 et 2008 ; que la SAS INGRAM MICRO relève appel des jugements des 15 mars 2012 et 5 mai 2014 par lesquels le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles elle a ainsi été assujettie au titre de ses exercices clos en 2005, 2006, 2007 et 2008 ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant que, si la SAS INGRAM MICRO soutient que le tribunal administratif aurait entaché son jugement, d'une part, d'erreur de droit, en se méprenant en particulier sur les règles de dévolution de la charge de la preuve, et, d'autre part, d'erreur de fait, ces moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par les premiers juges, sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué ;

Sur le bien-fondé des impositions :

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire (...) " ;

5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux exercices 2005 et 2006, lesquels ont fait l'objet d'une proposition de rectification notifiée avant le 1er janvier 2009 : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / a) Qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; / b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; / c) Ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention. / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. " ; qu'aux termes de l'article L. 64 du même livre, applicable aux exercices 2007 et 2008 : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ces textes dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; que l'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales ; que dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales ;

6. Considérant que l'administration fait valoir, sans être sérieusement contredite, qu'en décidant, de manière concomitante, de procéder à une distribution de dividendes et d'émettre, pour un montant proche, des obligations remboursables en actions au profit du bénéficiaire de cette distribution, la SAS INGRAM MICRO a réalisé deux opérations contradictoires qui, au terme du contrat d'émission des obligations, produiront les mêmes effets qu'une incorporation de réserves au capital social mais en permettant, sur la durée de ce contrat, la déduction des intérêts correspondants ; qu'à cet égard, elle note que la distribution exceptionnelle réalisée en 2004 et l'émission d'ORA n'ont généré aucun flux financier mais ont donné lieu à un simple jeu d'écritures comptables et qu'ainsi, les deux décisions prises le 30 septembre 2004 par l'assemblée générale extraordinaire n'ont pas réellement modifié la situation financière de la SAS INGRAM MICRO dès lors que les obligations remboursables en actions auxquelles son actionnaire unique a souscrit et dont le remboursement s'effectue obligatoirement par l'émission d'actions de la société émettrice, font partie de ses autres fonds propres ; que le ministre relève, par ailleurs, que l'opération en cause a procuré à la SAS INGRAM MICRO un avantage fiscal substantiel, au travers de la déduction d'importantes charges financières, dont le montant est rappelé au point 2. ci-dessus, et dont la requérante ne saurait sérieusement contester la réalité, alors, au surplus, que les intérêts perçus par les sociétés Ingram Micro Treasury LLC et Ingram Micro Europe Holding étaient exonérés d'impôt aux Etats-Unis à raison de la forme juridique de ces sociétés ; qu'en outre, à cet égard, l'appelante ne peut utilement invoquer la circonstance que le taux d'intérêt des ORA ne serait pas excessif au regard des conditions du marché, dès lors que ce taux n'a pas, en lui-même, été remis en cause par l'administration, laquelle s'est bornée à relever, en réponse à la société qui faisait valoir que son actionnaire aurait pu laisser ses dividendes inscrits en compte courant, générant ainsi des intérêts, que le taux en cause était hors de proportion avec celui admis en rémunération des comptes courants ; qu'est également sans incidence sur la réalité de l'avantage fiscal ainsi obtenu la circonstance, au demeurant non établie, qu'un avantage du même ordre aurait pu être obtenu par l'utilisation d'autres modes de financement ; qu'enfin, le ministre souligne que l'interposition des sociétés Ingram Micro Treasury LLC et Ingram Micro Europe Holding apparaît comme un montage purement artificiel à l'issue duquel la requérante s'est retrouvée dans sa situation initiale avec pour seule différence un résultat fiscal allégé des intérêts d'emprunt afférents aux ORA, lesquelles, selon un mécanisme s'apparentant au " debt push down ", n'ont servi qu'à financer sa propre acquisition par la société Ingram Micro Holding LLC qui, un an plus tard, la cédera à son actionnaire d'origine ; que, compte tenu de l'ensemble de ces circonstances précises, l'administration apporte la preuve de l'intention de la contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales ; que, dès lors, il incombe à la requérante d'établir que l'opération litigieuse était justifiée par un autre motif ;

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