Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Aa et associés, avocat de M. [E], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société La Nouvelle, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Ab Ac, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mmes Bohnert, Techer, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Sara, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, de la présidente et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 23 juin 2022), par déclaration du 2 février 2021, M. [E] a interjeté appel, devant la cour d'appel de Paris, d'un jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt notifié le 7 janvier 2021.
2. Le 23 mars 2021, il a formé une seconde déclaration d'appel devant la cour d'appel de Versailles, territorialement compétente.
3. Par une ordonnance du 7 juin 2021, un conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris a déclaré le premier appel irrecevable.
4. Par une ordonnance du 4 avril 2022 qui a été déférée à la cour d'appel, un conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Versailles a dit le second appel irrecevable.
Sur le moyen relevé d'office
5. Après avis donné aux parties conformément à l'
article 1015 du code de procédure civile🏛, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les
articles L. 311-1, alinéa 1er, et R. 311-3, du code de l'organisation judiciaire🏛🏛 :
6. Selon le premier de ces textes, la cour d'appel connaît, sous réserve des compétences attribuées à d'autres juridictions, des décisions judiciaires, civiles et pénales, rendues en premier ressort.
7. Aux termes du second, sauf disposition particulière, la cour d'appel connaît de l'appel des jugements des juridictions situées dans son ressort.
8. La
Cour de cassation juge depuis 2009 (2e Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 06-46.220⚖️, publié) qu'une cour d'appel qui, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, constate que l'appel d'un jugement a été formé devant une cour dans le ressort de laquelle n'est pas située la juridiction dont émane la décision attaquée, en déduit exactement que l'appel n'est pas recevable.
9. Toutefois, en ce qui concerne la compétence exclusive attribuée en matière commerciale à certaines juridictions, la
chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation, qui jugeait depuis 2013 (Com., 24 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.089⚖️, publié) que, la cour d'appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur les recours formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'
article L. 442-6 du code de commerce🏛, la méconnaissance de ce pouvoir juridictionnel exclusif était sanctionnée par une fin de non-recevoir, laquelle devait être relevée d'office (
Com., 31 mars 2015, pourvoi n° 14-10.016⚖️, Ad. 2015, IV, n° 59) a, dans un arrêt du 18 octobre 2023 (pourvoi n°
21-15.378⚖️, publié), jugé que la règle découlant de l'application combinée des articles L. 442-6, III, devenu L. 442-4, III, et D. 442-3, devenu D. 442-2, du code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l'application des dispositions du I et du II de l'article L. 442-6 de ce code, devenues l'article L. 442-1, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
10. Depuis un arrêt du 29 janvier 2025 (
Com., 29 janvier 2025, pourvoi n° 23-15.842⚖️, publié), elle juge que la règle d'ordre public découlant de l'application combinée des mêmes articles, désignant la cour d'appel de Paris seule compétente pour connaître des décisions rendues par lesdites juridictions, institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir.
11. Les évolutions jurisprudentielles opérées par la chambre commerciale concernent la compétence d'attribution exclusive des juridictions spécialisées.
12. Cependant, la question se pose de savoir si la règle d'ordre public relative à la compétence territoriale d'une cour d'appel, prévue à l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire, relève des exceptions d'incompétence ou des fins de non-recevoir.
13. La jurisprudence issue de l'arrêt du 9 juillet 2009 précité a fait l'objet d'importantes critiques de la doctrine. Elle a également été source de complexité pour les praticiens, et de restrictions de l'accès au juge d'appel, que les évolutions postérieures n'ont que partiellement atténuées (
2e Civ., 5 octobre 2023, pourvoi n° 21-21.007⚖️, publié).
14. Il y a donc lieu de revenir sur cette jurisprudence et de considérer désormais que la saisine d'une cour d'appel territorialement incompétente n'est pas sanctionnée par une fin de non-recevoir mais relève des exceptions d'incompétence régies par les
articles 75 à 82-1 du code de procédure civile🏛🏛.
15. Une telle interprétation est conforme à la lettre de l'article R. 311-3 susvisé, comme à celle de l'article 75 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du
décret n° 2017-891 du 6 mai 2017🏛, lequel se réfère à la notion de compétence des juridictions de première instance et d'appel.
16. Les articles L. 311-1 et R. 311-3 mentionnés aux § 6 et 7, dispositions d'ordre public de portée générale du code de l'organisation judiciaire, confèrent plénitude de juridiction aux cours d'appel, sur l'appel des jugements de leurs ressorts sauf disposition particulière et définissent par là-même une compétence exclusive des cours d'appel.
17. A cet égard, il résulte de l'
article 77 du code de procédure civile🏛, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, qu'en matière contentieuse, le juge peut relever d'office son incompétence territoriale dans les cas où la loi attribue compétence exclusive à une autre juridiction.
18. Il résulte de ce qui précède que la saisine d'une cour d'appel territorialement incompétente relève des exceptions d'incompétence et non des fins de non-recevoir.
19. Ce revirement de jurisprudence tend à favoriser l'accès au juge d'appel en assouplissant le régime des sanctions tout en poursuivant l'objectif d'une bonne administration de la justice.
20. Pour déclarer irrecevable la déclaration d'appel, l'arrêt retient par motifs propres, que la déclaration d'appel du 23 mars 2021 n'a été formée ni dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt, ni dans le délai d'un mois suivant la déclaration d'appel adressée initialement à la cour d'appel de Paris et qui a été déclarée irrecevable. Il ajoute, par motifs adoptés, qu'il résulte des
articles 2241, 2242 et 2243 du code civil🏛🏛🏛, que la demande en justice, même portée devant une juridiction incompétente, interrompt le délai de prescription ainsi que de forclusion, que l'interruption en résultant, qui produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance, est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance ou si sa demande est définitivement rejetée.
21. Si c'est conformément à la doctrine antérieure au présent revirement que la cour d'appel en a déduit que l'appel était irrecevable, celui-ci conduit à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Portée et conséquences de la cassation
22. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des
articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile.
23. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
24. Il résulte du § 18 que la saisine d'une cour d'appel territorialement incompétente relève des exceptions d'incompétence et non des fins de non-recevoir.
25. Si le conseiller de la mise en état, saisi d'un incident de l'intimée invoquant le caractère tardif de l'appel, non interrompu par la saisine d'une cour d'appel incompétente du fait d'une précédente ordonnance d'irrecevabilité du premier appel, a statué conformément à l'état du droit antérieur, l'ordonnance du 4 avril 2022 doit être annulée par l'effet du revirement de jurisprudence et de sa portée énoncés aux § 20 et 21 ainsi que du fait de l'annulation de l'arrêt confirmatif.
26. Il y a donc lieu d'annuler l'ordonnance déférée, de rejeter la demande d'incident déposée le 2 mars 2022 par la société Because devant le conseiller de la mise en état et de déclarer recevable l'appel interjeté le 23 mars 2021 par M. [Ae] devant la cour d'appel de Versailles.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare recevable l'appel interjeté le 23 mars 2021 par M. [E] à l'encontre du jugement du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 7 janvier 2021 ;
ANNULE l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 avril 2022 ;
REJETTE la demande d'incident déposée le 2 mars 2022 par la société Because devant le conseiller de la mise en état.
DIT que la procédure se poursuivra devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société La Nouvelle, venant aux droits de la société Because, aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé publiquement le trois juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛.