Jurisprudence : Cass. civ. 1, Conclusions, 30-04-2025, n° 24-15.624

Cass. civ. 1, Conclusions, 30-04-2025, n° 24-15.624

A45230QL

Référence

Cass. civ. 1, Conclusions, 30-04-2025, n° 24-15.624. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/118790150-cass-civ-1-conclusions-30042025-n-2415624
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AVIS DE Mme CARON-DEGLISE, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 263 du 30 avril 2025 (F-B) – Première chambre civile Pourvoi n° 24-15.624⚖️ Décision attaquée : 14 mars 2024 de la cour d'appel d'Angers Mme [F] [X] veuve [V] M. [H] [V] C/ Mme [C] [V]-[B] Mme [L] [V] M. [Z] [V] _________________

Question prioritaire de constitutionnalité

1 - Faits et procédure. [D] [V] est décédé le 6 février 2002, laissant pour lui succéder : - son épouse, Mme [F] [X], avec laquelle il était marié sous le régime de la communauté des biens réduite aux acquêts selon un contrat de mariage du 27 mai 1966 ; - les trois enfants du couple : M. [H] [V], M. [R] [V] et Mme [C] [V] épouse [B].

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De la succession dépend notamment la nue-propriété de la ferme de [Localité 20], comportant divers bâtiments à usage d'habitation et d'exploitation, bien qui a fait l'objet d'un bail rural de neuf années à compter du 1 er janvier 2018 consenti à l'un des enfants, Mme [C] [V] et à son époux, M. [G] [V], le 24 janvier 2000, à l'exception de la parcelle cadastrée section B n° [Cadastre 11]. Selon un acte de donation dont l'acceptation a été reçue par Maître [O] le 7 septembre 2002, l'universalité des biens objet de la succession a fait l'objet d'un usufruit bénéficiant à Mme [X]-[V], épouse du défunt. Le règlement de la succession a été confié à Maître [O], qui a établi une attestation de propriété le 7 septembre 2002. Par un acte du 11 décembre 2014, Mme [C] [V]-[B] a assigné sa mère et ses frères en ouverture des opérations de partage de la succession, demandant l'attribution préférentielle des biens ruraux constituant la ferme de [Localité 20]. Par jugement du 19 avril 2016, le tribunal de grande instance du Mans a fait droit à la demande d'ouverture des opérations de partage de la succession de [D] [V], et a, notamment, désigné un expert aux fins d'évaluation des biens. Celui-ci a, d'une part, évalué les bâtiments à une valeur de 139.959 euros et les terres à celle de 154.123, 45 euros et, d'autre part, à 20 % l'abattement qui pourrait être appliqué par rapport à la valeur libre des biens donnés à bail. Par jugement du 24 mars 2021, le tribunal judiciaire du Mans a notamment reçu en leur intervention Mme [L] [V] et M. [Z] [V] venant aux droits de leur père [R] [V], décédé le 14 février 2018, débouté Mme [X]-[V] et M. [H] [V] de leur demande en annulation du rapport d'expertise, attribué en pleine propriété à Mme [C] [V]-[B] les biens formant la ferme de [Localité 20], dit que ces biens lui seront attribués à titre de partage pour la valeur de 235.266 euros, à charge de soulte s'il y a lieu, et a renvoyé les parties devant le notaire commis. Mme [X]-[V] et M. [H] [V] ont interjeté appel de cette décision. Par arrêt du 14 mars 2024, la cour d'appel d'Angers a confirmé le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant, a notamment débouté Mme [X]-[V] et M. [H] [V] de leurs demandes d'expertise. A l'occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, Mme [X]-[V] et M. [H] [V] ont posé deux questions prioritaires de constitutionnalité.

2 - Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité. Les questions prioritaires de constitutionnalité sont ainsi libellées : - « Les articles 831 et 833 du code civil🏛🏛 en ce qu'ils permettent une attribution préférentielle en pleine propriété d'un bien grevé d'un usufruit, sans l'accord de

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l'usufruitier ni indemnisation de ce dernier, méconnaissent-ils la garantie du droit de propriété édictée par l'article 17 de la Déclaration de 1789 ? - Subsidiairement, les articles 831 et 833 du code civil en ce qu'ils permettent une attribution préférentielle en pleine propriété d'un bien grevé d'un usufruit, sans prévoir l'indemnisation de l'usufruitier privé de son droit sont-ils entachés d'incompétence négative en méconnaissance des articles l'article 17 de la Déclaration de 1789 et 34 de la Constitution ? »

3- Recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité; L'article 61-1 de la Constitution dispose : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. » Le Conseil constitutionnel exige à peine d'irrecevabilité que, « pour exercer le droit qui lui est reconnu par l'article 61-1 de la Constitution, toute partie à une instance doit, devant la juridiction saisie, spécialement désigner, dans un écrit distinct et motivé, d'une part, soit les dispositions pénales qui constituent le fondement des poursuites, soit les dispositions législatives qu'elle estime applicables au litige ou à la procédure et dont elle soulève l'inconstitutionnalité et, d'autre part, ceux des droits ou libertés que la Constitution garantit auxquels ces dispositions porteraient atteinte. » La Cour de cassation a rappelé à de multiples reprises que la précision de la question est une condition de sa recevabilité. Celle-ci doit clairement faire apparaître la disposition dont l'inconstitutionnalité est alléguée, l'identification précise des droits et libertés garantis par la Constitution invoqués et en quoi la disposition visée ne serait pas conforme à ces droits et libertés. Elle déclare irrecevables les questions qui se limitent à invoquer une atteinte générale aux droits et libertés garantis par la Constitution ou dont l'inconstitutionnalité alléguée n'est pas suffisamment motivée pour permettre de caractériser l'incidence précise de la disposition législative en cause sur ces droits et libertés1. En l'espèce, les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par Mme [X][V] et M. [V] ont désigné spécialement les dispositions législatives qu'ils estiment 1

par exemple : Com., 7 mars 2019, pourvoi n° 18-40.047⚖️ ; Soc., 18 décembre 2018, pourvoi n° 1840.036 ; Soc., 15 novembre 2018, pourvoi n° 18-40.034⚖️ ; Soc., 9 octobre 2018, pourvoi n° 18-40.030⚖️ ; Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n° 18-40.023⚖️; 1ère Civ., 7 septembre 2017, pourvoi n° 17-13.290⚖️ ; 2ème Civ., 17 mars 2016, pourvoi n° 15-24.290; 2ème Civ., 12 février 2015, pourvoi n° 14-22.173.

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applicables au litige. Elles discutent la constitutionnalité des dispositions des articles 831 et 833 du code civil permettant l'attribution préférentielle en pleine propriété d'un bien grevé d'un usufruit sans l'accord de l'usufruitier ni indemnisation de ce dernier (1ère question) cette absence d'indemnisation de l'usufruitier le privant de son droit, les articles 831 et 833 étant entachés d'incompétence négative (2ème question subsidiaire). Elles invoquent des atteintes aux droits et libertés que la Constitution garantit : - la garantie du droit de propriété édictée par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789; - l'article 34 de la Constitution. La question prioritaire de constitutionnalité a en outre été formulée dans un mémoire spécial distinct, précis et motivé en date du 20 septembre 2024. A ce stade, les critères apparaissent remplis sous la réserve, s'agissant de la condition relative à la disposition législative, de vérifier que les critères posés tant par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2010-39 QPC, 6 octobre 2010) que par la Cour de cassation (1ère Civ., 27 septembre 2011, pourvoi n° 11-13.488⚖️, Bull. 2011, I, n° 151 ; et not. 1ère Civ., 8 juillet 2021, pourvoi n° 20-23.333) sont remplis en l'espèce. En effet, la disposition contestée à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité peut être la loi elle-même ou encore son interprétation jurisprudentielle constante par la Cour suprême compétente. Nous reviendrons sur ce point précis dans la partie avis (p. 6 et s.).

4- Examen des conditions de transmission de la question au Conseil constitutionnel. Les articles 23-2 et 23-5 de l'Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958🏛🏛 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiés par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, précisent que la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel est soumise à trois conditions : - la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites, - elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, - la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux. Il sera rappelé que, outre le fait que seule la loi peut être l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition législative critiquée doit porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit (Const. 4 oct. 1958, art. 61-1), droits et libertés contenus non seulement dans la Constitution mais aussi dans son Préambule et dans les textes auxquels ce dernier renvoie, à savoir :

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- la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ; - le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; - la Charte de l'environnement de 2004. 4.1. Applicabilité des dispositions des articles 831 et 833 du code civil au litige ou à la procédure. Les demandeurs soutiennent que les dispositions des articles 831 et 833 du code civil permettent l'attribution préférentielle en pleine propriété d'un bien grevé d'un usufruit sans l'accord de l'usufruitier ni indemnisation de ce dernier, cette absence d'indemnisation de l'usufruitier le privant de son droit. Ces articles disposent : – article 831 du code civil : « Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l'attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s'il y a lieu, de toute entreprise, ou partie d'entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d'une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l'exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement. Dans le cas de l'héritier, la condition de participation peut être ou avoir été remplie par son conjoint ou ses descendants. S'il y a lieu, la demande d'attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l'application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d'une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers ». – article 833 du code civil : « Les dispositions des articles 831 à 832-4 profitent au conjoint ou à tout héritier appelé à succéder en vertu de la loi, qu'il soit copropriétaire en pleine propriété ou en nue-propriété. » (al. 1er) Ces dispositions sont applicables au litige, de sorte que la condition apparaît ici remplie. 4.2. Absence de déclaration de conformité à la Constitution. Les articles 831 et 833 du code civil, dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006🏛 n'ont pas fait l'objet d'une déclaration préalable de constitutionnalité dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, aucune question prioritaire de constitutionnalité portant sur cette disposition n'est actuellement en cours d'examen devant le Conseil d'Etat, la Cour de cassation ou le Conseil constitutionnel.

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4.3. Nouveauté et sérieux des questions. A) Le critère de nouveauté s'apprécie au regard de la norme constitutionnelle invoquée.2 Le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé tant sur l'application de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que sur celle de l'article 34 de la Constitution (v. notamment les décisions n° 2023-1075 QPC du 18 janvier 2024 et n° 2024-1109 QPC du 18 octobre 2024). S'agissant de la deuxième question invoquant une incompétence négative en méconnaissance des articles 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 34 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé que la méconnaissance de sa compétence par le législateur ne peut être invoquée dans le cadre d'une QPC que si cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit, par exemple le droit de propriété (Décision n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010⚖️ ; Décision n° 2014-409 QPC du 11 juillet 2014⚖️). Les questions posées ne sont pas véritablement nouvelles. B) Le critère du sérieux des questions s'apprécie au regard du « doute concernant la constitutionnalité de la disposition contestée, sans exiger une quasi certitude ». En l'espèce, le mémoire spécial discute la constitutionnalité des articles 831 et 833 du code civil, en ce que si le législateur a ajouté dans la loi n° 70-1265 du 23 décembre 1970🏛 un article 832-3 ouvrant l'attribution préférentielle à tout héritier, qu'il soit copropriétaire en pleine propriété ou en nue-propriété (cette disposition figurant aujourd'hui à l'article 833 du Code civil), bénéfice d'une attribution préférentielle, le législateur est resté muet sur les modalités et les effets de cette attribution. Il s'appuie sur l'analyse du doyen Mazeaud selon lequel : « Certes, lorsque l'usufruitier n'a vocation qu'à une quote-part en usufruit (par exemple, le conjoint, survivant usufruitier légal), le bénéficiaire de l'attribution exercera, comme il le faisait déjà, son droit pour le tout en invoquant non pas sa quote-part en nue propriété, mais la pleine propriété dont il dispose sur la majeure partie du bien. Mais lorsque cette attributaire ne dispose sur le bien que de la nue-propriété (ce sera le cas lorsque le de cujus a disposé de la totalité de l'usufruit au profit de son conjoint survivant), on voit mal comment sera respecté l'esprit de la réforme. En effet, l'attributaire n'aura pas, dans ce dernier cas, la jouissance du bien ; il ne sera pas un exploitant. Certes, le rapporteur du texte devant l'Assemblée nationale a envisagé la possibilité pour ce nu-propriétaire d'accéder immédiatement à la pleine propriété en désintéressant l'usufruitier ? Le texte n'impose nullement cette interprétation. » 3

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Décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009⚖️ (cons. 21).

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Mazeaud, Leçons de droit civil, t. IV, 2e vol. par A. Breton p. 838, note 2, cité dans le mémoire spécial.

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Si les articles 831 et 833 autorisent l'attribution préférentielle en pleine propriété d'un bien d'un bien grevé d'un usufruit, en méconnaissance des droits de l'usufruitier et sans prévoir le principe et les modalités d'une indemnisation de l'usufruitier pour la perte de son droit, ils méconnaissent l'article 17 de la Déclaration de 1789. Subsidiairement, ces dispositions sont entachées d'incompétence négative.

AVIS. La chambre devra s'interroger d'une part sur la question de la recevabilité des QPC et d'autre part sur la possibilité pour elle de statuer sur l'interprétation des textes législatifs critiqués par les QPC dans la décision qu'elle prendra sur leur renvoi ou non au Conseil constitutionnel, ainsi que le permet le Conseil (Décision n° 20231059 QPC du 14 septembre 2023). Il résulte en effet de l'article 61-1 de la Constitution que la QPC doit porter sur une disposition législative ou sur son interprétation jurisprudentielle constante par la Cour suprême compétente (Cons. cons., Décision n° 2010-39 QPC, 6 octobre 2010 ; 1ère Civ., 27 septembre 2011, pourvoi n° 11-13.488, Bull. 2011, I, n° 151 ; et not. 1ère Civ., 8 juillet 2021, pourvoi n° 20-23.333). La Cour de cassation juge ainsi qu'« il a été décidé que "tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative", sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la Cour suprême compétente." Parmi les trois conditions ainsi posées, celle relative à la Cour suprême compétente ne pose pas de réelle difficulté. En revanche, celles relatives à la disposition législative et à la constance de la jurisprudence sont plus complexes. Par plusieurs arrêts, la Cour de cassation a jugé que les questions relatives à l'interprétation d'une disposition qui n'est pas législative ou d'une règle ou principe jurisprudentiels, même formulés au visa dun texte législatif, sont irrecevables (v. not. 1ère Civ., 27 septembre 2011, pourvoi n° 11-13.488 précité ; 3ème Civ., 15 février 2018, pourvoi n° 17-40.069⚖️ ; 1ère Civ., 14 mars 2019, pourvoi n° 18-21.567⚖️ ; 2ème Civ., 20 juillet 2021, pourvoi n° 21-10.825). La question de la jurisprudence constante nous intéresse ici. Le conseiller rapporteur relève avec justesse qu'il n'existe pas de critères précis dans la jurisprudence qu'il cite, mais qu'une interprétation jurisprudentielle constante peut, selon la Cour de cassation, ne résulter que d'un seul arrêt (1ère Civ., 23 mai 2019, pourvoi n° 18-23.859⚖️ ; 2ème Civ., 25 juin 2020, pourvoi n° 19-23.219⚖️). Le Conseil constitutionnel se prononce dans ce sens (Décision n° 2013-340 QPC⚖️ du 20 septembre 2013 ; Décision n° 2015-488 QPC du 7 octobre 2015⚖️ et son commentaire, p. 8) indiquant que l'unique arrêt peut être l'arrêt de renvoi (Décision n° 2011-185 QPC du 21 octobre 2011⚖️ ; Décision n° 2018-696 QPC du 30 mars 2018⚖️). En l'espèce, aucune jurisprudence ni aucune interprétation n'est fixée sur les questions posées par le mémoire spécial. La chambre pourrait considérer dans ces conditions que les questions sont irrecevables. Nous estimons cependant que la chambre dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer sa

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jurisprudence sur les questions dans sa décision statuant sur les QPC soulevées, décision qui selon nous doit être une décision de non-lieu à renvoi pour les motifs suivants, exposés après un bref rappel du contexte dans lequel l'attribution préférentielle a fait son entrée dans le droit positif. L'attribution préférentielle, qui est un procédé qui consiste à soustraire un bien aux règles ordinaires du partage pour l'attribuer à certains indivisaires, a été admise pour la première fois en 1938 pour les exploitations agricoles de modeste importance. Le domaine en a été élargi aux entreprises commerciales, artisanales, libérales et industrielles à caractère familial et au local d'habitation par la loi n° 61-1378 du 19 décembre 1961🏛
. Les articles 831 à 834 du code civil🏛 qui la concernent sont issus de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. Le demandeur à l'attribution préférentielle peut être le conjoint survivant ou tout héritier appelé à succéder, qu'il soit copropriétaire en pleine ou en nue-propriété (C. civ., art. 833, al. 1er). Ces dispositions sont issues de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. Elles ont remplacé les précédentes issues successivement des lois n° 701265 du 23 décembre 1970 et n°80-502 du 4 juillet 1980. Lors des débats parlementaires de la loi du 23 décembre 1970 qui est à l'origine de l'évolution d'une interprétation jurisprudentielle considérée comme restrictive de l'attribution préférentielle alors réservée au seul copropriétaire en pleine copropriété à l'exclusion du coindivisaire en nue-propriété ou en usufruit, le rapporteur4 avait mentionné que la majorité de la doctrine et la jurisprudence donnaient une définition des termes d'héritiers et de copropriétaires qui traduisaient une conception étroite de l'attribution préférentielle parce que cette institution avait toujours été considérée par la jurisprudence comme un droit d'exception dont les conditions étaient strictement définies. La proposition de loi n° 88 soulignait les inconvénients pratiques d'une telle interprétation au regard de la définition du copropriétaire et s'était interrogée sur la question de savoir si le nu-propriétaire était copropriétaire au sens des articles 832 et 832-2 du code civil🏛🏛. La jurisprudence avait répondu par la négative à cette question, la Cour de cassation considérant qu'en raison du caractère exceptionnel du procédé de partage qu'est l'attribution préférentielle il n'était pas possible d'étendre le bénéfice de ce partage à des personnes que la loi n'avait pas expressément désignées. Par suite, et en vertu du même raisonnement, l'attribution préférentielle était refusée au conjoint survivant dans le cas où il ne recevait qu'une part en usufruit. Le rapporteur avait souligné dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, et lors de la séance du 21 novembre 1968, que les résultats pratiques d'une telle exclusion présentaient de sérieux inconvénients susceptibles de se produire dans de nombreux cas, d'autant plus que la loi du 13 juillet 1963🏛, en modifiant l'article 1094 du code civil🏛, avait contribué à multiplier le nombre des cohéritiers nu-propriétaires en permettant à un époux de disposer de la totalité de ses biens en usufruit en faveur de l'autre époux. Ainsi, l'héritier nu-propriétaire ne pouvait bénéficier de l'attribution préférentielle et devait attendre que l'usufruitier, sa mère ou son père survivant, décède, courant le 4

M. Hoguet, Rapporteur pour la Commission des lois de l'Assemblée nationale, sur la modification des articles 832 et 832-2 du code civil.

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risque, dans l'intervalle, que ses cohéritiers demandent le partage et fassent vendre l'exploitation, sachant qu'il ne pouvait pas toujours invoquer le droit de préemption en cas de vente car ce droit est soumis à des conditions limitatives et ne comporte pas les facilités de paiement prévues en matière d'attribution préférentielle. Selon le rapporteur, « cette situation (choquait) le sens de l'équité car, en fait, le conjoint survivant vit sous le même toit que le cohéritier exploitant, c'est celui-ci qui donne à son ascendant les soins qu'exigent son âge et bien souvent la maladie. » les difficultés. Après d'importants débats, et des divergences de rédaction entre l'Assemblée nationale et le Sénat qui avait pris parti en faveur de l'extension du bénéfice de l'attribution préférentielle en complétant le neuvième alinéa de l'article 832 du code civil afin de l'étendre au copropriétaire tenant ses droits d'une donation entre vifs ou d'un testament, la modification des articles 832 et suivants est demeurée conforme au projet initial de la proposition de loi renvoyant les modifications suggérées par le rapporteur du Sénat à une réforme plus large. Sont ensuite intervenues les lois n°80502 du 4 juillet 1980 et n° 2006-728 du 23 juin 2006. Actuellement, il résulte des articles 831 à 834 du code civil : 1. L'attribution préférentielle est une modalité de partage et, en vertu de l'article 831 du code civil (visé dans les QPC), elle ne peut être demandée que par l'un des copartageants qui participe, ou a participé, effectivement à l'exploitation de l'entreprise concernée. La demande peut porter sur tout ou partie de l'entreprise, une quote-part indivise ou des droits sociaux portant sur l'entreprise. Elle est facultative sauf pour les exploitations agricoles ne dépassant pas les limites fixées par décret en Conseil d'Etat (C. civ., art. 832). A l'exclusion de cette hypothèse, en cas de désaccord, la demande d'attribution peut être portée devant le tribunal (C. civ., art. 832, al. 3). 2. L'attribution préférentielle ne confère pas à celui qui en bénéficie la propriété des biens concernés qui ne sera acquise qu'au terme du partage (C.civ., art. 834). En conséquence, les biens demeurent dans l'indivision jusqu'au partage et l'attributaire peut renoncer à l'attribution dans certaines conditions (C. civ., art. 832, al. 2). Ainsi que le relèvele professeur Le Guidec, "si l'attribution préférentielle est décidée, son effet se produira plus ou moins tardivement, au moment du partage, sans doute seulement après extinction de l'usufruit. Il y aura lieu alors à évaluer les biens à ce jour du partage, avec toutes les conséquences qui peuvent s'ensuivre (C. civ., art. 832-4) et bien entendu, dans la mesure où l'attributaire ne cherche pas à y renoncer dans les conditions autorisées (C. civ., art. 834, al. 2)."5

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R. Le Guidec, " Attribution préférentielle - Le nu-propriétaire est recevable à demander l'attribution préférentielle ", Droit rural n° 423, mai 2014, comm. 106, cité par le mémoire en défense.

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Compte tenu de ces éléments d'appréciation, il nous apparaît que si la question des effets de l'attribution préférentielle demandée par un copropriétaire en nue-propriété n'est pas tranchée, et demeure discutée en doctrine, nous pouvons dire qu'en tout état de cause ses effets sont limités à l'attribution de la nue-propriété des biens, et non de la pleine propriété. L'attributaire se voit conférer un droit acquis à demander l'attribution par voie de partage d'un bien qui est compris dans la masse partageable mais n'en sera propriétaire qu'au terme du partage. Ainsi que le relève à juste titre le conseiller rapporteur, l'attribution préférentielle est un dispositif d'exception par rapport au droit commun du partage qui demeure gouverné par son caractère aléatoire (1ère Civ., 13 Janvier 2016, pourvoi n° 1429.651, Bull. 2016.I, n° 8). L'interprétation des règles applicables doit donc demeurer stricte. En conséquence, nous sommes d'avis que la chambre pourrait fixer sa jurisprudence, ainsi que l'autorise le Conseil constitutionnel (Décision n° 2023-1059 QPC du 14 septembre 2023⚖️), en jugeant que les dispositions critiquées dans les QPC (C. civ., art. 831 et 833) ne permettent pas une attribution préférentielle en pleine propriété d'un bien grevé d'un usufruit puisque son effet ne se produira qu'au moment du partage, soit seulement après extinction de l'usufruit, de sorte qu'elles ne méconnaissent pas la garantie du droit de propriété de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et ne sont pas entachées d'incompétence négative (article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et article 34 de la Constitution). Par suite, nous concluons qu'il n'y a pas lieu à renvoi des QPC au Conseil constitutionnel.

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