N° RG 23/03141 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O5KX
Décision du
Tribunal Judiciaire de BOURG-EN-BRESSE
Au fond
du 06 février 2023a
RG : 21/02987
[Y]
[C]
C/
[N]
S.A. [12]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 18 Février 2025
APPELANTS :
M. [R] [Aa] [Y]
né le [Date naissance 7] 1957 à [Localité 11] (01)
[Adresse 6]
[Localité 2]
M. [E] [J] [C]
né le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 14] (69)
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentés par Me Benoit CONTENT, avocat au barreau d'AIN
INTIMES :
Me [T] [N], notaire associé de la SELARL [13]
[Adresse 10]
[Localité 8]
La SA [12]
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TW & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 1813
ayant pour avocat plaidant la SCP BAULIEUX-BOHE-MUGNIER-RINCK, avocat au barreau de LYON,
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 07 Novembre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Décembre 2024
Date de mise à disposition : 18 Février 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'
article 804 du code de procédure civile🏛.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'
article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,
Signé par Patricia GONZALEZ, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [R] [Aa] et M. [E] [C] étaient associés à parts égales d'une société civile immobilière (la SCI) ayant pour objet notamment l'acquisition, la propriété et la location de biens immobiliers.
Par acte authentique reçu le 5 janvier 2016 par M. [T] [N], notaire associé (le notaire), la SCI a vendu une parcelle de terrain à bâtir. L'acte mentionne que « Le vendeur et l'acquéreur déclarent ne pas être assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l'
article 256 A du code général des impôts🏛. »
Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 16 janvier 2019, il a été décidé de la dissolution anticipée de la SCI à compter de cette même date, la société subsistant pour les besoins de la liquidation jusqu'à la clôture de celle-ci, intervenue le 5 avril 2019.
Le 7 juin 2019, l'administration fiscale a notifié à la SCI, prise en la personne de son liquidateur, une proposition de rectification portant sur les droits dus à l'occasion de la cession de terrain, estimant que la transaction devait être soumise à la TVA à 20 % et que la SCI était ainsi redevable de droits à hauteur de 32 733 euros, outre 2 619 euros d'intérêts de retard.
Le 16 août 2019, l'administration fiscale a établi un avis de mise en recouvrement de la somme de 35 352 euros à l'encontre de la SCI.
Par courriers du 5 novembre 2019, elle a mis en demeure M. [Aa] et M. [C] d'avoir à payer, chacun, la somme de 16 634,50 euros.
La somme de 33 269 euros a été réglée à l'administration fiscale par un virement du 15 novembre 2019 tiré sur le compte de la SCI.
Les 2 et 10 novembres 2021, M. [Aa] et M. [C] ont assigné le notaire et son assureur de responsabilité civile, la société [12], devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, sollicitant à titre principal leur condamnation à leur payer la somme de 16'634,50 euros chacun en réparation de leur préjudice.
Par jugement contradictoire du 6 février 2023, le tribunal :
- les a déboutés de leur demande de dommages-intérêts,
- a débouté les parties de leur demande d'indemnité sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- a laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 13 avril 2023, M. [Aa] et M. [C] ont relevé appel du jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2024, ils demandent à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel,
- condamner conjointement et solidairement le notaire et la société [12] à leur payer à chacun :
* la somme de 16 634,50 euros en réparation de leur préjudice, outre intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2020, date de la mise en demeure,
* la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner conjointement et solidairement le notaire et la société [12] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 25 septembre 2023, le notaire et la société [12] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Aa] et M. [C] de l'intégralité de leurs prétentions,
- juger défaillants M. [Aa] et M. [C] dans la démonstration d'une faute du notaire directement génératrice pour eux d'un préjudice indemnisable,
- débouter M. [Aa] et M. [C] de l'intégralité de leurs prétentions en ce qu'elles sont dirigées à leur encontre,
- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. [Aa] et M. [C] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 novembre 2024.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la demande principale
M. [Aa] et M. [C] font valoir essentiellement que :
- la SCI et l'acquéreur agissaient dans le cadre de leur activité économique, s'agissant d'une livraison d'immeuble entrant dans le champ d'application de droit commun de la TVA ;
- le notaire aurait donc dû vérifier que les parties à l'acte de vente n'étaient pas assujetties à la TVA ; en s'abstenant de le faire, il a manqué à son devoir de conseil et a commis une faute engageant sa responsabilité civile ;
- si les droits ont été payés par la SCI, ils subissent personnellement un préjudice du fait du redressement fiscal lié au manquement du notaire puisque la SCI a fait l'objet d'une liquidation amiable et qu'ils ont été privés de la moitié de la somme de 33'269 euros dont l'actif de la SCI avait été amputé.
Le notaire et la société [12] répliquent que :
- les appelants sont défaillants dans la triple démonstration d'une faute du notaire directement génératrice pour eux d'un préjudice indemnisable ;
- ils n'établissent pas que c'est de manière unilatérale que le notaire a déclaré de façon erronée à la SCI ainsi qu'à l'acquéreur que l'un et l'autre n'étaient pas assujettis à la TVA, alors qu'il s'agit de déclarations des parties faites sous leur seule responsabilité ;
- ils n'ont pas réglé l'imposition qui a été payée par la SCI ; s'ils soutiennent en avoir subi les conséquences en leur qualité d'associés, ils n'en justifient pas ;
- le préjudice fiscal ne constitue pas un préjudice indemnisable ; en conséquence, le préjudice n'est pas égal au total des sommes versées au Trésor public ;
- les intérêts inclus dans la rectification fiscale constituent la contrepartie de la possession des fonds dans le patrimoine du contribuable un temps donné et ne constituent pas un préjudice indemnisable.
Réponse de la cour
Il résulte de l'
article 1240 du code civil🏛 que le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques, notamment quant à ses incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours.
Le notaire engage sa responsabilité sur le fondement des dispositions précitées, à charge pour celui qui l'invoque de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité.
En l'espèce, c'est par des motifs pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte, que le premier juge a retenu que :
- le notaire avait l'obligation de renseigner les parties à l'acte de vente sur les incidences fiscales de celui-ci et aurait dû s'assurer qu'elles n'étaient pas assujetties à la TVA comme elles en faisaient la déclaration dans l'acte,
- en s'abstenant de procéder à cette vérification, il a manqué à son devoir de conseil et a commis une faute engageant sa responsabilité civile.
Pour confirmer le jugement sur ce point, la cour ajoute seulement que le notaire, professionnellement tenu d'informer et d'éclairer les parties sur les incidences fiscales des actes qu'il établit, ne peut être déchargé de son devoir de conseil envers son client par les compétences personnelles de celui-ci (1re
Civ., 3 avril 2007, pourvoi n° 06-12.831⚖️, Ab. 2007, I, n° 142).
C'est encore à juste titre que le tribunal a débouté M. [Aa] et M. [C] de leur demande de dommages-intérêts, motif pris de ce qu'ils ne rapportent pas la preuve du préjudice matériel qu'ils invoquent, dès lors que c'est la SCI, personne morale dont le patrimoine est distinct de celui de ses associés, qui a payé la somme totale de 33'269 euros à l'administration fiscale.
Il est en effet établi par le relevé de compte de la SCI du 30 novembre 2019 que la somme précitée a été réglée par un virement du 15 novembre 2019 tiré sur le compte courant de la SCI.
Or, l'action en responsabilité engagée par un associé contre un tiers est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la société elle-même, c'est-à-dire d'un préjudice qui ne puisse être effacé par la réparation du préjudice social.
En l'espèce, le préjudice allégué par les appelants, tiré de ce qu'ils ont été privés de la moitié de la somme de 33'269 euros dont l'actif de la SCI avait été amputé, n'est que le corollaire du dommage causé à la société et n'a aucun caractère personnel.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il déboute M. [Aa] et M. [C] de leur demande de dommages-intérêts.
2. Sur les frais irrépétibles et dépens
Le jugement est encore confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
En cause d'appel, M. [Aa] et M. [C], partie perdante, sont condamnés in solidum aux dépens et à payer au notaire et à la société [12] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [R] [Aa] et M. [E] [C] à payer à M. [T] [O] et à la société [12] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [R] [Aa] et M. [E] [C] aux dépens d'appel.
La greffière, La présidente,